41 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 mai 1791.] Art. 194. Au sieur Tronchet, pour traitement et gratification en qualité d’inspecteur surnuméraire du domaine de la couronne, la somme de 3,000 livres suivant la décision du ministre de l’intérieur, du 27 avril 1791, ci.. .......... 4° Charges et offices. BREVETS DE RETENUE. Art. 195. Au sieur Daru, la somme de 70,000 livres pour le montant d’un brevet de retenue accordé par le roi audit sieur Daru, sur la charge de commissaire des guerres dont il était pourvu, de laquelle somme les intérêts à 5 0/0 courront du 15 avril 1791, ci. A la charge par tous les dénommés auxdits états ci-dessus de se conformer aux lois de l’Etat pour l’obtention des reconnaissances de liquidation et mandats sur la caisse de l’extraordinaire. Total ..... Rapport ..... I. s. d. , 000 » » 70,000 » » 985,127 9 10 104,704 3 9 Total général ..... 1,089,831 13 7 (Ce décret est adopté). L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret des comités de Constitution , de la marine , d'agriculture et de commerce et des colonies réunis , sur l'initiative à accorder aux assemblées coloniales dans la formation des lois gui doivent régir les colonies et sur l’état civil des gens de couleur (1) . M. Pélson de Villeneuve. Messieurs, par un décret rendu hier, vous avez décidé qu’il y avait lieu à délibérer sur le projet de vos quatre comités. Avant de donner mon opinion sur ce projet, je vais vous donner lecture de deux lettres assez importantes. On a lu à cette tribune, et on a répandu avec profusion dans le public, une prétendue délibération du commerce, qui a pu influer sur la décision de l’Assemblée; il est juste que l’Assemblée entende aussi la lecture de documents qui y répondent. Voici ces deux lettres (Murmures)... M. l’abbé de Pradt. Ce n’est pas là la question. M. l’abbé de IBélhésy de Méæières. Monsieur le Président, ce n’est pas là l’ordre de la délibération; la discussion est fermée sur le fond. M. le Président. Je prie l’opinant de se renfermer dans la question. (1) Voy. ci-dessus, séance du 12 mai 1791, p. 4. M. l’abbé de Pradt. M. Pétion n’est pas même recevable à parler sur le fond; le règlement l’exclut de la tribune, car il a déjà parlé deux ou trois fois. M. de Vracy. Il n’est pas vrai que la délibération soit fermée sur les articles du comité et je m’inscris en faux contre cette assertion. On a décrété hier qu’il y avait lieu à délibérer, il faut donc délibérer. M. le Président. J’observe que si la délibération s’ouvre d’une manière aussi tumultueuse, je ne sais pas comment elle finira : en tout cas, il m’est impossible au milieu du bruit de vous répondre. C’est à moi à maintenir l’ordre de la délibération et, si je me trompe, on me réformera. Ainsi je dois dire qu’il a été décrété qu’on délibérerait sur les articles du comité; c’est donc dans la discussion de ces articles que les opinants doivent se renfermer. Si à présent on prétend que la dicussion est fermée sur le fond (Non! non !), je consulterai l’Assemblée. M. l’abbé de Pradt. Il n’y a pas besoin de discussion ultérieure. Il s’agit de savoir si l’Assemblée a fermé la discussion sur le fond (Non ! non!)... 11 y a une manière bien simple de terminer tous ces cris et de trancher la question, c’est de consulter le procès-verbal : vcns y verrez que la discussion est fermée. Il s’agit d’un fait; ce fait une fois constaté, personne ne niera que la discussion a été fermée sur le fond. (Bruit.) M. Malouet. Il est temps de savoir ce que vous voulez faire; nous ne nous opposons à rien; si vous. voulez que la discussion recommence sur le fond, cette discussion une fois recommencée, chacun parlera librement; si vous aimez mieux, comme cela me paraît plus naturel, que l’on discute le décret article par article, hé bien! chacun aura la liberté de développer ses observations sur chaque article et les défenseurs de l’un et l’autre système pourront être entendus. (Oui ! oui !) M. l’abbé de Etéthésy de Mézières. C’est à dire qu’on nous remet au point où nous étions lundi. (L’Assemblée décide que la discussion est fermée sur le fond et qu’elle examinera le projet article par article.) M. Pétion de Villeneuve (1). Je vais me renfermer dans le premier article du projet de décret de vos comités. Il porte « qu’aucune loi sur l’état des personnes ne pourra être faite par le Corps législatif, pour les colonies, que sur la demande précise et formelle des assemblées coloniales. » Vous avez entendu hier à la tribune les inductions que l’on a voulu tirer de cet article, et vous verrez ce que l’on pourra conclure de ces inductions. On a annoncé que vous aviez accordé l’initiative à vos colonies sur leur constitution; mais il estbien essentiel d’expliquer ce que l’on entend par initiative. En effet, Messieurs, vous avez demandé à nos colonies qu’elles vous fissent par-(1) Le discours de M. Pétiou ne se trouve pas au Moniteur. [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 mai 1791.] 42 venir leurs plans sur la constitution qu’il convient de leur donner. On a prétendu que vous aviez voulu leur accorder l’initiative généralement sur le régime intérieur. Ce point doit être éclairci; c’est de là véritablement que la conservation de vos colonies, que l’intérêt de votre commerce dépendent; et il est bien importantde ne pas laisser passer cette initiative sans savoir où elle vous mènera. Il y a des initiatives de différents genres. Ici vous avez demandé l’initiative, non pas pour prononcer conformément aux vœux qui vous seraient présentés, mais pour prendre en considération l’initiative qui vous est présentée. Mais entend-on que cette initiative soit nécessaire dans tous les cas qui concerneront le régime intérieur et que le Corps législatif ne puisse rien prononcer à l’avenir que sur celte initiative? On voudrait, Messieurs, emporter cette question sur-le-champ sans aucun examen; elle est cependant si importante que cette initiative sur le régime intérieur peut mettre votre commerce dans la dépendance la plus absolue des] colonies. Il est possible, sans doute, que vos colonies aient une initiative, mais il est possible en même temps que vous n’ayez pas besoin de celte initiative pour prononcer. Il est possible encore que vous puissez provoquer vos colonies à émettre un vœu; mais il est possible aussi que vous ne vouliez pas les justifier. Il est donc très essentiel de s’entendre sur ce mot initiative; il est de plus très nécessaire de s’entendre sur ce qu’on appelle le régime intérieur. Un des préopinants disait hier à l’Assemblée : Expliquons d’une manière positive que le Corps législatif pourra statuer ce qu’il croira convenable et qu’il pourra statuer, quelle que soit l’initiative des colonies. Mais, Messieurs, cet opinant qui, selon lui, devait réunir toutes les opinions, pensait-il donc qu’il pût être dans l’intention de l’Assemblée que le Corps législatif ne pourrait pas prononcer ce qu’il jugerait juste, convenable sur l’initiative des colonies? Mais s’il en était ainsi, Messieurs, ce ne serait plus une initiative. Les colonies nous dicteraient alors une loi absolue de laquelle vous ne pourriez pas vous écarter ; mais je ne crois pas que personne, dans cette Assemblée, ait voulu gêner à ce point l’opération du Corps législatif. Ainsi, Messieurs, il faut, avant tout, passer d’une manière générale sur l’initiative qui vous est présentée; il faut que vos comités s’expliquent clairement sur l’étendue qu’ils entendent donner à cette initiative. Maintenant, Messieurs, l’article pour l’initiative marque l’état des personnes. 11 s’agit de savoir si sous le mot d’état des personnes on comprend les hommes de couleur. L’article dit en général : « aucune loi sur l’état des personnes » ; mais l’article ne dit pas sur quelles personnes : et ce sera toujours là le point de la difficulté, tant que l’Assemblée ne se sera pas expliquée d’une manière précise. Il faut donc, à cet égard, yous reporter à ce que vous avez fait précédemment; et alors je maintiens que l’article ne peut pas frapper sur les hommes de couleur. En effet, Messieurs, on a évité de répondre à un fait précis et consolant. Rappelez-vous, Messieurs, ce qui s’est passé lors de l’instruction du 28 mars. Yous avez parlé positivement de toutes les personnes propriétaires et contribuables, et sous le mot de personnes, vous avez compris nettement les hommes de couleur, parce que les hommes libres de couleur sont des personnes. Mais vous les avez compris encore par la discussion qui a eu lieu à cet égard, et on a fait à ce sujet, à M. le rapporteur, l’interpellation à laquelle il n’a pas répondu et à laquelle je prierais qu’on répondît aujourd’hui non par des divagations,. mais d’une manière nette, précise et positive. M. Malouet. Je vais y répondre par le procès-verbal. ( Interruptions .) Plusieurs membres : Entendez-le. M. Malouet. Il est temps que vous vouliez bien l’entendre. Pour établir les faits, je dis qu’il n’y a qu’à consulter le procès-verbal. M. l’abbé Grégoire a exposé hier à l’Assemblée que c’était lui qui, dans la séance du 28 mars 1790, avait demandé si les gens de couleur n’étaient pas compris dans le mot : des personnes , de l’article 4 et que le rapporteur lui-même lui avait répondu qu’ils y étaient compris. Nous avons fait venir le procès-verbal (Murmures.) ;... il a été lu par MM. les secrétaires et par moi : il porte qu’un membre ayant demandé que les gens de couleur fussent compris dans l’article, un autre membre a observé que, cette question ne devait pas être traitée et que sur ce, l’Assemblée a passé à l’ordre du jour. M. l’abbé Grégoire. Monsieur le Président, je demande la parole. M. de Curt. Je demande que l’on apporte le procès-verbal à l’Asèemblée. M. de Tracy. Le procès-verbal ne dit que cela? J’en demande le rapport; je demande aussi qu’on aille chercher le procès-verbal du jour où la relue des instructions, que vous aviez décrétées sauf rédaction, a été faite à l’Assemblée. D’après ce changement dont le rapporteur, M. Barnave, a été chargé, je serais charmé qu’on le rapporte, car je crois qu’il n’existe pas. M. Malouet. Qu’est-ce que cela veut dire ? M. I�avie. Il existe, puisque je l’ai lu hier. M. de Tracy. Je n’en suis pas absolument sûr ; mais je parie cent contre un qu’il n’existe pas, et s’il existe, qu’on le rapporte. Gela peut fort bien ne pas exclure la demande de M. Malouet ; mais je demande que l’Assemblée satisfasse à la mienne. M. Malouet. Je n'entends pas comment, lorsque, sur une interpellation relative à un fait cité hier dans l’Assemblée, on propose un procès-verbal existant, on vient vous en demander un que l’on dit ne pas exister. Que signifie cette difficulté-là? ( Applaudissements .) M. le Président. On a envoyé chercher le procès-verbal. M. l’abbé Grégoire. Je vais répéter le fait dont il est actuellement question et j’invoque ici le témoignage de beaucoup de mes collègues qui s’en souviennent. A la séance du 28 mars 1790, j’ai demandé que les hommes de couleur fussent désignés nominativement dans l'article 4 des instructions décrétées pour les colonies. Là-dessus une foule de membres, les députés des colonies eux-mêmes et [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [I3maii791.j ig particulièrement M. Barnave qui est là, s’empressèrent de me dire qu’ils y étaient compris, que Je mot personnes était général. M. Tuaut de La Bonverie. Je me le rappelle. M. le Président. Je l’ai toujours cru. M. l’abbé ürégoire. J’invoque ici la bonne foi. Je vous demande, Messieurs, qu’on présente le procès-verbal. Voici d’ailleurs une réflexion incontestable; que l’on prenne pour juge qui l’on voudra, qu’on lui demande ce que signifient ces mots : personnes libres et propriétaires ; je lui demande s’ils ne s’appliquent pas aux hommes de couleur libres et propriétaires. (Applaudissements.) M. Barnave. Messieurs, je ne veux point entrer dans le fond de la question ; j’ai déjà établi à plusieurs reprises qu’elle n’était nullement dans le point où on voulait la placer, puisque le mode des convocations provisoires que l’on avait envoyé n’a eu aucune exécution, attendu la validité accordée par l’Assemblée nationale aux assemblées coloniales existantes. ( Murmures ) ..... On donne assez d’avantage à ceux qui m’attaquent pour qu’on veuille m’accorder assez de silence pour pouvoir me faire entendre. Je disais donc que le point de la question n’était pas là, puisque l’Assemblée nationale avait déclaré valider au moyen de l’aveu des citoyens •les assemblées coloniales existantes, lesquelles ont été confirmées par les assemblées paroissiales dans les colonies et enfin parce que le mode de convocations provisoires que l’on avait envoyé, et qui s’est prouvé sans exécution, n’empêchait pas que vos mêmes instructions autorisaient les assemblées coloniales à présenter leurs vœux sur le mode définitif, c’est-à-dire sur les qualités de citoyen actif et d’éligibilité. Quant au fait que rappelle M. l’évêque de Blois, il n’ignore pas que dans le comité colonial où je crois qu’il est plusieurs fois venu dans ce temps-là, ou au moins sont venues des personnes de sa connaissance, et notamment cellesqui défendaient ici les intérêts des hommes de couleur ; il n’ignore pas, dis-je, que nous avons constamment répondu à tous ceux qui nous consultaient, que les termes généraux de l’article 4 ne présentaient aucun préjugé contre les hommes de couleur, mais que nous ne croyions pas devoir les désigner nominativement ; et en même temps nous nous sommes constamment refusés à ajouter à l’article ces mots : sans exception de couleur. Lorsque M. l’évêque de Blois m’a parlé, je lui ai répété le même fait et je lui ai dit : la rédactioo de l’article ne renferme évidemment aucune exclusion ; mais, si vous voulez en demander davantage, vous porterez le trouble dans les colonies. Un membre: Cela veut dire que les hommes de couleur sont compris dans l’article. ( Marques d’ assentiment.) M. Barnave. "Voilà ce que j’ai dit formellement à M. l’évêque de Blois. Quant au surplus, M. de Tracy vient de demander qu’on rapportât le procès-verbal de la relue des articles qui avaient été modifiés, et voici le fait : on n’a rien demandé à cet égard ; on n’a pas réclamé une nouvelle relue. Il n’y a eu, j’en atteste tous les membres de l’Assemblée, il n’y a eu aucune modification aux instructions, que dans les deux derniers articles, qui n’ont aucune espèce de rapport aux gens de couleur. Nous ferons lire, si l’on veut, tous les journaux du temps, tous les procès-verbaux possibles ; j’affirme qu’il n’y a eu dans les deux instructions qu’un changement, non pas de sens, mais de rédaction. Il était dit dans les deux derniers articles sur les bases du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif dans les colonies, que lesassemblées coloniales, en organisant lepouvoir législatif, seraient obligées de s’astreindre à telles bases, et ensuite qu’en organisant le pouvoir exécutif dans les colonies, elles seraient obligées de s’astreindre à telles autres bases énoncées dans l’article. M. l’abbé Maury, dans un discours sur les instructions, démontra et fit admettre dans l’Assemblée que ces mots : » En organisant le pouvoir législatif;... en organisant le pouvoir exécutif ..... » semblaient donner un pouvoir aux colonies de faire leur constitution, tandis que nous n’entendions ne leur faire émettre qu’un vœu. Nous reconnûmes nous-mêmes que notre intention n’avait été autre que celle qu’on nous présentait, et en conséquence les articles furent amendés ici même dans l’Assemblée sur-le-champ, et au lieu des mots : « en organisant le pouvoir législatif;... en organisant le pouvoir exécutif... », on mit : « en examinant les formes suivant lesquelles le pouvoir législatif doit être établi ;... en examinant les formes suivant lesquelles le pouvoir exécutif doit être établi ..... » Voilà quelles ont été les modifications, non pas de sens, mais de simple rédaction qui ont été faites dans l’Assemblée. L’Assemblée n’a point ordonné à son comité de lui rapporter les instructions : les amendements ont été faits là. Si les instructions ont été lues après, c’est avec le procès-verbal de la séance, comme sont lus ici tous les décrets possibles. Du moment que les amendements ont passé, les deux amendements ont été adoptés. Si l’on veut faire relire tous les journaux du temps, on trouvera qu’ils ont été dans la lettre, dans l’esprit même de ces instructions et on ne trouvera nulle part que le comité ait été tenu de faire une nouvelle lecture, à moins qu’elle n’ait été faite avec le procès-verbal de l’Assemblée. Tels sont les faits, et j’affirme aussi qu’il n’a été ni proposé à l’Assemblée, ni admis dans l’Assemblée aucune espèce d’amendement et de modification sur l’article 4, dans lequel on dit que le3 intérêts des gens de couleur se trouvent compris. M. de Tracy. Je n’affirme rien, parce que je n’ai point la mémoire aussi certaine que M. Barnave ; mais il est très aisé de se faire rapporter les procès-verbaux de ce temps-là. On y verra différentes observations ou modifications consignées dans les procès-verbaux qui sont imprimés. M. Lavie, secrétaire. Voici, Messieurs, le procès-verbal de la séance du 28 mars : « Un membre a demandé que l’Assemblée décrétât, le plus promptement possible, le projet de l’instruction, pourêtre envoyée incessamment aux colonies. « Un autre membre a fait sur l’article 4 une proposition relative aux gens de couleur. « Plusieurs ont demandé que la discussion n’eût pas lieu sur cette proposition, mais qu’elle continuât sur l’instruction et les amendements proposés jusqu’alors. » M. Lanjuinais . Messieurs, je ne dis qu’un mot sur cette rédaction. D’abord, il résulte évidemment lAssemblée nationale.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 113 mai 1791.] 44 que M. l’évêque de Blois n’a rien avancé que de très conforme au fait, parce qu'il n’est point dit que l’on a rejeté par l’ordre du jour la question roposée; mais simplement qu’on n’a pas déli-éré, parce que ces paroles claires et évidentes ont paru n’avoir pas besoin d’être commentées. Ori vous dit qu’on avait mis ces paroles-là pour qu’il n’y eût aucun préjugé. Je dis, Messieurs, que c’est là une étrange duplicité que de vous dire que ces mots : « les personnes libres, contribuables, âgéesde 25ans, domiciliées, propriétaires, « renferment évidemment les gens de couleur, et que c’est ne rien préjuger, tandis qu’il est évident que l'on a tout préjugé; mais quand on ajoute aujourd’hui que l’on demande un congrès pour expliquer ces termes, c’est répandre le plus épouvantable des préjugés contre les gens de couleur. On vous dit que vous ne voulez rien préjuger, et aujourd’hui l’on veut que vous préjugiez, de la manière la plus effrayante, le sort de ces malheureux ; je dis effrayante, car je liens de M. Bar-nave que, quel que soit l’événement, le congrès ne sera pas d’avis d’accorder aux gens de couleur l’exercice des droits politiques, à moins que ce ne soit avec des modifications qui comprennent parmi les esclaves politiques les affranchis et les enfants d’affranchis; je dis que voilà ce que je -tiens de lui-même. Ainsi donc n’ayez nulle confiance dans le congrès. Rappelez-vous, Messieurs, ce que vous avez décidé, et tenez-vous y formellement, si vous ne voulez pas voir une séparation -générale entre ces deux classes de citoyens. • M. Regnaud. (de Saint-Jean-d’Angêly). Il est important de rappeler à l’Assemblée les faits dans toute leur exactitude. On dit que l’Assemblée a délibéré sur la motion de M. rabbé Grégoire en faveur des gens de couleur et que cette motion a été rejetée. J’invoque la mémoire de ceux qui étaient présents, celle même de M. Barnave, pour attester qu’au contraire l’article du procès-verbal qu'on vient de lire est relatif à une motion de M. Co-cherel, contraire aux gens de couleur. H est de fait que M. Gocherel, dont l’Assemblée connaît ou peut se rappeler la tranquillité, s’éleva contre l’article 4. Il demanda qu’on prononçât sur-le-champ la rejection des gens de couleur ; et alors on ne voulut pas délibérer sur cette injuste proposition, qui contrariait les termes précis du décret. On demanda l’ordre du jour, ou qu’il n’y eût pas lieu à délibérer, et c’est sur cette motion contraire aux gens de couleur, contraire à l’article 4 du décret, que l’Assemblée décréta qu’il n’y avait pas lieu à délibérer. J’ajoute que M. Tronchet a posé hier la véritable question que vous avez à décider. M. Tronchet a dit que vous aviez ordonné, à l’époque du décret dont il est question, que les assemblées coloniales existantes vous donneraient leur vœu, si elles étaient confirmées parle vœu des paroisses ; il vous a dit que vous aviez fixé un mode de convocation des assemblées coloniales qui, ou ne seraient pas assemblées, ou ne seraient pas confirmées par les paroisses. Il s’agit donc de savoir si les formes prescrites par les. délibérations des paroisses, soit pour conserver les assemblées, soit pour former celles qui ne seraient ni confirmées ni convoquées à l’époque de l’arrivée du décret; il s’agit, dis-je, de savoir si ces formes ont été suivies, si les individus auxquels vous avez accordé le droit de voter, ont voté en effet dans les nouvelles assemblées primaires, et si, dans le cas où ils n’auraient pas voté, vous voulez, par ce défaut de forme, anéantir les assemblées dans lesquelles ils n’ont pu émettre leur vœu ; ou si, voulant éviter des difficultés, vous ne feriez pas mieux de dire, d’un côté, que pour éviter les troubles, vous confirmez les assemblées existantes, et que d’un autre côté, pour qu’il n’y ait pas de doute sur vos intentions, vous expliquiez d’une manière précise l’article 4 de vos instructions, et que vous déclariez que la confirmation de ces assemblées ne porte pas préjudice aux gens de couleur. ( Applaudissements .) Si vous vous écartez de ce mode de discussion, si vous rentrez dans celle qui a eu lieu, ces deux jours derniers, si vous vous ne réduisez pas à ce point, très certainement vous n’obtiendrez pas une décision précise et juste. Envous réduisantàcela, vous aurez le vœu de toute l’Assemblée ; et je puis dire qu’en conciliant ainsi le double intérêt des colonies par la confirmation de leurs droits aux gens de couleur, vous tranquilliserez tout Je monde, et vous éviterez tous les inconvénients. M. de Rcynautl. Vous avez décrété l’article 4, et par ce mot considérant , vous déclarez que les gens de couleur n’y sont pas compris. (Murmures.) Vous avez dit dans le considérant, qui est la loi constitutionnelle dans l’organisation des colonies, qu’aucunes lois sur l’état des personnes ne seront faites que sur les demandes formcdles et précises de l’assemblée coloniale. Il est prudent de valider ces dispositions sur la colonie de Saint-Domingue. D’après cet exposé, il est évident que vous n’avez pas entendu prononcer sur l’état des personnes. M. le Pa-ésldent, Vous voyez, Messieurs, que l’ordre de la discussion s’est successivement écarté. M. Pétion a fait une interpellation sous prétexte de répondre: chacun a allégué des faits, des faisons dans son sens, dans son opinion. Je dois donc remettre la discussion dans sa marche naturelle. La discussion est sur l’article premier du projet du comité. Là-dessus on demande la lecture de deux procès-verbaux. On en a déjà lu un, l’autre va vous être lu. Je demande que l’Assemblée me donne les moyens pour faire continuer une discussiou qui ne finirait jamais avec ces interpellations particulières. M. de Tracy. Je vais lire le procès-verbal de la séance du 28 mars, sans nulle espèce de réflexion; car je crois que, pour le fait que j’ai avancé, il parle beaucoup mieux que je ne pourrais faire. Le voici : « Un membre a demandé que l’Assemblée décrétât, le plus promptement possible, le projet de l’instruction, pour être envoyé incessamment aux colonies. « Un aulre membre a fait sur l’article 4 une proposition, relative aux gens de couleur. « Plusieurs ont demandé que la discussion n’eût pas lieu sur cette proposition, mais qu'elle continuât sur l’instruction et les amendements proposés jusqu’alors. « Cette motion mise aux voix a été décrétée. « Un membre a fait la motion que l’instruction ne fût jointe au décret que comme conseil, et que le décret fût la loi dont l’Assemblée ordonnât l’envoi dans les colonies. « Un autre a demandé qu’il fût adressé au conseil du Gap, pour y être enregistré. » Il y avait eu auparavant différentes objections. Un membre du comité colonial a répondu aux différentes objections qui avaient été propo- 45 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [13 mai 1791.] sées, notamment à celles relatives au domicile des colons, aux difficultés prétendues que présentaient plusieurs articles au projet d’instruction sur la manière dont on devait entendre les mots Pouvoirs législatif et exécutif. Il a dit à cet égard que, si on considérait l’ensemble du projet, on ne pouvait pas être induit en erreur sur le sens dans lequel étaient employés les termes pouvoirs législatif et exécutif ; que ce sensne tombait évidemment que sur l’examen à faire par les colons des formes sous lesquelles les pouvoirs législatif et exécutif devaient s’exercer dans les colonies. Cependant il a proposé que, pour éloigner toute idée contraire, il fût autorisé par l’Assemblée à proposer quelques légers changements qui rempliraient ce but, et dont il serait fait lecture à la séance du lendemain. L’Assemblée l’a approuvé. • « Le projet d’instruction allant être mis aux voix, un membre a proposé que le décret de l’Assemblée sur cet objet fût envoyé aux assemblées provinciales, qui en donneraient aux habitants une connaissance légale en le faisant proclamer et afficher, etc. . . » A la fin, il est dit : « Le projet d’instruction a été ensuite mis aux voix; et l’Assemblée l’a décrété, sauf les correctifs que présenterait le membre rapporteur du comité colonial à l’entrée de la séance du lendemain. » Et à l’entrée de la séance du lendemain, ni dans aucune autre séance, il n’en est question. (Applaudissements .) M. Barnave. Le procès-verbal qui vient d’être lu, renferme lui-même les faits que je viens d’énoncer. Je ne sais pas si le lendemain matin on a lu avec le procès-verbal le changement de rédaction qui avait été fait ici ; mais le fait est que ces changements de rédaction furent proposés sur-le-champ, et qu’ils existent dans les articles d’instruction, conformément à ce qui vient d’être énoncé dans le procès-verbal. Il existe, dans les articles de l’instruction que j’offre de rapporter, ces mots : « En examinant la forme suivant laquelle le pouvoir législatif doit être exercé, en examinant la forme suivant laquelle le pouvoir exécutif doit être exercé. » Il est donc vrai, il est donc réel que l’intention de l’Assemblée, formellement exprimée dans le procès-verbal que l’on vient de lire, a été également exécutée, et on n’a pas fait mention dans le procès-verbal du lendemain de la relue de ces modifications qui ne consistaient qu’en deux mots, et qui avaient été faites à la tribune. Il est bien étrange que, lorsque les articles portent eux-mêmes les modifications, et que, quand la justification résulte du fait, du texte existant de la loi, conforme à l’intention de l’Assemblée, énoncée dans le procès-verbal, on vienne faire aujourd’hui un reproche qui tomberait plutôt sur le secrétaire de l’Assemblée que sur le rapporteur du comité, et qui présente dans le décret même la preuve de son obéissance à la volonté de l’Assemblée. (Applaudissements). M. Pétion de Villeneuve. Je reprends la discussion où je l’avais laissée ..... M. Roussillon. On distribue à l’entrée de la salle une lettre écrite par M. Baux, négociant, député du commerce de Bordeaux. J’ai été frappé des idées contenues dans cette lettre, et j’ai consulté les députés du commerce pour savoir si ce qu’il y avançait était vrai. Voici ce qu’ils m’ont répondu : Les députés extraordinaires du commerce ont, il est vrai, agité dans leur assemblée la question qui nous occupe actuellement; et, à l’exception de M. Baux, tous ont été d’avis d’admettre le projet du comité; leurs registres sont chargés de signatures ( Murmures ) ..... M. le Président. Messieurs les députés des colonies, à l’ordre 1 M. Roussillon... Ceux mêmes qui sont absents en ce moment avaient signé avant de partir. J’ai cru devoir vous faire part de ces observations, de peur que cette lettre de M. Baux ne fît sur vous la même impression qu’elle avait faite sur moi au premier aspect. M. de Curt. Je demande que la déclaration authentique faite par un négociant de Bordeaux soit inscrite dans le procès-verbal. Plusieurs membres demandent que la discussion soit reprise. M. Pétion de Villeneuve. Je réprends la discussion au point où je l’avais laissée; nous en étions sur un point de fait, qui, d’après les explications qui ont été données, ne me paraît encore que beaucoup plus constant, c’est que l’Assemblée, lors de l’insiruction du 28 mars, a entendu décider que, sous le mot de toutes personnes, elle y comprenait les hommes libres de couleur. (Murmures.) On cherche inutilement à nous écarter du point précis de la question par des interruptions; mais c’est à la tribune qu’il faut répondre à un fait aussi formel. Mais, Messieurs, dans le cas même où vous n’auriez pas décidé ce point de fait, il resterait toujours à résoudre une question que le fameux considérant lui-même laisserait dans son intégrité. L’Assemblée a annoncé qu’elle ne statuerait rien sur l’état des personnes que d’après le vœu des colonies, il reste toujours à savoir sur l’état de quelles personnes les colonies doivent vous présenter leurs vœux. En effet, de quelles personnes avez-vous voulu parler dans votre considérant? Voilà ce qu’il faut décider, et je dis qu’il est impossible que l’Assemblée nationale ne prononce pas en faveur des hommes libres de couleur. Il faut s’en tenir aux décrets et l’on n’y trouvera que des expressions générales et favorables à tous ceux qui sont citoyens; et puisqu’ils ne contiennent pas d’exceptions manifestement exprimées, il ne faut donc pas en torturer le texte pour faire injure aux législateurs et pour ravir les droits des citoyens. Le titre de citoyeu actif appartient aux propriétaires et aux contribuables : les hommes de couleur sont propriétaires et contribuables; ils supportent toutes les charges des citoyens actifs et à ce titre ils doivent en recueillir tous les bénéfices; leur droit est fondé sur leurs titres et leurs contributions. Mais, nous dit-on , et c’est à ce point que se réduisent tous les raisonnements, il y a dans les colonies un préjugé qu’il faut se garder de heurter trop promptement. Je dis à ceux qui tiennent ce langage que nous avions aussi des préjugés à vaincre chez nous et que, si nous avions craint de les attaquer de front, nous n’aurions pas encore aujourd’hui de Constitution. (Applaudissements. ) Et quel est donc ce préjugé si respectable de nos colonies ? G’est assurément de tous le 46 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1 3 mai 1791. ] plus insensé, c’est celui qui s’attache àla couleur des personnes. On vous dit : il ne s’agit que d’un délai ; nous ne contestons pas aux gens de couleur libres leur droit, nous en différons l’exercice; nous sommes d’accord sur les principes, il n’est question que de leur application. — Ëh bien, on parlait aussi de liberté autrefois, les despotes ne contestaient pas les principes, mais, quand il s’agissait de les appliquer, ils tenaient le langage qu’on vous tient aujourd’hui. ( Applaudissements .) Rien n’est si facile que de reconnaître les principes quand on ne veut pas les appliquer. Ceux qui vous proposent l’ajournement jusqu’après l’émission du vœu d’un congrès de colons blancs ont la certitude que les droits des hommes libres de couleur seront sacrifiés. Oui, Messieurs, ils le seront puisque les juges seront les oppresseurs des partis, puisque ce sont eux qui ont tous les préjugés que vous voulez détruire ( Applaudissements .) M. Goupil-Préfeln . J’ai l’honneur de vous représenter que la discussion est fermée. (Non! non ! non !) M. Pétion de Villeneuve. Ce congrès de blancs se déterminera, oui ou non, en faveur de vos principes. Dans le premier cas, pourquoi l’Assemblée nationale ne voudrait-elle pas avoir la gloire d’être la première à consacrer ces principes ? Dans le second cas, vous mettez le feu dans les colonies dont vous combattez le vœu. Vous êtes ici dans une position infiniment défavorable; et remarquez que nos adversaires eux-mêmes déclarent que les colons propriétaires, c’est-à-dire ceux qui ont le plus d’influence dans les colonies, ne sont pas éloignés d’accorder aux hommes libres de couleur les droits qui leur appartiennent ; eh bien, si ces colons blancs propriétaires ne sont pas éloignés, quels sont donc enfin ces troubles dont on nous menace ? Quels sont ces dangers qu’on nous fait craindre ? Us seront infiniment plus dangereux de l’autre côté, puisque vous avez la certitude d’indisposer, en adoptant le système contraire, une classe d’hommes au moins égale à celle des blancs. On se plaît, en effet, à diminuer à vos yeux le nombre des gens de couleur. Les éta'sde population de M. Duchilluu portent le nombre des gens de couleur libres à 27,000, c’est-à-dire 2,000 de plus que les blancs. Placez-vous donc entre ces deux systèmes, etalors vous verrez que le trouble qu’occasionnerait l’un ou l’autre de vos décrets n’est rien en raison de l’injustice qu’il y aurait à dépouiller de leurs droits les hommes libres de couleur, car dans cette grande affaire comme dans presque toutes les autres, en suivant les principes de la justice, vous allez droit à votre but, vous occasionnez beaucoup moins de troubles, de divisions, qu’en vous montrant injustes et inhumains envers des citoyens libres comme vous, propriétaires comme vous, payant des droits comme vous. On a apporté hier dans cette tribune un argument qui ne peut que soulever la plus profonde indignation; on vous a dit pour vous prouver qu’il y aurait moins de danger à mécontenter les gens de couleur, et on nous a glissé ce fait d’une manière fort adroite, on vous a dit que les hommes de couleur sont désarmés, c’est-à-dire que, parce que ces hommes de couleur sont désarmés, vous pourriez impunément les égorger ! ( Applaudissements .) Non, Messieurs, quand bien même les hommes libres de couleur seraient faibles, ce serait une raison de plus pour que vous leur servissiez d’appui. ( Applaudissements .) Et ce n’est pas à vous à qui il appartient d’user de la force pour opprimer les droits, quand vous avez conquis les vôtres. La question doit se réduire maintenant à celle qui vous a été proposée dans cette tribune, dans des tei mes très simples, par M. Tronchet. En effet, Messieurs, dans le moment actuel, je l’avouerai, si les assemblées coloniales sont formées, vous ne pourriez pas sans danger détruire l’organisation de ces assemblées. C’est là que vous devez user de prudence ; vous devriez donc dans cette opinion, si les assemblées sont formées, conserver leur composition telle qu’elle existe. Mais, Messieurs, cela nevousengage nullement à violer les droits des hommes libres de couleur, cela ne vous engage nullement à décider que par la suite ils n’auront pas cesdroits : et encore une fois, que l’on ne vienne pas nousdire que ce n’est qu’un délai, car ce n’est pas un délai que de remettre une décision dans les mains de ses adversaires ; ainsi ne nous laissons pas aveugler par un prétendu ajournement. Conservons les assemblées coloniales telles qu’elles sont aujourd’hui ; mais alors posons ainsi la question : les hommes de couleur libres seronl-ils citoyens actifs, oui ou non ? et mettre ainsi la question aux voix sans rien changer aux assemblées déjà formées. M.Barrère deVieuzac (1). Il semble qu’une malheureuse fatalité est attachée aux questions coloniales; il semble que nous n’osions les envisager de sangfroid ni les discuter sans succès. Cependant, avec des principes de justice etde prudence, il est plus facile de s’entendre qu’on ne pense. J’énonce d’abord hautement mon opinion que les hommes de couleur nés libres, et qui sont propriétaires et contribuables, doivent être admis à exercer les droits politiques en vertu de l’article 4 de l’instruction du 28 mars. Ces droits sont dans leur titre d’hommes libres et de propriétaires. Ces droits sont dans le décret qui dit toutes personnes . Ces droits sont dans l’intention que vous avez franchement témoignée, lorsque plusieurs membres réclamèrent une énonciative claire pour les hommes de couleur; énonciative que le rapporteur et l’Assemblée trouvèrent inutile. On oppose l’initiative promise aux colonies; mais l’initiative ne peut avoir lieu que pour des droits à concéder, non pour des droits établis par la loi. Gomment aller mettre en question ce que vous avez résolu ? Gomment livrer à des colons blancs le sort des hommes libres comme eux, et contre lesquels leurs préjugés s’élèvent si fort ? Comment aller demander au congrès de Saint-Martin, qu’on vous propose, d’expliquer le sens d’un de vos décrets? C’est à vous de prononcer. Ici je reconnais plusieurs vices essentiels dans le plan du comité; il met en question des droits reconnus ; il les soumet à l’initiative d’hommes qui n’ont pas plus de droit que les hommes de couleur ; il renvoie à une législature le soin de décider sur un objet qui ne peut appartenir qu’au corps constituant, l’état des per.-onnes. Enfin il viole ou expose à violer les droits des hommes, et ce danger ne peut pas être couru par le législateur. (1) Le discours de M. Barrère ne se trouve pas au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [13 mai 1791. J 47 On nous parle des dangers de compromettre l’existence des assemblées coloniales actuelles. Mais qu’on les confirme par amour pour la tranquillité des colonies. G!est là qu’il nous est permis d’écouter la voix de la politique ; mais, quand il s’agit des droits des hommes libres, la seule politique est d’être juste. On vous menace de scission avec les colonies, mais il n’y a de trouble que quand il y a injustice ou oppression. Si donc vous êtes justes, si vous ne favorisez pas l’oppression des hommes de couleur, vous n’aurez pas des troubles intérieurs, et V03 colonies seront à vous, parce que leur intérêt est d’être françaises. On vous demande un ajournement des droits des hommes de couleur jusqu’à ce que les colonies aient émis leur vœu ; mais en reconnaissant aujourd’hui leurs droits évidents, en confirmant en même temps les assemblées existantes, vous ajournez par le fait l’exercice des droits politiques des hommes de couleur. Vous les attachez à la paix et à l’ordre public par l’assurance de leurs droits et par l’espérance de leur exercice. Vous n’avilissez pas des hommes libres au point de faire dépendre leur sort de quelques autres hommes qui les accablent de leurs préjugés. Je vais proposer un projet de décret qui tend à concilier tous les vœux (Mouvement);... le voici : « L’Assemblée nationale, confirmant toutes les assemblées coloniales actuellement existantes, ét reconnaissant que les hommes de couleur et nègres libres, propriétaires et contribuables, doivent jouir des droits de citoyen actif; « Décrète qu’ils en jouiront dans toutes les assemblée primaires et coloniales qui seront formées à l’avenir; « Décrète aussi, comme article constitutionnel, que l’initiative appartiendra aux assemblées coloniales surtous les autres objets ainsi qu’il a été déterminéparles décrets précédents, sans entendre en rien préjudicier à la souveraineté nationale. (Applaudissements.) Je prends, Messieurs, pour appuyer ce projet de décret, des principes dans les termes mêmes du rapport du comité des colonies du 8 mars : « La justice et la confiance, disait M. Barnave dans ce rapport nous ont paru, la seule politique qui peut convenir aux colonies et à vous ; la justice est désormais Je garant de tous les traités, le fondement de toutes les puissances. Rien, Messieurs, n’a pu faire douter de l’attachement des colonies à la métropole, mais rien n’est plus propre à l’af fermir que la marche que nous vous proposons. Si la franchise et la bonne foi conviennent dans toutes les transactions à la majesté d’un peuple libre ; si, dédaignant les ressources d’un art qui n’appartientqu’à la faiblesse, vous voulez suivre désormais la marche qu’indique votre loyauté et qui sied à votre puissance, vous ne balancerez point à l’adopter avec des frères, des concitoyens, des Français comme vous. » La justice est de reconnaître aux hommes de couleur libres l’exercice de leur droit, la confiance est d’accorder l’initiative aux assemblées colo-niales.Voilà vos promesses et voilà votre devoir. (Applaudissements.) M. Moreau-Saint-Mery. Messieurs, les circonstances qui ont accompagné la discussion du projet de décret relatif aux colonies et notamment dans la journée d’hier ont porté les députés coloniaux à s’assembler. Vivement affligés de la nature des débats que ce projet de décret a excités, nou3 avons tous été convaincus que, dans l’immense éloignement où les colonies se trouvent de l’Assemblée nationale, il est impossible que les détails de cette discussion et surtout la part que nous y avons eue ne produisent pas la plus alarmante sensation. (Murmures.) Nous avons tous été persuadés qu’il n’existait pas un seul colon qui ne fît naturellement la comparaison des opinions actuelles et de celles qui ont produit tous les décrets rendus jusqu’à ce moment sur les colonies par l’Assemblée nationale et qui n’éprouvât aussitôt que la confiance salutaire qu’ils avaient inspirée s’affaiblît. Il n’est permis à aucun de nous de calculer les effets que ces idées peuvent produire, et si nous en avions cru les députés extraordinaires de la partie nord de Saint-Domingue, qui s’étaient réunis à nous, de cette partie qui a constamment maintenu l’exécution de vos décrets, il n’est rien de sinistre que nous n’eussions pu concevoir. Dans cette situation douloureuse, nous avons unanimement reconnu que l’amour de la patrie nous imposait un devoir pénible mais nécessaire ; et nous venons le remplir en ce moment. C’est de vous répéter, Messieurs, que l’intérêt national est essentiellement lié au repos et à la tranquillité des colonies, puisqu’elles sont une des sources principales de nos richesses publiques, et qu’elles sont le plus grand aliment de la marine et du commerce, sans lesquels la France ne pourrait subsister. (Murmures prolongés.) C’est de faire remarquer l’impérieuse nécessité de protéger et de garantir ouvertement désormais l’existence des colons, parce que la crainte de perdre à chaque instant sa fortune et sa vie ne peut être la perspective continuelle d’hommes, dont l’attachement et l’industrie ont été si utiles à ce royaume, et auxquels l’avenir ne présenterait plus que des tableaux ensanglantés. (Murmures sourds). C’est de nous dire que le soin de notre propre conservation, de celle de nos femmes, de nos enfants, exige que vous prouvions à nos commettants, d’une manière authentique, que nous n’avons pas vu sans frémir les périls qui les menacent : c’est enfin de vous déclarer que, dans l’état où les choses se trouvent placées, il ne reste plus qu’un unique moyen que nous avons saisi avec d’autant plus d’espoir de succès qu’il doit tout concilier, qu’il sera utile ..... (Murmures.) M. l