[2 octobre 1790.) 397 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale. ) eux une jouissance, en même temps qu’elle est un devoir, parce que chaque fois qu’ils vont au delà du besoin, ils commettent une sorte de vol envers les malheureux; parce qu’entin la liberté commence à se compromettre le jour où elle permet au faste de pénétrer dans sa modeste demeure. C’est d’après ces vérités, si bien faites pour être senties par tous les membres des corps administratifs, qu’il paraît convenable de décréter qu’ils exposeront au comité chargé de leur emplacement, leurs différentes vues et leurs observations locales ; qu’à ce mémoire ils joindront un devis ou plan estimatif, contenant l’étendue de l’éditice que chacun jugera lui convenir. Ce procédé est le seul à suivre, pour ne pas se jeter dans des dispositions vagues, et pour ne pas accorder trop ou trop peu. Il est des départements d’onze cent mille âmes, et il en est qui n’en comptent guère que cent cinquante mille : de là l’impossibilité d’établir des règles générales. Il est des convenances auxquelles il faut avoir un légitime égard, comme il est de dépenses indispensables pour assurer le mouvement de la machine; et l’intérêt de la chose publique défend l’excès même dans l’économie. En tout, ne quid nimis. Assez pour le besoin, assez pour la sagesse, et rien pour le luxe; voilà la véritable règle de proportion : c’est en y obéissant que l’on conserve des nuances qu’il serait ridicule de vouloir confondre. Votre comité, fidèle aux motifs qui veulent que tout soit vendu avec promptitude, d’une manière tranquille, et sans que les anciennes provinces ou les villes puissent avoir de justes réclamations à élever, vous propose les dispositions suivantes : « Art. 1er. Les édifices qui servaient à loger les commissaires départis, et que les villes justifieront avoir bâtis sur leur terrain et à leurs frais seuls, ou avoir acquis sans contribution de provinces, continueront à appartenir aux villes qui pourront en disposer; et dans le cas où ils auraient été construits sur une terrain national, il sera procédé à un ventilation, d’après les règles reçues ; à l’égard des autres, ils seront vendus comme biens nationaux; et, en conséquence, la nation se charge des dettes encore existantes qui ont été contractées par les provinces pour la construction desdits édifices. « Art. 2. Les hôtels de ville continueront à appartenir aux villes où ils sont situés; et lorsqu’ils seront assez considérables pour recevoir le directoire de district ou celui de département, ou tous les deux à la fois, lesdits directoires s'y établiront, et seront tenus des réparations pour la portion de l’édifice qui sera par eux occupée. « Art. 3. Les palais de justice continueront à servir à l’usage auquel ils étaient destinés, et recevront aussi les corps administratifs, si l’emplacement est assez vaste pour les contenir; et les hôtels de ville insuffisants; lesdits corps administratifs en supporteront les réparations dans la proportion qui vient d’être déterminée; et s’il s’élève des difficultés à raison de ces divers arrangements et convenances relatives, les directoires de département y statueront provisoirement et sans délai, à la charge d’en rendre compte au Corps législatif, pour y prononcer définitivement. « Art. 4. Tous les autres édifices et bâtiments quelconques, ci-devant ecclésiastiques et domaniaux, aujourd’hui nationaux, non compris dans les articles précédents, seront vendus sans exception, sauf aux directoires de district et de département lorsque les hôtels de ville et palais de justice ne seront pas assez vastes pour les contenir, à acheter ou louer, et chacun aux frais de leurs administrés respectifs, ce qui pourra leur être nécessaire pour leurs établissements, sans qu’aucun membre desdits corps administratifs, autre que le secrétaire puisse y être logé. « Art. 5. Chaque directoire enverra au comité chargé de l’emplacement des tribunaux et corps administratifs, un mémoireexpositif de ses vues, et y joindra un devis ou plan estimatif, contenant l’étendue de l’édifice qu’il jugera lui convenir, et ce, dans le délai de deux mois ; l’Assemblée excepte cependant du présent article, les édifices appartenant aux établissements réservés par l’article 7 (1) du décret des 14 et 20 avril. M. Martineau. J’observe que nombre d’objets sur lesquels il est important de statuer se trouvent omis dans le rapport de M. Prugnon. Je demande donc qu’avant discussion, le rapport soit imprimé et distribué. (Cette motion est adoptée.) Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une lettre du ministre de la marine, adressée à M. le Président, sur l’insuffisance des sommes accordées pour l’approvisionnement des trente-un vaisseaux dont l’armement a été ordonné : cette lettre est renvoyée au comité de la marine, pour en rendre compte dans l’une des premières séances. M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le rapport de la procédure criminelle , instruite au Châtelet de Paris, sur la dénonciation des faits arrivés à Versailles dans la journée du 6 octobre 1789. M. Chabroud. Avant de passer à la discussion, je dois vous donner lecture d’une pièce que nous a fait parvenir le comité des recherches : c’est une lettre de M. Larreignié, ci-devant aide-major de la garde parisienne, et vainqueur de la Bastille. — En voici l’extrait : « M. le président, je ne prétends pas prononcer sur l’intention des juges du Châtelet, relativement à l’affaire du 6 octobre, dont on a commencé hier le rapport à l'Assemblée; mais on pourrait leur demander pourquoi ils ont préféré les dépositions de beaucoup de gens absents de Versailles, à ceux qui étaient présents aux événements, et qui par conséquent auraient pu y répandre un grand jour. Pourquoi M. Hulin, et vingt autres de ses camarades présents, n’ont-ils pas été entendus, pourquoi ne l’ai-je pas été moi-même ? Je dois à la (1) Art. 7. Sont et demeurent exceptés, quant à présent, des dispositions de l’article premier du présent décret, l’ordre de Malte, les fabriques, les hôpitaux, les maisons et établissements de chanté et autres où sont reçus les malades ; les collèges et maisons d’instruction, d’études et de retraite, administrés par des ecclésiastiques ou par des corps séculiers, ainsi que les maisons des religieuses occupées à l’éducation publique et au soulagement des malades ; lesquels continueront, comme par le passé, et jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné par le Corps législatif, d’administrer les biens et de percevoir, durant la présente année seulement, les dîmes dont ils jouissent, sauf à pourvoir, s’il y a lieu, pour les années suivantes, à l’indemnité que pourrait prétendre l’ordre de Malte, et à subvenir aux besoins que les établissements éprouveraient par la privation des dîmes 898 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1790,1 vérité de dire qu’au mois de février dernier un émissaire du Châtelet vint me tâter sur ce que je pouvais savoir dans cette affaire, et m’avertir que je serais assigné. Cependant je ne l’ai pas été, et je ne savais apparemment pas ce que l’on voulait que je susse; on a entendu tant de gens qui n’bnt que ouï dire, qu’il serait temps qu’on voulût connaître les faits par ceux qui ont vu. » Je reçois individuellement une pièce relative à la môme affaire, dont je vais vous donner lecture. — Extrait des registres du comité du Gros-Caillou, du 1er octobre 1790. — Aujourd’hui s’est présenté au comité M. de Bissot, qui nous a représenté le paragraphe du Postillon par Calais, contenant la déposition de M. La Serre, que le 6 octobre, à 7 heures et demie, il était avec un détachement de soixante hommes à la hauteur d’Au-teuil, et qu’jl a vu Monsieur d’Orléans dans sa voiture allant à Versailles, que sa troupe lui a porté les armes. A l’instant sont comparus MM. Larcher, Poyau et autres, qui ont alfirmé le même fait. (On demande l’impression de ces deux pièces à la suite du rapport.) M. d’Estourmel. Je demande que l’audition de ces témoins soit renvoyée au Châtelet. M. de Mirabeau. J’ai à faire une observation qui peut éclairer les gens équitables; je déclare que je me porte accusateur du Châtelet, que je le prends à partie, et que je ne l’abandonnerai qu’au tombeau. (L’Assemblée ordonne que les pièces dont il a été fait lecture seront imprimées à la suite du rapport fait par M. Cbabroud.) M. le l*rësi4eni. Parmi les membres qui de-ipandëriç là parole sur, contre et pour le rapport de M. Chabroud, il se trouve des témoins qui demandent à être entendus comme inculpés par ce rapport. M. l’âbbé Maury. Bans une délibération aussi grave, db ne saurait s’entourer de trop de lumières : je pense dohc ([uë tods lés accusés ddivént être entendus les premiers, s’ils veulent nous instruire, et après eux les témoihs, parce qii’on a pu croire qu’ils étaierit inculpés dans ce rapport. Je pense encore que les membres de cette Assemblée, qui ne sont ni accusés ni témoins, et je Suis de ce nombre, ne doivent demander la parole qu’après que les accusés et les témoins auront été ebtendus. M. Bïuffaisse. Les témoins doivent être entendus dans cette affaire; ce n’est qu’après la confrontation et le récolement que la procedure est en état. Il m’a paru étonnant qu’on ait cherché dans cette affaire à intimider certaines personnes; mais il est des inculpations d’un certain genre, dont on ne doit pas craindre l’influence dans l’opinion publique. M. Goupil. Il est inouï que dans une instruction brimihelle il soit permis à des témoins devenir ainsi seplacer entre les accusés et l’accusateur, pour discuter leurs propres dépositions. Je demande que tous ceux des membres qui ont déposé ou quittent la séance, ou se réunissent dans une partie de la salle où ils seront en vue (On applaudit) ; qu’ils aient la patience d’entendre la discussion sévère de leurs témoignages et leur appréciation ; qu’ils jouent, le rôle d’hommes privés, auxquels la qualité de députés procure là faveur de siéger dans cette salle. M. Rœderer. Une seule chose est étennapte, c’est que la motion ail été rendue nécessaire par l’assistance des témoins. M. Dubois-Crancé. Ceux des députés qui ont déposé ne rien savoir ne doivent pas être compris avec ceux qui ont chargé les accusés, et voici pourquoi : il pourrait y avoir telle et telle circonstance où l’on rappellerait à dessein des députés pour les priver du droit de séance. Ce n’est pas l’assignation du juge qui constitua le témoin, mais la déclaration des faits. M. de Mirabeau. Je suis sans intérêt sur la décision de la question incidente, car je suis absurdement inculpé, mais pas accusé. Je ne puis m’empêcher de dire que la précipitation de la délibération serait dangereuse. Il est clair que si la scélératesse eût été aussi habile qu’elle a été effrontée, on nous eût ainsi ôté les plus chers amis de la liberté. Je remarque un juge (il en est peut-être davantage), connu par son immaculée probité, lui qui, de notoriété publique, était parfaitement étranger à tous les événements; il a été assigné afin de ne pas souiller la pureté de ses collègues, en s’asseyant au milieu d’eux pour juger cette affaire. Il est, parmi les témoins, des amis de la liberté, qui, quoiqu’ils aient répandu partout qu’ils ne savaient rien, ont été assignés. Je vous demande donc d’ajourner du moins une pareille question, ou bien de discuter sur-le-champ s’il n’est pas clair que leur dénégation ne les met pas dans l’empêchement de voter. M. Guillaume. J’appuie la proposition de M. de Mirabeau. Les personnes dont il s’agit ne peuvent être confrontées, et peuvent par conséquent être parties de l’accusation. (L’Assemblée décrète que ses membres, témoins, à l’exception de ceux qui ont déclaré ne rien savoir, se tiendront à l’écart dans une partie de la salle, et que l’appel en sera fait.) (On procède à l’appel. ) M. de Latouche. Je déclare que je m’abstiendrai de délibérer dans cette affaire. M. l'abbé Dillon. J’ai été inculpé dans l’affaire du 6 octobre. Les deux espions sortis du séminaire de Saint-Sulpice sont des calomniateurs. (On observe que si tous ceux qui ont été attaqués voulaient ainsi monter à la tribune pour se disculper tour à tour, cela ne finirait pas.) (On passe à l’ordre du jour.) M. l’abbé Maury (1). Les principes du rapporteur ont paru aussi dignes d’être discutés que les faits qu’il a rapportés. L’Assemblée nationale a décrété le 26 juin qu’aucun de ses membres ne pourrait être poursuivi devant les tribunaux, qu’elle n’eût déclaré préalablement s’il y a lieu à accusation contre lui.Je ne mepermettrai pas d’attaquer devant vous votre décret; je prendrai seulement la liberté d’exposer mes doutes sur sou sens. Vous avez entendu M. le rapporteur vous dire que les fonctions qui vous étaient réservées étaient celles des grands jurys; il faut dire si c’est là le pouvoir que vous voulez exercer. En Angleterre, lorsqu’un membre est constitué en état d’empêchement, la Chambre des communes (1) Nous conservons ici la version du Moniteur , mais nous insérons aux annexes de la séance, p. 405, 1© discours de l’abbé Maury, tel qu’il a été iiuprimé et distribué. {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {2 octobre 1790.] 399 se rend accusatrice devant la Chambre des pairs, et la Chambre des pairs n’est point un grand jury. (On observe que ce n’est pas là la question.) Le premier principe de votre rapporteur, celui que je combats, c’est que tout décret paralyse un citoyen dans l’ordre social. Tous les décrets ne sont pas de la même nature, et n’ont pas les mêmes effets. Vous n’avez pas à juger sur le fond du procès. Le rapporteur devait vous dire seulement si la procédure présentait des apparences de preuves qui permissent à la justice de suivre son cours ordinaire. Quelle est l’étrange équivoque d’où Ton est parti? Si l’on prétend que la procédure ne fournit par de preuves suffisantes pour condamner, je réponds que je le crois; si Ton prétend qu’elle n’offre pas de preuves suffisantes pour juger, je ne le croirai jamais. L’honneur de cette Assemblée même sollicite un jugement. Où en serions-nous si, par des lettres d’abolition, elle allait annuler une procédure, parce que ses membres y sont impliqués? Notre inviolabilité ne sera pas éternelle; cette Assemblée aura un terme, et au moment où elle finira la justice pourrait reprendre ses droits. Si les charges sont insuffisantes pour opérer la condamnation des accusés, ce serait leur rendre un bien perfide service que d’arrêter un jugement qui les réhabiliterait dans leur honneur. Savons-nous ce qu’une addition d’information peut répandre de lumière? Arrêterions-nous la procédure au moment où elle est incomplète? (On crie qu’on veut faire le procès aux amis du peuple.) Ces mots de bons citoyens, d’amis du peuple, ne sont pas parfaitement définis. Je voudrais bien savoir où s’arrête la Révolution; car, si vous regardez comme ses ennemis ceux qui se sont révoltés des attentats commis au château de Versailles, je me ferai gloire de me ranger de leur côté. Qu’a de commun le 14 juillet avec le 6 octobre? Je demande si un crime public contre la Révolution doit porter le nom de Révolution? C’est une grande révolte, c’est un régicide qui souille notre histoire. Nous dont les principes tendent tant à l’égalité, voudrions-nous laisser subsister une inégalité devant la loi? Ce n'est pas pour demander du pain qu’on a été à Versailles, c’était pour transporter à Paris le roi par violence, et assassiner la reine. La Révolution n’est pas liée à de si grands crimes. Les gardes nationaux ont défendu les marches du trône ; ils méritent la reconnaissance de la nation ; ils demandent la punition des coupables. Un crime n’aura pas été commis impunément entre l’Assemblée nationale et le trône. L’Europe nous observe, nous devons prévenir le jugement de l’histoire, qui sera d’autant plus sévère que nous aurons été plus indulgents. M. Alexandre de Lameth. Je demande, Monsieur le président, à faire une observation sur Tordre de la discussion, dans laquelle M. l’abbé Maury ne me paraît pas encore être entré. M. l’abbé Maury ne s’est occupé, jusqu’à ce moment, qu’à exciter notre indignation contre les crimes commis à Versailles le 6 octobre, et c’est une peine mutile, ses déclamations n'ajouteront rien à l’horreur que nous a fait éprouver leur atrocité ; il s’est attaché ensuite à prouver que l’inviolabilité des membres de cette Assemblée ne devait pas les arracher à l’influence des lois, c’est encore prendre une peiue inutile : personne d’entre nous ne voudrait réclamer un pareil privilège ; le droit des représentants de la nation* ou plutôt le droit de la nation, est qu’ils ne puissent être enlevés à leurs fonctions, sans qu’il ait été prononcé par l’Assemblée qu’il y a lieu à accusation contre eux; et certes cette précaution intéresse essentiellement la liberté, car sans elle on pourrait, par des dénonciations, par de dégoûtantes dénonciations, comme celles qu’on n’a pas eu honte de se permettre dans cette infâme procédure, on pourrait, dis-je, arracher du sein de cette Assemblée ceux de ses membres qui combattent avec le plus de courage pour les intérêts de la chose publique ; alors on ne s’én serait pas tenu à annoncer des dénonciations contre des quidams, dont le signalement a été soigneusement et si artistement arrangé, pour s’appliquer à ceux que Ton voudra perdre : si les événements, si la contre-révolution le permettait, on nous aurait nominativement dénoncés. Je demande donc, Monsieur le président, que M. l’abbé Maury se renferme dans Tordre de la discussion, c’est-à-dire qu’il prononce qu’il y a lieu, ou qu’il n’y a pas lieu à accusation contre MM. de Mirabeau et d’Orléans. M. Rœderer. Il faut que M. l’abbé Maury prouve que les événements des 5 et 6 octobre ont été l’effet d’un complot, et que MM. de Mirabeau et d’Orléans en ont été les auteurs et les complices. M. l’abbé Maury. Je vais répondre avec la franchise qui convient à un représentant de la nation, sur la conspiration, sur M. de Mirabeau et sur M. d’Orléans. Je dis, parlant de la conjuration, qu’elle existe et qu’elle est démontrée. Des hommes armés, des brigands ont été à Versailles; ils ont massacré les gardes du corps; se sont portés vers l’appartement de la reine; voilà bien une conspiration. Elle avait un but; elle était dirigée contre les jours de la reine. Relativement à M. de Mirabeau, j’avoue que je n’y voisau-cune accusation grave dans l’information ; que je n’y vois rien qui ait pu faire naître aux juges du Châtelet l’idée de le décréter. Je consens volontiers qu’il sorte de la procédure, lorsque les lecteurs l’ont absous avant les juges. Après cet hommage solennel rendu à la vérité, je passe à M. d’Orléans. Sans présumer qu’il est coupable, je dis qq’il doit être jugé. Le nombre et l’importance des accusations ne permettent pas de le soustraire à la justice. Le premier prince du sang qu’on a vu au milieu des assassins sans les réprimer, le premier prince du sang qu’on a vu ne faisant aucun effort pour défendre le roi, tandis que sa naissance le con damnait à mourir pour lui. Il est impossible qu’un Français soit assez désintéressé sur son honneur, pour ne pas lui crier : Allez devant les tribunaux. S’il a été calomnié, comme je le désire, il payera un tribut à l’ordre social. En allant se livrer à la justice, il se montrera digne petit-fils de Henri IV, et père d’une postérité destinée à honorer la nation. Ce ne serait pas le servir, ce serait le compromettre que de ne pas l’abandonner à un jugement. Je conclus qu’il y a lieu à accusation contre lui; j’ai dans mes mains l’extrait des dépositions qui le chargent, et je suis prêt à mettre sous les yeux ce triste tableau. M. Chabroud. Si c’est un extrait des dépositions par numéro que M. l’abbé Maury vous annonce, rien n’est plus inutile. Si c’est une 400 [Assemblée nationale»! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1790.J série de preuves ou d’indices, tendant à démentir celles que je vous ai offertes, je l’interpelle de vous les lire. M. l’abbé Manry. Je n’ai point fait un système raisonné de dépositions; cela passe la mission dont je suis chargé. Si tous les faits déposés étaient vrais, s’ils étaient prouvés, n’y aurait-il pas matière à accusation ? Eh bien, le juge seul peut, par la confrontation et le récolement, examiner le degré d’intérêt qu’ils méritent; nous n’avonsfed’autre chose à faire que d’examiner le titre de l’accusation. M. Féraud. Je dois rendre compte d’un fait que je me rappelle fort bien . Au retour de la députation qui fut chez le roi, ion traitait à l’Assemblée nationale quelques articles relatifs à la jurisprudence criminelle; un homme des tribunes, à la droite du président, dit : « On devrait s’occuper du peuple. » J’invitai M. le président à rendre compte de sa démarche auprès du roi. M. de Mirabeau prit alors la parole et dit : « Personne ici n’a le droit de tracer la marche de nos délibérations : les tribunes doivent se rappeler le respect qu’elles doivent à l’Assemblée nationale. » M. de Mirabeau. Ce n’est pas pour me défendre que je monte à celte tribune. Objet d’inculpations ridicules, dont aucune ne m’est prouvée, et qui n’établiraient rien contre moi, lorsque chacune d’elles le serait, je ne me regarde point comme accusé, car si je croyais qu’un seul homme de sens (j'excepte le petit nombre d’ennemis dont je tiens à honneur les outrages) pût me croire accusable, je ne me défendrais pas dans ceite Assemblée. Je voudrais être jugé, et votre juridiction se bornant à décider si je dois ou ne dois pas être soumis à un jugement, il ne me resterait qu’une demande à faire à votre justice, et qu’une grâce à, solliciter de votre bienveillance, ce serait un tribunal. Mais je ne puis pas douter de votre opinion, et si je me présente ici, c’est pour ne pas manquer une occasion solennelle d’éclaircir des faits que mou profond mépris pour ies� libelles, et mon insouciance trop grande peut-être pour les bruits calomnieux, ne m’ont jamais permis d’attaquer hors de cette Assemblée; qui cependant accrédités par la malveillance pourraient faire rejaillir sur ceux qui croiront devoir m’absoudre, je ne sais quels soupçons de partialité. Ce que j’ai dédaigné quand il ne s’agissait que de moi, je dois le scruter de près, quand on m’attaque au sein de l’Assemblée nationale, et comme en faisant partie. Les éclaircissements que je vais donner, tout simples qu’ils vous paraîtront sans doute, puisque mes témoins sont dans cette Assemblée, et mes arguments dans la série des combinaisons les plus communes, olfrent pourtant à mon esprit, je dois le dire, une assez grande difficulté. Ce n’est pas de réprimer le juste ressentiment qui oppresse mon cœur depuis une année, et que l’on force enfin à s’exhaler. Dans cette affaire, le mépris esta côté de la haine, il l’étnousse, il l’amortit ; et quelle est l’âme assez abjecte pour que l’occasion de pardonner ne lui semble pas une jouissance? Ce n’est pas même la difficulté de parler des tempêtes d’une juste Révolution, sans rappeler que, si le trône a des torts à excuser, la clémence nationale a eu des complots à mettre en oubli; car puisqu’au sein de l’Assemblée le roi est venu adopter notre orageuse révolution, cette volonté magnanime, en faisant disparaître à jamais les apparences déplorables que des conseillers pervers avaient données jusqu’alors au premier citoyen de l’Empire, n’a-t-elle pas également effacé les apparences plus fausses que les ennemis du bien public voulaient trouver dans les mouvements populaires, et que la procédure du Châtelet semble avoir eu pour premier objet de raviver? Non, la véritable difficulté du sujet est tout entière dans l’histoire même de la procédure. Elle est profondément odieuse, cette histoire. Les fastes du crime offrent peu d’exemples d’une scélératesse, tout à la fois si. éhontée et si malhabile. Le temps le saura; mais ce secret hideux ne peut être révélé aujourd’hui sans produire de grands troubles. Ceux qui ont suscité la procédure du Châtelet ont fait cette horrible combinaison, que si le succès leur échappait ils trouveraient dans le patriotisme même de celui qu’ils voulaient immoler le garant de leur impunité. Ils ont senti que l’esprit public de l’offensé tournerait à sa ruine, ou sauverait l’offenseur... 11 est bien dur de laisser ainsi aux machinateurs une partie du salaire sur lequel ils ont compté! Mais la patrie commande ce sacrifice, et certes elle a droit encore à de plus grands. Je ne vous parlerai donc que des faits qui me sont purement personnels; je les isolerai de tout ce qui les environne ; je renonce à les éclaircir autrement qu’en eux-mêmes et par eux-mêmes; je renonce, aujourd’hui du moins, à examiner les contradictions de la procédure et ses variantes, ses obscurités, ses superfluités et ses réticences; les craintes qu’elle a données aux amis de la liberté, et les espérances qu’elle a prodiguées à ses ennemis; son but secret et sa marche apparente, ses succès d’un moment et ses succès dans l’avenir; les frayeurs qu’on a voulu inspirer au trône, peut-être la reconnaissance que l’on a voulu en obtenir : je n’examinerai la conduite, les discours, le silence, les mouvements, le repos d’aucun acteur de cette grande et tragique scène; je me contenterai de discuter les trois principales imputations qui me sont faites, et de donner le mot d’une énigme dont votre comité a cru devoir garder le secret, mais qu’il est de mon honneur de divulguer. Si j’étais forcé de saisir l’ensemble de la procédure, lorcqu’il me suffit d’en déchirer quelques lambeaux; s’il me fallait organiser un grand travail pour une facile défense, j’établirais d’abord que, s’agissant contre moi d’une accusation de complicité, et cette prétendue complicité n’étant point relative aux excès individuels qu’on a pu commettre, mais à la cause de ces excès, on doit prouver contre moi qu’il existe un premier moteur dans cette affaire; que le moteur est celui contre lequel la procédure est principalement dirigée et que je suis son complice. Mais comme on n’a point employé contre moi une marche dans l’accusation, je ne suis non plus obligé de la suivre pour me défendre. Il me suffira d’exa-mmer Jes témoins tels qu’ils sont , les charges telles qu’on me les oppose; et j’aurai tout dit lorsque j’aurai discuté trois faits principaux, puisque la triple malignité des accusateurs, des témoins et des juges, n’a pu ni en fournir, ni en recueillir davantage. On m’accuse d’avoir parcouru les rangs du régiment de Flandre le sabre à la main, c’est-à-dire qu’on m’accuse d’un grand ridicule. Les témoins 401 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PA auraient pu le rendre d’autant plus piquant que né parmi les patriciens, et cependant député par ceux qu’on appelait alors le tiers état, je m’étais toujours fait un devoir religieux de porter le costumequi me rappelait l’honneur d’un tel choix : or, certainement l’allure d’un député en habit noir, en chapeau rond, encravate et en manteau, se promenant à cinq heures du soir un sabre nu à la main, dans un régiment, méritait de trouver une place parmi les caricatures d’une telle procédure. J’observe néanmoins qu’on peut bien être ridicule sans cesser d’être innocent. J’observe que l’action de porter un sabre à la main ne serait ni un crime de lèse-majesté, ni un crime de lèse-nation. Ainsi tout pesé, tout examiné, la déposition de M. Valfond n’a rien de vraiment fâcheux que pour M. Gamache qui se trouve légalement et véhémentement soupçonné d’être fort laid, puisqu’il me ressemble. Mais voici une preuve plus positive que M. Val-fond a au moins la vue basse. J’ai dans cette Assemblée un ami intime, et que, malgré cette amitié connue, personne n’osera taxer de déloyauté, ni de mensonge, M. de la Marck. J’ai passé l’après-midi tout entière du 5 octobre chez lui, en tête à tête avec lui, les yeux fixés sur des cartes géographiques, à reconnaître des positions alors très intéressantes pour les provinces belges. Ge travail, qui absorbait toute son attention et qui attirait toute la mienne, nous occupa jusqu’au moment où M. de la Marck me conduisit à l’Assemblée nationale, d’où il me ramena chez moi. Mais dans cette soirée il est un fait remarquable sur lequel j’atteste M. de la Marck, c’est qu’ayant à peine employé trois minutes à dire quelques mots sur les circonstances du moment, sur ce siège de Versailles qui devrait être fait par les amazones si redoutables dont parle le Châtelet, et considérant la funeste probabilité que des conseillers pervers contraindraient le roi à se rendre à Metz, je lui dis : La dynastie est perdue si Monsieur ne reste pas, et ne prend les rênes du gouvernement. Nous convînmes des moyens d’avoir sur-le-champ une audience du prince, si le départ du roi s’exécutait. C’est ainsi que je commençais mon rôle de complice, et que je me préparais à faire M. d’Orléans lieutenant général du royaume. Vous trouverez peut-être ces faits plus probants et plus certains que mon costume de Charles XII? On me reproche d’avoir tenu à M. Mounier ce propos : Eh! quinous dit que nous ne voulons pas un roi ? Mais qu'importe que ce soit Louis XVI ou Louis XVII? Ici j’observerai que le rapporteur, dont on vous a dénoncé la partialité pour les accusés, est cependant loin, je ne dis pas de m’être favorable, mais d’être exact, mais d’être juste. C’est uniquement parce que M. Mounier ne confirme pas ce propos par la déposition, que M. le rapporteur ne s’y arrête pas. J’ai frémi, dit-il, j'ai frémi en lisant , et je me suis dit : Si ce propos a été tenu, il y a un complot , il y a un coupable ; heureusement M. Mounier n'en parle pas. Eh bien, Messieurs, avec toute la mesure que me commande mon estime pour M. Chabroud et pour son rapport, je soutiens qu’il a mal raisonné. Ge projet, que je déclare ne pas me rappeler, est tel que tout citoyen pourrait s’en honorer, et non seulement il est justifiable à l’époque où on le place, mais il est bon en soi, mais il est louable, et si M. le rapporteur l’eût analysé avec sa sagacité ordinaire, il n’aurait pas eu besoin, pour faire disparaître le prétendu délit, de se convaincre qu’il était imaginaire; supposez un royaliste lre Série. T. XIX, LEMENTAIRES. [2 octobre 1790.] exalté, tel que M. Mounier, conversant avec un royaliste tempéré, et repoussant toute idée que le monarque pût courir aucun danger chez une nation qui professe, en quelque sorte, le culte du gouvernement monarchique ; trouveriez-vous étrange que l’ami du trône et de la liberté, voyant l’horizon se rembrunir, jugeant mieux que l’enthousiaste la tendance de l’opinion, l’accélération des circonstances, les dangers d’une insurrection, et voulant arracher son concitoyen trop conciliant à une périlleuse sécurité, lui dit : Eh ! qui vous nie que les Français soient monarchistes? Qui vous conteste que la France n’ait besoin d’un roi, et ne veuille un roi? Mais Louis XVII sera roi comme Louis XVI, et si l’on parvient à persuader à la nation que Louis XVI est fauteur et complice des excès qui ont lassé sa patience, elle invoquera un Louis XVII. Le zélateur de la liberté aurait prononcé ces paroles avec d'autant plus d’énergie qu’il eût mieux connu son interlocuteur, et les relations qui pouvaient rendre son discours plus efficace; verriez-vous en lui un conspirateur, un mauvais citoyen, ou même un mauvais raisonneur? Cette supposition serait bien simple, elle serait adoptée aux personnages et aux circonstances. Tirez-en du moins cette conséquence, qu’un discours ne prouve jamais rien par lui-même, qu’il tire tout sou caractère, toute sa force de l’à-propos, de l’avant-science, de la nature du moment, de l’espèce des interlocuteurs, en un mot d’une foule de nuances fugitives qu’il faut déterminer avant de l’apprécier, d’en conclure. Puisque j’en suis à M. Mounier, j’expliquerai un autre fait que, dans le compte qu’il en a rendu lui-même, il a gâté à son désavantage. Il présidait l’Assemblée nationale le 5 octobre, où l’on discutait l’acceptation pure et simple, ou modifiée, de la déclaration des droits. J'allai vers lui, dit-on; je l’engageai à supposer une indisposition, et à lever la séance sous ce frivole prétexte... J’ignorais sans doute alors que l’indisposition d’un président appelle son prédécesseur : j’ignorais qu’il n’est au pouvoir d’aucun homme d’arrêter à son gré le cours d’une de vos plus sérieuses délibérations... Voici le fait dans son exactitude et dans sa simplicité : Dans la matinée du 5 octobre je fus averti que la fermentation de Paris redoublait : je n’avais pas besoin d’en connaître les détails pour y croire : un augure qui ne trompe jamais, la nature des choses, me l’indiquait assez. Je m’approchai de M. Mounier, et je lui dis : Mounier , Paris marche sur nous. — Je n’en sais rien. — Croyez-moi, ou ne me croyez pas ; mais Paris, vous dis-je, marche sur nous. Trouvez-vous mal ; montez au château; donnez leur cet avis : dites, si vous voulez, que vous le tenez de moi, j’y consens ; mais faites cesser cette controverse scandaleuse; le temps presse; il n’y a pas une minute à perdre. « Paris marche sur nous, répondit Mounier, eh ! bien, tant mieux, nous serons plutôt en République. » Si l’on se rappelle les préventions et la bile noire qui agitaient Mounier; si l’on se rappelle qu’il voyait en moi le boute-feu de Paris, on trouvera que ce mot, qui a plus de caractère que le pauvre fugitif n’eu a montré depuis, lui fait honneur. Je ne l’ai revu que dans l’Assemblée nationale, qu’il a désertée, ainsi que le royaume, peu de jours après. Je ne lui ai jamais reparlé ; et je ne sais où il a pris que je lui ai écrit le 6, à 3 heures du matiu, un billet pour lever la séance ; il ne m’en reste pas l’idée 26 402 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1790.1 la plus légère. Rien, au reste, n’est plus oiseux, ni plus indifférent. J’en viens à la troisième inculpation dont je suis l’objet, et c’est ici que j’ai promis le mot de l’énigme. J’ai conseillé, dit-on, à Monsieur d’Orléans de ne point partir pour l’Angleterre. Eh bien 1 qu’en veut-on conclure ? Je liens à honneur de lui avoir, non pas donné, car je ne lui ai pas parlé, mais fait donner ce conseil.J’apprends, par la notoriété publique, qu’après une conversation entre M. d’Orléans et M. de La Fayette, très impérieuse d’une part, et très résignée de l’autre, le premier vient d’accepter la mission, ou plutôt de recevoir la loi de partir pour l’Angleterre. Au même instant, les suites d’une telle démarche se présentent à mon esprit. Inquiéter les amis de la liberté, répandre des nuages sur les causes de la Révolution, fournir un nouveau prétexte aux mécontents; isoler de plus en plus le roi, semer au dedans et au dehors du royaume de nouveaux germes de défiance : voilà les effets que ce départ précipité, que cette condamnation sans accusation devait produire. Elle laissait surtout sans rival l’homme à qui le hasard des événements venait de donner une nouvelle dictature, l’homme qui, dans ce moment, disposait, au sein de la liberté, d'une police plus active que celle de l’ancien régime, l’homme qui, par cette police, venait de recueillir un corps d’accusation sans accuser; l’homme, qui, en imposant à M. d’Orléans la loi de partir, au lieu de le faire juger et condamner, s’il était coupable, éludait ouvertement par cela seul l’inviolabilité des membres de l’Assemblée. Mon parti fut pris à l’instant : je dis à M. Biron, avec qui je n’ai jamais eu de relation politique, mais qui a toujours eu toute estime, et dont j’ai reçu plusieurs fois des services d’amitié: M. d’Orléans va quitter, sans jugement, le poste que ses commettants lui ont confié; s’il obéit, je dénonce son départ et m’y oppose; s’il reste, s’il fait connaître la main invisible qui veut l’éloigner, je dénonce l’autorité qui prend la place de celle des lois; qu’il choisisse entre cette alternative. M. Biron, me répondit par des sentiments chevaleresques, et je m’y étais attendu. M. d’Orléans, instruit de ma résolution, promet de suivre mes conseils; mais dés le lendemain je reçois, dans l’Assemblée, un billet de M. Biron et non deM. d’Orléans, comme le suppose la procédure. Ce billet portait le crêpe de sa douleur, et m’annonçait le départ du prince. Mais lorsque l’amitié se bornait à souffrir, il était permis à l’homme public de s’indigner. Une secousse d’humeur, ou plutôt de colère civique, me .fit tenir sur-le-champ un propos que M. le rapporteur, pour avoir le droit de le taxer d’indiscret, aurait dû faire connaître. Qu’on le trouve, si l’on veut, insolent; mais qu’on avoue, du moins, puisqu’il ne suppose même aucune relation, qu’il exclut toute idée de complicité. Je le tins sur celui dont la conduite jusqu’alors m’avait paru exempte de reproches, mais dont le départ était à mes yeux plus qu’une faute. Voilà ce fait éclairci, et M. de La Fayette peut en certifier tous les détails, qui lui sont tous parfaitement connus. Qu’à présent celui qui osera, je ne dirai pas m’en faire un crime, mais me refuser son approbation, celui qui osera soutenir que le conseil que je donnais n’était pas conforme à mes devoirs, utile à la chose publique et fait pour m’honorer; que celui-là, dis-je, se lève et m’accuse. Mon opinion, sans doute, lui est indifférente; mais je déclare que je ne puis me défendre pour lui du plus profond mépris. Ainsi disparaissent ces inculpations atroces, ces calomnies effrénées, qui plaçaient au nombre des conspirateurs les plus dangereux, au nombre des criminels les plus exécrables, un homme qui a la conscience d’avoir toujours voulu être utile à son pays, et de ne lui avoir pas été toujours inutile. ( Une grande partie de l'Assemblée et les spectateurs applaudissent avec transport.) Ainsi s’évanouit ce secret si tard découvert, qu’un tribunal, au moment de terminer sa carrière, est venu vous dévoiler avec tant de certitude et de complaisance. Qu’importe à présent que je discute, ou que je dédaigne cette foule de ouï-dire contradictoires, de fables absurdes, de rapprochements insidieux que renferme encore la procédure? Qu’importe, par exemple, que j’explique cette série de confidences que M. de Virieu suppose avoir reçues de moi, et qu’il révèle avec tant de loyauté? If est étrange M. de Virieu; est-il donc un zélateur si fervent de la Révolution actuelle? S’est-il, en aucun temps, montré l’ami si sincère de la Constitution, qu’un homme dont on a tout dit, excepté qu’il soit une bête, l’ait pris ainsi pour son confident?... Je ne parle point ici pour amuser la malignité publique, pour attirer des haines, pour faire naître de nouvelles divisions. Personne ne sait mieux que moi que le salut de tout et de tous est dans l’harmonie sociale et l’anéantissement de tout esprit de parti; mais je ne puis m’empêcher d’ajouter que c’est un triste moyen d’obtenir cette réunion des esprits, qui seule manque à l’achèvement de notre ouvrage, que de susciter d’infà-mes procédures, de changer l’art judiciaire en arme offensive, et de justifier ce genre de combat par des principes qui feraient horreur à des esclaves. Je vous demande la permission de me résumer. La procédure ne me désigne que comme complice ; il n’y a donc aucune accusation contre moi, s’il n’y a point de charge de complicité. La procédure ne me désigne pour complice d’aucun excès individuel, mais seulement d’un prétendu moteur principal de ces excès. Il n’y a donc point d’accusation contre moi, si l’on ne prouve pas d’abord qu’il y a eu un premier moteur, si l’on ne démontre pas que les prétendues charges de complicité qui me regardent, étaient un rôle secondaire lié au rôle principal, si l’on n’établit pas que ma conduite a été l’un des principes de l’action, du mouvement, de l’explosion dont on recherche les causes. Enfin, la procédure ne me désigne pas seulement comme le complice d’un moteur en général, mais comme le complice d’un tel. Il n’y a donc point d’accusation contre moi, si l’on ne prouve pas tout à la fois, et que ce moteur est le principal coupable, et que les charges dont je suis l’objet lui sont relatives, annoncent un plan commun, dépendant des mêmes causes, et capable de produire les mêmes effets. , Or, rien de tout ce qu’il serait indispensable de prouver n’est prouvé. Je ne veux pas examiner si les événements sur iesquels on a informé sont des malheurs ou des crimes; si ces crimes sont l’effet d’un complot, ou de l’imprudence, ou du hasard, et si la supposition d’un principal moteur ne les rendrait pas cent fois plus inexplicables; il me suffit de vous rappeler que parmi les faits qui sont à ma charge, les uns antérieurs ou postérieurs de plusieurs mois aux événements ne peuvent leur être liés que par la logique des tyrans ou de leurs suppôts, [Assemblée nationale.] et que les autres qui ont concouru avec l’époque même de la procédure ne sont évidemment ni cause, ni effet, n’ont eu, n’ont pu avoir aucune influence, sont exclusifs du rôle d’agent, de moteur ou de complice, et qu’à moins de supposer que j’étais du nombre des coupables par la seule volonté, que je n’étais chargé d’aucune action au dehors, d’aucune impulsion, d’aucun mouvement, ma prétendue complicité est une chimère. Il me suffit encore de vous faire observer que les charges que l’on m’oppose, bien loin de me donner des relations avec le principal moteur désigné, me donneraient des rapports entièrement opposés ; que dans la dénonciation du repas fraternel , que je n’eus pas seul la prétendue imprudence d’appeler une orgie, je ne fus que l’auxiliaire de deux de mes collègues qui avaient pris la parole avant moi ; que si j’avais parcouru les rangs du régiment de Flandre, je n’aurais fait, d’après la procédure elle-même, que suivre l’exemple d’une foule de membres de cette Assemblée; que si le propos, qu'importe que ce soit Louis XVII, était vrai, outre que je ne supposerais pas un changement de dynastie, mes idées constatées par un billet à un membre de cette Assemblée, dans le cas possible d’un régent, ne se portaient que sur le frère du roi. Quelle est donc cette grande part que l’on suppose que j’ai prise aux événements dont la procédure est l’objet? Où sont les preuves de la complicité que l’on me reproche? Quel est le crime dont on puisse dire de moi : Il en est l’auteur ou la cause? Mais j’oublie que je viens d’emprunter le langage d’un accusé, lorsque je ne devrais prendre que celui d’un accusateur. Quelle est cette procédure dont l’information n’a pu être achevée, dont tous les ressorts n’ont pu être combinés que dans une année entière; qui, prise en apparence sur un crime de lèse-ma-jesté, se trouve entre les mains d’un tribunal incompétent, qui n’est souverain que pour tes crimes de lèse-nation ? Quelle est cette procédure qui, menaçant vingt personnes différentes dans l’espace d’une année, tantôt abandonnée et tantôt reprise, selon l’intérêt et les vues, les craintes ou les espérances de ses machinateurs, n’a été, pendant si longtemps qu’une arme de l’intrigue, qu’un glaive suspendu sur la tête de ceux que l’on voulait ou perdre ou effrayer, ou désunir ou rapprocher; qui enfin n’a vu le jour, après avoir parcouru les mers, qu’au moment où l’un des accusés n’a pas cru à* la dictature qui le retenait en exil, ou l’a dédaignée? Quelle est cette procédure prise sur des délits individuels, dont on n’informe pas et dont on veut cependant rechercher les causes éloignées, sans répandre aucune lumière sur leurs causes prochaines? Quelle est cette procédure dont tou3 les événements s’expliquent sans complot, et qui n’a cependant pour base qu’un complot, dont le premier but a été de cacher des fautes réelles et de les remplacer par des crimes imaginaires; que l’amour-propre seul a d’abord dirigée; que la haine a depuis acérée; dont l'esprit de parti s’est ensuite emparé; dont le pouvoir ministériel s’est ensuite saisi, et qui, recevant ainsi tour à tour plusieurs sortes d’influences, a fini par prendre la forme d’une protestation insidieuse, et contre vos décrets et contre la liberté de l’acceptation du roi, et contre son voyage à Paris, et contre la sagesse de vos délibérations, et contre l’amour de la nation pour le monarque? Quelle est cette procédure que les ennemis les 403 plus acharnés de la Révolution n’auraient pas mieux dirigée, s’ils en avaient été les seuls auteurs, comme ils en ont été presque les seuls instruments; qui tendait à attiser le plus redoutable esprit de parti, et dans le sein de cette Assemblée, en opposant les témoins aux juges, et dans tout le royaume, en calomniant les intentions de la capitale auprès des provinces; et dans chaque ville, en faisant détester une liberté qui avait pu compromettre les jours du monarque; et dans toute l’Europe, en y peignant la situation d'un roi libre, sous les fausses couleurs du roi captif, persécuté, eu y peignant cette auguste Assemblée comme une assemblée de factieux? Qui, le secret de cette infernale procédure est enfin découvert; il est là tout entier (il/, de Mirabeau désigne le côté droit) ; il est dans l’intérêt de ceux dont le témoignage et les calomnies eu ont formé le tissu, il est dans les ressources qu’elle a fournies aux ennemis de ja Révolution: il est ..... il est dans le cœur des juges tel qu’il sera bientôt buriné dans l’histoire par la plus juste et la plus implacable vengeance. (La salle retentit d'applaudissements. M. de Mi-raneau descend de la iribune; on applaudit encore. Il revient à sa place, les applaudissements redoublent.) M. Armand de Hontaut-lSiron. Je demande à faire l’affirmation des faits dontM. de Mirabeau a rendu compte, et dans lesquels je suis com-pris.Je n’ai su la proposition portée à M. d’Orléans par M. de La Fayette qu’au moment où elle fut faite, et M. d’Orléans avait pris sou parti. Il a mis en moi sa confiance; je connais sa pureté. Je fus vivement affecté de cette nouvelle; je craignis qu’on n’interprétât mal un sacrifice aussi grand, et qu’il ne fût accusé de crimes imaginaires, qui auraient disparu par sa présence; je m’opposai donc à son départ. M. d’Orléans me répondit qu’il voulait donner au roi une preuve de lapuretéde ses intentions; que M. de La Fayette lui avait dit qu’on abusait de son nom pour troubler la tranquillité publique. Je combattis encore, mais inutilement; M. d’Orléans partit. On répandit alors que M. de La Fayette avait dit que les lettres de créance relatives à la mission politique dont M. d’Orléans était chargé, qu’on ne cachait pas et que M. de Montmorin m’a montrées, étaient des lettres de grâce. Je rendis à M. de La Fayette le service de l’engager, plus pour son honneur que pour celui de M. d’Orléans, à démentir ce bruit par écrit. Il l’a fait. Qu’il me soit permis de remonter plus haut. M . d’Orléans a été le premier sectateur de la liberté eu France : ses instructions répandues dans les provinces ont peut-être contribué à la Révolution, dont tous nous devons attendre le bonheur. Sa conduite s’est souteuue par sa modération, qui devait être l’apanage de celui qui peut-être le premier de sa famille a conçu les grandes idées de liberté. Quand on promenait son buste, il se cacha. Lorsque le roi donna aux représentants de la nation le témoignage de confiance, de venir remettre ses destinées dans les mains de cette Assemblée, qui tenait celles de l’Empire, M. d’Orléans ne voulut point aller à Paris. Peut-être eut-il tort ; labienveillanced’ungrand peupleest un hommage auquel un bou citoyen ne devrait pas se soustraire, et M. d'Orléans avait le droit d’en recevoir les témoignages. Souffrez que je parle d’une chose qui me concerne. Mes anciens camarades les gardes-françaises, " par respect, par honneur pour la mémoire d’un ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1790. J 404 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1790.] homme qui fut plutôt leur père que leur chef, et qui les commanda pendant 40 ans, me choisirent pour les commander. Les larmes aux yeux je remerciai mes camarades de leur choix, et il ne fut plus parlé de celui-là. ( Une très grande partie de l’Assemblée applaudit.) Permettez-moi une seule observation sur cette étonnante procédure. Voit-on parmi les témoins, membres de cette Assemblée, le nom d’un défenseur de la liberté? Peut-on supposer que tous eussent gardé le silence s’ils avaient connu les coupables? Au nom de M. d’Orléans, je m’engage à vous faire connaître des détails qui attestent sa pureté et mettront fin aux calomnies. ( Les applaudissements les plus nombreux se font entendre et suivent M. de Gon-taut de la tribune à sa place.) (La tribune reste vacante. Personne ne demande la parole. L’Assemblée attend en silence. — Un temps assez long s’écoule. — M. de Montlosier, se lève. — On entend des murmures. M. de montlosier. Les murmures qui m’accompagnent à cette tribune sont une infamie indigne de cette Assemblée. Je commence par une observation préliminaire. Je crois qu’en ce moment la délibération est prématurée; car, pour porter un jugement sur uüe procédure aussi compliquée , qui importe également à l’honneur del’Assemblée et à celui de quelques-uns de ses membres, il faut se livrer à l’examen des charges. Il faut comparer, concilier les dépositions, en faire une concordance, rassembler les rayons des lumières, les converger à leur lieu et à leur place. Il est bien étonnant qu’on nous fasse entrer dans cette discussion, après la délibération sur les assignats, qui nous a obligés de lire cent mémoires, et qui a occupé nos nuits, nos jours et tout notre temps. {On demande à aller aux voix.) Ceux qui demandent à aller aux voix sont de bien mauvais et de bien perfides conseillers. 11 est important d’examiner, de juger ce rapport, ce mémoire, ce plaidoyer. Si nous ne le jugeons pas, la France et la postérité le jugeront. Je ne crois personne assez ennemi des accusés, pour nous entraîner dans une précipitation aussi contraire à la dignité de cette Assemblée. M. le président, si la discussion s’ouvre j’ai un travail tout prêt. {Il s’élève des murmures.) Oui, j’ai examiné toutes les pièces, c’était mon devoir; mais le rapport n’est pas imprimé : on ne nous l’a pas distribué. 11 nous faut au moins trois jours pour examiner le travail de trois mois. M. Rœderer. Quand on a mis à l’ordre du jour cette affaire, M. de Montlosier devait dire que le délai était trop court ; mais il ne l’a pas trouvé tel, puisqu’en paraissant se défier des lumières et de la sagacité des membres de l’Assemblée, il nous annonce qu’il a un travail tout prêt. Puisque personne ne croit possible de monter à cette tribune pour parler contre les accusés; puisque personne, et ceci est plus honorable pour eux, ne croit nécessaire de les défendre, il ne reste avant de délibérer qu’à entendre les détails annoncés de la part de M. d’Orléans, dont l’innocence n’est plus un problème. Je demande que M. de Biron dise si M. d’Orléans veut parler, ou s’il croit plus digne de lui d’attendre que vous ayez prononcé. M. Armand de Gontant-Biron . M. d’Orléans, sûr de son innocence, plein de confiance dans la justice de l’Assemblée nationale, n’a rien à ajouter en ce moment. {On applaudit.) Plusieurs membres du côté droit demandent qu’on délibère sur la proposition de M. de Montlosier, et qu’on attende la distribution du rapport. M. Barnave. La procédure est dans nos mains; du moment où elle a été connue elle a été jugée : notre opinion est assurée par les rapprochements lumineux que nous a présentés le rapporteur. Le projet de décret qui vous a été soumis est le résultat de l’avis unanime du comité. Tout le monde a vu que, pour qu’il y eût des. coupables, il fallait qu’il y eût une conjuration. Personne n’a vu d’autre conjuration que la procédure même. Je demande que le plus profond mépris pour cette procédure, pour ceux qui l’ont instruite, pour ceux qui n’ont pas craint d’y déposer leurs conjectures, leurs malicieuses et perfides intentions, soit le seul effet de votre justice et de votre bonté, que vous ne donniez pas de la gravité à ce qui n’en demande aucune, et que' vous n’enleviez pas à la chose publique un temps précieux qu’elle réclame de vous ; M. d’Orléans ubliera, imprimera tout ce qu’il croira convena-le de publier, d’imprimer, il ne fera que confirmer l’estime de la nation pour son patriotisme ; mais nous ne pouvons lui accorder le temps de présenter une justification rendue inutile par ses propres accusateurs; je demande donc qu’on aille sur-le-champ aux voix, et que le projet de décret, présenté par le comité des rapports, soit adopté. M. l’abbé maury. Nous ne pouvons participer à la délibération. (Il reste; quelques membres du côté droit se retirent.) M. de montlosier. Je demande la priorité pour la motion de M. l’abbé Maury, bien que dans ce moment je ne sois pas en état de rassembler les raisonnements et les arguments invincibles queje trouve contre MM. d’Orléans et de Mirabeau. Pénétré de l’injustice que vous faites, je déclare que je ne suis pas muni de toute la force que je puis avoir, que je n’apporte pas mes lumières et mes conseils : il faudrait un cœur calme pour les dire, et des hommes sages pour les entendre. M. de Hurinais demande la division du projet de décret, en ce qui concerne M. de Mirabeau. M. le Président. Cette motion est la même que celle de M. l’abbé Maury. M. de montlosier. Je demande que, quant à M. de Mirabeau, l’affaire demeure en état. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’amendement de M. de Montlosier et sur la division proposée. Le projet de décret, proposé par le comité, est adopté aune très grande majorité, et aux applaudissements d’une partie de l’Assemblée et des spectateurs. Il est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale, après avoir ouï le compte que lui a fait rendre son comité des rapports, de l’information faite à la requête du procureur du roi au Châtelet les 11 décembre 1789 et jours suivants, et des charges concernant M. de Mirabeau l’aîné etM. Louis-Phiiippe-Joseph d’Orléans, déclare qu’il n’y a pas lieu contre eux à accusation. »