330 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 janvier 1791.] présenter incessamment un projet de décret sur cet objet.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret relatif à l'organisation du juré . M. Duport, rapporteur : Messieurs, vous avez décrété que les premières dépositions des témoins seraient reçues par écrit devant les officiers de police ; vous av» z senti la nécessité de cette disposition qui emiêche l’arbitraire et l’indétermination de l’officier de police. Il devient nécessaire pour eux d’avoir du moins vu le commencement de preuves, pour appuyer et justifier les ordres qu’ils auront donnés. Notis avions pensé que tous ces premiers témoins sont pour la plupart et presque tous dans les procès les plus importants. Cependant, comme il pouvait se trouver encore d’autres témoins vagues comme il arrive ordinairement par les additions d’informations, vous avez pensé, d’après les observations du comité, qu’il fallait aussi recevoir par écrit ces secondes dépositions. On peut observer en passant que ce qui multipliait anciennement ces secondes dépositions, c’étaient ces facultés presque indéterminées d’ouvrir un cahier de dépositions de récolements et de confrontation, dans lequel tous les témoins auraient été entendus. Actuellement l’accusateur ayant le droit spécial de procéder à la poursuite, il y a lieu de croire qu’il ne fera point entendre tous les témoins qui n’auront point fait charge contre l’accusé. Il pourra savoir, par la lecture des dépositions, à peu près quels sont les éléments du débat qui aura lieu, et par là il pourra les diriger d’une manière plus directe, plus courte, plus usitée à la vérité. Voilà les avantages qui résultent de la disposition que vous avez adoptée hier. Il en existe encore d'autres qu’il est inutile de révéler dans ce moment, mais j’ai cru cette observation nécessaire. M. Tronehet. Je prie M. le rapporteur de m’expliquer une difficulté de forme que la lecture de son article me fait apercevoir. Il dit que les témoins qui n’auront pas été entendus devant l’officier de police et devant le directeur juré, et qui seront produits par l’accusateur, seront entendus par l’un des juges, et dit la même chose pour les témoins de l’accusé. Or, je le prie d’observer que ce ne sera très souvent que par le résultat des débats que l’accusé pourra demander à faire entendre des témoins pour se justifier : car, dans votre plan, l’accusé n’a encore eu aucune connaissance du nom des témoins produits contre lui; il ne sait point la teneur des dépositions ; ce ne sera donc que lorsqu'il entendra les dépositions qu’il pourra dire : je prétends, par un tel fait, détruire tel fait annoncé par tel témoin, et je demande à faire preuve par témoins de ce fait justificatif. Il semble que de la manière dont ils sont liés avec les témoins de l’accusateur, ces mots seront entendus d’abord : que les témoins de l’accusé soient entendus avant que l’on ouvre la séance du juré. J’observe que ce sera les trois quarts du temps perdu, parce que ce n’est qu’après avoir entendu les témoins, et dans le cours des débats, que l’accusé le plus souvent saura et dira qu’il a des témoins à produire pour établir ses faits. Je prie le rapporteur de m’expliquer comment se fera alors la procédure. M. Duport, rapporteur. Il y a plusieurs réponses à faire à M. Tronehet. Voici la première : Vous avez voulu, Messieurs, détacher du plan méthodique qui vous avait été présenté sur les jurés la question de savoir si l’on écrira par-devant les jurés, ou si les preuves seront écrites avec les modifications qui ont été proposées entre les deux propositions du comité et de M. Tronehet. On a dit : nous avons cru qu’il y avait, et l’Assemblée l’a pensé ainsi, qu'il y avait un milieu qui était de décréter que le débat ne serait pas écrit, mais simplement les dépositions. Ainsi l’Assemblée doit considérer ici que ce sont les bases qu’elle donne à son comité, pour qu’il puisse ensuite les fondre dans son travail et les placer à leur véritable place. Voilà d’abord une première observation. Ensuite je dirai à M. Tronehet: si dans le débat, l’accusé pouvait faire entendre sur-le-champ un homme qui pourrait le tirer d’affaire eu disant qu’il est innocent, certes il n’est pas de l’institution du juré, d’une institution raisonnable, que parce qu’il n’a pas été entendu avant le débat, il ne puisse pas être entendu. Si cela était, vous auriez absolument détruit tout ce qu’il y a de beau dans cette institution, qui est de donner quelques fils aux juges et aux jurés pour se conduire, mais de n’en faire jamais une fin de non-recevoir contre la vérité. Ainsi l’observation de M. Tronehet est déjà réduite en partie par cette idée. Maintenant il est bon de savoir et de faire remarquer que notre système est construit sur le plan que nous avons cru le plus avantageux à l’accusé, sans blesser les droits de la société ; et il est en cela infiniment plus favorable à l’accusé que le système anglais. En Angleterre, l’accusé n’a point connaissance de l’acte d’accusation : lorsqu'on le lui lit pendant le débat, il ne peut pas en prendre copie. Les Anglais, lorsqu’ils ont institué les jurés, ont pensé qu’il fallait dire à l’accusé : voilà ce dont vous serez accusé, préparez-vous pour vous en défendre; il y a quelque chose de plus, c’est que l’accusé arrive au débat sans qu’il puisse avoir une connaissance bien précise de ce qui sera traité dans le débat, et cependant il est obligé d’y faire comparaître également ses témoins. Maintenant voici la différence, à l’avantage de l’accusé, que nous avons trouvé nécessaire de mettre dans le projet : c’est que l’acte d’accusation est communiqué à l’accusé, au moyen de quoi il voit non seulement ce dont on l’accuse en général, mais les différentes circonstances sur lesquelles il pourra établir des preuves contraires: ainsi, un homme a été pris dans tel endroit avec telle circonstance de localité, il peut trouver et faire venir des témoins pour prouver la fausseté des faits généraux et des circonstances. Il existe dans notre plan une différence pour l’accusé : c’est qu’il connaît les témoins qu’il veut faire venir; de plus, nous avons cru nécessaire de faire connaître à l’accusé les dépositions des témoins; et ces dépositions donnent à l’accusé, encore plus que l’acte d’accusation, la facilité d’établir une contrariété entre ce qui est porté contre lui et ce qu’il prétend être vrai par ta déposition des témoins. M. Tronehet. Voici sur quoi touche mou observation : Je n’ai certainement jamais pu douter que vous vouliez réserver à l’accusé qui veut produire les témoins dans le moment du débat la f.iCulté de les faire entendre, mais je désirerais que l’acte fût rédigé de manière à l'indiquer, et vous ne parlez ici que des témoins que l’accusé aura pu produire avant l’examen et le débat. Lorsqu’un accusé dira : j’ai un témoin à produire contre cette personne, mais je ne l’ai pas lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 119 janvier 1791.] 331 sous ma main, il est à 10, 15 ou 20 lieues, il faudra bien de toute nécessité que vous interrompiez votre débat et que vous fassiez des articles réglementaires sur la formation de cette instruction. M. Démeunier. Avant que les débats commencent devant le juré du jugement, l’accusé a trois moyens de connaître les faits qu’on lui impute; il peut, dans ces cas, produire ses témoins; d’abord parce qu’on lui a dit devant le juré de police ce dont il était accusé; ensuite d’après ce que lui a dit le directeur du juré; et enfin parce que l’acte d’accusation lui a été communiqué. Après cette explication, Messieurs, il n’y a plus de difficulté que sur la rédaction. Je propose d’ajouter deux mots, et l’article sera ainsi conçu ; « Les nouveaux témoins que l'accusateur voudra produire devant le juré de jugement, ainsi que les témoins que l’accusé voudra produire à cette époque de la procédure, seront entendus d’abord devant un des juges du tribunal criminel. » Plusieurs membres : Aux voix ! M. Clou pii de Préfeln. Messieurs, il est intéressant que la rédaction soit plus claire sur un fait. Par exemple, je suis accusé; et dans le débat entre le témoin et moi, il m’apprend qu’il était en la compagnie de M. un tel. Je ne rn’en doutais pas; alors je lui dis: vous étiez dans la compagnie de M. un tel, je demande qu’il soit entendu, j’ai confiance en sa véracité. Il est sensible que je n’ai pas pu indiquer ce témoin avant le déb it; et comme en faisant des lois, et surtout des lois aussi importantes que celles dont il s’agit, il ne faut rien laisser à l’équivoque, je demande que la rédaction soit conçue de manière qu’elle indique bien précisément que l’accusé sera admissible à produire même après un débat long et terminé. M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angèlÿ). Il me semble que l'on n’a pas répondu à mes observations ni à celles de M. Tronchet et que je vais répéter : je suppose que le débat apprenne à l’accusé que des faits qui ont été assignés contre lui peuvent être détruits par la preuve d’un fait justificatif; qu’il lui soit nécessaire d’appeler des témoins qui, éloignés du lieu où se fait l'instruction, ne pourront être arrivés qu'au bout d’un certain temps. Alors fera-t-on le débat en entier, et contestera-t-on ce qui s'est fait dans le débat pour faire revenir le témoin un autre jour; ou bien interrompra-t-on dès ce moment l’instruction de la procédure contre cet accusé, regardera-t-on comme non avenus tous les débats qui auraient été faits jusqu’à cet instant, et atten-dra-t-on à la recommencer à l’époque à laquelle il aura pu appeler ses témoins de la ville éloignée et les faire entendre? La seconde partie de l’objet de M. Tronchet est qu’il y a deux partis à preudre : ou d’achever le débat et d’en constater toutes les parties, ou bien de le faire cesser à l’instant même, pour le reprendre en entier au moment où l’accusé aura joint les témoins qui attesteront les faits justificatifs. M. Tronchet. Le préopinant a bien senti mon objection, mais j’ajoute à ce qu’il vient de dire, qu’il y aura un cas qui forcera d’interrompre les débats: car je suppose que ce n’est qu’au moment et dans le milieu du débat qu’un de mes amis vient de m’avertir qu’il a acquis la preuve de la subornation des témoins. J’articule et j’en demande la preuve. Il faut bien que l’on interrompe le débat, mais je n’en tire pas de là la conséquence qu’il faut, dans ce moment, faire un article pour régler la procédure. M. Démeunier a rempli mon objet en demandant que cet article fût tellement rédigé, que l’on vît que ce n’est que les témoins que l’accusé aura pu produire avant le commencement du débat. Je demande donc à l’Assemblée que l’on se réserve à statuer sur ce qu’il y aura lieu de statuer. M. Démeunier. Nous vous proposons une rédaction qui remplit les intentions de M. Tronchet, et la seconde observation de M. Goupil. De concert avec le rapporteur, je propose d’ajouter à l’article : le tout sans préjudice des nouveaux témoins que l’accusé pourra produire par la suite. Par le moyen de ces additions, l’article se trouverait ainsi conçu : « Les nouveaux témoins que l’accusateur voudra encore produire devant le juré, ainsi que les témoins que l’accusé voudra produire à cette époque de la procédure, seront entendus, et leurs dépositions écrites devant un des juges du tribunal criminel, le tout sans préjudice de nouveaux témoins. » M. Fréteau de Sainl-Just. Au titre II de la police de sûreté, il y a un article par lequel il est défendu à tout gardien de maison d’arrêt de recevoir un homme si le mandat d’arrêt ne contient les motifs d’arrestation ; ainsi il se sera écoulé près d’un mois et souveut plus, entre la première connaissance donnée à l’accusé de l’objet pour lequel il a été arrêté, et l’instant du débat. Je demande si l’accusé n’aura pas eu tout le temps de produire ses témoins? M. Tronchet. L'accusé n’a pu produire un témoin qu’il ne connaissait pas, puisqu’il peut arriver qu’il ne les connût que dans le débat. M. Démeunier. Pour ne rien préjuger, je voudrais qu’on ajoutât ces mots : ainsi qu’il sera réglé. M. Duport, rapporteur. La rédaction que M. Tronchet avait proposée d’abord m’a paru remédier à tout. Il ne faut pas mettre la dernière clause de M. Démeunier. Nous ne sommes pas dans l’intention de faire des articles comme dans t’ordonnance de 1570. L’article 2, mis aux voix, est adopté comme suit : Art. 2. « Les nouveaux témoins que l’accusateur voudra produire encore devant le juré de jugement, ainsi que les témoins que l’accusé produira à cette époque de la procédure, seront entendus, et leurs dépositions écrites devant un des juges du tribunal criminel : le tout sans préjudice des témoins que l’accusé pourra faire entendre par la suite, et il sera donné connaissance à l’accusé des dépositions, de la manière qui sera réglée par la suite. » M. Duport, rapporteur, donne ensuite lecture de l’article 3 qui est ainsi conçu : « L’examen des témoins et le débat seront faits ensuite devant le juré, de vive voix et sans écrit, après la lecture publique qui sera faite de toutes