476 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 octobre 1789.] coups de la force militaire, et qui poürront être arretés, seront punis d’un emprisonnement d’un an s’ils étaient sans armes, de trois ans s’ils étaient armés, et de la peine de mort s’ils étaient convaincus d’avoir commis des violences. Dans le cas du présent article, les moteurs et instigateurs de la sédition seront de même condamnés à mort. « Art. 10. Tous chefs, officiers et soldats de la garde nationale, des troupes et des maréchaussées, qui exciteront ou fomenteront des attroupements, émeutes et séditions, seront déclarés rebelles à la nation, au Roi et à la loi, et punis de mort ; et ceux qui refuseront le service à la réquisition des officiers municipaux seront dégradés et punis de trois ans de prison. & Art. 11. Il sera dressé, par les officiers municipaux, procès-verbal, qui contiendra le récit des faits. « Art. 12. Lorsque le calme sera rétabli, les officiers municipaux rendront un décret qui fera cesser la loi martiale , et le drapeau rouge sera retiré et remplacé, pendant huit jours, par un drapeau blanc. » L’Assemblée charge M. le Président de présenter incessamment et dans le jour le présent décret à la sanction royale. On passe ensuite à l’ordre du jour, louchant certains rapports déjà annoncés sur plusieurs affaires urgentes. M. Defermon, membre du comité des rapports , fait part à l’Assemblée des troubles et émeutes qui ont eu lieu dans la ville de Rouen, ainsi que des précautions que la municipalité de cette ville a prises, et qui étaient soumises à l’Assemblée, pour prévenir de semblables troubles. L’Assemblée ayant été aux voix sur le projet de décret proposé par le comité de rapport, décret# ce qui suit : « L’Assemblée nationale, considérant qu’il est important de pourvoir sans délai à la tranquillité de la ville de Rouen, que sa grande population, ses manufactures et son commerce exigent uae prompte réunion de toutes les volontés au maintien de l’ordre et de la paix, et qu’il devient urgent d’assurer aux approvisionnements de la capitale la plus efficace protection à leur passage dans celte ville, a décrété et décrète, que. par provision et seulement jusqu’à ce qu’elle ait organisé par une loi les milices nationales du royaume, l’assemblée municipale et électorale de Rouen fera exécuter le plan d’organisation par elle arrêté le 2 octobre, présent mois, à l’exception de l’article 5, qui demeurera supprimé, à la condition néanmoins que les officiers, élus en conformité de ce plan, ne pourront continuer leurs commandements après l’organisation générale des milices nationales, s’ils ne sont élus de nouveau ; a décrété aussi que le comité des recherches sera tenu de faire sur les événements passés à Rouen toutes les informations propres à parvenir à en connaître les auteurs. » M. Defermon fait le rapport d’une autre affaire concernant les municipalités. La continuation de cette affaire est, d’après le vœu de l’Assemblée, ajournéeà la séance de demain, à deux heures de l’après-midi. L’Assemblée également ajourne à la même séance et à la même heure, l’affaire du mandement de l’évêque de Tréguier. La députation des gens de couleur des colonies de France est aussi ajournée à la séance de de' main, sur les neuf heures et demie du matin. M. le Président lève la séance, et indique celle de demain à l’heure accoutumée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAÜ Séance du jeudi 22 octobre 1789. La séance a commencé par la lecture du procès-verbal du 21 octobre. M. le Président a annoncé qu’il avait présenté à la sanction royale le décret relatif aux attroupements, et que "le Roi lui avait donné hier sa sanction. Il a ajouté qu’il avait demandé la sanction sur le décret relatif à la juridiction souveraine que l’Assemblée venait d’accorder provisoirement au Châtelet pour juger les crimes de lèse-nation, et celui relatif à la municipalité de Rouen, et qu’il irait, ce soir, chercher la réponse sur la demande de la sanction à obtenir sur ces décrets. M. le Président a annoncé qu’un vieillard de cent vingt ans, natif de Mont-Jura, demandait la permission d’être introduit à la barre, pour remercier l’Assemblée de l’adoucissement du sort de ses habitants, qui ont été affrauchis par les décrets de l’Assemblée nationale ; en conséquence l’Assemblée a consenti que ce vieillard fût admis à la séance de demain. Une députation des citoyens, gens de couleur, propriétaires dans les colonies françaises, a été introduite à la barre, et a demandé à jouir de tous les avantages des citoyens. M. de Joly, an nom de la députation, a donné lecture de l’adresse suivante: « Nosseigneurs, les citoyens libres et propriétaires, de couleur, des îles "et colonies françaises, ont l’honneur de vous représenter : « Qu’il existe encore, dans une des contrées de cet empire, une espèce d’hommes avilis et dégradés, une classe de citoyens voués au mépris, à toutes les humiliations de l’esclavage, en un mot, des Français qui gémissent sous le joug de l’oppression . « Tel est le sort des infortunés colons américains, connus dans les îles sous le nom de mulâtres, quarterons, etc. « Nés citoyens et libres, ils vivent étrangers dans leur propre patrie. Exclus de toutes les places, de toutes les dignités, de toutes les professions, on leur interdit jusqu’à l’exercice d’une partie des arts mécaniques ; soumis aux distinctions les plus avilissantes, ils trouvent l’esclavage au sein même de la liberté. € Les Etats généraux ont été convoqués. « Dans toute la France on s’est empressé de seconder les vues bienfaisantes du monarque : les citoyens de toutes les classes ont été appelés au grand œuvre de la régénération publique; tous ont concouru à la formation des cahiers, et à la nomination des députés chargés de défendre leurs droits et de stipuler leurs intérêts. « Le cri de la liberté a retenti dans l’autre hémisphère. 477 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 octobre 1789.] « 11 aurait dû, sans doute, étouffer jusqu’au souvenir de ces distinctions outrageantes entre les citoyens d’une même contrée; il n’a fait qu’en développer de plus odieuses encore. « Pour l’ambitieuse aristocratie, la liberté n’est que le droit de dominer, sans partage, sur les autres hommes. « Les colons blancs ont agi conformément à ce principe, et tel est encore aujourd’hui le mobile constant de leur conduite. « Ils se sont arrogé le droit de s’assembler et d’élire des représentants pour les colonies. « Exclus de ces assemblées, les citoyens de couleur ont été privés de la faculté de s’occuper de leurs intérêts personnels, de délibérer sur les choses qui leur sont communes, et de porter à l’Assemblée nationale leurs vœux, leurs plaintes et leurs réclamations. « Dans cet étrange système, les citoyens de couleur se trouveraient représentés par les députés des colons blancs, quand il est constant, d’un côté, qu’ils n’ont point été appelés à leurs assemblées partielles, et qu’ils n’ont confié aucun pouvoir à ces députés, et que d’un autre côté, l’opposition d’intérêts malheureusement trop évidente rendrait une pareille représentation absurde et contradictoire. « C’est à vous, Nosseigneurs, à peser ces considérations ; c’est à vous à rendre à des citoyens opprimés les droits dont on les a injustement dépouillés; c’est à vous d’achever glorieusement votre ouvrage, en assurant la liberté des citoyens français dans l’un et l’autre hémisphère. « Instruits par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les colons de couleur ont senti ce qu’ils étaient ; ils se sont élevés à la dignité que vous leur aviez assignée; ils ont connu leurs droits, et ils en ont usé. « Ils se sont réunis ; ils ont rédigé un cahier qui contient toutes leurs demandes ; ils y ont consigné des réclamations dont les bases sont établies dans le code que vous avez donné à l’univers ; ils en ont chargé leurs députés; et ils se bornent, en ce moment, à solliciter, dans cette auguste Assemblée, une représentation nécessaire pour être en état d’y faire valoir leurs droits, et surtout d’y défendre leurs intérêts contre les prétentions tyranniques des blancs. « Pour demander cette représentation, les citoyens de couleur ont évidemment les mêmes titres que les blancs. « Gomme eux, ils sont tous citoyens, libres et français; l’édit du mois de mars 1685 leur en accorde tous les droits, il leur en assure tous les privilèges ; il veut « que les affranchis (et à plus forte raison leurs descendants) méritent une liberté acquise ; que cette liberté produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le honneur de la liberté naturelle à tous les Français. » Gomme eux, ils sont propriétaires et cultivateurs ; comme eux, ils contribuent au soulagement de l’Etat, en payant les subsides, en supportant toutes les charges qui leur sont communes avec les blancs ; comme eux, ils ont déjà versé et ils sont prêts à verser leur sang pour la défense de la patrie ; comme eux enfin, et toujours avec moins d’encouragement et de moyens, ils ont multiplié les preuves de leur patriotisme. « Tout récemment encore, malgré l’oppression sous laquelle ils gémissent, malgré les efforts combinés de leurs adversaires, les citoyens de couleur ont eu la générosité de députer auprès des blancs, de leur proposer le pacte qu’ils viennent soumettre à votre justice, et ils ont eu la douleur de se voir repousser avec le mépris dont on les a toujours accablés. « Par un dernier effort, et nous devons le publier, c’est de tous ceux qu’ils ont faits celui qui coûte le moins à leur cœur, parce qu’ils brûlent du désir de travailler pour la cause commune ; les citoyens de couleur ont voté, et ils déposent ici, par nos mains, la soumission solennelle de subvenir aux charges de l’Etat pour le quart de leurs revenus ; ils déclarent avec vérité que ce quart forme un objet de 6 millions. Ils ont encore voté un cautionnement de la cinquantième partie de leurs biens pour l’acquit des dettes de l’Etat ; ils vous supplient d’en agréer l’hommage, et de leur indiquer incessamment les moyens de le réaliser. « Loin de nous cependant toute idée, tout esprit d’intérêt personnel ; les citoyens de couleur n’entendent point faire ces offres pour entraîner votre jugement. « Ils vous supplient, Nosseigneurs, de les oublier, pour ne vous attacher qu’à la rigueur des principes. « Ils ne demandent aucune faveur. « Ils réclament les droits de l’homme et du citoyen; ces droits imprescriptibles, fondés sur la nature et le contrat social ; ces droits que vous avez si solennellement reconnus et si authentiquement consacrés, lorsque vous avez établi pour base de la Constitution : « que tous « les hommes naissent et demeurent libres et « égaux en droits; « Que la loi est l’expression de la volonté gé-« nérale; que tous les citoyens ont le droit de con-« courir personnellement, ou par leurs représen-« tants, à sa formation ; « Que chaque citoyen a le droit, par lui ou ses « représentants, de constater la nécessité de la « contribution publique, et de la consentir libre-« ment. » « Prétendrait-on repousser ces maximes fondamentales, en opposant l’intérêt des blancs et celui des colonies? Serait-ce donc par les calculs d’un intérêt sordide, qu’on voudrait étouffer la voix de la nature ? « N’y reconnaît-on pas le langage de l’ambition et de la cupidité, qui n’estiment la prospérité de l’Etat qu'à raison de leurs jouissances personnelles ? « Mais ce n’est pas encore ici le lieu de se livrer à des discussions sérieuses sur le fond des droits des citoyens de couleur. « Lorsque vous aurez admis leurs réclamations préliminaires, lorsqu’ils seront descendus dans l’arène pour combattre leurs adversaires, ils démontreront facilement que l’intérêt légitime des blancs eux-mêmes se réunit à celui des colonies, pour assurer l’état et la liberté des citoyens de couleur, parce que le bonheur d’un Etat consiste dans la paix et l’harmonie des membres qui le composent, et qu’il ne peut y avoir de véritable paix et de bonne union entre la force qui opprime et la faiblesse qui cède, entre le maître qui commande et l’esclave qui obéit. « Encore une fois, Nosseigneurs, les citoyens de couleur se bornent, dans ce moment, à réclamer un droit de représentation; ils le tiennent également de la nature et de la loi; ils espèrent, avec une entière confiance, recevoir, dans votre déci- 478 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 octobre 1789.] Bion, la confirmation de titres aussi inviolables. Signé : DE Joi.Y, président ; FLEURY, DE Saint-Albert, Régnier, Dusou-chet, de Saint-Rëal, Ogé jeune, Hellot, Raimond, Porzat, secrétaires. » M. le Président a répondu : Aucune partie de la nation ne réclamera vainement ses droits auprès de l’Assemblée de ses représentants : ceux que l’intervalle des mers, ou les préjugés relatifs à la différence d’origine semblent placer plus loin de ses regards, en seront rapprochés par ces sentiments d’humanité qui caractérisent toutes ses délibérations, et qui animent tous ses efforts. Laissez sur le bureau vos pièces et votre requête: il en sera rendu compte à l’Assemblée nationale. La séance est accordée à la députation des gens de couleur . M. le baron de Menou fait ensuite une motion sur le départ de monseigneur le duc d’Orléans. M. le baron de Menou. L’homme Vraiment attaché à l’intérêt général doit dire ce qu’il prévoit et ce qu’il craint. Le salut public est la suprême loi. J’ai demandé la parole avant l’ordre du jour pour remplir ce devoir. M. le duc d’Orléans est venu, il y a plus de huit jours, demander un passe-port pour aller en Angle terre remplir une mission que le Roi lui avait confiée; mais ce prince, chargé de stipuler pour le bailliage deCrépy et pour la France entière, pouvait-il se soustraire ainsi à ses fonctions ? Depuis son départ, on l’a accusé hautement d’avoir participé à des complots ; on a dit qu’il ne s’était éloigné que pour échapper à la surveillance du ministère public. S’il eût été instruit de ces bruits, il se serait présenté, il se serait justifié; un député à l’Assemblée nationale, chargé de faire le bien par la confiance, ne doit pas même être soupçonné. Leduc d’Orléans n’est pas seul inculpé : on accuse une partie de l’Assemblée de partager les projets et les intrigues qu’on lui prête, tandis que ces députés, fiers de la pureté de leur conscience, consacrent tous leurs vœux, tout leur temps à la chose publique Les habitants de Boulogne-sur-Mer ont retenu ce prince; s’il est encore détenu, vous devez ordonner qu’il soit relâché ; mais n’est-il pas aussi de votre équité de le mettre à même de se justifier ? S’il est innocent, sa justification doit être éclatante ; s’il est coupable, il doit être puni. Votre décision à cet égard ne serait point contradictoire avec le passe-port que vous avez accordé. Les bruits injurieux à M, le duc d’Orléans ne se sont répandus qu’après son départ, M. le duc de Liancourt. On ne peut présenter nul motif plausible de rappeler M. le d uc d’Orléans. La notoriété publique et la connaissance particulière qui m’a été donnée par ce prince des motifs de son départ, doivent empêcher toutes dispositions à cet égard. M. le duc d’Orléans partait volontairement, chargé d’une mission importante et touché de la confiance que Sa Majesté lui avait témoignée. Il n’y a nul lieu à délibérer sur la motion du préopinant. M. le comte de La Touche. Je suis aussi compromis dans les pamphlets relatifs au départ de M. le duc d’Orléans, et je demande que le comité des recherches examine sévèrement ma conduite. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu de délibérer quant à présent. On passe à l’ordre du jour, qui a poür objet les conditions pour être éligible aux assemblées municipales. La deuxième qualité proposée par le comité est d’être âgé de vingt-cinq ans accomplis. M. Le Chapelier. Les circonstances présentes, les réformes qui seront faites dans l’éducation publique, peuvent faire espérer que bien avant l’âge de vingt-cinq ans les hommes seront capables de remplir des fonctions publiques, et je pense que la majorité devrait être fixée à vingt et un ans. M.Le Pelletier de Saint-Fargeau.La majorité diffère dans plusieurs provinces ; il faut que le droit d’éligibilité soit uniforme. Une loi ne doit jamais varier par des circonstances accidentelles. On doit donc déterminer l’âge de majorité, et je pense qu’il peut être fixé à vingt-cinq ans. L’Assemblée décrète la seconde qualité d’éligibilité comme il suit : « Etre âgé de vingt-cinq ans. » On passe à la troisième qualité : « Etre domicilié dans le canton, au moins depuis un an. » M. Lanjuinais. Le mol domicilié est trop indéterminé; il y a domicile de droit et domicile de fait ; il faut laisser l’alternative, et rédiger ainsi l’article, à moins d’être domicilié de fait ou de droit, et compris au rôle d’impositions personnelles dans le canton. M. le duc de Mortemart. Il faut laisser la liberté du choix, et mettre simplement : d’avoir un domicile. M. Dubois de France. Il est important de rendre aux habitants des campagnes tous leurs droits, ou bien vous détruirez l’édifice qui vous a coûté tant de peines. Arrêtez donc qu’il faut avoir dans les campagnes un domicile de fait, au moins depuis un an pour y exercer les droits de citoyen actif. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau, J’applaudis à ces réflexions ; mais je crois qu’il est nécessaire de maintenir entre les villes et les campagnes une certaine fraternité. Les campagnes alimentent les villes. ; les villes portent le numéraire dans les campagnes. Je propose en conséquence de rédiger ainsi l’article: « Avoir déposé au registre de la municipalité, depuis un an, sa déclaration, qu’on est domicilié dans le canton, et y habiter au moins pendant quatre mois chaque année. » M. Populus expose à l’appui de la nécessité du domicile, que Rattachement au local et la connaissance du local sont indispensables pour exercer des droits dans le canton. M. Males. J’ajoute que le contraire ne pourrait que favoriser trois espèces d’hommes peu dignes de faveur : les courtisans, les agioteurs et les financiers. M. Biauzat propose de retrancher le mot canton, et d’y substituer un terme générique.