(Assemblé* nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mai 1791. j 797 (L'Assemblée décrète l’impression du rapport de M. Arnoult.) Un membre. J’observe que l’heure est trop avancée pour se livrer à la discussion. (L’Assemblée, consultée, décrète la remise de la discussion jusqu’après l’impression du rapport ) M. le Président lève la séance à neuf heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE DU 10 MAI 1791, AU SOIR. CONSULTATION DES JURISCONSULTES DE RENNES sur les domaines congéables. Le conseil soussigné, qui a examiné différents mémoires et projets, relatifs aux domaines congéables de Bretagne, dans les usements de Broue-rec, Cornouailles, Tréguier et Gouëllo: Est d’avis que les raisons d’équité s’unissent à l’intérêt public pour maintenir ces usements. La coucession à domaine congéable n’est autre chose qu’un louage consenti pour 6 ou 9 ans, avec vente des édifices et superlices, sous la condition que le bailleur peut, à la fin du bail, con-édier le colon, en lui remboursant la valeur es édifices dont il ne peut augmenta r l’étendue sans le consentement du propriétaire foncier. Qu’on envisage ce contrat sous tous ces rapports, on n’y voit rien qui ressente la servitude ni la féodalité, rien qui ait le caractère d’une rente foncière, rien qui nuise au bien public. Dans la tenure à domaine congéable, le colon est le maître de sa personne, de ses actions, de ses biens. Il peut résider sur la tenue, ou habiter ailleurs. Il est libre de sous-affermer ou de vendre ses droits réparatoires, sans le consentement du foncier. A sa mort, le propriétaire foncier n’exerce aucun droit sur ses biens, quand même le colon ne laisserait pas d’héritiers. Il n’y a donc pas dans la baillée à domaine congéable la moindre clause qui ressente la servitude personnelle ou réelle. Elle n’a pas plus de rapport avec la féodalité. La concession en fief était un transport irrévocable et gratuit de la propriété d’un fonds à la charge d’une redevance féodale, de l’obéissance et des autres devoirs qui étaient naturels au fief, tels que la soumission a la juridiction du seigneur et à son moulin. Une pareille concession ne pouvait être faite ue par celui dont le domaine avait principe e fief. Dans la baillée à domaine congéable, il n’y a pas de transport absolu de propriété; au contraire, le foncier se réserve la l'acuité de rentrer dans son fonds à la fin du bail. S’il aliène ses droits réparatoires, ce n’est point à litre gratuit, mais pour une somme convenue qui répond à la valeur des édifices et supertices aliénés. Cette vente n’est point irrévocable, puisqu'il la fin du bail le propriétaire a le droit de reprendre ses supertices ou de céder son droit à un tiers. Bnfin, tout propriétaire, sans avoir principe de fief, peut donner & domaine congéable son fonds, même roturier. 11 n’y a donc ni ressemblance, ni analogie entre la concession à domaine congéable et la concession en fief. L’une avait pour objet la cession d’une propriété réelle, l’autre ne transporte au domanier que la jouissance précaire du fonds et la propriété des édifices pour un temps limité. De ce que quelques usemeuts obligent les colons à suivre la juridiction et le moulin du seigneur foncier, les détracteurs de ces usements veulent en induire que cette obligation est une charge féodale, plus onéreuse au colon, que dans la féodalité ordinaire de Bretagne, puisque le seigneur du fief n’avait aucune justice sur son métayer. Cette objection n’est que spécieuse. Il faut d’abord remarquer que le droit de suite de juridiction et de moulin n’est établi que par quelques usements. 11 n’est donc pas un droit général ni naturel à cette tenue. C’est un droit tellement accidentel, que la plupart des propriétaires fonciers n’ont ni fief, ni juridiction, ni moulin. Il faut remarquer encore que, quoique en droit le métayer ne fut pas soumis a la juridiction de sou seigneur propriétaire, il pouvait néanmoins y être soumis par le fait, c'est-à-dire par une convention entre lui et le seigneur. Les articles 10 et 34 de ta coutume de Bretagne autorisent cette convention qui n’avait rien de la féodalité. Il en est de même du colon, qui n’est qu’un métayer par rapport à son seigneur foncier. Au surplus, cette objection devient aujourd’hui sans objet depuis la suppression des justices seigneuriales. Mais il ne sera pas moins libre au foncier de soumettre sou colon à tel ou tel district, ou à tel juge de paix, pour l’exécution de son bail. Do même aussi, quoique la banalité des moulins soit abolie, le propriétaire foncier qui aura un moulin pourra conventionnellement y assujettir sou colon, comme le bailleur d’une métairie pourrait y assujettir son métayer. Ces sortes de conventions, faites de gré à gré, ne présentent aucun inconvénient. Elles ressemblent à toutes celles qui, libres et légitimes dans leur principe, deviennent nécessaires dans leur exécution. Concluons donc qu’aucunes des obligations du colon ne peuvent être assimilées aux services du fief, et que la tenure à domaine congéable ne peut être comparée avec la féodalité. Elle n’a pas plus de rapport au bail à rente foncière par la raison essentielle que le bail à rente foncière transfère la propriété entière du fonds arrenté, au lieu que le bail à convenant ne donne qu’une jouissance précaire du fonds pour un temps déterminé, et la propriété résoluble des édifices et superfices; propriété qui ne dure qu’autant que dure la jouissance du tonds, et qui cesse à la fin du bail, lorsque le propriétaire foncier veut congédier le colon. Si les rentes convenaocières ne peuvent être considérées ni comme des redevances féodales, ni comme des rentes foncières, il en résulte qu’elles ne sont point soumises à l’affrauchissement permis par les décrets de l’Assemblée nationale. Les propriétaires fonciers, sous les usemeuts de Brouerec, de Cornouailles, de Tréguier et Gouëllo, ne doivent donc pas craindre qu’il intervienne une loi qui autorise le rachat de leurs rentes convenancières, qui ne sont véritablement que des fermages. L’Assemblée nationale, qui a déclaré les pro-riétés inviolables et sacrées, ne verra dans la aillée à domaine congéable, qu'un contrat dont 728 lAuemblfe MtkuMde.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (10 mal 1791.) tontes les conditions sont dépendantes de la volonté respective du bailleur et du preneur. L’ob-iet de ce contrat n’offre qu’un simple loyer pour le prix annuel d'une jouissance qui n’a aucun caractère de perpétuité, qui se renouvelle, s’augmente on diminue à chaque bail, ou même cesse entièremeut lorsqu’il plaît au foncier de congédier son colon. Hais, dit-on, le colon ne peut augmenter l’étendue des édifices et superfices, sans le consentement du foncier. Cette prohibition est contraire à la liberté et au progrès de l’agriculture. 11 ne faut pas perdre de vue la nature du contrat dont il s’agit. Le foncier qui loue son fonds, qui aliène ses édifices pour un temps est sans contredit le maître d’imposer au domanier toutes les Conditions et les réserves qui lut conviennent ; tout comme le colon est libre d’accepter ou de refuser ces conditions. Dès que la vente des édifices est résolue et u’ils doivent revenir au propriétaire foncier, lors u congément, pourquoi serait-il permis au colon de grever ce congément en le surchargeant de nouveaux édifices, contre le gré du foncier? on ne pourrait étendre la liberté du colon sans entraîner celle du propriétaire. Ce serait intervertir l’ordre naturel des choses en donnant à l’acquéreur et au preneur le droit de faire la loi au vendeur et au bailleur. Cette contrainte, réprouvée par la raison et par la justice, n’aurait même pas pour prétexte l’amélioration de l’agriculture. C’est une vérité de fait que, dans l’étendue des usements à domaines congéables, les terres sont les mieux cultivées en Bretagne. Cette bonne culture est donc nécessairement le résultat des lois particulières qui régissent ces territoires. On risquerait trop à perdre en changeant ces lois. La prudence commande de s’en tenir au bien, quand il y a du danger ou de l’incertitude à courir après le mieux : surtout quand, dans l’espoir de saisir ce mieux, on est forcé de faire violence à la liberté civile, qui garantit le libre usage des propriétés. « 11 ne faut pas, dit Montesquieu , décider par les lois de la liberté, ce qui ne doit être décidé ue par les lois qui concernent la propriété. 'est un paralogisme de dire que le bien particulier doit céder au bien public. Cela n’a pas lieu daas le cas où il est question de la propriété des biens; parce que le bien public est toujours que chacun conserve invariablement la propriété que lui donnent les lois civiles, qui sont le Palladium de la propriété. (Liv. 26, chap. 15.) » Quand le foncier défend au colon d'augmenter l’étendue des bâtiments sans son consentement; quaod il lui défend de faire de nouvelles clôtures, etc., il n’agit pas contre la liberté civile; il use au contraire du droit commun qui veut que celui qui bâtit sur le fonds d’autrui perde ses mises et dépenses. Pourquoi donc interdirait-on aux propriétaires fonciers l’usage d’une faculté dont jouissent tous les autres bailleurs de fonds à louage? On ne peut croire que l’Assemblée nationale adopte des nouveautés q ui grèveraient trop souvent un propriétaire peu aisé, et ne lui permettraient plus d’exercer le congément. Si cependant le bien public pouvait exiger une nouvelle loi qui mit des bornes aux clauses prohibitives des baillées à domaine congéable, ces bornes devraient être posées avec bien de la modération. Quand on se croit forcé de disposer du bien d�autrui, ce doit être avec la plus grande parcimonie : par exemple, ne permettre les nouvelles plantations que sur les haies et non en pleine terre ; accorder la faculté de clore les terrains vagues; ne permettre la construction de nouveaux bâtiments que dans le cas seulement d’une insuffisance absolue de ceux existants, mais sans pouvoir couvrir en ardoise ce qui n’était couvert qu’en chaume. Il est des caotons où cette couverture est très chère. Plusieurs convenants ne contiennent que 4 ou 5 arpeots de terre : ils exigent, cependant, un logement pour le colon et la famille, et un autre pour ses 2o u 3 vaches. Ces petits édifices soat ordinairement couverts de chaume, et bâtis en murs de terre dans les lieux où la pierre est rare. Si le colon avait la faculté de reconstruire en murs de pierres et de couvrir en ardoises, il triplerait la valeur du prisage de ses édifices, et forcerait, par ce moyen, le propriétaire de lui abandonner le fonds de son domaine. Ce seul exemple suffit pour indiquer les inconvénients qui résulteraient d’un décret qui, pour favoriser les colons, nuirait trop aux propriétaires fonciers. Les uns, comme les autres, ont un droit égal au maintien des lois qui assurent la liberté des conventions. Délibéré à Rennes, le 12 janvier 1791. Signé : Legrand, Boylesve, Frot, Morice du Lérain, Le Livec, Chaillou, Potier, Legars, R.-G. Le Merer. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 10 MAI 1791, AU SOIR. Opinion et projet de décret de M. Lelay-Grantugen, député du district de Morlaix , département du Finistère , sur les domaines congéables. Messieurs, je n’ai pas beaucoup de choses à vous dire sur le projet qui vous a été présenté par vos comités des droits féodaux, de Constitution, des domaines, d’agriculture etdecommerce; ce projet n’est autre chose qu’une répétition complète de l’ancien et malheureux régime, devenu insupportable aux yeux des cultivateurs bretons. Il est formé de manière à faire croire aux membres de l'Assemblée nationale, notamment à la majeure partie, qu’ils n’ont point connaissance'de cet indigne régime, cent fois pire que les droits féodaux que les comités, sous l’apparence de vouloir faire quelque bien aux propriétaires doma-niers, proposent de supprimer ceux qui n’existent plus, et que vous avez déjà supprimés depuis quelque temps. Il vous propose également tous les moyens requis et nécessaires pour rétablir de nouveau, sous très peu de temps, ceux que vous avez voulu supprimer pour toujours ; mais ils se sont dispensés de vous donner eonnaissanoe d’une infinité d’abus qui sont beaucoup plus nombreux, et même pire que les droits féodaux. Ils ont donc cru inutile de vous présenter aucun préambule sur cet objet, ni sur aucun abus de ceux qui les ont engagés à former ce projet. Cependant, Messieurs, un million de citoyeus ont le droit d’espérer, de votre justice et de votre équité, la même justice que vous avez rendue au reste du royaume. Je finirai, Messieurs, par demander la question préalable sur le projet du