[17 novembre 1789.] 83 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] délibération de la commune sur cet arrêté, qui porte que trois députés de ce district ont donne leur démission ; le district des Cordeliers, en nommant de nouveaux députés, a fait l’arrêté do t l voici l’extrait : « L’assemblée générale a unanimement arrêté que les députés à la commune prêteraient le serment dont voici la formule : Attendu que nous n’avons d’autres pouvoirs que ceux de nos commettants, nous jurons et promettons de nous opposer autant qu’il sera en nous, à tout ce qui pourrait porter atteinte au pouvoir constituant, et de protester contre tout ce qui ne serait pas adopté par la majorité des districts ; que nous sommes révocables à volonté, etc. Arrête en outre que ladite formule sera imprimée et envoyée à tous les districts. » La commune de Paris a blâmé cette conduite ; elle n’a pas voulu recevoir les nouveaux députés, et a rappelé les anciens. M. 1» Président répond à la députation que l’Assemblée nationale prendra cette affaire eu considération. L’ordre du jour appelle la discussion sur l'arrêt du parlement de Mets, adressé à l' Assemblée nationale pendant la séance d’hier. M. le vicomte de Mirabeau (1). Je sens, Messieurs, toute la défaveur qui doit suivre celui qui monte à la tribune, et est supposé y monter avec l’intention de combattre une idée presque généralement adoptée par l’Assemblée ; mais je crois que c’est dans cette circonstance qu’un opinant a le plus de droits à l’attention et à l’indulgence de l’Assemblée. Je connais peu les formes judiciaires; je ne sais par conséquent pas quelle est la différence qui existe entre un enregistrement pur et simple, et un enregistrement provisoire, accompagné de protestation. Je n’entreprendrai donc pas de déterminer quelle peine a encouru le parlement de Metz par la conduite qu’il a tenue; je me contenterai d’examiner la base sur laquelle elle est fondée et je ne crains pas de dire que je ne la trouve pas dénuée de fondement. Le parlement de Metz dit, que ne croyant pas reconnaître dans le décret de l’Assemblée nationale, du 3 du courant, et dans la sanction qui y est jointe, le caractère de liberté nécessaire pour rendre les lois obligatoires, il est incertain sur ta manière de remplir, dans les circonstances actuelles, les engagements qu’il a contractés par son serment. Personne n’est plus convaincu que moi que le monarque est libre ; il le dit dans sa proclamation et je suis accoutumé à ne voir que la vérité et mon devoir, dans ce qui émane de la bouche du monarque ; mais personne ne disconviendra avec moi que, quand bien même il ne le serait pas, il tiendrait encore le même langage. (Un grand tumulte éclate dans la salle. — On demande que l’orateur soit rappelé à l’ordre. — Plusieurs membres proposent de lui retirer la parole. — M. le président parvient à ramener le silence.) M. le vicomte de Mirabeau. Je dois imaginer aussi que l’Assemblée est libre dans ses délibérations et opinions ; et l’attention qu’on me prête en ce moment, où je ne suis pas d’accord (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. le vicomte de Mirabeau. avec la majorité de l’Assemblée, m’en est un sûr garant. Mais vous paraît-il impossible, Messieurs, qu’aux frontières du royaume, on ne croie pas à l’évidence de ces vérités que nous croyons apercevoir? Vous savez mieux que moi que les nouvelles ne parviennent pas dans les provinces d’une manière parfaitement exacte ; sur les lieux mêmes il y a autant de versions différentes que de témoins; il est possible que les 15,000 hommes qui ont été à Versailles, précédés d’un train d’artillerie, inviter le Roi à se rendre dans la capitale, aient été dénoncés dans les provinces comme une armée qui a été enlever le monarque; on y a peut-être cru que toutes les horreurs qui ont précédé sa translation étaient l’effet d’intrigues combinées, tandis qu’elles n’ont été, selon les appa-parences, que les crimes de quelques brigands isolés. (De nouvelles interruptions couvrent la voix de l’orateur. 11 attend que le silence se rétablisse.) M. le vicomte «le Mirabeau. Quant à ce qui regarde l’Assemblée nationale, ne pardonnerez-vous pas, Messieurs, qu'on ail pensé, à 120 lieues de nous, ce que beaucoup de membres ont cru et soutenu dans le sein de l’Assemblée lorsque la question de son départ pour Paris y a été discutée? Je pense donc, Messieurs, que le parlement de Metz a pu croire, sans crime, mais seulement par erreur, que le Roi et l’Assemblée nationale notaient pas libres et j’interrogerai à cet égard la conscience d’un grand nombre de membres de cette Assemblée. Il en est (et en grand nombre) qui ont craint, mal à propos sans doute, l’i nfluence de la capitale sur les décrets de l’Assemblée; il en est beaucoup môme à qui leurs commettants ont manifesté la même crainte ; je le tiens d’eux-mêmes. D’après ces considérations, je conclus, Messieurs, par demander : 1° Que le Roi soit remercié de la promptitude qu’il a mise à rassurer les peuples sur l’identité de ses principes avec ceux de l’Assemblée nationale et à les manifester en cassant l’arrêt du parlement de Metz; 2° Que l’Assemblée nationale, considérant que son autorité dépend de sa liberté, déclare à toutes les provinces qu’elle est parfaitement libre et que les peuples doivent à ses décrets le respect qui est du à tous les actes du pouvoir législatif; 3° Que l’Assemblée ordonne à son président de se retirer immédiatement par devers le Roi, à l’effet de proposer le présent décret à l’acceptation de Sa Majesté, pour être ensuite envoyé au parlement de Metz, qui sera tenu de l’enregistrer sans réserve et sans délai, ainsi qu’à tous les autres tribunaux et corps administratifs du royaume. M. Lavle. Le discours de M. le vicomte de Mirabeau est irrespectueux pour l’Assemblée et tend à ia déconsidérer dans l'opinion publique. Je propose de lui interdire la parole pour trois mois. M. de Cazalès. Une Assemblée délibérante n’est pas libre quand chacun de ses membres n’a pas le droit de dire crûment son sentiment ; il ne doit même pas être interrompu, à moins qu’il n’attaque les individus, et M. le vicomte de Mirabeau n’a manqué à personne. M. Bion. Je demande que le discours que vous 84 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 117 novembre 1789.] venez d’entendre soit remis sur le bureau, afin que vous puissiez le juger en pleine connaissance de eau se. M. Goupil de Préfeln. Pour excuser l’orateur, l’on vient d’invoquer les principes de liberté. Je dis que la liberté ne saurait être confondue avec une licence répréhensible et criminelle; vous avec entendu des propos injurieux au Roi et à l’Assemblée nationale. Cette déclaration ne peut tendre qu’à ébranler la confiance que l’on doit à la proclamation d’un Roi que nous chérissons, j’ai presque dit que nous adorons. On demande la question préalable sur la motion de M. Lavie. M. de Robespierre. Je n’adopte ni la_question préalable ni la motion qui vous est proposée. Je demande que le discours de M. le vicomte de Mirabeau soit imprimé, afin de prouver à tous la liberté de l’Assemblée. M. Lavie. Je regarde l’impression, si elle est ordonnée, comme une peine suffisante et je retire ma motion. L’incident n’a pas d’autre suite et la discussion continue. M. IBarnsivc. Messieurs, l’arrêt de la cour de Metz est une circonstance particulière d’un plan général entrepris pour faire échouer la révolution. Je ne vous tracerai pas le tableau de diverses manœuvres employées pour répandre le trouble dans le royaume. Déjà des bruits (rarement trompeurs) nous annoncent des mouvements prêts à se faire sentir dans la capitale; on va jusqu’à vous en désigner le jour, et lorsqu’on aura excité ces mouvements ' par lesquels on se flatte d’étouffer notre liberté, on ne manquera pas d’en accuser ceux qui la défendent avec plus d’ardeur; il faut qu’une juste sévérité mette enfin à découvert ces entreprises, qu’elle prévienne leurs desseins et qu’elle rende le calme aux citoyens alarmés. L’arrêt du parlement de Metz est attentatoire aux droits de la nation, par les protestations qu’il renferme; séditieux par l’appel au peuple qui y est énoncé; injurieux au Roi et à l’Assemblée nationale par les doutes qu’il élève sur leur liberté. Tous les décrets de l’Assemblée nationale, celui surtout de la loi martiale, délibéré au moment snême où le peuple était attroupé, ne laissent aucune excuse aux doutes qu’on affecte de répandre sur notre liberté. Douter de notre liberté , c’est supposer que nous sommes des traîtres, car celui d’entre nous qui ne sent pas son opinion libre et qui délibère, trahit sa conscience et ses commettants. Je propose de mandera la barre les magistrats auteurs de l’arrêt d’enregistrement, pour concilier les moyens de punir avec ceux de recueillir des lumières, l’intérêt des justiciables avec l’honneur des membres de ce parlement qui n’ont pas concouru à l’arrêt. On a accusé vos décrets d’inhumanité. La véritable humanité est celle qui défend 24 millions d’hommes contre l’oppression de leurs tyrans. La faiblesse qui encourage l’indulgence est une vraie complicité; c’est un crime des représentants contre les représentés. M. Barrère de Vicuzac. Il est beau d’unir la modération à la force, la générosité à la puissance et la clémence à la souveraineté; mais quand l’Etat est en péril, quand les dissensions civiles peuvent renaître et nuire à vos importants travaux; quand la liberté de vos délibérations est méconnue, le pouvoir national outragé ; quand on élève enfin des doutes sur la sanction royale et qu’on attaque môme le caractère sacré des lois, vous devez déployer toute la force et l’étendue de l’autorité législative et faire ce que la nation ferait elle-même si elle pouvait être rassemblée. Si je parlais à des administrateurs ou à des ministres , je leur dirais que l’art de gouverner dans ce moment consiste à épier les circonstances, à composer avec les passions , à ménager les intérêts particuliers et tes préjugés des corps. Mais vous, régénérateurs d’une grande nation, vous ne devez voir que la France, qui demande un autre ordre judiciaire et une constitution avec laquelle les anciens tribunaux ne peuvent plus s’accorder. Les parlements furent utiles et courageux dans les temps du despotisme et leur résistance alors mérita nos éloges. Aujourd’hui ils pourraient effrayer la liberté , si l’exemple donné par le parlement de Metz pouvait trouver des imitateurs. Dira-t-on que cette cour ne s’est pas rendue plus indigne de la clémence de l’Assemblée que la chambre des vacations de Rouen? Quelle différence entre les deux forfaitures ! A Rouen, l’enregistrement a été pur et simple ; à Metz, ii est accompagné de protestations contre le décret de l’Assemblée et la sanction du Roi; à Rouen un arrêté séparé a été secrètement fait et secrètement adressé au monarque; à Metz l’appel au peuple et les protestations ont été consignés dans l’arrêt même de registre; à Rouen, huit individus seulement ôtaient coupables ; à Metz , c’est le délit de toutes les chambres assemblées. D’après ces considérations, je propose l’érection d’un nouveau tribunal provisoire à la place du parlement , jusqu’à ce que le pouvoir judiciaire soit orgauisé;je propose eu outre que les auteurs de l’arrêt d’enregistrement soient poursuivis pour cause de forfaiture et le Roi remercié d’avoir cassé l’arrêt. M. Rœdcrcr (i). Messieurs , en prenant la parole dans l’affaire du parlement de Metz, dont je suis membre, je ne dois pas craindre qu’on me soupçonne d’avoir eu pour but de l’attaquer, ou de le défendre. Mon devoir, Messieurs, est d’abord de juger cette cour avec vous. Gomme vous, je ne suis ici d’aucun corps, d’aucune famille; comme vous, dépositaire des droits de la nation, je dois défendre ce dépôt sacré, de quelque part et par quelque personne qu’il soit attaqué. Mon devoir particulier est encore, Messieurs, de motiver mon opinion dans l’affaire du parlement de Metz , parce que cette opinion porte essentiellement sur clés faits et sur des circonstances dont l’Assemblée ne saurait être instruite, et dont je lui dois compte. L’arrêt du parlement de Metz est. Messieurs, un acte répréhensible. 11 contient un appel au peuple des lois que vous avez faites; il méconnaît dans vos lois les caractères qui peuvent les rendre obligatoires ; il autorise le peuple à les méconnaître de même. Il suppose que l’Assemblée nationale et le Roi sont capables de sacrifier à la crainte ou à la force, (I) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Ruederer. 85 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 novembre 1789.] les mouvements de la conviction, et les devoirs de la conscience; il suppose que l’Assemblée nationale est capable de dicter des lois en portant des chaînes, et d’écrire, dans l’avilissement et la contrainte, un code qui doit être celui de la liberté. Voilà, Messieurs, ce qui m’a frappé dans l’arrêt du parlement de Metz; et je ne tairai pas qu’il m’a paru entraîner avec lui des dangers particuliers dans une province frontière, où le respect du peuple pour les lois, et sa confiance dans les autorités légitimes sont plus nécessaires qu’ail-leurs; dans une province où la sûreté de l’Etat rassemble une armée nombreuse, dont Jes chefs sont placés par vos décrets sous la direction des tribunaux comme des municipalités; dans une ville où les citoyens, à peine délivrés d’une magistrature municipale et de police nommée par une autorité toute militaire, sont environnés de mécontents, qui regrettent leur ancienne domination et leur ancienne servitude; dans une ville, enfin, où le clergé, qui comprend deux chapitres nobles longtemps agités par un mandement inconsidéré, vient défaire des assemblées contre lesquelles le comité municipal a cru devoir protester pour la sûreté de vos décrets. Cependant, Messieurs, il ne doit pas, ce me semble, échapper à votre justice que les expressions de l’arrêt dont il s’agit, renferment un sens séditieux, plutôt qu’elles ne sont séditieuses elles-mêmes. Elles pourraient autoriser la révolte; mais elles ne sont pas de nature à l’exciter; et il me paraît qu’une froide déclaration d’inobéissance ne doit pas être vue du même œil, ni jugée avec la même rigueur qu’un arrêt véhément, incendiaire qui appelle tous les sentiments et tous les intérêts à l'insurrection. Plusieurs personnes auront sans doute remarqué que l’arrêt du parlement de Metz a été rendu en chambres assemblées. Mais, Messieurs, cette circonstance, qui le rend plus dangereux, n’en rend cependant pas les auteurs plus coupables. Ici, Messieurs, je vous prie de me permettre une explication qui peut influer sur votre opinion. Si les chambres s’étaient assemblées après l’enregistrement et la publication de votre décret, leur réunion serait elle-même une véritable rébellion. Mais, Messieurs, quand les chambres se sont assemblées, rien encore ne s’opposait à ce qu’elles le fussent ; et elles avaient caractère pour enregistrer la loi qui les mettait en état de vacances. Voici les faits : C’est le 3 du présent mois que vous avez prorogé les vacances du parlement. Le même jour, votre décret a été sanctionné par le Roi; et sa Majesté a dit à M. le président « que ce décret allait être envoyé sur-le-champ, par des courriers extraordinaires, à tous les tribunaux qui exigent par leur distance qu’on prenne ce moyen. » Il faut, Messieurs, que l’expédition et les secondes lettres patentes aient tardé de quelques jours, car c’est seulement le 9 au soir qu’elles sont arrivées à Metz. A cette époque, non-seulement le parlement était en vacances, mais même la chambre des vacations avait fini son service depuis environ trois semaines. Les magistrats qui la composaient étaient absents. Cependant, dès le soir même de l’arrivée du paquet, le doyen des substituts du procureur général leur fit passer les ordres du Koi pour se rassembler. Le président de la chambre des vacations, qui était à sa campagne, revint le lendemain, 10. Il convoqua pour le soir même une assemblée de la chambre ; mais une grande partie de ses membres sans doute trop éloignés de Metz ne purent se trouver à cette assemblée, et il fut résolu d’attendre au lendemain pour faire l'enregistrement. Le lendemain, 11, il se tint, dans l’après-dîner, une nouvelle assemblée de la chambre des vacations ; alors, sans doute, il était, possible d’enregistrer; mais on fut arrêté par une circonstance. Le lendemain, 12, le parlement entier devait rentrer, conformément à son édit d’établissement; son usage est de rentrer à 7 heures du matin. Il était donc à peu près impossible que l’arrêt d’enregistrement, qui serait rendu dans la soirée du 11, fut publié, affiché, et connu avant 7 heures du matin, temps où il fait à peine jour dans cette saison. La chambre des vacations pensa donc que, sans blesser le respect qu’elle devait à la loi, elle pouvait témoigner au reste de la compagnie les égards de la confraternité, en différant jusqu’au lendemain de statuer sur l’enregistrement. Ainsi, le lendemain les chambres se sont régulièrement rassemblées; ainsi elles ont été compétentes pour ordonner l’enregistrement du décret; et sans doute, si elles l’avaient ordonné dans des termes convenables, leurs concours, dans cette circonstance, ne serait regardé que comme une preuve de zèle et d’attachement à l’ordre. Je pense donc, Messieurs, que la circonstance de l’assemblée des chambres n’aggrave en rien la faute du parlement, et ne doit entrer pour rien dans les motifs de votre détermination. Je dois aussi vous observer, Messieurs, que tous les membres du parlement n’ont pas eu part à l’arrêt qui est sous vos yeux ; plusieurs ont protesté contre cet arrêt; plusieurs aussi ne se sont pas trouvés à la séance ; ainsi, encore bien que l’arrêt entier soit coupable, tout le parlement ne l’est pas. Maintenant, quel tribunal doit prononcer dans cette affaire? Gomment assurera-t-on le cours de la justice dans le ressort du parlement de Metz? Voilà, Messieurs, deux questions à résoudre. Je pense d’abord, Messieurs, que vous avez le droit de juger vous-mêmes le parlement de Metz; qu’il n’appartient même qu’à vous de statuer sur les offenses commises envers votre autorité. Sans doute, Messieurs, le pouvoir judiciaire ne doit jamais être uni au pouvoir législatif. Mais que faut-il entendre par le pouvoir judiciaire, sinon la faculté de juger les citoyens, d’après les lois que le pouvoir législatif a établies ; sinon de faire l’application de ces lois aux différentes affaires qui peuvent s’élever entre les citoyens? Ges idées conviennent-elles, Messieurs, au droit de juger et de punir les insurrections qui s’élèvent contre le Corps législatif lui-même ? Je ne vois rien qui mène à le croire. Il me semble, Messieurs, que le droit de faire respecter l’autorité législative, ne peut appartenir qu’au dépositaire de cette autorité ; que si le corps législatif était obligé d’avoir, hors de lui-même, un corps conservateur de ses droits, ce corps étranger serait supérieur au pouvoir législatif, puisqu’il suffirait à ce premier corps de désirer la justice au second, ou d’en rendre une imparfaite, pour que celui-ci devînt incertain de son existence. Votre autorité, Messieurs, n’étant qu’un dépôt entre vos mains, vous ne pouvez, je crois, remettre ce dépôt en des mains étrangères ; vous 86 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 novembre 1789.] ne pouvez le commettre au hasard d’un jugement auquel vous n’auriez point de part. D’après ces réflexions, Messieurs, la faute du parlement de Metz, qui est une véritable atteinte donnée à l’autorité d’un de vos décrets, doit être jugée et punie par vous-mêmes. Mais quel est le jugement à porter sur cette affaire ? Il me semble, Messieurs, qu’il convient de prévoir ici quelle sera très-vraisemblablement la conduite des autres parlements du royaume, et de vous rappeler le dernier décret que vous avez rendu au sujet du parlement de Rouen. Ce souvenir et cette prévoyance vous amèneront peut-être à l’indulgence. D’un côté, vous répugnerez peut-être à faire venir de toutes les provinces du royaume et à rassembler dans la capitale une foule de magistrats dont l’infortune intéresserait peut-être assez pour affaiblir l’impression de leur faute. D’un autre côté, vous aurez, je crois, quelque peine à sévir contre une cour qui n’est coupable au fond que de la même erreur que le parlement de Rouen. Enfin, Messieurs, il me semble que l’erreur du parlement peut être excusée par celle qui est répandue au sein de la capitale, et peut-être trop près de vous-mêmes, Messieurs, par des esprits qui voudraient s’en autoriser pour entretenir le désordre dans le royaume. Enfin, Messieurs, la manière de pourvoir à l’administration de la justice dans le ressort du parlement de Metz me paraît difficile; car, Messieurs, il est peut-être douteux que les bailliages ne se croient pas engagés à suivre la destinée des cours auxquelles ils ont toujours été subordonnés. Et puisque tous les membres du parlement de Metz ne sont pas coupables, ce serait, ce semble, remplir à la fois une Vue de prudence et une règle de justice, que de faire à Metz, comme à Rouen, une nouvelle chambre, composée des membres de ce parlement qui sont restés fidèles à leur devoir. Je vous propose, Messieurs, d’ordonner à six des officiers du parlement de Metz qui ont assisté à la séance du 12 du présent mois, de se rendre à la suite de l’Assemblée nationale, et de les faire comparaître à la barre dans l’une de ses séances ; d’ordonner au président de déclarer quels sont les membres qui se sont opposés à l’arrêt du 12 novembre; d’exprimer, à ceux qui y ont concouru, le mécontement de l’Assemblée, et de leur enjoindre de respecter ses décrets. Peut-être ne savez-vous pas, Messieurs, peut-être n’appartient-il ici qu’à moi, qui suis nouvellement arrivé au milieu de vous, de savoir à quel point est imposante la majesté de vos séances ; de concevoir à quel point tonnerait, dans le cœur de magistrats égarés, la voix de votre président, qui ferait entendre votre censure entre les murmures de leur conscience ; et peut-être enfin qu’en vous proposant de les citer devant vous, ai-je à me reprocher un décret trop rigoureux : car, je le sens, Messieurs, si j’avais à le subir, il serait pour moi la mort. M. le baron de Menou. L’Assemblée ne peut se laisser toucher par la défense éloquente qu’elle vient d’entendre. Le parlement de Metz méconnaît le souverain qui fait la loi et le monarque qui la fait exécuter; il appelle au peuple de ses décrets, tandis que cœst le peuple qui les fait par ses représentants. C’est donc le signal de la guerre civile, c’est donc l’étendard de la révolte qu’il a voulu déployer. L’impunité enhardit le crime et dit aux ennemis du bien public qu’ils sont assez nombreux, qu’ils peuvent tout oser ; mais vous ne souffrirez pas qu’au momentcù vous avez détruit les privilèges et les ordres, les parlements s’élèvent contre vos décrets, pour établir sur les ruines du despotisme ministériel un autre despotisme d’autant plus dangereux qu’il aurait l’apparence de la justice et des lois; voilà l’opinion que je voulais déclarer lors de l’affaire de Rouen. Il faut faire un grand exemple sur le parlement de Metz; il n’attend qu’un moment favorable pour nous ensevelir sous les ruines de la constitution. J’appuie la motion de M. Barrère de Vieuzac. M. Einmery, député de Metz. Il y a des magistrats à Metz qui ont protesté au péril de tout ce que l’esprit de corps peut avoir de terrible; vous pouvez renvoyer les auteurs du délit devant le tribunal établi pour le jugement de ces sortes de causes ; mais on peut mander les officiers qui ont rendu l’arrêt, pour savoir d’eux les motifs qui les ont portés à croire que l’Assemblée et le Roi n’étaient pas libres ; mandez-les pour savoir qui leur a donné ce conseil et cette inspiration funeste ; cela marque des relations étrangères sur lesquelles il est intéressant d’entendre les officiers du parlement ; des lettres particulières nous disent qu’il y aura une nouvelle explosion. 11 s’y est tenu une assemblée ecclésiastique qui n’a été arrêtée que par les curés qui ont montré de l’énergie. Nous connaîtrons le fil de cette trame odieuse qui nous enveloppe et de cette nouvelle conspiration dont on nous menace. Quant au remplacement des magistrats, il est dangereux et contraire au bien des justiciables de confier le pouvoir souverain à des tribunaux inférieurs qui manquent d’officiers. Il faut déléguer les fonctions de la chambre des vacations aux membres qui ont protesté. J’appüie la motion de M. Barnave, en ordonnant au greffier de cette cour de porter les registres et en exceptant les officiers qui étaient absents. On demande à aller aux voix et le décret suivant est rendu. « L’Assemblée nationale a décrété et décrète : « 1° Que ceux des membres du parlement de Metz qui ont assisté à la délibération du 12 de ce mois paraîtront à la barre de l'Assemblée nationale, dans le délaide huitaine, à compter du jour de la notification qui leur sera faite du présent décret, pour y rendre compte de leur conduite, et que le syndic, ou le greffier de ladite cour, apportera à leur suite les registres de la compagnie; « 2° Que le Roi sera supplié de former une chambre des vacations prise parmi les membres de ce parlement qui n’ont point concouru à l’arrêt du 12 de Ce mois, laquelle chambre enregistrera purement et simplement le décret de l’Assemblée nationale, du 3 du présent mois, et exécutera ses dispositions; « 3° Que son président se retirera devers le Roi pour le remercier de la promptitude avec laquelle il a réprimé les écarts du parlement de Metz et lui annoncer que l’Assemblée nationale est déterminée à prévenir par une juste sévérité les attentats d’un si dangereux exemple, le prier de donner sa sanction au présent décret, et les ordres nécessaires pour son exécution. » M. le Président. L’Assemblée se réunira