[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1791. J 279 l’Assemblée de la septième livraison des Antiquités nationales. (L’Assemblée agrée cet hommage.) Une députation de citoyens de la ville de Lyon est admise à la barre. V orateur de la députation s’exprime ainsi : « Messieurs, « Depuis 18 mois, les rentiers de la ville de Lyon attendent le payement des arrérages de leurs re'ntes. La ville, après l’échéance de 2 semestres, ne paye qu’une portion du premier quartier de 1790 et annonce aujourd’hui son impossibilité de faire aucun payement. Les événements malheureux qu’elle a éprouvés ont d’abord été la cause de cette suspension : ses créanciers attendaient avec impatience et espéraient que ses fonds rentreraient et la mettraient en état de faire face à ses engagements. « La position de la ville de Lyon vis-à-vis de ses créanciers est tout à fait changée depuis que, par une loi générale les droits d’entrée des villes ont été abolis. La seule ressource de cette ville, pour payer ses rentes, consistait dans ses octrois; cet objet de revenu étant supprimé, le gage est éteint. « Nous venons vous demander que les dettes de la ville de Lyon soient mises au rang des dettes nationales que les augustes représentants de la nation ont si justement mises sous la sauvegarde de la loyauté française. « Un autre besoin non moins pressant se fait sentir en entier et nous porte à demander que l’Assemblée nationale nous accorde un secours provisoire pour remplir les arrérages de rentes qui sont dus. « Nous vous prions de renvoyer notre pétition aux comités des finances et des impositions pour en faire le rapport avant le 1er juillet. » M. le Président répond : Assurer le payement de toutes les créances sur l’Etat, ne ranger au nombre de ces créances que celles qui doivent y tenir place, voilà le double devoir des représentants de la nation; ils le rempliront dans toute son étendue. L’Assemblée nationale se fera rendre compte de votre pétition : elle vous permet d’assister à sa séance. (L’Assemblée ordonne le renvoi de la pétition des citoyens de la ville de Lyon aux comités des finances et des contributions publiques.) Une troupe très nombreuse de jeunes citoyens de la paroisse métropolitaine de Paris, ayant fait, depuis quelques jours leur première communion , sont reçus à la barre : ils ont à leur tête M. Baudin, vicaire de M. l’évêque de Paris, chargé de leur instruction, et ils sont accompagnés par un détachement de vétérans, et par le corps des élèves de l’Espérance de la patrie, connu sous le nom du Bataillon de Henri IV. Un des enfants s’exprime ainsi : « Messieurs, <> A peine sortis des mains de la religion, nous sommes accourus au milieu de vous pour vous faire hommage du patriotisme religieux dont nos âmes sont pénétrées. Combien cette étonnante Révolution doit exciter notre reconnaissance, nous qui étions près de sortir de cet âge heureux où l’on ne connaît encore ni distinctions, ni honneurs, ni fortune; nous qui, jetés dans le monde, allions être condamnés à l'infamie de l’esclavage, et qui ne pouvions nous élever qu’à force de bassesse I Vous les avez confondus, ces hommes orgueilleux et pervers, dont l’ambition étudiait tous les moyens d’avilir le plus parfait ouvrage de la divinité. Nous sommes libres; nous pourrons être vertueux. Grâces vous en soient rendues, pères de la patrie, créateurs de notre liberté! Nous les conserverons, ces droits imprescriptibles de l’homme, que vous nous avez recouvrés avec tant de courage. Si vous avez eu la gloire de rendre libre la France entière, c’est à la génération naissante, c’est à nous de porter cette conquête jusqu’aux extrémités des deux mondes ; c’est la seule qui soit maintenant digne de vous. ‘ Dieu! liberté! voilà notre devise; bientôt elle sera celle de toutes les nations. « Jusqu’à ce jour, nous n’avons été que les enfants de la religion : si vous daignez nous adopter, nous allons être les enfants de la patrie ; nous serons des hommes, nous serons des citoyens; et certes, la patrie peut compter sur notre courage. « Jurons donc à la face du ciel et de la terre, par notre religion sainte, qui nous prêche l’humanité, l’égalité, la tolérance, entre les mains de nos sages et immortels législateurs, par ces intrépides vétérans, ces mentors qui nous montreront le chemin de la victoire, en présence des élèves de l 'Espérance de la patrie , qui nous ont devancés dans la carrière du patriotisme; jurons d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et sanctionnée par le roi. » Tous les enfants admis à la barre lèvent la main et disent : Nous le jurons! ( Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes; rires à droite.) M. le Président répond : Il est donc arrivé le jour où l’on compte parmi les premiers devoirs celui de former de bons citoyens, ce jour où l’on donne pour première leçon celle d’obéir à l’autorité légitime! Détracteurs de la religion, soyez témoins de son ouvrage ; et vous qui cachez la passion qui vous dévore sous l’apparence trompeuse d’une fausse piété; qui, cherchant à égarer le zèle religieux pour le tourner à la défense d’intérêts purement temporels, voudriez faire d’un Dieu de paix un Dieu de discorde et de carnage; apprenez enfin à le connaître, ce Dieu que vos sentiments et votre conduite ne pourraient qu’offenser. Jeunes citoyens, n’oubliez jamais ce que vous venez de prononcer aujourd’hui : humanité, égalité, tolérance, soumission aux puissances légitimes : voilà le véritable esprit de la religion. Quel espoir peut rester désormais aux ennemis de la Révolution, lorsque la génération qui va nous suivre suce, pour ainsi dire, avec le lait, l’amour de la Constitution, de la religion et de la vertu; lorsque le feu du patriotisme embrasse également tous les âges, qu’il n’existe plus d’enfance quand il s’agit de la patrie, et que les glaces de la vieillesse se fondent et s’animent pour la défense de l’empire? Vous méritez de partager la gloire des fondateurs de la liberté, puisque vous êtes prêts à répandre votre sang pour elle. L’Assemblée na- 280 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [16 juin 1791.] tionale vous accorde l'honneur de la séance. ( Vifs applaudissements à gauche , dans les tribunes et parmi les enfants.) A gauche : L’impression du discours et de la réponse ! M. de Folleville. Je demande la parole. M. le Président. Vous l’aurez tout à l’heure. (4 autres troupes d’enfants sont introduites successivement à la barre; tous ces enfants lèvent la main et crient : Vive la loi 1 au milieu des applaudissements du côté gauche et des tribunes, et des rires de la droite. Ils sont tous admis dans l’intérieur de la salle ; ils la traversent en ordre militaire et vont se placer dans l’extrémité gauche.) M. de Folleville. Personne n’ignore que la cérémonie enfantine dont nous venons d’être les témoins ( Violentes protestations à gauche. — A l’ordre! à l'ordre!}... a déjà eu lieu devant une Assemblée célèbre et que je respecte infiniment : j’en ai lu le détail et j’ai lu également le discours que le président de cette assemblée a prononcé en réponse à celui de la députation. Gomme cette première cérémonie n’était que la répétition de la pièce que nous venons de voir et que tout, dans la pièce principale, doit être semblable à lu répétition, je demande qu’au lieu d’imprimer la réponse du Président de l’Assemblée nationale, on imprime celle du président du club des Jacobins. ( Rires à droite; violentes protestations à gauche .) Une voix à gauche : Allons donc ! ohl que c’est plat. M. Chabroud. Monsieur le Président, je demande la parole. M. l'abbé Maury. Je m’oppose à la proposition de M. de Folleville; il a eu grand tort de se servir d’une expression que je condamne. Ce n’est point une cérémonie enfantine dont nous venons d’être les témoins, c’est une cérémonie puérile. ( Nouveaux rires à droite ; murmures à gauche.) A gauche : Vous n’avez pas la parole. M. le Président. Silence, Monsieur 1 vous aurez la parole le troisième; elle est à M. Gha-broud. M. Chabroud. Je ne sais si les amis de la liberté ont été frappés, comme moi, du ton d’insolence qui, depuis plusieurs jours, se fait sentir dans cette partie de l’Assemblée (il désigne la droite). ( Vifs applaudissements à gauche ; violentes protestations à droite.) M. de Ycrtliamon (montrant M. Chabroud). Rappelez ce J. ..-F ..... -là à l’ordre, Monsieur le Président. Tout le côté gauche se soulève avec vivacité et crie : A l’abbaye ! Un grand nombre de membres du côté droit et du côté gauche quittent leurs places, se répandent en tumulte dans la salle et s’interpellent violemment. M. Lucas. Monsieur le Président, je vous atteste qu’on a dit à droite: Rappelez ce J. ..-F ..... - là à l’ordre. (Le bruit redouble à droite.) A gauche : A l’abbaye ! — Taisez-vous, factieux! M. Lucas. A la garde! Monsieur le Président. A gauche : Il faut appeler la garde I A la garde ! à la garde ! M. Dauchy, président, remplace M. Treilhard au fauteuil. A gauche : Monsieur le Président, couvrez-vous. M. Cigongne. On cherche à commencer la guerre civile dans l’Assemblée nationale. M. Youlland. Monsieur le Président, couvrez-vous ; la chose publique est en danger. M. Lucas. Que tous les bons citoyens se remettent à leur place. Les membres du côté gauche reprennent leur place. Le côté droit reste encore un moment en tumulte. M. Foucault-Lardlmalie. Je m’en vais faire le plus grand silence ; mais je demande à M. Chabroud qu’il s’explique, ou je déclare que je prends pour moi l’insulte (Murmures.)... qu’il a faite à ceux qui n’ont pas la même opinion que lui. (Murmures prolongés.) M. Alquier et plusieurs membres de la gauche demandent la parole. M. l’abbé Maury se présente devant le bureau et insiste vivement pour avoir la parole. A gauche : En place, Monsieur l’abbé Maury. M. Gombert. Je demande que personne n’ait la parole avant que tout le monde se soit mis en place. (Le calme se rétablit peu à peu.) M. le Président. Je rappelle à l’Assemblée le silence profond que les amis de la liberté observèrent, il y a deux ans, à pareil jour et à quelques heures près... M. Babey. Ce sont ces messieurs-là qui le rompent sans cesse. M. Foucault-Lardimalle. Les amis de la liberté n’avaient sans doute pas i’insoleuce de M. Chabroud. M. Malouet debout. Je demande justice de l’insulte de M. Chabroud. A gauche : Assis, Monsieur Malouet 1 Assis, factieux 1 Assis! M. Malouet. Je m’assoirai si M. le Président me l’ordonne; mais sur l’ordre d’un membre de l’Assemblée, non ! Avant de m’asseoir, je demande justice de l’insulte de M. Chabroud.