213 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1789.] nous bénissons le ciel du 'don qu'il nous a fait dans son amour. Sire, la religion de Votre Majesté ne peut être surprise que sous le prétexte du bien public. Si ceux qui ont donné ces conseils à notre Roi, avaient assez de confiance dans leurs principes pour les exposer devant nous, ce moment amènerait le plus beau triomphe de la vérité. L’Etat n’a rien à redouter que des mauvais principes qui osent assiéger le trône même, et ne respectent pas la conscience du plus pur, du plus vertueux des princes. Et comment s’y prend-on, Sire, pour vous faire douter de l’attachement et de l’amour de vos sujets ? Avez-vous prodigué leur sang? Etes-vous cruel, implacable? Avez-vous abusé de la justice? Le peuple vous impute-t-il ses malheurs? vous nomme-t-il dans ses calamités? Ont-ils pu vous dire que le peuple est impatient de votre joug, qu’il est las du sceptre des Bourbons? Non, non, ils ne l’ont pas fait : la calomnie du moins n’est pas absurde; elle cherche un peu de vraisemblance pour colorer ses noirceurs. Votre Majesté a vu récemment tout ce qu’elle peut pour son peuple , la subordination s’est rétablie dans la capitale agitée ; les prisonniers mis en liberté par la multitude, d’eux-mêmes ont repris leurs fers; et l’ordre public, qui peut-être aurait coûté des torrents de sang si l’on eût employé la force, un seul mot de votre bouche l'a rétabli. Mais ce mot était un mot de paix, il était l’expression de votre cœur, et vos sujets se font gloire de n’y résister jamais. Qu’il est beau d’exercer cet empire ! C’est celui de Louis IX, de Louis XII, d’Henri IV. C’est le seul qui soit digne de vous. Nous vous tromperions, Sire, si nous n’ajoutions pas, forcés par les circonstances : cet empire est le seul qu’il soit aujourd’hui possible en France d’exercer. La France ne souffrira pas qu’on abuse le meilleur des Rois et qu’on l’écarte, par des vues sinistres, du noble plan qu’il a lui-mème tracé. Vous nous avez appelés pour fixer, de concert avec vous, la constitution, pour opérer la régénération du royaume : l’Assemblée nationale vient vous déclarer solennellement que vos vœux seront accomplis, que vos promesses ne seront point vaines, que les pièges, les difficultés, les terreurs ne retarderont point sa marche, n’intimiderons point sou courage. Où donc est le danger des troupes, affecteront de dire nos ennemis?... Que veulent leurs plaintes, puisqu’ils sont inaccessibles au découragement? Le danger, Sire, est pressant, est universel, est au delà de tous les calculs de la prudence humaine. Le danger est pour le peuple des provinces. Une fois alarmé sur notre liberté, nous ne connaissons plus de frein qui puisse le retenir. La distance seule grossit tout, exagère tout, double les inquiétudes, les aigrit, les envenime. Le danger est pour la capitale. De quel œil le peuple, au sein de l’indigence et tourmenté des angoisses les plus cruelles, se verra-t-il disputer les restes de sa subsistance par une foule de soldats menaçants? La présence des troupes échauffera, ameutera, produira une fermentation universelle ; et le premier acte de violence, exercé sous prétexte de police, peut commencer une suite horrible de malheurs. Le danger est pour les troupes. Des soldats français, approchés du centre des discussions, participant aux passions comme aux intérêts du peuple, peuvent oublier qu’un engagement les a faits soldats, pour se souvenir que la nature les fit hommes. Le danger, Sire, menace les travaux qui sont notre premier devoir, et qui n’auront un plein succès, une véritable permanence, qu’autant que les peuples les regarderont comme entièrement libres. II est d’ailleurs une contagion dans les mouvements passionnés. Nous ne sommes que des hommes : la défiance de nous-mêmes, la crainte de paraître faibles, peuvent entraîner au delà du but ; nous serons obsédés d'ailleurs de conseils violents et démesurés ; et la raison calme, la tranquille sagesse, ne rendent pas leurs oracles au milieu du tumulte, des désordres et des scènes factieuses. Le danger, Sire, est plus terrible encore; et jugez de son étendue par les alarmes qui nous amènent devant vous. De grandes révolutions ont eu des causes bien moins éclatantes ; plus d’une entreprise fatale aux nations s’est annoncée d’une manière moins sinistre et moins formidable. Ne croyez pas ceux qui vous parlent légèrement de la nation, et qui ne savent que vous la représenter, selon leurs vues, tantôt insolente, rebelle, séditieuse, tantôt soumise, docile au joug, prompte à courber la tête pour le recevoir. Ges deux tableaux sont également infidèles. Toujours prêts à vous obéir, Sire, parce que vous commandez au nom des lois, notre fidélité est sans bornes, comme sans atteintes. Prêts à résister à tous les commandements arbitraires de ceux qui abusent de votre nom, parce qu’ils sont ennemis des lois ; notre fidélité même nous ordonne cette résistance, et nous nous honorerons toujours de mériter les reproches que notre fermeté nous attire. Sire, nous vous en conjurons au nom de la patrie, au nom de votre bonheur et de votre gloire ; renvoyez vos soldats aux postes d’où vos conseillers les ont tirés ; renvoyez cette artillerie destinée à couvrir vos frontières ; renvoyez, surtout, les troupes étrangères, ces alliés de la nation, que nous payons pour défendre et non pour troubler nos foyers : Votre Majesté n’en a pas besoin. Eh ! pourquoi un Roi, adoré de 25 millions de Français, ferait-il accourir à grands frais autour du trône quelques milliers d’étrangers? Sire, aux milieu de vos enfants; soyez gardé par leur amour : les députés de la nation sont appelés à consacrer avec vous les droits éminents de la royauté sur la base immuable de la liberté du peuple. Mais, lorsqu’ils remplissent leur devoir, lorsqu’ils cèdent à leur raison, à leurs sentiments, les exposeriez-vous au soupçon de n’avoir cédé qu’à la crainte ? Ah ! l’autorité que tous les cœurs vous défèrent est la seule pure, la seule inébranlable ; elle est le juste retour de vos bienfaits, et l’immortel apanage des princes dont vous serez le modèle. On demande que l’adresse soit incessament présentée au Roi par une députation de vingt-quatre membres. En conséquence, M.le président nomme pour composer la députation : pour le clergé, MM. l’archevêque de Vienne, l’évêque de Chartres, les abbés Joubert, Chatizel, Grégoire et Yvernault; pour la noblesse, MM. le duc de la Rochefoucauld, le marquis de Crécy, le vicomte deToulon-geon, le marquis de Blacons, le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre; pour les communes, MM. le comte de Mirabeau, Corroler, Régnault de Saint-Jean d’Angély, Robespierre, Marquis, Barrière de 214 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1789.1 Vieuzac, de Sèze, Delaunay, Pétion de Villeneuve, Buzot, de Kervélégan et Tronchet. M. Mounler fait le rapport du comité chargé de préparer le travail de la constitution. En voici le texte (1). Messieurs, vous avez établi un comité pour vous présenter un ordre de travail sur la constitution du royaume. Il va mettre sous vos yeux celui qu’il a jugé convenable, et vous examinerez dans votre sagesse s’il peut répondre aux vues qui vous animent. Pour former un plan de travail sur un objet quelconque, il est nécessaire de l’examiner sous ses principaux rapports, afin de pouvoir classer les différentes parties. Gomment établir leur liaison successive, si l’on n’a pas saisi l’ensemble? Il a fallu nous faire une idée précise du sens du mot Constitution ; et une fois ce sens bien déterminé, il a fallu considérer la constitution telle qu’elle a été entrevue par nos commettants. Nous avons pensé qu’une constitution n’est autre chose qu’un ordre fixe et établi dans la manière de gouverner; que cet ordre ne peut exister, s’il n’est appuyé sur des règles fondamentales, créées par le consentement libre et formel d’une nation ou de ceux qu’elle a choisis pour la représenter. Ainsi une constitution est une forme précise et constante de gouvernement, ou, si l'on veut, c’est l’expression des droits et des obligations des différents pouvoirs qui le composent. Quand la manière de gouverner ne dérive pas de la volonté du peuple clairement exprimée, il n’a point de constitution; il n’a qu’un gouvernement de fait qui varie suivant les circonstances, qui cède à tous les événements. Alors l’autorité a plus de puissance pour opprimer les hommes que pour garantir leurs droits. Ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés sont également malheureux. Sans doute nous ne pouvons pas dire qu’en France nous soyons entièrement dépourvus de toutes les lois fondamentales propres à former une constitution. Depuis quatorze siècles nous avons un Roi. Le sceptre n’a pas été créé par la force, mais par la volonté de la nation. Dès les premiers temps de la monarchie, elle fit choix d’une famille pour la destiner au trône. Les hommes libres élevaient le prince sur un bouclier, et faisaient retentir l’air de leurs cris et du bruit de leurs armes qu’ils frappaient en signe de joie. Des révolutions aussi fréquentes qu’elles devaient l’être chez un peuple qui n’avait pas assez clairement tracé les limites et qui n’avait jamais divisé les différents genres de pouvoirs, ont ébranlé le trône et changé les dynasties. Elles ont successivement favorisé l’accroissement ou la diminution de l’autorité royale, mais les Français ont toujours senti qu’ils avaient besoin d’un Roi. La puissance du prince a été longtemps enchaînée par l’aristocratie féodale, mais elle n’a jamais été oubliée par le peuple. On n’a jamais cessé de l’invoquer contre l’injustice, et, dans les temps même de la plus grossière ignorance, dans toutes les parties de l’Empire, la faiblesse opprimée a toujours tourné ses regards vers le trône comme vers le protecteur chargé de la défendre. Les funestes conséquences du partage de la puissance royale entre les princes de la même fl) Le rapport de M. Mounier est incomplet au .Vo-niteur : nous reproduisons la version insérée au procès-verbal. maison, ont su établir l’indivisibilité du trône, et la succession par ordre de primogéniture. Pour ne pas exposer le royaume à la domination des étrangers, pour réserver le sceptre à un Français et former des rois citoyens, les femmes sont exclues de la couronne. Ces maximes sacrées ont toujours été solennellement reconnues dans toutes les Assemblées des représentants de la nation, et nous avons été envoyés par nos commettants pour leur donner une nouvelle force. C’est encore un principe certain, que les Français ne peuvent être taxés sans leur consentement; et dans le long oubli des droits du peuple, toutes les fois que l’autorité s’est expliquée sur cet important objet, elle a cependant déclare que les subsides doivent être un octroi libre et volontaire. Mais, malgré ces précieuses maximes, nous n’avons pas une forme déterminée et complète de gouvernement. Nous n’avons pas une constitution, puisque tous les pouvoirs sont confondus, puisqu’aucune limite n’est tracée. On n’a pas même séparé le pouvoir judiciaire du pouvoir législatif. L’autorité est éparse; ses diverses parties sont toujours en contradiction ; et dans leur choc perpétuel, les droits des citoyens obscurs sont trahis. Les lois sont ouvertement méprisées, ou plutôt on ne s’est pas même accordé sur ce qu’on devait appeler des lois. L’établissement de l’autorité royale ne suffit pas sans doute pour créer une constitution : si cette autorité n’a point de bornes, elle est nécessairement arbitraire, et rien n’est plus directement opposé à une constitution que le pouvoir despotique: mais il faut avouer qu’en France Je défaut de constitution n’a pas été jusqu’à ce jour favorable à la couronne. Souvent des ministres audacieux ont abusé de son autorité. Elle n’a jamais joui que par intervalle de toute la puissance qui doit lui appartenir pour le bonheur de la nation. Combien de fois les projets conçus pour rendre les Français heureux ont éprouvé des obstacles qui ont "compromis la majesté du trône! N’a-t-il pas fallu combattre sans relâche, et presque toujours avec désavantage, contre les prétentions des corps, et une multitude de privilèges. Le pouvoir, en France, n’a point eu jusqu’à ce jour de base solide, et sa mobilité a souvent permis à l’ambition de se l’approprier pour le faire servir au succès de ses vues. Une constitution qui déterminerait précisément les droits du monarque et ceux de la nation, serait donc aussi utile au Roi qu’à nos concitoyens. Il veut que ses sujets soient heureux; il jouira de leur bonheur; et quand il agira au nom des lois qu’il aura concertées avec les représentants de son peuple, aucun corps, aucun particulier, quels que soient son rang et sa fortune, n’aura la témérité de s’opposer à son pouvoir. Son sort sera mille fois plus glorieux et plus fortuné que celui du despote le plus absolu. La puissance arbitraire fait le malheur de ceux qui l’exercent. Les agents auxquels on est forcé de la confier, s'efforcent constamment de l’usurper pour leur propre avantage. Il faut sans cesse la céder ou la conquérir. Et, comme l’a dit un de nos premiers orateurs, dans quel temps de notre monarchie voudrait-on choisir les exemples de notre prétendue constitution? Proposera-t-on pour modèles les champs de mars et les champs de mai sous la première et la seconde race, où tous les hommes libres se rendaient en armes, et délibéraient sur les