356 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES; [2 décembre 1789.] bon de dire que la réunion du pouvoir municipal et des fonctions de juge ne saurait présenter aucun danger. L’autorité municipale n’est pas une autorité politique, c’est une autorité de famille et de cité que le peuple confère librement et pour un temps ; d’ailleurs les formes du scrutin sont un grand bouclier contre l’influence dont on menace les électeurs. Enfin, exclure les magistrats ce serait les flétrir et altérer la confiance dont ils ont besoin. Les mêmes motifs s’appliquent aux percepteurs des diverses sortes d’impôts, soit directs, soit indirects, quelle différence y a-t-il entre les collecteurs des uns et des autres ? qu’y a-t-il d’infamant dans les fonctions de celui qui perçoit l’impôt? Je demande que la constitution n’exclue personne ; que les municipalités nomment qui elles voudront pour leurs officiers et que l’on donne à tous les citoyens actifs la plus grande latitude de pouvoir. M. Plson du Galant!. En présence des divergences qui se produisent au sujet de l’article qui est en discussion, je demande l’ajournement jusqu’à ce que nous ayons statué sur les impôts et sur l’organisation "des tribunaux judiciaires. M. Barrère de Vienzac. Je vois avec peine que l’on veut présenter cet article comme une exclusion odieuse, tandis qu’il ne constate que l’incompatibilité naturelle qui ne peut affliger ni dégrader personne. Autant je suis éloigné d’adopter le principe du comité pour les districts et les départements, autant je m’empresse d’y souscrire pour les municipalités. L’admission des juges aux fonctions municipales serait la confusion de deux espèces de pouvoir judiciaire dans les mêmes mains; le magistrat municipal est mi-partie d’administration, de police et de justice; le magistrat ordinaire est également revêtu du droit de juger. L’incompatibilité de ces doubles fonctions est encore plus sensible, si l’on pense que celles des municipalités sont toutes en commandement, et celles des tribunaux toutes en délibérations. D’ailleurs les tribunaux judiciaires doivent connaître des délits commis par le magistrat municipal. Gomment tolérer que l’officier accusé soit en même temps membre du tribunal qui doit juger l’accusation? L’influence des juges sur la fortune, l’honneur et la vie des citoyens, n’est-elle pas assez grande dans la société, pour qu’on ne l’augmente pas encore par un autre genre d’autorité? Il importe à la liberté civile que le citoyen ne retrouve pas le même individu dans tous les tribunaux de la ville qu’il habite; enfin par cette division des fonctions publiques, il y aura plus de citoyens en activité, plus de liberté dans les administrations municipales et moins de despotisme dans les mains des hommes revêtus du pouvoir. M. Bémeunîer rend compte des motifs qui ont décidé le comité à proposer l'article. Il a fondé l’exclusion des magistrats : 1° Sur le danger qu’un juge soit à vingt ans officier municipal ; 2° Sur l’influence qu’il a sur les électeurs de son ressort; 3° Sur l’assiduité qu’exigent les fonctions des juges; 4° Sur le respect et l’autorité dont ils doivent jouir, et qu’ils perdraient bientôt, si d’autres citoyens leur étaient préférés dans d’autres élections. Le comité a pensé que, pour honorer la magistrature, il fallait ne pas l’exposer à l’humiliation de n’être pas choisie pour les places municipales. M. Démeunier ajoute : Quant aux militaires, je ne vois aucun danger à les admettre. Dans le nouvel ordre de choses, les citoyens n’auront rien à craindre ni à espérer des militaires et il vaut mieux qu’ils viennent se mêler parmi les citoyens et prendre l’esprit de patriotisme et d’administration dans les municipalités. Il n’y a point de parité entre les collecteurs des impôts directs et indirects : les premiers sont nommés par le fisc et les autres le sont par le peuple; quant à ceux-là, il n’y a aucun inconvénient à les admettre dans les municipalités. M. Fréteau de Saint-Just. Je propose de modifier l’article et de dire: les officiers de justice pendant le temps qu’ils seront revêtus de leurs offices. On demande de toute part à aller aux voix. M. le Président. Je consulte d’abord l’Assemblée sur la clôture de la discussion. La discussion est fermée. M. Long. Je demande la division de l’article. L’Assemblée décide que l’article ne sera pas divisé. M. le Président donne lecture des amendements. Plusieurs membres demandent la question préalable : elle est mise aux voix et adoptée. M, Pison de Galand rappelle qu’il a demandé l’ajournement de l’article. Cette motion est mise aux voix et rejetée. M. le Président met aux voix l’article 4 tel qu’il est proposé par le comité de constitution. L’article est adopté sans modification. M. Tliouret, député de Rouen, fait de la part de la communauté des cuisiniers, cabaretiers et aubergistes de cette ville l’offre d’un don patriotique de 10,000 livres, en une lettre de change, à l’ordre de M. le président. M. le vicomte de Mirabeau, l’un de MM. les secrétaires, lit une lettre de M. de la Luzerne, ministre de la marine, dont voici la teneur : « Paris, ce 2 décembre 1789. « Monsieur le président, plusieurs de MM. les membres de l’Assemblée nationale ont daigné me donner hier au soir une marque d’intérêt : ils m’ont fait savoir que, sur la motion d’établir un comité relatif au régime des colonies, M. le marquis de Gouy d’Arsv avait parié; qu’il avait dirigé contre moi "des reproches d’une nature grave et réellement injurieux, quoique vagues par leur objet et étrangers même à la question agitée. « Dans les circonstances présentes, quiconque a besoin de rendre favorable, ou l’opinion qu’il soutient, ou la cause qu’il défend, cherche à placer, de quelque manière que ce soit, des plaintes contre les ministres du Roi. Je pense que l’administrateur pur et vertueux ne peut, ne doit en général opposer à cet artifice et à la calomnie [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 décembre 1789.] 357 qui le poursuit, que sa conduite, sa fermeté et son silence. « Ce serait néanmoins manquer gravement à soi-même, et attester une négligence coupable de sa réputation , que de ne point s’efforcer de dévoiler la vérité aux représentants mêmes de la nation, quand il leur a été prononcé un discours qui a pu faire impression sur les esprits. « Je désire, ou que l’on m’entende (je l’ai fait demander dans une autre occasion, je suis et serai toujours prêt à donner les éclaircissements les plus détaillés), ou, si l’on diffère, que M. le marquis de Gouy d’Arsy soit tenu d’articuler des faits, de produire et de communiquer les pièces au soutien ; et quoique je ne sache pas encore précisément ce qui a é.é ou sera avancé contre mon administration , me reposant sur ma seule conscience, j’ose assurer que la réfutation en sera complète. c L’Assemblée nationale, lorsqu’elle m’a compris, au moi de juillet, dans le nombre des ministres qu’elle invitait le Roi a rappeler près de sa personne, a daigné me donner un témoignage de son estime qui me sera toujours cher et précieux ; je m’engage à le justifier, et à prouver qu’elle n’a honoré de son suffrage qu’un administrateur incapable de trahir son devoir. « Oserais-je vous prier d’être auprès d’elle l’interprète des sentiments de mon respect et de mon vœu ? « Je suis avec respect, monsieur le président, votre, etc. « Signé : La Luzerne. » M. le due de Liancourt demande que, dans sa réponse, M. le président témoigne à M. de la Luzerne que l’Assemblée nationale n’approuve pas les imputations faites sans preuves contre les ministres du Roi. M. le marquis d’Ambly. Je propose d’exiger que celui qui fait la dénonciation soit tenu de déposer sur le bureau l’énoncé des faits avec les preuves à l’appui. Voici ma motion : « L’Assemblée nationale décrète : « Que tout député qui fera une dénonciation sera obligé de remettre sur le bureau les preuves signées de ce qu’il avance, et que, dans le cas où il sera convaincu d’être un calomniateur, il sera exclu de l’Assemblée. » M. le marquis de Gouy d’Arsy. Je vous confirme tout ce que j'ai eu l’honneur de vous dire hier contre M. de la Luzerne. Il s’est trouvé dans mes expressions une dénonciation ou une injure. S’il y avait une injure, l’Assemblée seule aurait pu me rappeler à l’ordre et ce ne serait pas au ministre à lui indiquer la conduite qu’elle doit me faire tenir. S’il n’y a eu qu’une dénonciation, je n’ai pas besoin de l’autorisation ministérielle pour prouver que je n’ai rien avancé dont je n’aie reçu une mission expresse de mes commettants et dont je ne sois en état d’administrer les preuves. M. le comte de Mirabeau. Préjuger par un décret que les députés de la nation peuvent être calomniateurs ; leur ôter le pouvoir d’exprimer les vœux, les sentiments de leurs commettants ; décider que l’Assemblée a le droit de prononcer l’exclusion d’un de ses membres, de le flétrir aux yeux de la nation qui lui a donné sa confiance, c’est porter un décret avilissant pour l’Assemblée, attentoire à sa liberté et contraire aux droits de la nation, qui seule est juge en dernier ressort de la conduite de ses représentants. Sans doute un député calomniateur serait plus coupable qu’un autre homme, puisqu’ayant des fonctions plus saintes, puisque étant revêtu d’une inviolabilité sacrée, il aurait abusé de tous les genres de confiance. Mais un de nos décrets commencerait par ces termes : Si un député est calomniateur, il sera exclu. Voilà certes un étrange si à faire juger par l’Assemblée.... Je n’ai jamais entendu parler du ministre de la marine que d’une manière favorable à sa morale et à son caractère; mais je déclare que sa sensibilité l’a emporté trop loin, et qu’il parle d’une manière irrespectueuse pour l’Assemblée, lorsqu’il nous représente comme prêts à accueillir toutes les plaintes toutes les imputations contre les ministres. Plus ce sentiment serait condamnable en nous, dont le premier devoir est d’être justes, moins il est permis de nous l’attribuer. Le ministère, considéré comme un pouvoir abstrait, a trop fait de mal à la France pour que nos défiances soient sitôt guéries, mais les ministres actuels ont plutôt éprouvé une partialité honorable à leur caractère. Quant à la motion qu’on nous propose, je demande la question préalable; toute formule qui blesserait notre liberté doit être repoussée; à plus forte raison devons-nous rejeter avec horreur le dogme que l’on voudrait établir, de l'inviolabilité des ministres et de la responsabilité des députés. M. le marquis d’Ambly. Elevé dans les camps depuis Page de douze ans, je n’ai point appris à faire des phrases; mais je sais faire autre chose. L’honneur me dit et m’ordonne de soutenir qu’une dénonciation sans preuves est une injure dont ne doit jamais se servir un député. M. le baron de Menou. Je ne puis ni approuver, ni ira prouver M. le marquis de Gouy d’Arsy, mais je dois faire observer à l’Assemblée que la lettre du ministre est irrespectueuse. M. Bouche observe que la question a été jugée relativement à M. Pétion de Villeneuve contre qui une semblable motion avait été faite. Il fut décidé qu’il n’y avait lieu à délibérer. M. le Président met aux voix la question préalable dans la manière accoutumée. L’épreuve faite deux fois est deux fois douteuse. On demande l’appel nominal. D’autres membres demandent que la séance soit levée attendu l’heure avancée. M. le Président, du consentement de l’Assemblée, lève, la séance à quatre heures.] ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÊQOE d’aix. Séance du jeudi 3 décembre 1789, au matin (1). La séance est ouverte à 9 heures du matin. M. le vicomte de Beaufiarnais, l’un de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur .