SÉANCE DU 19 FLORÉAL AN Et (8 MAI 1794) - N° 40 163 40 Un autre membre [BEFFROY] du même Comité présente aussi un rapport et un projet de décret sur la remise de l’impôt représentatif et remplacement des droits d’aides supprimés, qui se perçoit difficultueusement dans beaucoup d’endroits (1). BEFFROY : Citoyens, Lorsque les sacrifices sont commandés par la raison, la justice, et le respect dû aux principes, l’économie la plus sévère ne peut se refuser. Les représentans d’un peuple libre, qui veulent assurer le règne de l’égalité, ne les regardent plus alors comme des pertes, ils ne les calculent point; ils prononcent avec joie la suppression d’un abus, le rétablissement des principes et le retour à l’ordre constitutif de la République. Certain de vos sentimens à cet égard, votre Comité des finances mettra toujours autant d’empressement à provoquer l’anéantissement d’un impôt injuste et contraire à la liberté, qu’il mettra de zèle à vous demander la suppression des dépenses inutiles, et à vous proposer celles que la prospérité publique paroîtroit nécessiter. Au moment où vous allez chercher dans les résultats d’une discussion approfondie et lumineuse, les moyens de rétablir dans leur intégrité les bases d’un système de contribution convenable à la France libre, vous ne voudrez pas inquiéter le peuple par la perception vexa-toire d’un impôt qui maintient de fait, entre les départemens, les privilèges existant autrefois entre les provinces; qui retrace encore le souvenir trop amer du despotisme fiscal, sous lequel le peuple français ne fut que trop longtemps courbé, et dont il est douloureux pour nous d’avoir encore à vous entretenir, après cinq ans de révolution, à la deuxième année de la République. A l’aurore de la liberté, lorsque ses premiers rayons vinrent éclairer la France, le Peuple, ressaisissant la souveraineté que le despotisme avoit usurpée depuis tant de siècles, brisa, par un mouvement énergique et spontané, les chaînes fiscales qui le cernoient de toutes parts; les barrières de l’intérieur furent détruites dans toute la France presque à la même heure. Eclairés tout-à-coup sur la nature de leurs odieuses fonctions, les employés subalternes des fermiers-généraux firent amende honorable à la nation; ils se jetèrent avec confiance dans le sein de la grande famille qu’ils avoient méconnue, et se joignirent à leurs frères trop longtemps outragés par eux, mais qui les accueillirent. Cette volonté si fortement prononcée du peuple entier devoit suffire à ses représentans pour qu’ils maintinssent dans toute sa plénitude l’effet de ce mouvement salutaire que la lassitude de l’oppression avoit déterminé, il ne leur restoit à s’occuper que des moyens d’effacer jusqu’au dernier vestige du régime vexatoire et barbare qui venoit d’être détruit. Mais environnée de décombres, au milieu desquelles il lui étoit impossible de reconnoître (1) P.V., XXXVII, 70. encore les ressources incalculables de la France libre, l’Assemblée Constituante, pressée par la détresse à laquelle elle devoit son existence, crut ne pouvoir renoncer aux cinquante millions que la perception des droits sur les sels, les fers, les cuirs, les huiles, le savon et l’amidon, auroit dû produire entre l’époque de l’anéantissement des barrières et celle de l’établissement d’un système de contribution; elle décréta le remplacement de ces droits avec un mode d’exécution entièrement contradictoire aux principes éternels de légalité, qu’elle avoit elle-même solemnellement reconnus. Cette erreur étoit l’effet nécessaire de sa situation. Lorsque le chaos environne les législateurs, ils peuvent bien indiquer le but; mais il leur est difficile d’établir la route la plus sûre pour y arriver; ils en tracent la direction, c’est à leurs successeurs à la désobstruer. Ce travail vous étoit réservé; et quand vous avez établi la République, vous ne souffrirez pas qu’elle soit flétrie par la perception d’un impôt injuste, attentatoire aux principes de l’égalité. La volonté simultanée du peuple avoit anéanti les droits odieux de gabelle et l’inquisition qui fatiguoient depuis trop longtemps l’agriculture, le commerce et l’industrie. Le nom de ces droits devoit être dès ce moment oublié, aucune loi ne devoit le retracer : cependant, non-seulement on les abolit nominativement par les décrets des 14, 15, 18, 20, 21 et 22 mars 1790; mais encore on établit dans ces mêmes décrets un impôt de remplacement qui en retrace par-tout le motif, et qui suffit pour le rendre odieux. La violation des principes ne s’arrête pas à ce point; elle se perpétue dans le mode d’exécution. L’article II du décret du 21, revêtu de lettres-patentes, le 30 mars 1790, établit la répartition de l’impôt de remplacement des droits sur le sel entre les départements et districts qui ont formé les provinces et les pays de grandes gabelles, de petites gabelles, de gabelles locales et de quart bouillon, en raison de la quantité de sel qui se consommoit dans les provinces, et du prix auquel il y étoit débité avant le 23 septembre précédent. Vous me passerez, Législateurs, d’avoir rappelé les termes de la loi; c’est la dernière fois qu’ils sont prononcé à cette tribune. Mais il fal-loit en citer les expressions pour vous convaincre que le privilège dont plusieurs provinces avoient joui antérieurement au préjudice des autres, pour tout ou partie de ces droits odieux, sont soigneusement conservés par le décret; il le fal-loit encore pour vous laisser voir combien il donne matière à l’arbitraire par l’extension des recherches fiscales. La violation des principes se retrouve encore d’une manière aussi sensible dans l’art. IV de cette même loi : il veut que la contribution ordonnée par les articles II et III, soit répartie dans lesdites provinces, selon l’ancienne division du royaume, sur les contribuables, par addition à toutes les impositions réelles et personnelles, tant des villes que des campagnes, et aux droits sur les consommations des villes. Vous appercevez facilement ici combien le législateur varioit dans son travail, et combien il s’éloignoit des vrais principes. Vous retrouvez, d’une part, un privilège accordé aux villes, qui ne doivent supporter cet impôt qu’en raison SÉANCE DU 19 FLORÉAL AN Et (8 MAI 1794) - N° 40 163 40 Un autre membre [BEFFROY] du même Comité présente aussi un rapport et un projet de décret sur la remise de l’impôt représentatif et remplacement des droits d’aides supprimés, qui se perçoit difficultueusement dans beaucoup d’endroits (1). BEFFROY : Citoyens, Lorsque les sacrifices sont commandés par la raison, la justice, et le respect dû aux principes, l’économie la plus sévère ne peut se refuser. Les représentans d’un peuple libre, qui veulent assurer le règne de l’égalité, ne les regardent plus alors comme des pertes, ils ne les calculent point; ils prononcent avec joie la suppression d’un abus, le rétablissement des principes et le retour à l’ordre constitutif de la République. Certain de vos sentimens à cet égard, votre Comité des finances mettra toujours autant d’empressement à provoquer l’anéantissement d’un impôt injuste et contraire à la liberté, qu’il mettra de zèle à vous demander la suppression des dépenses inutiles, et à vous proposer celles que la prospérité publique paroîtroit nécessiter. Au moment où vous allez chercher dans les résultats d’une discussion approfondie et lumineuse, les moyens de rétablir dans leur intégrité les bases d’un système de contribution convenable à la France libre, vous ne voudrez pas inquiéter le peuple par la perception vexa-toire d’un impôt qui maintient de fait, entre les départemens, les privilèges existant autrefois entre les provinces; qui retrace encore le souvenir trop amer du despotisme fiscal, sous lequel le peuple français ne fut que trop longtemps courbé, et dont il est douloureux pour nous d’avoir encore à vous entretenir, après cinq ans de révolution, à la deuxième année de la République. A l’aurore de la liberté, lorsque ses premiers rayons vinrent éclairer la France, le Peuple, ressaisissant la souveraineté que le despotisme avoit usurpée depuis tant de siècles, brisa, par un mouvement énergique et spontané, les chaînes fiscales qui le cernoient de toutes parts; les barrières de l’intérieur furent détruites dans toute la France presque à la même heure. Eclairés tout-à-coup sur la nature de leurs odieuses fonctions, les employés subalternes des fermiers-généraux firent amende honorable à la nation; ils se jetèrent avec confiance dans le sein de la grande famille qu’ils avoient méconnue, et se joignirent à leurs frères trop longtemps outragés par eux, mais qui les accueillirent. Cette volonté si fortement prononcée du peuple entier devoit suffire à ses représentans pour qu’ils maintinssent dans toute sa plénitude l’effet de ce mouvement salutaire que la lassitude de l’oppression avoit déterminé, il ne leur restoit à s’occuper que des moyens d’effacer jusqu’au dernier vestige du régime vexatoire et barbare qui venoit d’être détruit. Mais environnée de décombres, au milieu desquelles il lui étoit impossible de reconnoître (1) P.V., XXXVII, 70. encore les ressources incalculables de la France libre, l’Assemblée Constituante, pressée par la détresse à laquelle elle devoit son existence, crut ne pouvoir renoncer aux cinquante millions que la perception des droits sur les sels, les fers, les cuirs, les huiles, le savon et l’amidon, auroit dû produire entre l’époque de l’anéantissement des barrières et celle de l’établissement d’un système de contribution; elle décréta le remplacement de ces droits avec un mode d’exécution entièrement contradictoire aux principes éternels de légalité, qu’elle avoit elle-même solemnellement reconnus. Cette erreur étoit l’effet nécessaire de sa situation. Lorsque le chaos environne les législateurs, ils peuvent bien indiquer le but; mais il leur est difficile d’établir la route la plus sûre pour y arriver; ils en tracent la direction, c’est à leurs successeurs à la désobstruer. Ce travail vous étoit réservé; et quand vous avez établi la République, vous ne souffrirez pas qu’elle soit flétrie par la perception d’un impôt injuste, attentatoire aux principes de l’égalité. La volonté simultanée du peuple avoit anéanti les droits odieux de gabelle et l’inquisition qui fatiguoient depuis trop longtemps l’agriculture, le commerce et l’industrie. Le nom de ces droits devoit être dès ce moment oublié, aucune loi ne devoit le retracer : cependant, non-seulement on les abolit nominativement par les décrets des 14, 15, 18, 20, 21 et 22 mars 1790; mais encore on établit dans ces mêmes décrets un impôt de remplacement qui en retrace par-tout le motif, et qui suffit pour le rendre odieux. La violation des principes ne s’arrête pas à ce point; elle se perpétue dans le mode d’exécution. L’article II du décret du 21, revêtu de lettres-patentes, le 30 mars 1790, établit la répartition de l’impôt de remplacement des droits sur le sel entre les départements et districts qui ont formé les provinces et les pays de grandes gabelles, de petites gabelles, de gabelles locales et de quart bouillon, en raison de la quantité de sel qui se consommoit dans les provinces, et du prix auquel il y étoit débité avant le 23 septembre précédent. Vous me passerez, Législateurs, d’avoir rappelé les termes de la loi; c’est la dernière fois qu’ils sont prononcé à cette tribune. Mais il fal-loit en citer les expressions pour vous convaincre que le privilège dont plusieurs provinces avoient joui antérieurement au préjudice des autres, pour tout ou partie de ces droits odieux, sont soigneusement conservés par le décret; il le fal-loit encore pour vous laisser voir combien il donne matière à l’arbitraire par l’extension des recherches fiscales. La violation des principes se retrouve encore d’une manière aussi sensible dans l’art. IV de cette même loi : il veut que la contribution ordonnée par les articles II et III, soit répartie dans lesdites provinces, selon l’ancienne division du royaume, sur les contribuables, par addition à toutes les impositions réelles et personnelles, tant des villes que des campagnes, et aux droits sur les consommations des villes. Vous appercevez facilement ici combien le législateur varioit dans son travail, et combien il s’éloignoit des vrais principes. Vous retrouvez, d’une part, un privilège accordé aux villes, qui ne doivent supporter cet impôt qu’en raison 164 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de leurs anciens droits sur les consommations, seul mode qui fût justement applicable à sa nature, tandis qu’on l’établit dans les campagnes sur les contributions directes. Cette distinction est établie spécialement par l’article II de la loi du 26 octobre 1790. Celle du 5 avril avoit attribué aux villes un privilège plus particulier; c’était celui de délibérer sur le mode qui leur paroitroit le plus convenable pour la répartition de leur contingent entre les contribuables, faculté qui n’étoit point accordé aux campagnes. Vous voyez d’un autre côté que la répartition de l’impôt faite dans les campagnes au marc la livre des contributions directes, rejette sur le propriétaire de 10 arpens, la contribution du grand consommateur capitaliste, qui, jouissant de 15 ou 20 mille livres de rente, n’auroit aucune propriété foncière. Cet impôt injuste en lui-même, l’est donc encore par les bases de répartition que la loi prescrit; il est incompatible avec les principes de l’égalité, avec les bases de notre gouvernement. Il faut le dire ici : toutes les lois auxquelles il donna lieu, sont aussi contradictoires entre elles dans leurs résultats, qu’elles présentent de difficultés dans l’exécution. Aussi éprouvèrent-elles le sort de toutes celles qui ne reposent point sur les bases immuables de la justice : depuis quatre ans elles fatiguent les autorités sans avoir encore rien produit, et elles accableroient le peuple, si elles étoient exécutées. Les corps administratifs réclamèrent avec fermeté et confiance; un double intérêt les y portoit; on commençoit par les rendre odieux à leurs administrés, en les forçant à une opération aussi injuste que la cause en étoit abhorrée; on les plaçoit sous le glaive de la loi contre les intérêts du peuple, par les embarras multipliés que l’exécution présentoit. En effet, chaque département étoit composé des morceaux de différentes provinces, dont les unes avoient joui d’une franchise entière, d’autres de celle d’une moitié ou d’un quart de droit, tandis que d’autres, au contraire, étoient assujetties à la totalité des droits dans toute leur rigueur. Ces distinctions ne pouvoient être faites que par l’administration générale. Elle fut obligée de former l’état des villes situées dans le ressort de chaque grenier et province, d’en déterminer la population, de calculer les impositions que les communautés de campagne de chaque grenier avoient payées en 1790, d’en établir le marc la livre avec l’impôt de remplacement. Le département, situé dans le chef-lieu d’un grenier ou d’une province, étoit ensuite chargé de faire la répartition entre les communes affectées à ce grenier; cette opération exigeoit une distribution exacte des rôles de 1790, entre les difîérens départemens; elle dépendoit du partage des papiers des ci-devant intendances et des ci-devant élections. Elle exigea tant de difficultés, qu’en mai 1793 il existoit encore des départemens qui n’avoient pas pu réunir les rôles de 1790, pour la totalité des communes de leur arrondissement. Cela est très concevable, si l’on fait attention qu’en novembre 1792 les rôles n’étoient pas encore terminés, le mouvement de la révolution ayant apporté beaucoup d’obstacles aux opérations administratives. Mais ce n’étoit pas assez d’avoir ces rôles infectés de beaucoup de vices; il falloit les réformer et connoître le montant des décharges et réductions qu’ils dévoient supporter; car comment les prendre pour bases, sans ce préalable ? Ces opérations, longues et vétilleuses par leur nature, ne pouvoient que devenir extrêmement difficiles pour des administrateurs, étrangers, pour la plupart, à ces fonctions, qui n’avoient elles-mêmes qu’un rapport éloigné avec celles qu’un régime nouveau alloit exiger d’eux. Elles ne pouvoient qu’être négligées dans le temps où la malveillance détournoit à chaque instant les administrations de leurs occupations principales, pour les réduire à une surveillance aussi active que fatigante mais indispensable. Plus l’époque de la répartition s’éloigne, et plus les obstacles s’accumulent. En 1790, la plupart des habitans des villes ont été cotisés, aux termes de la loi, au lieu de leur domicile, pour la totalité de leurs propriétés, quoique disposées en difîérens territoires : d’où il résulte nécessairement un grand avantage pour quelques communautés de campagnes, tandis que, parmi les villes aussi, quelques-unes se trouveroient singulièrement allégées par l’augmentation de population acquise aux dépens des autres qui se trouveroient extrêmement grevées. Et lorsque tous les citoyens des campagnes souffrent considérablement de la surcharge des contributions directes, dont la répartition a été tellement compliquée dans ses bases, que votre Comité n’a pu vous soumettre encore la cause des inégalités qui la vicient, sur laquelle cependant vous aurez bientôt la satisfaction de statuer, lorsque toutes les communes, et surtout les villes, font, depuis trois ans, des dépenses considérables pour soutenir la marche de la révolution; tandis qu’une gelée, dont on ne retrouve l’exemple qu’en un siècle reculé, a produit des effets dont les propriétaires et les cultivateurs ne se ressentent encore que trop; quand les orages inséparables du premier mouvement, et la guerre nécessaire à l’affermissement de notre liberté, ont occasionné des pertes sensibles à plusieurs sections de la République, est-il juste, est-il convenable d’exiger des contribuables une contribution dont le principe est incompatible avec la liberté, et qui équivaudroit au cinquième pour les uns; et au quart pour les autres, de leurs contributions directes ? Non, ce seroit reculer le but auquel nous tendons tous, le terme de la révolution; ce seroit servir les ennemis de la liberté ce seroit donner un prétexte aux clameurs de la malveillance. Les administrations patriotes l’ont bien senti : presque toutes, ne pouvant faire mieux, cherchèrent à faire changer le mode de cet impôt, et à effacer le souvenir de son origine. Les unes ont demandé d’être admises à délaisser le produit des rôles supplétifs de 1789, en compensation de leur part contributive à l’impôt de remplacement; d’autres ont sollicité la faculté de le répartir en sous additionnels et en six années, pour éviter la surcharge dont leurs administrés alloient être atteints; plusieurs, frappées de l’excès de la portion qui leur étoit attribuée, ont demandé l’autorisation de l’acquitter par un emprunt, qui seroit remboursé en dix années sur le produit des sous additionnels; toutes, enfin, se plaignoient de ce que la perte du produit des impôts indirects pendant un temps donné, occasionnée par le mouvement spontané du peuple français tout entier, ne fût point supportée par la caisse de l’extraordinaire. Mais ce qui prouve évidemment combien est 164 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de leurs anciens droits sur les consommations, seul mode qui fût justement applicable à sa nature, tandis qu’on l’établit dans les campagnes sur les contributions directes. Cette distinction est établie spécialement par l’article II de la loi du 26 octobre 1790. Celle du 5 avril avoit attribué aux villes un privilège plus particulier; c’était celui de délibérer sur le mode qui leur paroitroit le plus convenable pour la répartition de leur contingent entre les contribuables, faculté qui n’étoit point accordé aux campagnes. Vous voyez d’un autre côté que la répartition de l’impôt faite dans les campagnes au marc la livre des contributions directes, rejette sur le propriétaire de 10 arpens, la contribution du grand consommateur capitaliste, qui, jouissant de 15 ou 20 mille livres de rente, n’auroit aucune propriété foncière. Cet impôt injuste en lui-même, l’est donc encore par les bases de répartition que la loi prescrit; il est incompatible avec les principes de l’égalité, avec les bases de notre gouvernement. Il faut le dire ici : toutes les lois auxquelles il donna lieu, sont aussi contradictoires entre elles dans leurs résultats, qu’elles présentent de difficultés dans l’exécution. Aussi éprouvèrent-elles le sort de toutes celles qui ne reposent point sur les bases immuables de la justice : depuis quatre ans elles fatiguent les autorités sans avoir encore rien produit, et elles accableroient le peuple, si elles étoient exécutées. Les corps administratifs réclamèrent avec fermeté et confiance; un double intérêt les y portoit; on commençoit par les rendre odieux à leurs administrés, en les forçant à une opération aussi injuste que la cause en étoit abhorrée; on les plaçoit sous le glaive de la loi contre les intérêts du peuple, par les embarras multipliés que l’exécution présentoit. En effet, chaque département étoit composé des morceaux de différentes provinces, dont les unes avoient joui d’une franchise entière, d’autres de celle d’une moitié ou d’un quart de droit, tandis que d’autres, au contraire, étoient assujetties à la totalité des droits dans toute leur rigueur. Ces distinctions ne pouvoient être faites que par l’administration générale. Elle fut obligée de former l’état des villes situées dans le ressort de chaque grenier et province, d’en déterminer la population, de calculer les impositions que les communautés de campagne de chaque grenier avoient payées en 1790, d’en établir le marc la livre avec l’impôt de remplacement. Le département, situé dans le chef-lieu d’un grenier ou d’une province, étoit ensuite chargé de faire la répartition entre les communes affectées à ce grenier; cette opération exigeoit une distribution exacte des rôles de 1790, entre les difîérens départemens; elle dépendoit du partage des papiers des ci-devant intendances et des ci-devant élections. Elle exigea tant de difficultés, qu’en mai 1793 il existoit encore des départemens qui n’avoient pas pu réunir les rôles de 1790, pour la totalité des communes de leur arrondissement. Cela est très concevable, si l’on fait attention qu’en novembre 1792 les rôles n’étoient pas encore terminés, le mouvement de la révolution ayant apporté beaucoup d’obstacles aux opérations administratives. Mais ce n’étoit pas assez d’avoir ces rôles infectés de beaucoup de vices; il falloit les réformer et connoître le montant des décharges et réductions qu’ils dévoient supporter; car comment les prendre pour bases, sans ce préalable ? Ces opérations, longues et vétilleuses par leur nature, ne pouvoient que devenir extrêmement difficiles pour des administrateurs, étrangers, pour la plupart, à ces fonctions, qui n’avoient elles-mêmes qu’un rapport éloigné avec celles qu’un régime nouveau alloit exiger d’eux. Elles ne pouvoient qu’être négligées dans le temps où la malveillance détournoit à chaque instant les administrations de leurs occupations principales, pour les réduire à une surveillance aussi active que fatigante mais indispensable. Plus l’époque de la répartition s’éloigne, et plus les obstacles s’accumulent. En 1790, la plupart des habitans des villes ont été cotisés, aux termes de la loi, au lieu de leur domicile, pour la totalité de leurs propriétés, quoique disposées en difîérens territoires : d’où il résulte nécessairement un grand avantage pour quelques communautés de campagnes, tandis que, parmi les villes aussi, quelques-unes se trouveroient singulièrement allégées par l’augmentation de population acquise aux dépens des autres qui se trouveroient extrêmement grevées. Et lorsque tous les citoyens des campagnes souffrent considérablement de la surcharge des contributions directes, dont la répartition a été tellement compliquée dans ses bases, que votre Comité n’a pu vous soumettre encore la cause des inégalités qui la vicient, sur laquelle cependant vous aurez bientôt la satisfaction de statuer, lorsque toutes les communes, et surtout les villes, font, depuis trois ans, des dépenses considérables pour soutenir la marche de la révolution; tandis qu’une gelée, dont on ne retrouve l’exemple qu’en un siècle reculé, a produit des effets dont les propriétaires et les cultivateurs ne se ressentent encore que trop; quand les orages inséparables du premier mouvement, et la guerre nécessaire à l’affermissement de notre liberté, ont occasionné des pertes sensibles à plusieurs sections de la République, est-il juste, est-il convenable d’exiger des contribuables une contribution dont le principe est incompatible avec la liberté, et qui équivaudroit au cinquième pour les uns; et au quart pour les autres, de leurs contributions directes ? Non, ce seroit reculer le but auquel nous tendons tous, le terme de la révolution; ce seroit servir les ennemis de la liberté ce seroit donner un prétexte aux clameurs de la malveillance. Les administrations patriotes l’ont bien senti : presque toutes, ne pouvant faire mieux, cherchèrent à faire changer le mode de cet impôt, et à effacer le souvenir de son origine. Les unes ont demandé d’être admises à délaisser le produit des rôles supplétifs de 1789, en compensation de leur part contributive à l’impôt de remplacement; d’autres ont sollicité la faculté de le répartir en sous additionnels et en six années, pour éviter la surcharge dont leurs administrés alloient être atteints; plusieurs, frappées de l’excès de la portion qui leur étoit attribuée, ont demandé l’autorisation de l’acquitter par un emprunt, qui seroit remboursé en dix années sur le produit des sous additionnels; toutes, enfin, se plaignoient de ce que la perte du produit des impôts indirects pendant un temps donné, occasionnée par le mouvement spontané du peuple français tout entier, ne fût point supportée par la caisse de l’extraordinaire. Mais ce qui prouve évidemment combien est SÉANCE DU 19 FLORÉAL AN II (8 MAI 1794) - N° 40 165 irrésistible la force des principes, c’est l’énergie vraiment républicaine avec laquelle les réclamations récentes de plusieurs départemens sont présentées. L’établissement de l’impôt de remplacement des droits supprimés par la raison du peuple, y est peint comme un moyen détourné de tromper la volonté du souverain, et de le punir d’avoir agi en masse, et non par représentation, dans une occasion où il a tout fait lui-même d’un bout de la République à l’autre. Tel est le sort des mauvaises lois dans un pays libre, qu’elles y rencontrent une résistance d’autant plus puissante, que le sentiment de la justice et de la liberté force le législateur même à l’admirer. Ce seroit abuser de vos momens que de vous faire parcourir en détail les opérations qui restent à faire pour effectuer le recouvrement de cet impôt; les difficultés qui se présentent chaque jour aux corps administratifs, que la soumission aux lois détermine à tenter cette perception; tous les embarras que leur préparent les réclamations multipliées dont la répartition sera nécessairement suivie, et qui vous forceroient à vous occuper encore plusieurs fois d’un impôt dont le nom et l’origine ne peuvent être rappelés sans horreur à la tribune de la République. Déjà, depuis plusieurs mois, votre Comité des finances vouloit vous entretenir de cet objet; mais la nécessité de réunir tous les moyens propres à déterminer un sacrifice de 50 millions, celle de s’assurer bien positivement de l’injustice de cette contribution, et d’en bien connoître ses détails et la situation, l’ont contraint à des discussions qui ont retardé son rapport. Si les principes invariables de la justice, si la déclaration des droits, si l’affermissement de la liberté et de l’égalité ne nous avoient point paru des motifs suffisans pour justifier la demande que nous vous faisons aujourd’hui, nous vous aurions observé que, par l’effet des circonstances qui ont fécondé la justice nationale, les grandes propriétés qui existoient en 1790 sont aujourd’hui ou nationales ou aliénées au profit de la République; nous vous aurions rappelé que les grands consommateurs, appelés moines, chanoines ou prêtres de toutes les couleurs; que les Sybarites appelés, ci-devant, princes, grands seigneurs, financiers, ont disparu du sol de la liberté dont ils n’étoient pas dignes, ou parce qu’ils se sont rendu justice eux-mêmes en le fuyant, ou parce qu’ils en ont été expulsés par la justice nationale; qu’ainsi leurs propriétés foncières et mobiliaires sont devenues nationales, et que par ces différentes causes la République se trouveroit elle-même chargée des trois cinquièmes de cet impôt. Nous vous aurions observé qu’il n’y a encore que six départemens qui aient terminé ces funestes opérations; nous vous aurions enfin invités à jeter les yeux sur les richesses de la République, dont les ressources sont infiniment supérieures à celles de tout le reste de l’Europe, et pour qui cent millions ne sont pas aussi im-portans qu’un seul million l’est au plus puissant des despotes coalisés contre elle. Mais qu’avions-nous besoin de fixer vos regards sur ces considérations accessoires ? ne suffit-il pas aux législateurs français qu’un impôt soit injuste en lui-même, qu’il rappelle le souvenir flétrissant d’un régime odieux et barbare, et qu’il conserve de fait, entre les différentes portions de la République, des privilèges abhorrés et abolis par la loi, pour qu’ils en prononcent la destruction ? Certes, il n’est pas nécessaire de vous dire que c’est aux ennemis de la révolution à en payer les frais; vous connoissez assez les efforts de ceux qui la soutiennent, et vous ne voulez pas les laisser succomber sous le poids de contributions excessives. Vous vous hâterez donc de prononcer la suppression de l’impôt de remplacement des difîérens droits supprimés par les décrets des 15, 18, 20, 21 et 22 mars 1790, et vous ordonnerez que la très petite portion qui a pu en être acquittée, soit reçue pour comptant, en déduction des contributions foncière et mobiliaire de 1793. Cet acte de justice, digne des représentans d’une grande nation, vous acquerra de nouveaux droits à l’estime et à la confiance des Français libres. Votre Comité, cependant, vous proposera d’y joindre une autre mesure qui n’est pas moins juste, et qui abrégera singulièrement le travail des administrations et la comptabilité des contributions. Les privilégiés de l’ancien régime auroient dû supporter seuls l’impôt de remplacement que vous allez supprimer, parce qu’ils formoient en général la classe des grands consommateurs, et parce que les non-privilégiés avoient assez longtemps payé pour eux. Le produit des rôles supplétifs des six derniers mois de 1789 a été mis à la disposition des administrations, pour être réparti entre les anciens contribuables : ce partage est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible; il ne promet que des résultats injustes; il occasionne aux administrations de grands travaux qui ralentissent ceux utiles à la révolution, et qui nuiroient à l’établissement aussi prompt que nécessaire d’un nouveau système de contribution. Ce n’est pas détourner ces fonds de leur destination, que de les appeler au trésor public en compensation de l’impôt que vous détruisez. Cette mesure, que vous avez autorisée pour le département du Lot par votre décret du 13 juillet 1793, est celle que votre Comité croit devoir vous proposer de généraliser, pour rétablir entièrement l’intégrité des principes, l’égalité entre toutes les sections de la République, et la justice envers tous les contribuables. Voici le projet de décret qu’il m’a chargé de vous présenter. La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son Comité des finances, décrète : « Art. I. — Les lois des 24 et 30 mars, 5 avril et 26 octobre 1790, sur l’impôt de remplacement des droits supprimés sur les sels, les cuirs, les fers, les huiles, les savons et l’amidon, sont rapportées en ce qui concerne l’établissement, la répartition et la perception de cet impôt. « Art. II. — Dans le cas où la totalité, ou partie de cet impôt auroit été acquittée dans quelques communes de la République, il sera fait compte aux contribuables, sur leurs contributions foncière et mobiliaire de 1793, de la somme par eux payée pour cet objet. « Art. III. — Pour suppléer à l’impôt de remplacement supprimé par le présent décret, les corps administratifs verseront à la trésorerie nationale, dans le délai d’un mois à compter de la publication du présent décret, la partie qui reste disponible du produit des rôles supplétifs des six derniers mois de 1789. SÉANCE DU 19 FLORÉAL AN II (8 MAI 1794) - N° 40 165 irrésistible la force des principes, c’est l’énergie vraiment républicaine avec laquelle les réclamations récentes de plusieurs départemens sont présentées. L’établissement de l’impôt de remplacement des droits supprimés par la raison du peuple, y est peint comme un moyen détourné de tromper la volonté du souverain, et de le punir d’avoir agi en masse, et non par représentation, dans une occasion où il a tout fait lui-même d’un bout de la République à l’autre. Tel est le sort des mauvaises lois dans un pays libre, qu’elles y rencontrent une résistance d’autant plus puissante, que le sentiment de la justice et de la liberté force le législateur même à l’admirer. Ce seroit abuser de vos momens que de vous faire parcourir en détail les opérations qui restent à faire pour effectuer le recouvrement de cet impôt; les difficultés qui se présentent chaque jour aux corps administratifs, que la soumission aux lois détermine à tenter cette perception; tous les embarras que leur préparent les réclamations multipliées dont la répartition sera nécessairement suivie, et qui vous forceroient à vous occuper encore plusieurs fois d’un impôt dont le nom et l’origine ne peuvent être rappelés sans horreur à la tribune de la République. Déjà, depuis plusieurs mois, votre Comité des finances vouloit vous entretenir de cet objet; mais la nécessité de réunir tous les moyens propres à déterminer un sacrifice de 50 millions, celle de s’assurer bien positivement de l’injustice de cette contribution, et d’en bien connoître ses détails et la situation, l’ont contraint à des discussions qui ont retardé son rapport. Si les principes invariables de la justice, si la déclaration des droits, si l’affermissement de la liberté et de l’égalité ne nous avoient point paru des motifs suffisans pour justifier la demande que nous vous faisons aujourd’hui, nous vous aurions observé que, par l’effet des circonstances qui ont fécondé la justice nationale, les grandes propriétés qui existoient en 1790 sont aujourd’hui ou nationales ou aliénées au profit de la République; nous vous aurions rappelé que les grands consommateurs, appelés moines, chanoines ou prêtres de toutes les couleurs; que les Sybarites appelés, ci-devant, princes, grands seigneurs, financiers, ont disparu du sol de la liberté dont ils n’étoient pas dignes, ou parce qu’ils se sont rendu justice eux-mêmes en le fuyant, ou parce qu’ils en ont été expulsés par la justice nationale; qu’ainsi leurs propriétés foncières et mobiliaires sont devenues nationales, et que par ces différentes causes la République se trouveroit elle-même chargée des trois cinquièmes de cet impôt. Nous vous aurions observé qu’il n’y a encore que six départemens qui aient terminé ces funestes opérations; nous vous aurions enfin invités à jeter les yeux sur les richesses de la République, dont les ressources sont infiniment supérieures à celles de tout le reste de l’Europe, et pour qui cent millions ne sont pas aussi im-portans qu’un seul million l’est au plus puissant des despotes coalisés contre elle. Mais qu’avions-nous besoin de fixer vos regards sur ces considérations accessoires ? ne suffit-il pas aux législateurs français qu’un impôt soit injuste en lui-même, qu’il rappelle le souvenir flétrissant d’un régime odieux et barbare, et qu’il conserve de fait, entre les différentes portions de la République, des privilèges abhorrés et abolis par la loi, pour qu’ils en prononcent la destruction ? Certes, il n’est pas nécessaire de vous dire que c’est aux ennemis de la révolution à en payer les frais; vous connoissez assez les efforts de ceux qui la soutiennent, et vous ne voulez pas les laisser succomber sous le poids de contributions excessives. Vous vous hâterez donc de prononcer la suppression de l’impôt de remplacement des difîérens droits supprimés par les décrets des 15, 18, 20, 21 et 22 mars 1790, et vous ordonnerez que la très petite portion qui a pu en être acquittée, soit reçue pour comptant, en déduction des contributions foncière et mobiliaire de 1793. Cet acte de justice, digne des représentans d’une grande nation, vous acquerra de nouveaux droits à l’estime et à la confiance des Français libres. Votre Comité, cependant, vous proposera d’y joindre une autre mesure qui n’est pas moins juste, et qui abrégera singulièrement le travail des administrations et la comptabilité des contributions. Les privilégiés de l’ancien régime auroient dû supporter seuls l’impôt de remplacement que vous allez supprimer, parce qu’ils formoient en général la classe des grands consommateurs, et parce que les non-privilégiés avoient assez longtemps payé pour eux. Le produit des rôles supplétifs des six derniers mois de 1789 a été mis à la disposition des administrations, pour être réparti entre les anciens contribuables : ce partage est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible; il ne promet que des résultats injustes; il occasionne aux administrations de grands travaux qui ralentissent ceux utiles à la révolution, et qui nuiroient à l’établissement aussi prompt que nécessaire d’un nouveau système de contribution. Ce n’est pas détourner ces fonds de leur destination, que de les appeler au trésor public en compensation de l’impôt que vous détruisez. Cette mesure, que vous avez autorisée pour le département du Lot par votre décret du 13 juillet 1793, est celle que votre Comité croit devoir vous proposer de généraliser, pour rétablir entièrement l’intégrité des principes, l’égalité entre toutes les sections de la République, et la justice envers tous les contribuables. Voici le projet de décret qu’il m’a chargé de vous présenter. La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son Comité des finances, décrète : « Art. I. — Les lois des 24 et 30 mars, 5 avril et 26 octobre 1790, sur l’impôt de remplacement des droits supprimés sur les sels, les cuirs, les fers, les huiles, les savons et l’amidon, sont rapportées en ce qui concerne l’établissement, la répartition et la perception de cet impôt. « Art. II. — Dans le cas où la totalité, ou partie de cet impôt auroit été acquittée dans quelques communes de la République, il sera fait compte aux contribuables, sur leurs contributions foncière et mobiliaire de 1793, de la somme par eux payée pour cet objet. « Art. III. — Pour suppléer à l’impôt de remplacement supprimé par le présent décret, les corps administratifs verseront à la trésorerie nationale, dans le délai d’un mois à compter de la publication du présent décret, la partie qui reste disponible du produit des rôles supplétifs des six derniers mois de 1789.