250 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE heures jusqu’à deux heures dans la nuit? Il prétendit avoir été à son bureau, aux messageries. Un ouvrier, qui n’avait pu se faire entendre, écrivit au président qu’il demandât au citoyen Riqueur qu’il justifiât sa présence au bureau, et des ordres qu’il avait pour y rester. Tout Paris était agité, et à cette heure les bureaux des messageries sont fermés. La lettre du citoyen sans-culotte ne fut pas lue. Hier il s’est plaint de ce qu’elle fut mise de côté. Le tumulte a été horrible. Il semblait qu’en invitant Riqueur à se justifier et à paraître pur aux yeux de ses concitoyens on avait touché l’arche sainte. Un jeune homme a monté à la tribune et a pris la défense du citoyen ouvrier, dont j’ignore le nom, et a tâché de le rassurer contre les moyens qu’on prenait pour l’intimider. Croirait-on que l’intrigant nommé Paris, a quitté sa place pour aller prendre des informations sur le nom et la demeure du membre qui occupait la tribune! Celui-ci s’est plaint amèrement de cette démarche, qui annonce la formation d’une liste de proscription. Les différentes discussions ont entraîné jusqu’à dix heures et demie, contre la loi. Déjà la salle était presque vide, et les quinze intrigants qui n’avaient pas voulu donner le temps à la section de lire le rapport de Robert Lindet s’apprêtaient à faire lire l’adresse des Jacobins. Ils comptaient, suivant leur coutume, avoir forcé tous les honnêtes citoyens à quitter la séance pour se retirer dans leurs maisons, parce qu’il était tard, et être, par cette manoeuvre, restés maîtres de l’assemblée. Mais un citoyen courageux a sommé le président de lever la séance, ce qu’il n’a fait qu’à la seconde interpellation. C’est alors que toute la rage des intrigants a éclaté : ils se sont exaltés en menaces les plus violentes. Ils avaient, disaient-ils, pris des notes sur ceux qui avaient parlé; ils les extermineraient; c’était la Vendée qui était dans la section. Et pourquoi tout ce bruit? Parce que Riqueur est soupçonné d’avoir été le 9 thermidor ailleurs qu’à son poste. Il est essentiel que les citoyens soient rassurés contre de pareilles menaces. Je sortais avec deux citoyens; je leur ai demandé leurs adresses ; l’un, le citoyen Senies ou Senesier, officier de santé, demeure rue Montmartre n°102 ; l’autre a refusé de me donner la sienne, disant qu’il avait des liens qui l’empêchaient de se hasarder, dans la crainte où les égorgeurs auraient le dessus. Cependant j’aurai son adresse, car je l’ai bien examiné; j’espère trouver des gens qui me diront son nom ; il en est de même de celui qui a vomi les injures et les menaces les plus grossières. Il est facile de voir que l’on cherche à remettre la terreur à l’ordre du jour. Il faut que la Convention se hâte de tranquilliser les habitants de Paris, si elle veut être secondée dans le désir qu’elle a de faire le bien (81). [Merlin (de Thionville) nomme les signa-(81) Moniteur, XXII, 137. Débats, n' 742, 197-198. taires de la déclaration. Je les nomme, dit-il, parce que je crois la Convention nationale bien déterminée à faire cesser le règne des intrigans et à faire respecter le peuple dans ses assemblées de section. {Oui, oui ; on applaudit )] (82) 45 Un membre [LAPORTE], appelle l’attention de la Convention sur les dangers qui lui semblent menacer la patrie; il existe, dit-il, dans Paris, comme dans toutes les grandes communes de la République, une caste d’hommes privilégiés qui se prétendent les patriotes exclusifs, et traitent d’aristocrates tous ceux qui n’ont pas obtenu d’eux des certificats de civisme dans leurs orgies; il indique comme coupables de cet attentat, un grand nombre de membres des anciens comités révolutionnaires ; il déclare que le foyer de la cohorte désorganisatrice est à Paris; il demande qu'il soit décrété que tous les fonctionnaires publics de Paris seront tenus d'apporter au comité de Sûreté générale les pièces qui prouvent où ils étoient le 9 thermidor, et ce qu’ils ont fait à cette époque (83). LAPORTE : La Convention ne peut pas se tromper sur les circonstances précédentes; si elle s’endort au bord du précipice, elle compromet le salut de la république. Il existe dans Paris comme dans toutes les grandes villes, une caste d’hommes privilégiés qui se prétendent les patriotes exclusifs, et traitent d’aristocrates tous ceux qui n’ont pas obtenu d’eux des certificats de civisme dans leurs orgies {applaudissements). Quand la répubbque fut en danger et qu’il fallut mettre à l’ordre du jour les mesures révolutionnaires pour anéantir des castes qui méditaient la ruine de la France, on a arrêté ceux qui étaient signalés comme mauvais citoyens; eh bien, je vous dénonce aujourd’hui une caste qui veut ramener la tyrannie par les assassinats : je vous montre les auteurs et les complices de cette clique infernale dans un grand nombre de membres des anciens comités révolutionnaires. C’est là ou l’influence de Robespierre s’est fait sentir d’une manière déshonorante pour la révolution : c’est contre cette armée de Vendéens, de chouans nouveaux, que je solbcite une mesure révolutionnaire, que je regarde comme indispensable si vous voulez sauver la patrie. Le foyer de la cohorte désorganisatrice, dont je vous ai parlé, était à Paris. Je vous propose une mesure salutaire, qui épargnera aux bons citoyens d’être compromis avec les scélérats qui étaient revêtus des même fonctions qu’eux. Il est temps de rétablir la ligne de démarcation entre les bons et les mauvais fonctionnaires pu-(82) Débats, n° 742, 198. (83) P.-V., XLVI, 248-249. SÉANCE DU 12 VENDÉMIAIRE AN III (3 OCTOBRE 1794) - N° 45 251 blics ; il est temps que les premiers soient rappelés dans les places, et que les autres portent seuls toute la défaveur qu’ils ont méritée. Il faut que les complices de Robespierre ne conservent pas l’espoir de renverser la république pour se sauver ; il faut que le peuple sache que la Convention veut frapper ses ennemis. Je demande qu’il soit décrété que tous les fonctionnaires publics de Paris seront tenus d’apporter au comité de Sûreté générale les pièces qui prouvent où ils étaient le 9 thermidor, et ce qu’ils ont fait à cette époque. FRÉRON : J’ai la certitude qu’un grand nombre des comités révolutionnaires ont envoyé des commissaires à la commune rebelle, le 9 thermidor, et ont pris des arrêtés liberticides. Je demande que les comités révolutionnaires soient tenus d’apporter leurs registres : on y verra plusieurs arrêtés de ce genre qui ont été biffés (84). Un autre membre demande que cette proposition soit envoyée au comité de Sûreté générale, qui présentera un moyen de connoître tous les fonctionnaires qui ne sont plus dignes de la confiance publique, de les faire arrêter et de purger les autorités constituées de tous les complices de Robespierre. Un autre membre observe que ces propositions sont inutiles, attendu que les nouveaux comités révolutionnaires remplissent bien leur devoir; il annonce que l’ancien comité de la section du Bonnet-Rouge a été incarcéré en entier, et envoyé au Tribunal révolutionnaire, comme voleur et faussaire (85). BENTABOLE : Laporte vous a proposé une mesure de salut public qui me paraît de la plus grande utilité; mais telle qu’elle est rédigée, elle n’atteindrait pas son but. Il y a des fonctionnaires publics qui étaient complices de Robespierre, qui sont restés aux Jacobins pour y conspirer une partie de la nuit, et qui en sortant, et voyant que tout était perdu pour eux, ont changé de langage. Je demande que la proposition de Laporte soit renvoyée au comité de Sûreté générale, qui présentera un moyen de connaître tous ces fonctionnaires qui ne sont plus dignes de la confiance publique, de les faire arrêter, et de purger les autorités constituées de tous les complices de Robespierre BOURDON (de l’Oise) : La proposition de Laporte est inutile. Je vais le prouver : les anciens comités révolutionnaires ont commis deux sortes de crimes : le brigandage et les assassinats judiciaires. Maintenant la justice est confiée à des hommes purs ; qu’on ne croie pas que ces hommes qu’on appelait modérés ne sauront pas faire leur devoir. Déjà ils ont dressé des procès-verbaux. Un comité tout entier a été mis en état d’arrestation (on applaudit). On nous avait dénoncé le comité de la section du (84) Moniteur, XXII, 137-138. (85) P.V., XLVI, 249. Bonnet-Rouge comme ayant volé et falsifié onze pages d’un registre qu’ils sont allés faire relier, et où ils ont mis des signatures nouvelles parmi les anciennes. Nous l’avons envoyé au tribunal révolutionnaire comme voleur et faussaire. Ayez confiance dans votre comité de Sûreté générale : il vous rendra compte jour par jour de ses opérations pour punir les fripons et les conspirateurs (nouveaux applaudissements) (86). Un autre membre déclare que Robespierre avoit des complices parmi ses collègues qui travailloient avec lui ; il prétend qu’il existe des complices de Robespierre jusque dans le sein de la Convention; ce sont ceux, dit-il, qui, la veille de son supplice, lui jetoient encore un encens sacrilège, ce sont ceux qui sont venus dire à la Convention, il y a six mois que nous savons que Robespierre conspiroit, et nous ne l’avons pas voulu dire dans la crainte de causer des déchiremens, il nomme ensuite Billaud, Collot et Barère, et déclare à la Convention qu’il les regarde comme conspirateurs (87). LEGENDRE : La France entière entendra avec joie le récit du châtiment des complices et des partisans de Robespierre; mais la France entière attend de la justice de la Convention qu’elle saura distinguer les dupes d’avec les conspirateurs. Ne pensez pas que Robespierre n’eût de complices que parmi les autorités constituées et dans les états-majors ; il en avait encore parmi ses collègues qui travaillaient avec lui. Il faut que la vérité soit connue sans ménagement, il faut que chacun de nous dise : si j’ai failli, si j’ai été coupable, voilà ma tête (on applaudit). Oui, il existe des complices de Robespierre jusque dans la Convention. Ce sont ceux qui, la veille de son supplice, lui jetaient encore un encens sacrilège ; ce sont ceux qui sont venus, le lendemain, dire insolemment : Il y a six mois que nous savions que Robespierre conspirait ; nous ne l’avons pas voulu dire, dans la crainte de causer des déchirements. Quoi, vous saviez, vous voyiez que l’on conspirait, et vous ne l’avez pas dénoncé! et vous craigniez des déchirements! Je sais que je vais ouvrir une discussion terrible, mais je brave les murmures et les récriminations. Il est dans l’ordre des choses que la vertu fasse pâlir le crime. J’ai juré au peuple que je suppléerais au défaut de talent par l’énergie que la nature m’a donnée. J’ai promis au peuple que je porterais toujours ma ceinture de probité (88). [Quoi, Billaud, Collot, Barère, vous saviez que le tyran conspiroit, et, de peur d’exciter des déchiremens, vous lui laissiez déchirer la république ! On vouloit, vous a-t-on dit, l’amener à se dénoncer lui-même ! Cependant, pendant que Robespierre conspiroit, Carnot, Lindet, Prieur (86) Moniteur, XXII, 138. (87) P. V., XLVI, 248-249. (88) Moniteur, XXII, 138. 252 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE étoient relégués dans leurs bureaux respectifs : Jeanbon Saint-André étoit envoyé en mission : en un mot, l’on s’étoit défait de tous les hommes vertueux. Pourquoi cela? Parce que ceux que je vous ai dénoncé conspiroient avec Robespierre, et qu’ils craignoient les surveillans.] (89) On a envoyé en mission Saint-André et Prieur (de le Marne), c’est-à-dire qu’on s’est débarrassé des hommes dont on craignait la vertu. Robespierre est venu faire un rapport; il a attaqué parce qu’il craignait de l’être; on a décrété que son discours ne serait pas imprimé : il est allé le prononcer aux Jacobins. Alors on a dit : il veut le pouvoir à lui tout seul, quand nous devions le partager avec lui. Robespierre, Couthon, Saint-Just ont été dénoncés parce que Billaud, Collot, Barère en sont devenus jaloux. Je le déclare à la Convention, je les regarde comme des conspirateurs. La France entière ne se laissera point intimider par des députations que l’on envoie à la barre. Et de qui sont-elles composées? De fripons, d’intrigants qui restent dans les sections jusqu’à onze heures quand les pères de famille en sorte à dix... (90) [Le voeu de Paris et celui de la république entière a toujours été : liberté, égalité, république une et indivisible, respect aux lois et à la Convention!] (91) Si le peuple a bien voulu jeter les yeux sur moi, ce n’est point pour mes talents; il savait bien que je n’appartenais ni à la caste des hommes de lettres, ni à celle des gens riches, mais à la caste des hommes probes. Représentants j’ai fait mon devoir, c’est à vous de faire le vôtre. Je vous en somme au nom du peuple ( vifs applaudissements) (92). Les représentons Barère, Collot-d’Her-bois et Billaud-Varenne, sont successivement entendus, et se disculpent des inculpations qui leur ont été faites ; ils invoquent le témoignage des représentons Carnot et Prieur de la Côte d’Or, qui déclarent n’avoir point été relégués dans leurs bureaux comme on l’avoit avancé, mais avoir concouru avec les membres accusés, à toutes les mesures qui ont été prises, et qu’ils ne leur ont point reconnu de mauvaises intentions. Un membre propose qu’il soit nommé dans le sein de la Convention une commission de douze membres qui fera connoître au peuple français si les accusés sont encore ses défenseurs, et s’il y a des coupables, amènera leur punition ou fera triompher leur innocence (93). Barère, Collot d’Herbois, Billaud-Varenne demandent à la fois la parole; Barère monte à la tribune. BARÈRE : C’est la seconde fois que je suis (89) J. Perlet, n“ 740. (90) Moniteur, XXII, 138. (91) J. Perlet, n° 740. (92) Moniteur, XXII, 138. (93) P.-V., XL VI, 250. inculpé devant la Convention nationale ; je saisis cette occasion pour me faire entendre en présence de tout le peuple, et pour déployer mon respect et mon amour pour ses lois. Je sais que c’est le sort des fonctionnaires publics d’être attaqués pour leurs opérations ; il faut répondre à de nouvelles accusations. Il y en a contre le comité, il y en a qui me sont personnelles. Je réponds d’abord à ce qui me concerne. Il est vrai que le 7 j’ai parlé de Robespierre comme d’un homme qui, depuis cinq ans, avait rendu des services à la cause de la liberté et de l’égalité, et qui en avait manifesté les principes. J’ai dû parler ainsi. Souvenez vous de l’époque de cette révolution : il avait été question de grands mouvements aux Jacobins; on faisait des motions violentes dans les tribunes mêmes de la Convention; des femmes disaient la veille qu’il fallait un nouveau 31 mai. Le comité arrêta dans la nuit qu’il serait fait un rapport, par moi, sur la situation de la république depuis le commencement de la révolution jusqu’au 31 mai, et depuis cette époque jusqu’à celle ou nous nous trouvons. Il fallait démontrer la différence qui se trouvait entre ces époques, et prouver qu’un second 31 mai était une horreur inventée par l’aristocratie. Robespierre lui même avait eut l’air aux Jacobins de parler contre ce mouvement. Je rédigeai dans la nuit ce rapport qui fut utile puisqu’il étonna Robespierre, et qu’il accéléra l’exécution de ses projets. Alors il vint le 8, prononcer le discours qui l’a perdu. Voilà ma réponse aux reproches qu’on m’a fait d’avoir flatté le tyran la veille même de sa mort; au surplus, ce n’est pas moi qui ai pu chercher à flagorner un homme qui, dans tous ses papiers a laissé, par écrit, que je serais le premier pendu, qui m’avait conduit aux Jacobins pour m’y perdre; qui, le 25 messidor, lorsque j’étais président de la Société, me dénonça en face et dit « que ceux qui faisait des rapports contre M. Pitt ne devaient pas perdre la langue ici quand il s’agit de défendre les opprimés ». Je viens aux faits généraux. J’invoque la probité bien connue de mes collègues Prieur, Carnot et Lindet. Ils ont assisté à toutes nos séances ; rien n’a été fait qui n’ait été délibéré et arrêté en commun. Quant à Jeanbon Saint-André, il s’étonnait toujours qu’on l’eût fixé au comité. Il demandait sans cesse à aller à Brest et dans nos ports activer la marine ; et l’on peut dire que peu de membres avaient en cette partie autant de connaissances que lui. Il en est de même de Prieur (de la Marne) qui nous a rendu de grands services par sa correspondance ; ainsi, loin de nous cette accusation qui n’existe pas, dans le fait, que nous ayons envoyé à dessein nos collègues en mission. Ouvrez les délibérations du comité; les minutes existent : vous y verrez toutes les signatures accolées. Il est très certain que, si nous avions agi ostensiblement, nous n’aurions pas eu à cette époque ces vingt-cinq victoires contre Robespierre, pendant le mois qu’il fut absent du comité (on murmure). Nous n’aurions pas pu abattre cette gigantesque popularité dont il SÉANCE DU 12 VENDÉMIAIRE AN III (3 OCTOBRE 1794) - N° 45 253 jouissait encore le 8 thermidor. Je prie mes collègues de se reporter aux circonstances ; ils auraient mieux fait que nous, sans doute, peut-être eussent-ils agi avec moins de prudence (on murmure) (94). [Nous avions pris le parti de la prudence. Plusieurs fois il a été délibéré pour savoir si l’on se détermineroit pour l’attaque ou pour la défense. Le dernier parti a été adopté de préférence, et nous avons mandé plusieurs fois Robespierre, pour l’obliger de répondre sur certains faits; alors il rugit, il marque ses victimes, et ce sont celles qu’on marque aujourd’hui] (95) Oui, nous avions pris le parti de la prudence ; car nous discutâmes dans le comité le moyen de l’attaquer et nous dîmes : Si nous l’attaquons, nous irons à l’échafaud comme de vils scélérats, et le tyran continuera d’opprimer Paris et la république. Citoyens, il avait marqué ses victimes, et ce sont les mêmes qu’on attaque aujourd’hui. CAMBON : Il faut dire une vérité; il est temps que je dévoile des secrets qui ont dû être ensevelis jusqu’ici; mais ils feront peut-être connaître la source des passions qui nous agitent. Le 31 mai a été une époque glorieuse dans les fastes de la révolution. Il existe un registre secret que six membres du comité de Salut public eurent alors le courage de signer. Ces membres étaient Guyton, Lindet, Bréard, Delmas et Cambon ; Robespierre et Danton y étaient accusés. Nous avons été pendant un mois sur le point d’être victimes de nos signatures. Il faut vous dire quelle était la situation de la république à cette époque. La frontière du nord était entièrement dégarnie; toutes ses places réduites à huit cents défenseurs ; on nous avait mené au dernier point d’épuisement en nous faisant payer les troupes avec du numéraire. Nous n’entendions tous les jours que des demandes de numéraire : nous n’avions que 600 millions dans nos caisses; l’argent était hors de toute atteinte. Custine commandait au Rhin, nous étions battus; à Perpignan nous éprouvions des revers : on avait pris Belgarde ; à Bayonne nous étions sur le point de perdre cette place forte : nous n’avions pas six cents hommes à y envoyer. La Vendée était dans un état presque désespérant. Que fit alors le comité de Salut public? Nous dîmes : il faut répondre à la confiance de la Convention. La patrie est en danger; nous pourrions avoir des discussions entre nous; pour les éviter, déclarons que nous signerons toutes les délibérations, quels que soient les avis particuliers. Vous aviez une grande confiance en Danton, le jour où la première pétition contre plusieurs membres de l’Assemblée fut faite à la barre ; il partit pour la campagne quelques jours après. On nous apprit qu’il allait à Charenton avec Robespierre, pour y combiner des mesures. Mon assiduité au comité faisait que je décachetais (94) Moniteur, XXII, 138-139. (95) J. Perlet, n° 740. toutes les lettres : on annonçait dans une que Robespierre, Danton, Pache et la commune se réunissaient à Charenton. Nous avions promis que nous ne nous cacherions rien de ce qui était utile à la patrie. Alors voyant qu’on créait à Charenton un comité de Salut public tandis que vous en aviez créé un à Paris, nous nous réunîmes six, nous nous renfermâmes ; nous prîmes des instructions, nous envoyâmes chercher le ministre : le fait fut prouvé. Il fut constaté qu’il y avait des repas (96). [Nous étions six au comité, ajoute-t-il, liés très étroitement; nous nous renfermâmes, nous prîmes des instructions, et ces rassemblements furent prouvés. Nous appelâmes Robespierre et Danton ; nous leur dîmes : « Il y a des preuves contre vous, expliquez-vous franchement; voulez-vous dominer »? Danton ne nia pas le fait; mais il dit que c’étoit pour sauver la liberté. Peu de temps après vint le mouvement de Paris.] (97) Une voix : Il fallait le dénoncer à la Convention. CAMBON : On nous fait le reproche de ne l’avoir pas dit, mais peut-être avons nous en cela aidé à sauver la patrie. Nous appelâmes les membres dénoncés. Nous leur dîmes : Nous pouvons faire un rapport contre vous; voulez-vous être dominateurs? Danton dit : « Il est vrai, nous avons été dîner ensemble; mais ne crains rien, nous sauverons la liberté. » Un autre fait qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que dans le même temps on nous dénonçait que dans les conciliabules il était question de proclamer le jeune Capet roi de France. Nous fîmes arrêter les individus qui nous avaient été dénoncés. Le comité voulait que tous ceux qui avaient été trompés ne fussent pas enveloppés dans une proscription. Nous fûmes dénoncés à toutes les tribunes, à toutes les barres; vous nous ôtâtes la confiance, et vous nommâtes un autre comité dont Robespierre fut membre. Si Barère était du secret, il faut qu’il se soit bien caché, car il était signataire avec nous, et nous devons partager l’accusation avec lui. Voilà une partie des événements ; si la Convention en voulait chercher la suite, on y verrait et l’armée révolutionnaire, et Ronsin, et Rossignol, et les quarante sous pour les sections : vous adoptiez tout, et décrétâtes le système de terreur. BAUDIN et plusieurs autres : C’est vrai! CAMBON : Au surplus, je crois que, s’il existe des preuves de complicité, nous devons nous prononcer quels que soient les individus; mais si, sur de simples soupçons, vous allez toujours recherchant en arrière, voyez quelles séries de persécutions vous allez établir ! Je conclus en demandant qu’on entende publiquement tous nos collègues, et en invitant la Convention à se retracer la suite des événements qui se sont succédés, et qui nous ont sou-(96) Moniteur, XXII, 139. (97) J. Perlet, n" 740. 254 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE vent forcé la main à rendre beaucoup de lois contraires à nos principes. CLAUZEL : Je demande à relever un fait faux. BOURDON (de l’Oise) : Il convient d’entendre d’abord les membres inculpés. CLAUZEL : C’est un fait : quel est celui d’entre nous qui ait entendu Cambon dénoncer, depuis le 31 mai, qu’un complot était formé pour mettre le fils de Capet sur le trône? A-t-il jamais nommé Robespierre? Au reste Cambon n’a point parlé sur l’accusation de Legendre; il n’a dit que des faits antérieurs à l’atrocité du gouvernement. Mais n’a t-on pas entendu Billaud dire que depuis six mois, le comité savait que Robespierre conspirait? N’a-t-on pas vu Barère et Billaud s’opposer au rapport du décret qui donnait aux comités la faculté de traduire au tribunal révolutionnaire les représentants du peuple sans les entendre? Quand Robespierre est venu proposer la loi du 22 prairial, Barère et Billaud ne l’ont-ils pas appuyée? (Plusieurs voix : oui! d’autres voix : non!) On vous a dit que c’était pendant les quatre décades où Robespierre s’était éloigné du comité que nos armées avaient remporté tant de victoires; eh bien, tous les massacres du tribunal révolutionnaire ne se sont-ils pas commis pendant ces quatre décades? Quels moyens le comité a-t-il pris pour les arrêter? Serait-ce de faire diviser en trois parties cent cinquante accusés? Lorsqu’il a été question de renouveler par quart tous les mois le comité, n’est-ce pas Billaud qui s’y est opposé? D’où partit cette demande de l’appel nominal? (Quelques voix : de Billaud) Le lendemain du jour qu’Elie Lacoste dit à cette tribune des horreurs contre Fouquier-Tinville, Barère ne vint-il pas le proposer pour accusateur public? Lorsque Legendre apporta les clefs des Jacobins, et qu’il invita la Convention à aller les rouvrir en masse, Billaud, Barère et Collot ne dirent-ils pas que les Jacobins étaient des scélérats? LEGENDRE : C’est vrai ! BARÈRE : Je vais répondre avec calme et avec précision à ces accusations. On dit que j’ai appuyé la loi du 22 prairial; j’arrivai à la Convention à trois heures un quart, au moment où Couthon lisait les derniers articles; je reconnus que cette loi n’avait point passé au comité. Lecointre et Ruamps avaient demandé l’ajournement ou la mort, je demandai l’ajournement à trois jours : c’est alors que Robespierre quitta le fauteuil et vint dire à cette tribune : « Qu’est ce que c’est que ces modérés?» etc. BOURDON (de l’Oise) : Ceux qui comme toi n’ont pas osé l’attaquer. BARÈRE : Quant à Fouquier-Tinville, j’étais venu ce jour-là faire un rapport sur la prise de Namur ; on vint m’apporter à la tribune la liste des nominations des membres du tribunal révolutionnaire ; j’étais absent du comité lorsqu’on arrêtait les nominations; j’invoque le témoignage de mes collègues, je ne fus que le lecteur de cette liste. Je suis, au reste, bien étonné que Clauzel dirige contre moi ce genre d’accusation. Il y a quelques jours que, dînant avec lui, je lui demandai pourquoi le comité ne faisait pas poursuivre les agents et les complices de Robespierre, qui avaient mis la liberté publique dans un si grand danger. Clauzel, qui m’accuse me répondit « Quand un vaisseau est à flot, on ne demande point quelle manoeuvre le pilote a employée : et c’est moi qui ai donné à Robert Lindet cette pensée utile qui est dans son rapport. » [Quant aux trois membres qu’on me reproche d’avoir proposés pour entrer au comité, deux ont été choisis depuis par la Convention (Es-chasseriaux et Bréard).] (98) A l’égard des Jacobins, ce fut Legendre lui-même qui pencha pour qu’on les rouvrit; Legendre les présida le premier jour de leur rentrée. Je n’y suis point allé; j’ai eu même l’avantage d’ être rayé en compagnie de Le Cointre et de Dubois-Crancé. BILLAUD-VARENNE : Nous allâmes, Col-lot et moi, à l’ouverture des Jacobins ; on peut lire les discours que nous y prononçâmes : on voulait qu’ils restassent fermés; je dis moi : «Nous avons consacré un principe, nous ne devons pas y porter atteinte. » LEGENDRE : Ce qu’ont dit Barère et Billaud est vrai : il est de fait cependant que, le jour où l’on rouvrit les Jacobins, je me transportai au comité de Salut public, et dis aux membres : « Voyez donc ce qu’il faut faire à l’égard des Jacobins. » On me répondit : « Cela demande une discussion; attends quelques jours encore ». Il ne faut pas, répliquai-je, que l’aristocratie triomphe; j’ai pris les clefs, parce que j’étais chargé par la Convention de prendre toutes les mesures nécessaires ; le danger passé, je dépose mes pouvoirs. Les Jacobins peuvent venir me demander ces clefs et me jeter par les fenêtres, si je les refuse. Pourquoi voulez-vous décharger votre responsabilité sur moi? Ce n’est point là-dessus que j’ai accusé nos trois collègues; je les ai accusés d’avoir dit que depuis six mois ils savaient que Robespierre conspirait, et de ne pas l’avoir dénoncé. Je les ai accusés de s’être opposés au rapport du décret qui donnait aux comités la facilité de traduire au tribunal révolutionnaire les représentants du peuple. COLLOT D’HERBOIS : Je rejetterai de cette discussion tout ce qui pourrait en être indigne ; l’accusation portée contre nous est née sans doute de l’amour du bien public, elle est respectable. Nous répondrons, autant que la latitude des reproches peut nous le permettre en ce moment. Si elle était l’effet de la passion particulière, il n’y aurait qu’à se résigner et à garder le silence. De quelques préventions qu’on l’ait fait précéder, vous dissiperez toutes les pré-(98) Débats, n" 743, 203. SÉANCE DU 12 VENDÉMIAIRE AN III (3 OCTOBRE 1794) - N° 45 255 ventions, votre justice ne s’arrêtera que sur la vérité. Je vois dans cette accusation des traits différents. Les uns portent sur le comité lui même, les autres sont personnels aux individus ; il est impossible que vous ne sépariez ces traits. Je dis qu’il y en a qui portent sur la masse du comité, car il serait bien étrange que l’accusation tombât sur trois membres sans être supportée par tous les autres, lorsqu’il est constant que tous les actes publics émanés du comité ont été précédés d’un assentiment unanime, d’une délibération univoque; on ne peut dépouiller aucun membre de la solidarité contractée par tous. La majorité en opposition aux trois conspirateurs était de six membres : je les estime assez pour croire qu’ils ne voudraient pas être séparés dans cette cause. Ouvrez les registres du comité : vous verrez s’il y a eu des réclamations contre les délibérations; vous verrez si Lindet, Prieur et Carnot ne nous ont pas aidés de leurs avis, appuyés de leurs signatures. Et comment aurions-nous pu, sans cela, nous charger seuls de si grands intérêts? Si de telles accusations sont aujourd’hui produites, qui pourra répondre que dans trois mois il n’en sera pas produites d’autres ; je dis donc qu’en prenant la discussion dans ce caractère je ne vois pas sous quel point nous pourrions être accusés sur des faits qui ont eu pour base des délibérations unanimes. Je viens aux fonctions particulières dont chacun de nous était chargé. A cet égard, les accusateurs pouvaient tracer une démarcation personnelle ; il y avait cependant entre nous un certain abandon de confiance, une espèce de prévention de faveur, c’est à-dire que nous signions toujours aveuglément les opérations les uns des autres, et dans l’immensité du fardeau que nous avions à porter il fallait bien nous en rapporter à la probité de nos collègues. Fixez les yeux sur ces opérations; qu’on voie le travail dont Billaud et moi étions chargés ; en nous mettant seuls, nous devenons encore plus forts. Si dans ce travail, qui nous a forcés d’envoyer dans les département trois cent mille pièces d’écriture, et de faire au moins dix mille minutes de notre main, vous ne voyez pas les principes les plus purs de justice et d’humanité, je prends l’engagement de porter ma tête à l’échafaud. Vous êtes trop justes pour accuser légèrement des hommes qui, pendant un an, ont passé quinze heures par jour à travailler. On nous accuse d’avoir partagé la tyrannie de Robespierre : ici chacun de nous peut encore se marier à ses collègues ; nous ne pouvions que ce que vous pouviez tous vous mêmes, et vous pouviez faire un jour ce que vous avez fait un autre. Oui, un orateur pouvait faire plus tôt ce que Tallien a fait dans l’assemblée. Individuellement, nous n’avions pas plus de puissance qu’un autre membre de la Convention; collectivement nous avions un grand pouvoir, et alors l’accusation devient collective et solidaire. Oui, nous avons craint les déchirements, parce que nous savions que Robespierre jouissait d’une grande force d’opinion. Nous avions aussi besoin de victoires; Carnot le disait : «Lorsque les victoires arriveront, nous auront le double de force »; et c’est en ce sens que les armées ont eu part à la défaite du tyran. Sans doute nous savions que Robespierre avait des desseins secrets. BOURDON (de l’Oise) : Toute la Convention le savait. COLLOT : Oui, chacun le savait, chacun le sentait ; mais croyez vous qu’il fut si aisé de deviner Robespierre? Pour le deviner il fallait être lui-même ; pour calculer la profondeur et l’atrocité de ses perfidies, il fallait avoir une âme aussi perfide et aussi atroce que la sienne. Si, en le dénonçant au milieu de vous, nous n’arrivions pas avec la certitude de prouver tout ce que nous lui reprochions, quel est celui d’entre vous qui aurait osé garantir notre accusation? Lorsque nous avons eu des preuves, alors nous nous sommes sentis forts. Jusque-là que pouvions nous ? Nous invoquons nos collègues ; qu’ils disent si, lorsqu’ils recevaient de Robespierre des humiliations ou des persécutions, ils n’ont pas trouvé des consolations auprès de nous; que Carnot atteste si nous n’avions pas pris la résolution de ne plus rien signer de ce qui concernait la police générale sans un rapport de Robespierre. Nous attestons plusieurs membres ; qu'ils disent si, sur de simples réclamations, nous n’avons pas accordé des élargissements ; j’atteste Garnier (de l’Aube) ; j’invoquerais Mallarmé s’il était ici (99). [On prétend que nous avons partagé la domination de Robespierre, parce que nous avons gardé quelque tems le silence. Mais Barère vous l’a déjà dit : nous attendions que les victoires doublassent nos forces, parce que nous voulions éviter des déchiremens. Nous avons même mis en liberté tous ceux que Robespierre nous avoit fait arrêter. Depuis longtems on conspire pour nous détruire dans notre réputation et nos habitudes.] (100) On dit que la tyrannie a duré pendant les quatre décades de l’absence de Robespierre; mais Couthon et Saint-Just étaient ses successeurs, et la police générale, qu’ils conduisaient, correspondait seule avec le tribunal révolutionnaire. Relativement à cette exécution nombreuse préparée par le tribunal, non, nous n’avons jamais dit qu’on la partageât en trois fois; nous avons témoigné toute notre horreur et notre indignation. Une accusation aussi vaste, qui a une latitude aussi effrayante, ne peut-être réfutée en quelques minutes; cependant il n’y a personne dans la révolution, qui, en la servant, ne se soit fait beaucoup d’ennemis. Je ne prétends pas que ce soient des ennemis qui nous accusent ; j’ai dit que je rejetterais de cette discussion tout ce qui serait indigne; mais la Convention doit examiner si ces accusations ne prennent pas leur source dans des passions particulières. Nous avons mérité particulièrement la proscription de Robespierre; il nous avait désignés dans le rapport (99) Moniteur, XXII, 139-141. (100) J. Perlet, n“ 740. 256 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de Saint-Just comme ses victimes; il nous désignait à la commune pour être pendus ; il était vorace de nos corps. Nous ne sommes donc pas les complices de Robespierre ; ce sont plutôt ses complices qui ont suscité cette accusation. Il n’était pas si facile de renverser Robespierre; Fréron a dit lui-même qu’il était entouré d’un rempart presque inexpugnable. Qu’on examine notre conduite avec impartialité, et nous prouverons, je ne dis pas que nous n’avons point fait d’actes tyranniques, mais que nous n’avons pas même manqué à nos devoirs. Nous n’avons pas fait peut-être tout ce que nous aurions voulu ; nous avons fait du moins tout ce que nous avons pu (on applaudit). BOURDON (de l’Oise) : L’accusation de Legendre porte que depuis six mois, les membres du comité de Salut public savaient que Robespierre conspirait, et n’en avaient point instruit la Convention. Citoyens, il ne faut pas se dissimuler qu’à cette époque la division régnait dans l’Assemblée : moi et beaucoup de patriotes nous nous sommes rapprochés, nous avons combiné la mort du tyran (on murmure). Citoyens, si vous aviez agi plus tôt, peut-être n’eussiez-vous pas réussi. BILLAUD-VARENNE : Citoyens, j’aurai peu de choses à ajouter à ce qu’a dit Collot; je dois cependant dire que les opérations de la police générale, qui excitent en ce moment les réclamations, appartiennent toutes à Robespierre; la Convention peut s’en convaincre en se faisant rapporter les pièces qui sont dans les bureaux ; elle verra qu’elles sont toutes apostillées de Robespierre, Saint-Just et Couthon. On m’accuse d’être le complice de ces trois hommes; citoyens, quand on est le complice d’un scélérat, on a avec lui des familiarités et des liaisons particulières : or je défie qu’on me prouve que j’ai eu avec Robespierre d’autres relations qu’au comité de Salut public, et en présence de tous mes collègues. Si nous étions les complices de Robespierre, aurions-nous remporté des victoires pendant son absence du comité? Plusieurs voix : Ce sont les armées qui les ont remportées! BILLAUD-VARENNE : Sans doute nos victoires sont dues à l’énergie des défenseurs de la république ; mais on ne peut ravir au comité qui les a dirigés la part active qu’il y a prise. Vous aviez aussi de braves défenseurs du temps de Dumouriez, et cependant vous avez éprouvé des échecs commandés par les traîtres. Au surplus, citoyens, comme on nous a isolés dans cette accusation, nous n’avons qu’une demande à faire : c’est que nos collègues soient entendus sur la conduite qu’ils nous ont vu tenir au comité. DEVARS : Ceux-là sans doute sont les complices de Robespierre qui, ayant en main toutes sortes de moyens pour démasquer le tyran, n’en ont point fait usage ; ceux-là sont les complices de Robespierre qui, dans la nuit du 8 au 9 thermidor, n’ont pris aucune mesure pour étouffer la conspiration dès sa naissance; ceux-là sont les complices de Robespierre qui, au moment où la commune de Paris était en rébellion, qu’il était constant que le maire et l’agent national conspiraient, tentèrent de mettre la Convention au pouvoir de ces scélérats; ceux-là sont les complices de Robespierre qui, dans la crainte chimérique de causer un déchirement dans la république, ne le dénoncèrent pas. Citoyens, on a tout fait pour donner de la consistance au tyran; Barère a dit à cette tribune que ceux qui attaquaient le patriote Robespierre étaient des contre-révolutionnaires. Quand Robespierre présentait des mesures li-berticides, qui les soutenait? Barère, Billaud et Collot; et lorsque quelques représentants du peuple voulaient s’élever contre la tyrannie qu’exerçait Robespierre, qui leur fermait la bouche? Barère, Billaud et Collot. Vous avez voulu livrer la Convention nationale à ses ennemis, vous qui proposâtes, après le décret qui mit Robespierre en arrestation, de confier à la commune rebelle le soin de maintenir la tranquillité dans Paris. Vous saviez alors que le maire et l’agent national conspiraient contre la Convention; répondez-vous à cela, Barère? BARÈRE : Je vais répondre. DEVARS : Je vous en défie. MERLIN (de Thionville) : Billaud a dit ici : « Je réponds du maire et de l’agent national. » BARÈRE : Je ne puis concevoir le motif des accusations que l’on me fait (101). [Barère répète ce qu’il a déjà dit lors de l’accusation de Le Cointre.] (102) BOURDON (de l’Oise) : Il semble que l’on veuille venger la mort de Capet et Danton. [Un violent tumulte s’élève; Bourdon (de l’Oise) s’écrie : c’est la mort de Danton et Capet qu’on veut venger. Le tumulte augmente. Le président se couvre. Merlin (de Thionville) demande que les accusés soient entendus, et qu’on donne ensuite la parole à ceux qui voudroient parler contre.] (103) BARÈRE : Je suis un grand complice de Robespierre ; car, quand il fut accusé par Louvet, je dis qu’un général couvert de gloire, chéri des soldats qu’il commande, s’il voulait usurper l’autorité suprême, pourrait causer quelques alarmes à la liberté ; mais qu’on ne pouvait nullement craindre ces petits entrepreneurs de révolution, dictateurs d’un jour, couverts du sang du 2 septembre. Je suis un grand complice de Robespierre, moi qui attaquai la maxime atroce qu’il voulait établir, que la vertu était en minorité sur la terre. Sans doute l’accusation qui est dirigée contre moi vient de ce que beaucoup de membres ne peuvent me pardonner d’avoir (101) Moniteur, XXII, 141. (102) J. Perlet, n“ 740. (103) C. Eg., n° 776. SÉANCE DU 12 VENDÉMIAIRE AN III (3 OCTOBRE 1794) - N° 45 257 par mon discours, influencé le supplice de Capet (on murmure). Plusieurs membres : Au fait! BARÈRE : On nous accuse de n’avoir pris aucune mesure dans la nuit du 8 au 9 thermidor pour empêcher la conspiration d’éclater. Cette accusation est renouvelée de Le Cointre. Nous passâmes la nuit du 8 ; le frère Le Cointre, notaire à Paris, nous écrivit que nous devions être assassinés la nuit même, et que le commandant de la garde nationale conspirait. Nous délibérâmes d’ôter à Hanriot son commandement et de le confier aux commandants des bataillons. Nous proposâmes ce décret le lendemain à la Convention qui l’adopta. C’est moi qui, dans la nuit du 9 thermidor, fis cette proclamation qui fut applaudie des Parisiens et qui les rallia autour de la Convention. On m’accuse d’avoir rendu la commune responsable de la tranquillité publique. Citoyens, c’est une mesure qui fut adoptée par l’Assemblée constituante lors de la fuite du tyran; d’ailleurs, je n’ai fait que proposer l’avis du comité. Je ne conçois pas comment on peut m’accuser de complicité avec Robespierre, quand Fré-ron lui même en entrant à la commune, trouva un papier sur lequel Billaud, Collot, Thuriot, moi et plusieurs autres membres étions désignés pour être arrêtés. Comment peut-on nous soupçonner les compbces d’un homme qui voulait nous faire égorger? On demande l’ordre du jour. BARÈRE : Je ne sais pas pourquoi cet acharnement contre trois membres seulement du comité, lorsque tous délibéraient ensemble. Au reste, si nos têtes sont nécessaires à l’affermissement de la répubbque, nous les abandonnons. MERLIN (de Thionville) : Plusieurs de nos collègues sont pour la seconde fois accusés dans le sein de la Convention. Collot a demandé que l’ont portât un oeil sévère sur sa conduite, et il a invoqué le témoignage de ses collègues. Je demande qu’ils soient entendus; mais pour mettre fin à ces débats qui feraient penser aux fripons et aux égorgeurs qu’ils ont ici des partisans, je demande qu’une commission de douze membres soit nommée; elle fera connaître au peuple français si les accusés sont encore ses défenseurs. Les membres du comité assisteront à la commission toutes les fois qu’ils le voudront, et le rapport qui sera fait fera connaître s’il y a des coupables, amènera leur punition, ou fera triompher l’innocence (104). [Vous devez, dit-il, vouloir que les membres inculpés paroissent purs aux yeux de la France, et qu’on ne puisse plus dire que les frippons et les égorgeurs ont des soutiens dans la Convention nationale. Montrez au peuple que la justice est vraiment à l’ordre du jour pour tout le monde.] (105) (104) Moniteur, XXII, 141-142. (105) J. Perlet, n” 740. BARÈRE : Nous interpellons Carnot et Prieur (de la Côte-d’Or) de déclarer la manière dont nous nous sommes conduits au comité. La commission demandée par Merlin est mise aux voix et décrétée. Une partie de l’Assemblée déclare n’avoir pas entendu ce que le président a mis aux voix, et réclame l’appel nominal. — Le plus grand tumulte règne dans l’Assemblée. DUHEM : Je demande l’exportation du petit Capet. Cambon s’élance à la tribune, et parle dans le bruit. — Le tumulte redouble; le président se couvre. BENTABOLE : Que vient de décréter la Convention? MERLIN (de Thionville) : L’ordre du jour motivé sur la prudence, qui ne permet pas de faire rire Pitt et Cobourg. Après quelques instants le calme se rétablit. Carnot réclame la parole. — L’Assemblée la lui accorde. CARNOT : Citoyens, les accusés ont réclamé mon témoignage, il y aurait de ma part de la lâcheté à le leur refuser. Je déclare que tout ce qu’ont dit mes collègues est la plus exacte vérité; j’ai assisté à toutes les délibérations du comité; il est faux, comme on l’a avancé que j’ai été relégué dans mon bureau (on applaudit). Je dois dire qu’au comité de Salut public ils se sont déclarés contre Robespierre; seulement, lorsque je les pressais de l’accuser, en avouant qu’il était coupable ils ne croyaient pas qu’il fut encore temps de le dénoncer. La preuve que j’avais en eux la plus grande confiance, c’est que j’ai signé plusieurs fois ce qu’ils me présentaient sans le bre. Lorsque Robespierre s’est totalement déclaré, je les ai engagés à ne pas signer les arrêtés de pobce générale qu’ils nous présentaient, et ils furent de mon avis. Voilà, citoyens, ce que j’avais à dire; s’ils m’ont trompé, je l’ignore ; mais, ayant toujours délibéré avec eux, je déclare que je ne m’en séparerai point (on applaudit). PRIEUR (de la Côte-d’Or) : La justice et l’équité m’ordonnent également de vous faire la déclaration de ce qui s’est passé au comité. J’appuie ce qu’a dit Carnot ; je n’ai point été relégué dans mon bureau ; j’ai concouru, avec mes collègues que l’on accuse, à toutes les mesures qui ont été prises, et je déclare ne leur avoir reconnu que de bonnes intentions. J’ajouterai que l’intimité dans laquelle nous vivions était nécessaire pour nous opposer au tyran; que souvent nous nous laissions entraîner à des mouvements patriotiques que Robespierre ne partageait jamais. Apprenez, citoyens, que la conviction n’arrive pas à la fois dans tous les coeurs; que ce n’est qu’après de longues recherches que le comité de Salut public a reconnu que Robespierre conspirait. Je ne prétends pas vous prouver que des 258 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE fautes n’ont pas été commises ; moi-même peut-être j’en ai fait; mais je veux vous démontrer que, quand jour et nuit on travaille pour la patrie, il ne reste plus de temps pour intriguer et pour entretenir les passions qui font toujours le mal de la république. Je termine par un fait : c’est que toutes les délibérations du comité, autres que celles qui avaient rapport à la police générale, étaient prises à l’unanimité, et que les arrêtés de la police générale n’étaient signés que Robespierre, Couthon et Saint-Just. En dernier lieu Saint-Just voulait nous les faire approuver; mais nous refusâmes de le faire (on applaudit). VEAU : Il est un fait qui peut-être jettera quelque jour sur cette discussion ; le voici. Envoyé à l’armée de l’Ouest en qualité de commissaire de la Convention, j’appris à Luçon que les hôpitaux de La Rochelle manquaient de vivres depuis quatre jours. Je m’en plaignis à l’employé chargé des subsistances; il me dit qu’on n’avait pu délivrer de la farine aux malades, parce qu’on avait reçu un ordre signé Couthon qui le défendait, et qu’il devait lui-même arriver à La Rochelle trois jours après. Je dois dire aussi que toutes les lettres que j’ai reçues pendant ma mission étaient signées de Carnot et des accusés. On demande que Treilhard soit entendu. CLAUZEL : Le comité de Salut public est chargé de faire un rapport sur la conspiration qui a éclaté à Marseille. Je demande que la parole lui soit accordée (106). Un autre membre observe que l’intention de l’Angleterre est de perdre la Convention par la Convention elle-même; que le nouveau comité de Salut public ne tardera pas à faire un rapport sur les opérations et sur la conduite des membres du précédent comité ; il demande que la Convention nationale passe à l’ordre du jour sur la dénonciation et les diverses propositions qui ont été faites, et qu’elle entende son comité de Salut public qui a des vérités à dire, qui feront pâlir ses ennemis. Cette proposition est décrétée en ces termes : La Convention nationale passe à l’ordre du jour sur la dénonciation faite dans cette séance contre les représentons du peuple Barère, Billaud-V ar enne et Collot d’Herbois, ainsi que sur les différentes propositions auxquelles cette dénonciation a donné lieu (107). BRÉARD : Je ne viens point ici plaider la cause des individus, je viens plaider la cause de la patrie. Ne voyez-vous pas déjà percer le rire de l’aristocratie? {On applaudit). Citoyens, le projet de l’Angleterre, et les papiers qui passent journellement sous nos yeux (106) Moniteur, XXII, 142. (107) P.-V., XL VI, 249-250. C 320, pl. 1330, p. 26, minute de la main de Lozeau. Décret anonyme selon C* II 21, p. 5. me l’attestent, le projet de l’Angleterre est de perdre la Convention par la Convention elle-même. Quelle que soit l’épaisseur du voile dont les agents de Pitt et de Cobourg se soient couverts, il vient d’être déchiré. Le temps n’est pas éloigné où nous dirons : « Albion, tu nous as fait trop de mal pour que nous puissions te pardonner » {Vifs applaudissements). Bientôt le comité de Salut public vous fera un rapport sur les opérations et la conduite des membres qui nous ont précédés. En attendant ce rapport, ne donnons pas à l’aristocratie l’occasion de s’applaudir de nos divisions. Je demande que la Convention nationale, guidée par l’esprit de justice qui l’anime, passe à l’ordre du jour sur cette dénonciation et entende son comité de Salut public : il a des vérités à dire qui feront pâlir ses ennemis. {On applaudit) (108) 46 Un membre [TREILHARD], au nom du comité de Salut public, fait un rapport sur les avantages remportés par les armées du Nord et des Pyrénées-Occidentales; il fait ensuite lecture des lettres qui annoncent ces succès; il en résulte que l’armée du Nord a pris le Fort important de Crêve-coeur; que 500 hommes, 29 bouches à feu, 1 000 fusils neufs, armés de leurs baïonnettes, 10 fusils de rempart, et 30 milliers de poudre; et la terreur de Bois-le-Duc sont le résultat de la reddition de ce fort. A l’armée des Pyrénées-Orientales, le général espagnol Launion a voulu faire approcher 7 000 hommes de Bellegarde, lorsqu’il n’étoit plus temps ; l’ennemi a été vigoureusement repoussé par notre armée, nos chasseurs lui ont pris 4 pièces de canons : sa perte est évaluée à 600 hommes laissés sur le champ de bataille (109). TREILHARD, au nom du comité de Salut public fait le rapport suivant : Citoyens, Je viens fixer les regards de la Convention sur les nouveaux avantages remportés par les armées de la république. Nous vous avons annoncé hier la perte de (108) Pour ce long débat nous avons suivi Moniteur, XXII, 137-142, et signalé des variantes entre crochets; Débats, n°743, 198-206; Ann. Patr., n° 641; Ann. R. F., n" 13; C. Eg., n° 776; Gazette Fr., n° 1006-1007 ; F. de la Républ., n° 13; J. Fr., n” 738; J. Mont., n” 157-158; J. Paris, n 13-14; J. Per-let, n” 740 ; J. Univ., n° 1774; Mess. Soir, n" 776 ; M. U., XLIV, 187, 199-203; Rép., n° 14. (109) P.-V., XLVI, 250-251. Bull., 12 vend. ; Moniteur, XXII, 142-144; Débats, n” 743, 206-208; Ann. Patr., n° 641; Ann. R. F., n* 13; C. Eg., n” 776-777; Gazette Fr., n° 1007; F. de la Républ., n° 13; J. Fr., n“ 738; J. Mont., n° 157-158; J. Paris, n” 14; J. Perlet, n° 740; J. Univ., n” 1774-1775; Mess. Soir, n" 777, 779; M. U., XLIV, 188, 194; Rép., n° 13.