272 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 juin 1790.] la sûreté des citoyens. Sans doute, que ce corps déjà rougi d’avoir pu s’en écarter, au mépris du serment solennel qu’il a prêté de rester fidèle à la nation, au roi, à la loi et aux règles de la discipline militaire. Mais quelques heureux effets qu’aient pu produire son repentir, le roi ne pourra le croire durable que lorsque les officiers que l’effervescence a forcés de s’absenter, seront rentrés à leurs compagnies, et que J’adjudant et les bas-officiers du régiment, qui ont été injustement destitués par les soldats, seront remis à leur place; c’est à obtenir cette marque d’un retour sincère que Sa Majesté vous ordonne d’employer tous vos soins. J’écris à M. de Chollet, pour qu’il vous seconde de tous les moyens que l’autorité de sa place pourra lui faire employer. J’ai l’honneur d’être très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : La Tour-du-Pin. M. de Folleville. Les pièces importantes qui viennent de vous être communiquées ne peuvent être jugées sur une simple lecture ; je demande donc qu'on ajourne à jour fixe pour statuer sur la proposition faite hier par M. de Cazalès, concernant les faits particuliers à M. le vicomte de Mirabeau. Plusieurs membres réclament l’impression des pièces et le renvoi aux comités des rapports et militaire. M. l’abbé Maury, On demande le renvoi au comité des rapports : cette mesure est insuffisante. Si l’Assemhlée était plus instruite, je réclamerais de sa justice ce que j’attends de sa seule humanité. Existe-il un seul représentant delà nation qui puisse consentir à laisser un de ses collègues dans les plus grands dangers? Il en est deux auxquels M. le vicomte de Mirabeau est exposé. L’Assemblée peut y pourvoir. L’opinion publique de la capitale est égarée par des libelles qu’on proclame de toutes parts, et que voilà. En ce moment même, ils disent que M. le vicomte de Mirabeau adonné ordre de faire feusur le peuple ; c’est une calomnie infâme. Ils disent qu’il y a eu a Perpignan un combat de cinq heures, et que douze cents personnes y ont perdu la vie ; rien n’est plus faux. Ces libelles se sont répandus dans tout le royaume, et sont destinés à faire assassiner M. le vicomte de Mirabeau sur la route. Vous connaissez l’esprit du peuple, et si vous aimez le peuple, vous devez lui épargner des erreurs et des crimes qui déshonoreraient la nation... (On entend ces mots partir du côté gauche : Allons donc ! Tout le côté droit se lè ve, et demande que celui qui a prononcé ces paroles soit rappelé à l’ordre.) M. l’abbé Maury. Les représentants de la nation sont les arbitres suprêmes de l’opinion publique, et l’opinion publique est en ce moment la seule force qui puisse contenir le peuple. Ces libelles qui, dans Paris, sont à peine dignes du mépris des honnêtes gens, sont à cent lieues de la capitale des arrêts de mort. Laisseriez-vous en paix ces misérables libellistes, qui calculent le fruit de leurs crimes par les maux qu’ils doivent produire? Je demande un décret qui démente ces calomnies; je ne demande pas que vous préjugiez de rien, mais que la fausseté des faits soit démontrée, soit certifiée par vous. Il faut dire qu il est faux que M. le vicomte de Mirabeau ait fait tirer sur le peuple; qu’il est faux qu’il ait soutenu un combat; que des citoyens de Perpignan aient été tués. Je ne vous dirai pas qu’il s’agit d’un Français, d’un représentant de la nation ; quand il s’agirait d’un étranger, d’un coupable, vous ne devez pas le livrer à la fureur du peuple. Je dirai que je plaide la cause de mon ami ; c’est au moment où il est calomnié de la manière la plus odieuse, c’est au moment où ses ennemis se préparent à lui susciter des assassins à chaque pas, que je déclare que M. le vicomte de Mirabeau est mon ami. Ce sentiment, que les âmes honnêtes apprécient toujours, suffit pour justifier ma demande. Mais je ne réclame que votre justice. Rendez un décret qui fasse connaître les faits, qui certifie la fausseté de ceux qu’on proclame de toutes parts, qui mette M. le vicomte de Mirabeau sous la sauvegarde de l’Assemblée nationale. Par là vous imposerez aux calomniateurs, vous sauverez un de vos collègues ; mais si ma demande est mal reçue, je me reprocherai d’avoir involontairement contribué à un grand crime qui se prépare ; vous livrerez volontairement M. le vicomte de Mirabeau au peuple, vous l’abandonnerez volontairement aux poignards. M. d’André. Le parti que l’Assemblée doit prendre est infiniment simple. Il faut mettre M. le vicomte de Mirabeau sous la sauvegarde de l’Assemblée nationale ; ce point n’est contesté par personne. Il y a un autre moyen très simple, c’est de faire imprimer la lettre de la municipalité de Perpignan : on verra qu’il n’y a eu personne de tué, et qu’il n’y a pas eu de combat. M. Muguet de JVanthou. Nous partageons tous la sollicitude qu’inspire la situation de M. le vicomte de Mirabeau : s’il y a quelque incertitude, c’est seulement sur les moyens de pourvoir à sa sûreté. Le premier est d’arrêter les libelles dans lesquels, comme l’a très bien observé M. l’abbé Maury, la vérité est altérée, les calomnies les plus infâmes insérées. On les arrêtera en imprimant la lettre de la municipalité de Perpignan. Quant à la sûreté de M. le vicomte de Mirabeau, nous ne pouvons la mettre sous la sauvegarde de l’Assemblée; tous les citoyens sont sous la sauvegarde de la loi ; mais nous pouvons inviter les mucipalités à employer tous les moyens pour empêcher qu’il n’arrive rien, en quelque manière que ce soit, à M. le vicomte de Mirabeau; il faut en même temps dire que toutes les pièces sont renvoyées au comité des rapports, pour qu’il en soit incessamment rendu compte à l’Assemblée. M. Goupil de Préfeln. J’entre dans les vues de M. l’abbé Maury, et je vous supplie de désavouer par le même décret les odieuses calomnies publiées contre la religion de l’Assemblée, pour bouleverser le royaume. (On demande la question préalable et l’ajournement sur cette proposition. — M. Goupil consent à cet ajournement.) M. Moreau. Il est dangereux d’adopter la question préalable et l’ajournement quand les libelles les plus affreux sont répandus avec profusion.— M. Moreau fait lecture de quelques fragments d’un de ces libelles. M. Malouet. Non seulement il est dangereux 273 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] de proposer la question préalable sur ces libelles; mais quand ils sont si atroces, il faut sévir : je demande donc qu’il soit ordonné au procureur du roi du Châtelet d’informer contre les auteurs, colporteurs et distributeurs des libelles où l’on accuse, soit que l’accusé se nomme, soit que l’accusé ne se nomme pas. Je dénonce les Révolutions de France et de Brabant. (Plusieurs personnes du côté gauche disent : dénoncez donc la Lanterne magique, les Actes des Apôtres, la Déclaration du Clergé .) M. Malouet. Quoiqu’il n’y ait pas de loi promulguée, et que celle qu’on vous aproposée soit ajournée, il D’en est pas moins vrai qu’il est impossible qu’une nation existe dans un état d’hostilité atroce des hommes les uns contre les autres. Cet état est celui où il est permis à tous d’attaquer l’honneur de tous les citoyens, de tels ou tels représentants, d’attaquer les personnes les plus augustes, qui doivent être l’objet de notre amour et de tous nos respects. Je demande que ma proposition soit mise aux voix (1). Divers membres demandent à aller aux voix sur la motion de M. Muguet de Nanthou. M. de Cazalès. Je demande que non seulement il soit donné des ordres à toutes les municipalités de veiller à sa sûreté, mais encore à sa liberté... Le principe est établi; M. de Mirabeau est placé, par le décret, sous la sauvegarde de la loi; en demandant l’addition du mot liberté, on ne sort pas de ce principe : nécessairement tout citoyen qui est sous la sauvegarde de la loi, ne peut être arrêté au mépris de cette loi : or, rien ne peut autoriser l’arrestation de M. le vicomte de Mirabeau... (lia, dit-on, dans la partie gauche, été arrêté en flagrant délit, et sur la clameur publique.) Si sa personne est sous la sauvegarde de la loi, sa liberté est sous la même sauvegarde. M. Devillas. L’Assemblée ne peut rien statuer sur la liberté de M. de Mirabeau : elle sait seulement qu’il y a un vol, un enlèvement de cravates des drapeaux d’un régiment; si le coupable est arrêté, la loi prononcera. M. de Folleville. Le décret met M. le vicomte de Mirabeau sous la sauvegarde de la loi : si sa liberté n’y est pas comprise, il est sous la sauvegarde de son geôlier. M. Prieur présente une nouvelle rédaction, qui est adoptée en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète : « 1° Que les pièces relatives à M. de Mirabeau, le jeune, colonel du régiment de Touraine, seront renvoyées aux comités des rapports et militaire réunis ; « 2° Que la lettre de la municipalité de Perpignan, en date du 13 du présent mois, sera imprimée; « 3° Que son président se retirera dans le jour par devers le roi, pour supplier Sa Majesté de donner les ordres nécessaires pour procurer la sûreté de M. de Mirabeau. » (1) On trouvera annexée à la séance de ce jour la motion de M. Malouet sur les libellistes , avec les motifs donnés par l’auteur. Série. T. XVI. M. le Président. L’Assemblée va passer à son ordre du jour qui est la suite de la discussion sur l'organisation civile du clergé. Titre III. Je relis les articles 9 et 10 qui ont été discutés dans la séance d’hier, mais sur lesquels il n’a pas été émis de vote. « Art. 9. Les assemblées administratives feront faire une estimation des biens-fonds qui dépendent de chaque cure, et la jouissance en sera laissée aux curés, jusqu’à concurrence du quart de leur traitement, et en déduction des sommes qui doivent leur être payées. « Art. 10. Dans les paroisses des campagnes où les cures n’ont pas de biens-fonds, ou n’en ont pas dans la proportion qui vient d’être fixée, s’il s’y trouve des domaines nationaux, il en sera délivré aux curés, d’après l’estimation qui en sera faite, toujours jusqu’à concurrence, et en déduction du quart de leur traitement. » M. Martineau, rapporteur. Messieurs , le comité ecclésiastique s’inspirant des objections qui ont été présentées hier, sur les articles 9 et 10, m’a chargé de vous proposer de leur substituer un article unique, qui serait ainsi conçu : « Dans toutes les paroisses de campagne où il y a des fonds de terre attachés à la cure, il en sera laissé au curé un arpent, le plus près de son habitation, pour lui tenir lieu de jardin et verger. » M. d’André. Cet article est en contradiction formelle avec les précédents décrets qui portent qu’à l’avenir le clergé ne pourra posséder aucuns biens-fonds. J’en demande le rejet. M. l’abbé Gouttes. Les décrets n’ont jamais dit que les curés n’auront ni jardin ni verger, et l’arpent de terre qu’on vous propose de leur laisser, dans les immenses possessions qu’ils abandonnent pour le salut commun, n’entamera en rien le principe que vous avez posé. M. le baron d’AUarde. Les abus s’introduisent par des brèches plus petites que celles qu’on nous propose de faire à nos principes. Je demande la question préalable sur les deux anciens articles, ainsi que sur l’article nouveau du comité. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide qu’il n’y a lieu à délibérer sur les articles 9 et 10 et sur l’article nouveau. M. le marquis d’Angosse, député d1 Armagnac, demande un congé pour cause de maladie. M. le comte de jfïontjoye-Vanfrey, député de Belfort, prie l’Assemblée de lui permettre de s’absenter pour motif de santé. M. l’abbé Dclaplace, député de Péronne, sollicite un congé de quinze jours nécessité par des circonstances malheureuses où il se trouve. Ces congés sont accordés. M. le Président. L’ordre du jour est la discussion du projet de décret du comité des dîmes sur des pétitions relatives à la perception de la dîme, des champarts et autres redevances foncières payables en nature. M. Chasset, rapporteur, annonce que, conformément aux intentions manifestées par l’Assemblée dans la séance d’hier au matin, le comité 18