408 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 octobre 1789.] puis quelques jours par les gens qui voulaient exciter le peuple contre l’Assemblée nationale; peut-être aussi ma conduite précédente aurait-elle dû me mettre à l'abri de cette imputation. J’ai passé beaucoup d’années au service de ma patrie, et travaillé pour son bonheur et pour sa gloire. Au reste, Monsieur, je sais qu’un citoyen doit être toujours disposé à répondre au tribunal du public. Je viens récemment de confondre une calomnie inventée contre moi à mon district de Saint-Philippe du Roule. On avait travesti une de mes lettres; mais l’original, ayant été produit, a parlé pour moi, et l’imposteur a été démasqué. Ici, je réclame ceux qui m’ont entendu dans l’œil-de-bœuf; et je crois, sans cependant en être bien assuré, que M. le prince de Poix, et M. le duc de Liancourt étaient de ce nombre. J’offre de prouver V alibi pour toute autre conversation avec ces femmes. Telle est, Monsieur, ma justification ; elle est faite à la bâte, mais je sais le danger des premières impressions, et l’avantage qu’on peut en tirer. J’ajouterai, Monsieur, que je suis pénétré de respect pour l’Assemblée nationale, et que je viens d’en donner une preuve en refusant de signer des arrêts du conseil, depuis la date de la sanction que le Roi a donnée aux droits de l’homme, ayant jugé que ces formes sont devenues interdites. Je ne dispute pas à M. le comte de Mirabeau ses talents, son éloquence, ses moyens ; mais je ne le crois pas meilleur citoven que moi. J’ai l’honneur d’être, etc. Signé : le comte de Saint-Priest. Paris, le 10 octobre 1789. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU. Séance du lundi 12 octobre 1789, au matin (1). A l’ouverture de la séance, M. Fréteau, nommé président, prononce le discours suivant : Messieurs, le choix que vous avez daigné faire de moi m’inspire une grande reconnaissance ; cette nouvelle marque de vos bontés m’inspire aussi de grands devoirs ; elle m’invite surtout à suivre les grands exemples de fermeté que vous donnez à toute la France, dans un moment où, d’une part, la naissance de la liberté est mal assurée; de l’autre, le crédit épuisé et le salut public n’ont de ressource que dans la résolution et le courage des meilleurs citoyens. Vous courez dans la capitale envelopper le Roi de votre amour, et l’éclairer de vos conseils; que la modération et le calme continuent dans vos délibérations ; que l’esprit d’ordre et de justice préside à vos décrets. J’ose, pour ma part, vous offrir l’hommage d’un zèle toujours renaissant, un cœur sensible aux impressions de l’amour du patriotisme, et surtout cet ancien respect pour les droits de l’homme et du citoyen, qui a attaché toute mon existence à la chose publique, et ma gloire à la fortune des représentants de la nation. (On applaudit.) On donne lecture des procès-verbaux des séances de samedi. Sur le procès-verbal de la séance du matin, ou critique une expression impropre dont le rédacteur s’était servi pour désigner Y intitulé de la loi. Un membre propose d’y substituer ces mots-ci : la formule de la promulgation de la loi. Ce changement est adopté. M. Fréteau consulte l’intention de l’Assemblée sur l’heure précise de ses séances. L’Assemblée les fixe invariablement à neuf heures du matin. M. le duc de Villequier obtient un passe-port pour cause de colique inflammatoire. M. le comte de Pardieu, nommé commandant de la milice nationale de Saint-Quentin, demande et obtient un, passe-port pour l’organiser. M. le marquis Dupac de Badens, député de la noblesse de Carcassonne, demande pour des affaires très-majeures un passe-port d’un mois, sous l’engagement d’honneur de revenir dans le temps fixé. L’Assemblée accorde ce passe-port. M. Le Carpentier de Chailloué, député d’Alençon, demande également un passe-port. L’Assemblée, ayant reconnu les motifs légitimes, autorise M. le président à signer le passe-port demandé. M. le Président rappelle l’ordre du jour, sur la question de savoir si en tête de la loi, on ajoutera aux mots Roi des Français, ceux de Roi de Navarre. M. Target fait sentir la nécessité de décréter sur-le-champ la formule de la loi ; il dit que cet objet n’est pas de nature à occuper longtemps l’Assemblée, mais qu’il est nécessaire de faire paraître les nouvelles lois du royaume. Beaucoup de membres appuient la motion de M. Target. M. de Malartfc détourne l’attention de l’As-ssemblée en dénonçant un commissaire qui, peu effrayé de l’exemple terrible que la généralité de Paris a donné, a fait des rôles où il condamne les moins imposés à des gratifications envers des subdélégués, en faveur des secrétaires d’intendants, etc. M. de Malartic a eu la prudence de ne pas nommer cet intendant. Ces observations n’ont pas de suite. M. le comte de Mirabeau. J’observe, avant qu’on passe à l’ordre du jour, que depuis la dénonciation que j’ai faite avant-hier dans cette Assemblée, il s’est répandu à Paris une lettre intitulée : Lettre de M. le comte de Saint-Priest au président du comité des recherches à l’ Assemblée nationale. Je demande si quelqu’un de nos officiers a eu connaissance officielle de cette lettre. M. le Président. Cette lettre a été portée au comité, et remise ce matin sur le bureau. M. le comte de Mirabeau. Je demande à édifier l’Assemblée, dans une des prochaines séances, sur une dénonciation à laquelle je pré-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 409 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 octobre 1789.] tends et entends donner toute la suite possible. Je passe à l’ordre du jour. Dans une saison de craintes, de terreurs, il est important de montrer que la nation n’a jamais eu de si instantes, de si belles, de si abondantes ressources ; je demande donc qu’on décrète deux principes : premièrement, que la propriété des biens du clergé appartient à la nation, à la charge par elle de pourvoir à l’existence des membres de cet ordre; secondement, que la disposition de ces biens sera telle, qu’aucun curé ne pourra avoir moins de 1,200 livres avec le logement. M. l’abbé Grégoire. On n’a pas encore imprimé le mémoire de M. l’évêque d’Autun. 11 faut donc renvoyer à vendredi la délibération sur cet objet. M. de Volney. Il faut déclarer en même temps, et celte déclaration est conforme à mon cahier, que la propriété des domaines du Roi appartient à la nation. Je pense cependant que la motion de M. de Mirabeau peut être renvoyée à vendredi. Un de MM. les secrétaires donne lecture d’une lettre signée de Polverel, syndic, député des Etats de Navarre ; elle est ainsi conçue (1) : « Monsieur le président, la question qui doit être discutée ce matin est de la plus haute importance pour la France et pour la Navarre : si ce mémoire contient quelque assertion qui exige des preuves plus positives ou des développements ultérieurs, je serai aux ordres de l’Assemblée nationale et je lui donnerai soit de vive voix, soit par écrit, tous les éclaircissements qui sont en mon pouvoir. «Si la députation de la Navarre s’était présenté à l’Assemblée nationale et qu’elle y eût été reçue, il est probable que la suppression sur le titre de Roi de Navarre n’aurait pas été matière à discussion, ou la députation se serait présentée avec des pouvoirs illimités et alors la Navarre se serait déclarée membre du royaume de France, et alors vous auriez pu, sans inconvénient, sup-rimer le titre de Roi de Navarre, puisque les avarrais auraient été compris sous la dénomination deFrançais ; ou vous auriez reçu la députation de Navarre avec ses pouvoirs limités et dans la forme que les Etats de Navarre lui avaient donnée : vous ne vous y seriez déterminés que parce que vous auriez cru que la Navarre n’était pas membre du royaume de France ; et alors vous auriez su d’avance pourquoi il était nécessaire de conserver au Roi des Français le titre de Roi de Navarre. « Le mal n’est pas irréparable pour la chose publique, puisque l’Assemblée nationale n’a encore rien décrété sur la question intéressante des deux royaumes. « Nous espérons aussi qu’elle voudra bien ne pas précipiter son mgement sur la conduite qu’ont tenue à son égard les Etats de Navarre et leur députation. « La députation est à Versailles depuis la fin de juillet. Elle n’a pas encore présenté ses pouvoirs à la vérification, et l’on a dit dans l’Assemblée nationale qu’elle était ici pour sonder le terrain. Le mot est vague, insignifiant, mais il présente des soupçons : la Navarre, ni ses députés ne peuvent (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse de cette lettre. en laisser subsister aucun. Puisque nous ne sommes pas là pour nous défendre, nous osons espérer, Monsieur le Président, que l’Assemblée nationale daignera entendre avec quelque intérêt le compte que nous allons lui rendre de la conduite des Etats de Navarre et de leur députation. « L’intérêt et le vœu de la Navarre est d’être indissolublement unie à la France: ses Etats ont exprimé leur vœu dans les pouvoirs qu’ils ont donnés à leurs députés. Ils l’ont motivé sur la faiblesse de la Navarre, sur le besoin qu’elle avait de l’appui d’une nation libre et puissante pour protéger sa liberté contre les entreprises de J’au-torité arbitraire. « Ils ont donné une preuve non équivoque de la sincérité de ce vœu. L’ordre de la succession à la couronne de Navarre appelait les femmes à défaut de mâles. Pour qu’aucun événement ne pût les séparer du royaume de France, ils ont fait ce que personne ne leur avait demandé et qu’eux seuls pouvaient faire ; ils ont adopté la loi salique pour l’ordre de la succession à la couronne de Navarre et ils ont chargé leur députation de présenter cet acte à l'Assemblée nationale de France. « Mais la Navarre avait une bonne Constitution. Sa puissance législative résidait dans ses Etats généraux. Nul impôt ne pouvait être perçu ni exigé en Navarre, s'il n’avait été consenti par les Etats, et il était encore incertain si la France parviendrait à se donner une bonne Constitution. « Les Etats de Navarre ne doutaient pas qu’au xvme siècle, l’élite de la nation la plus éclairée de l’univers ne pût faire pour la liberté publique beaucoup mieux qu’on n’avait fait, dans le vme, en Navarre et en France; mais il était permis de craindre avecM. Necker, les ambitions , les vanités et les moyens de tout genre qui reposaient entre les mains du gouvernement et qui lui donnaient le pouvoir de captiver les esprits par tant d’intérêts divers. « Dans cette incertitude, les Etals de Navarre ont cru ne devoir se confondre avec la France et renoncer à leur Constitution que lorsque la France pourrait leur offrir une Constitution aussi bonne que la leur; en attendant ils offraient et demandaient à l’Assemblée nationale de France un traité fédératif. « Tel était notre mandat auprès de l’Assemblée nationale. Nous ne pouvions accepter voix délibérative, ni sur la Constitution, ni sur la législation, ni sur l’impôt, parce que les Etats avaient craint que s’ils nous eussent autorisés à délibérer sur ces objets dans l’Assemblée nationale, on n’en induisît qu’ils avaient renoncé à leur Constitution, à leur puissance législative, et à leur droit exclusif de s’imposer eux-mêmes. « D’un autre côté, l’Assemblée nationale avait déclaré par son arrêté du 19 juin son droit exclusif d’ordonner sur l’impôt pour toutes les provinces du royaume, quelle que fût la formule de leur administration. « Elle avait déclaré, par celui du 4 août, que les privilèges particuliers des provinces, des principautés , des villes, corps et communautés d’habitants, soit pécuniaires, soit de toute autre nature, étaient abolis sans retour et demeureraient confondus dans le droit commun des Français. « Enfin nous fûmes bientôt instruits des principes de l’Assembiée nationale sur la nullité des limites et des clauses impératives des mandats.