[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ["2 septembre 1789.] 543 Le même secrétaires fait lecture d’une lettre adressée à l'Assemblée parle sieur Miger, graveur, et destinée à accompagner l’envoi qu’il lui fait du portrait gravé de M. Bailly. L’Assemblée a ordonné que l’ouvrage du sieur Rougan, et le portrait de M. Bailly, offerts par le sieur Miger, seraient déposés dans ses archives. Le comité des linances a rapporté la liste des douze de ses membres qu’il a choisis hier au scrutin pour le comité particulier de correspondance avec le ministre des linances. Cette liste a été à l’instant proclamée ainsi qu’il suit : MM. MM. D’Ailly. Le Couteulx de Canteleu. Ile Boisgelin, évêque d’Aix. L’abbé de Villaret. Lebrun. Le marquis de Montesquiou. Naurissart. Anson. Le comte de La Blache. Le duc d’ Aiguillon. Dulau, archevêque d’Arles. Mathieu de Rondeville. M. le Président fait donner lecture d’un arrêté de la commune de Paris destiné à rassurer l’Assemblée sur les troubles qui ont eu lieu dans la capitale, le 30 août. La discussion est ensuite reprise sur la question de la sanction royale. M. le comte d’Antraigues (1), Messieurs, avant de fixer quelle doit être l’influence du pouvoir exécutif dans la législation, il m’a paru nécessaire de définir ce que je crois qu’on doit entendre par le mot de sanction royale. La sanction royale, telle que je la conçois, est le pouvoir accordé au Roi par la nation, d’intervenir comme partie essentielle et intégrante dans l’exercice du pouvoir législatif, de telle manière que son consentement aux actes du pouvoir législatif convertisse ces actes en lois, et que son opposition rende ces actes de nulle valeur. Telle est, suivant moi, l’acception qu’on doit donner à la sanction royale. Ce principe exposé, je me con forme à l’ordre dû jour, et je cherche 'si cette sanction royale peut être ravie au pouvoir exécutif, ou si la liberté du peuple, son intérêt, exigent qu’elle lui soit conservée. 11 est un principe essentiel qui doit servir de guide dans toutes les discussions de ce genre. Ce principe existait avant vos décrets; mais vos décrets ont rendu un hommage solennel à ce principe. Toute autorité réside dans le peuple ; toute autorité vient du peuple; tout pouvoir légitime émane du peuple : voilà le principe. Il dépend du peuple de faire la distribution des différents pouvoirs qui constituent et maintiennent la société, ainsi qu’il le juge utile à ses intérêts; mais celte répartition des pouvoirs opérée, il ne dépend d’aucun de ces pouvoirs d’eu-vahir les droits d’un autre pouvoir, de se les attribuer; et à l’instant qu’un des pouvoirs émanés du peuple envahit, sans son aveu, l’autorité d’un autre genre de pouvoir, il n’existe plus, au milieu de la nation, de pouvoir légitime; il n’existe plus d’obligation d’obéir aux actes d’un pouvoir que son infraction aux volontés du peuple a rendu tyrannique. C’est donc du peuple qu’émanent tous les pouvoirs légitimes, ceux aux actes desquels l’obéissance est due. (1) Le Moniteur reproduit incomplètement les deux premiers alinéas du discours de M. Je comte d’Antrai-gues. La manière dont le peuple distribue tous les pouvoirs constitue les diverses sortes de gouvernement. Si l’étendue de la société permet au peuple de retenir et d’exercer tous les genres de pouvoirs, s’il fait ses lois, s’il les fait exécuter, s’il juge ceux qui les enfreignent, alors le peuple a constitué le gouvernement démocratique. Et sans entrer dans la manière dont il peut établir toutes les Constitutions, je me borne à dire que, lorsque l’étendue de l’empire et son immense population nécessitent que le peuple donne au pouvoir exécutif toute l’énergie dont il peut être susceptible, alors sa volonté élève des trônes; alors sa volonté confie à celui qu’il plaît au peuple d’v faire asseoir la plénitude du pouvoir exécutif, sans partage et sans autre limite que celle dont la loi elle-même doit l’environner. Mais au moment où le peuple n’exerce plus par lui-même immédiatement tous les genres de pouvoirs, il est obligé de répartir et de distribuer séparément tous les genres de pouvoirs. Leur réunion dans le peuple constitue la démocratie. Leur réunion partout ailleurs constitue la tyrannie. Aussi il remet le pouvoir exécutif à un roi. Mais dans quelque Etat que les hommes vivent, il est un droit dont ils ne peuvent se dépouiller, celui de faire des lois; la loi n’étant que l’expression de la volonté de tous, on ne peut s’assurer qu’un homme ou qu’une réunion d’hommes voudra toujours ce que tous auraient voulu. De cette nécessité de réserver au peuple le pouvoir législatif, et de l’impossibilité d’exercer ce pouvoir, parla réunion d’un peuple immense, est née la représentation du peuple, et ce droit inaliénable qu’il a conservé, d’élire ceux qui doivent le représenter, de les guider, de les instruire, de les juger, de les mettre à même enfin d’étre les organes de la volonté publique, et dans l’impossibilité de jamais dominer cette volonté. Au moment où un pouvoir que nous ne pouvons exercer par nous-mêmes nous échappe, à l’instant où nous sommes forcés de le confier, une salutaire défiance se place à côté de la confiance, et la surveillance du peuple se partage entre les divers genres de pouvoirs émanés de lui. IL n’oublie jamais cette terrible vérité : Que la liberté de tout peuple qui n’exerce pas par lui-même tous les pouvoirs n’existe que par la séparation des pouvoirs. Le souvenir de cette vérité l’oblige à se rappeler qu’il est de la nature des pouvoirs d’aimer à s’accroître, comme il est de la nature de l’homme d’aimer la puissance. Dans les Etats monarchiques, il sait qu’il a deux risques à courir. Réunion des pouvoirs dans le Corps législatif, qui constitue la tyrannie de plusieurs. Réunion des pouvoirs dans le pouvoir exécutif, qui constitue la tyrannie d’un seul. Pour conserver sa liberté entre ces deux écueils, il voulut les armer l’un contre l’autre d’une égale surveillance, et faire tourner au profit de tous ce même sentiment de jalousie et de pouvoir qui semblait les rendre rivaux. C'est du résultat de ces sages, idées qu’est née la sanction royale; c’est en elle que le peuple trouve le rempart de la liberté publique et l’assurance que nous, qui sommes ses représentants nous ne deviendrons jamais ses maîtres. Si le peuple réuni faisait la loi, nul doute que