568 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 juin 1790.] il doit arriver que beaucoup de décimateurs, après avoir payé les congrues à 1,200 livres, quelques-unes à un taux plus élevé, ainsi que vous les avez établies pour les grandes villes, se trouveront posséder précisément râw, ou même moins que rien, et ce n’est sûrement pas, Messieurs, votre intention. La seconde objection est qu’il y a ici manifestement un double emploi; car pourquoi auriez-vous supprimé une partie du revenu des ecclésiastiques dont les biens excédaient une honnête médiocrité? C’est certainement pour être en état d’augmenter le salaire des ministres de la religion les plus journalièrement utiles ; c’est pour augmenter ceiui des curés jusqu’à la somme de 1,200 livres et au delà, et voilà que votre comité, par la disposition de son article, fait payer une seconde fois à celui qui avait ses revenus en dîmes, cette augmentation de congrues, puisqu’il ne règle son traitement sur les bases assignées pour tous les autres titulaires, qu’après la défalcation de ces congrues avec leur augmentation. La troisième observation est que les principes de la raison, ceux de la justice et ceux de l’Assemblée la conduisent invinciblement à établir une égalité de sollicitude de sa part et de traitement pécuniaire, envers tous ceux qui, acquittant un même service public, une. fonction honorable, ont droit à une entière égalité de récompense. Or, voyez, Messieurs, la différence barbare qui serait établie dans le sort de deux ministres (les autels, dont le revenu précédent aurait été, je le suppose, pour chacun, de 12,000 livres de rente, et dont l’un maintenant, pour avoir été fortuitement doté en propriété foncière, se trouverait conserver la moitié de son revenu, tandis que l’autre, coupable du seul malheur de l’avoir été en dîmes, se trouverait réduit à rien, ou du moins à la plus hideuse pauvreté. D’après ces considérations, je demande que l’article soit amendé et qu’au lieu de ces mots : des portions congrues y compris leur augmentation, il soit substitué ceux-ci : des portions congrues, non compris leur augmentation. M. Delley-d’Agier. Je trouve qu’il serait injuste de faire payer aux résignataires les pensions qu’ils ont accordées à leurs résignants, ce serait les priver réellement d’une partie de leur revenu. Ou doit observer, d’ailleurs, que l’on ne résigne surtout les bénéfices de cure que lorsqu’on est très avancé en âge ou incapable, par infirmité, de remplir les fonctions curiales. Le résignataire, en accordant la pension aux curés retirés, a calculé les chances de l’événement ; il pouvait cesser à chaque instant d’être grevé du paiement de la pension qu’il a accordée et par la disposition de votre décret, vous lui imposez cette charge pour toujours. M de Crlllon le jeune. J’appuie l’amendement de M. de Jessé, parce qu’adopter l’article du comité c’est réduire plusieurs décimateurs à la misère. M. Treilhard. Je combats l’amendement de M. de Jessé, parce que, quand même la nation n’au-ràit pas pris l’administration des biens ecclésiastiques et se serait bornée à augmenter les portions congrues, les possesseurs des dîmes en auraient été nécessairement grevés dès le moment même de l’augmentation. Je conclus à l’adoption de l’article du comité. (On demande à aller aux voix.) Plusieurs membres demandent la question préalable. On revient à l’amendement de M. de Delley-d’Agier. M. Thibault, curé de Souppes. Il n’est pas juste de faire supporter aux bénéficiers, chargés anciennement de payer les portions congrues, le surcroît de dotation que la justice avait accordé aux congruistes. Je suis d’autant mieux fondé à me récrier contre cette disposition que je connais des bénéficiers qui, n’ont que 2,400 livres de revenu et qui sont tenus de payer deux portions congrues ce qui, dans l’ancien régime, faisait une charge de 1,400 livres. Si ces bénéficiers sont obligés de payer en sus 500 livres à chaque congruiste, leur bénéficiée devient nul pour eux et ils sont réduits à zéro. Je demande que l’article du comité soit rédigé de façon à ce que les résignataires ne soient pas spoliés entièrement. M. Martineau. Vous avez repoussé l’amendement de M. de Jessé et vous repousserez celui de M. de Delley-d’Agier, parce que ce serait rompre toutes les mesures de votre comité et dépasser de plusde 10 à 12 millions l’équilibre qu’il a établi entre les dépenses nécessitées par les frais du culte et l’entretien des ministres et les revenus ecclésiastiques. Vous seriez donc obligés d’imposer d’autant les peuples, ce qui ne peut être dans l’intention de l’Assemblée. On demande la question préalable sur cet amendement. Après plusieurs épreuves il est rejeté. M. Grandin, curé d’Ernée. Je propose d’ajouter à l’article la disposition suivante : « Après la mort des pensionnaires, la moitié de la pension retournera aux titulaires, pourvu qu’elle n’excède pas le maximum décrété. » M. Chasset. Cet amendement, comme les précédents, aurait pour résultat de rejeter sur le peuple une part des charges que nous avons voulu faire supporter aux seuls décimateurs. Si vous voulez agir autrement, vous en êtes les maîtres, mais le devoir du comité était de vous avertir. On passe au vote. Quatre épreuves successives ont lieu sans donner de majorité décisive. On allait procéder à l’appel nominal lorsqu’une dernière épreuve fait rejeter l’amendement. M. Canins. Je propose d’insérer dans l’article une disposition par laquelle seraient déduites de la dite masse les frais du bas-chœur et musiciens, et les frais du culte divin, lorsque les chapitres en seront chargés. Cet amendement est adopté. L’article 16, qui devient l’article 19 du décret, est ensuite mis aux voix et adopté ainsi qu’il suit: « Art. 19. Les charges réelles ordinaires, les portions congrues, y compris leur augmentation, ainsi que les pensions dont le titulaire est grevé ; et, à l’égard des chapitres, les frais du bas-chœur et musiciens, et les frais du culte divin, lorsque les chapitres en seront chargés, seront déduites sur ladite masse; le traitement sera ensuite fixé sur ce qui restera, d’après les portions réglées par les articles précédents. » M. Arthur lltllon, membre de l’Assemblée et [29 juin 1790.J 569 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES j gouverneur de Tabago. J’ai reçu des nouvelles bien alarmantes d’Amérique; je sors de chez M. de La Luzerne, qui les a reçues comme moi, et qui m’a dit que je pouvais en rendre compte à l'Assemblée, parce qu’elles étaient certaines. — Extrait de la lettre adressée à M. Dillon, datée du vaisseau du roi Y Illustre : « Le second bataillon du régiment de la Guadeloupe s’est révolté contre ses officiers: le capitaine commandant a été forcé de fuir dans un bateau : le feu a pris à la ville de Tabago et l’a réduite en cendres. Les volontaires nationaux (c’est ainsi qu’on nomme quelques personnes qui ont pris les armes sans autorisation), accusent les soldats d’avoir causé cedésastre. Les soldats, à leur tour, accusentles volontaires. Ge bataillon revient en France sur des vaisseaux marchands. Nous espérons que le régiment de la Martinique se comportera toujours aussi bien qu’il a fait jusqu’à présent. » M. Arthur Dillon continue. Ces habitants ont eu anciennement des guerres intestines avec leurs esclaves ; aujourd’hui, il y a à Tabago près de 20,000 noirs contre 350 blancs. J’implore la justice de l’Assemblée, qui sans doute ne se refusera pas à leur accorder des secours en vivres, en munitions et en armes. Je demande aussi qu’il soit pourvu au sort des révoltés, quand ils seront en France. (L’affaire est renvoyée au comité des rapports, chargé d’en rendre compte le plus tôt possible.) Une députation de la ville de Versailles est admise à la barre. La place de commandant en chef de cette ville étant vacante par la démission de M. de Lafayette, en conformité des décrets de l’Assemblée nationale, le commandant en second a invité la troupe à procéder à une nouvelle nomination. Les scrutins ayant été portés à la maison commune pour procéder au dépouillement, diverses pétitions sont survenues, par lesquelles tous les citoyens demandent à concourir à celte nomination. Le conseil général de la commune a cru qu’il était de la prudence de suspendre l’élection, et nous avons été chargés de nous retirer par devant l’Assemblée nationale, pour la prier de décider si l’élection peut être faite par tous les citoyens indistinctement; si le commandant peut être choisi hors des citoyens actifs de notre ville ; si, ayant des fonctions incompatibles, il ne serait pas tenu d’opter. L’esprit de paix et de fraternité que la ville de Versailles est jalouse de conserver, est la cause de notre empressement à vous soumettre cette discussion. M. le Président. L’Assemblée nationale applaudira aux mesures que vous avez prises; elle prendra vos demandes en considération. La pétition est renvoyée au comité de constitution. (La séance est levée à deux heures et demie.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE du 29 juin 1790. TEXTE DÉFINITIF DU DÉCRET rendu les 25, 26 et 29 juin 1790, sanctionné par le roi le 7 juillet suivant, sur la vente des domaines nationaux aux particuliers , précédé du rapport fait à l'Assemblée nationale par M. de La Rochefoucauld, député de Paris. (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale et annexé au procès-verbal de la séance du 29 juin.) RAPPORT. Messieurs, Le décret que vous avez rendu le 14 du mois dernier, et l’instruction que vous avez jointe le 31 du même mois, ont déterminé les formes et les conditions de la vente de 400 millions de domaines nationaux, que vous aviez ordonuée les 19 et 21 décembre de l’année dernière, que vous avez destinés aux municipalités par votre décret du 17 mars, pour être ensuite revendus par elles à des acquéreurs particuliers, et sur laquelle vous avez hypothéqué les 400 millions d’assignats-monnaie, créés par votre décret du 17 avril. Vous avez, avec raison, borné à cette somme l’étendue d’une opération utile pour donner une impulsion première, mais qui complique la vente, et la rend moins profitable à la nation en général. Il ne reste donc à votre comité qu’à suivre les dispositions que vous avez prescrites, et il ne manquera ni de zèle ni d’activité pour en accélérer l’exécution : il peut vous annoncer que les soumissions des municipalités excèdent déjà de beaucoup les 400 millions, et bientôt il vous demandera vos ordres sur les dispositions que cette affluence vous mettra dans la nécessité d’ordonner. Mais, depuis le 19 décembre, plusieurs de vos décrets ont remis effectivement dans les mains de la nation l’universalité de ses domaines, et vous en avez confié la garde aux administrations de départements et de districts, sans statuer encore sur l’usage que vous en feriez. Vous jugerez certainement leur conservation moins utile à l’État ue leur aliénation; outre le grand avantage 'éteindre en intérêts annuels une somme fort supérieure au revenu des biens que vous vendrez, vous trouverez l’avantage plus grand encore d’augmenter la masse générale des richesses en substituant l’intérêt personnel, toujours plus actif et plus industrieux, à l’administration commune qui ne peut jamais le remplacer, et celui non moins touchant pour vous, d’appeler un grand nombre de citoyens à la propriété, par les facilités que vous donnerez aux acquéreurs, tant pour la forme que pour les époques des paiements, et par une telle subdivision des objets dans les ventes, que le pauvre même qui voudrait acquérir une petite propriété, puisse parvenir avec une légère avance qu’il se procurera facilement, s’il est connu dans son pays pour honnête, et en trouvant ensuite dans le produit de son travail, et dans les récoltes de cette même propriété, les moyens d’acquitter en peu d’années le prix de son acquisition. Votre comité pense que toutes ces vues seront remplies en appliquant aux ventes directes quq