ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juillet 1789.] 242 [Assemblée nationale.] dans la perfection de l’espionnage le salut des empires. La nation croira-t-elle que l’harmonie soit parfaite entre Votre Majesté et nous, si le ministère est suspect, si on le regarde comme l’ennemi de nos travaux, si on croit qu’il n’a cédé un moment à la nécessité et à votre sagesse que pour nous envelopper incessamment de nouveaux pièges ? Des inconvénients de toute espèce résultent de la défiance ouverte entre nous et les ministres ; nous avons plus que des soupçons de leurs intentions hostiles ; ils ont plus que des doutes des sentiments qu’ils ont provoqués dans nos cœurs : le prince, ami de ses peuples, doit-il être environné de nos ennemis? Nous ne prétendons point dicter le choix de vos ministres, ils doivent vous plaire : être agréable à votre cœur est une condition nécessaire pour vous servir ; mais, Sire, quandvousconsidérerez la route funeste où vos conseillers voulaient vous entraîner, quand vous songerez au mécontentement de la capitale qu’ils ont assiégée et voulu affamer, au sang qu’ils y ont fait couler, aux horreurs qu’on ne peut imputer qu’à eux seuls, toute l’Europe vous trouvera clément si vous daignez leur pardonner. Celte adresse est vivement applaudie et vivement appuyée. Plusieurs membres ajoutent à la demande proposée par M. de Mirabeau le rappel de M. Necker ; cette demande est appuyée par acclamation. M. Barhave. Quoique en principe il soit vrai que l’Assemblée n’a pas le droit de demander ni le renvoi d’un ministre, ni le rappel d’un autre, il n'est pas moins vrai cependant que, lorsqu’un ministre n’a la confiance, ni de la nation, ni de ses représentants, l’Assemblée nationale peut et doit déclarer qu’elle ne correspondra point avec lui sur les aflaires du royaume, et qu’alors le renvoi d’un tel ministre devient nécessaire ; mais il n’en est pas de même du rappel d’un ministre renvoyé, parce que, parla même raison qu’on ne peut pas forcer l’Assemblée nationale à correspondre avec un conseiller du Roi qu’elle n’estime point, on ne peut contraindre le Roi à reprendre le ministre qui a pu lui déplaire; je pense qu’on ne peut pas demander le retour de M. Necker, et qu’il faut se borner à exprimer à cet égard le vœu de l’Assemblée et celui de la ville de Paris, si hautement proclamé et d’une manière si terrible. M. Ic comte de Clermont-Tonnerre annonce que M. de Yilledeuil a donné sa démission. M. le Président observe que cette nouvelle ne doit pas empêcher la déclaration. M. Millon de Montherlant dépose un projet d’adresse ainsi conçu : « bire, la justice est le premier devoir des rois, la rendre est le plus bel attribut du trône. Daignez nous rendre, Sire, un ministre que la nation ne cesse de demander à son Roi, comme des enfants à leur père: le jour qui le rendra à l’administration sera un des plus beaux jours de votre règne. » Plusieurs membres de la noblesse qui s’étaient momentanément absentés, étant rentrés, déposent sur le bureau une déclaration conçue en ces termes : « Messieurs, la fidélité que plusieurs membres de la noblesse devaient à leurs commettants ne leur a pas permis jusqu’à présent de prendre part à vos délibérations ; mais les circonstances actuelles, si intéressantes pour le bien public, sont trop impérieuses pour ne pas les entraîner; persuadés qu’ils ne font que prévenir le vœu de leurs commettants, auxquels ils vont en rendre compte, ils ont l’honneur de vous annoncer qu’ils donneront désormais leurs voix sur les objets qui vont occuper l’Assemblée nationale. » Les députés de la noblesse de Paris déclarent qu’attendu que la déclaration précédente établit l’unanimité absolue de l’Assemblée en faveur de l’opinion par tête, ils vont prendre voix délibérative dans l’Assemblée. M. Ic cardinal de la Rochefoucauld, au nom de presque tous les membres du clergé, fait une semblable déclaration. M. l’abbé de Montesquiou prononce à ce sujet un discours qui est vivementapplaudi.il dit entre autres choses, que le courage avec lequel les membres du clergé sont restés fidèles à leurs mandats, annonce à l’Assemblée nationale le courage qu’ils mettront désormais à défendre les principes et les droits de la nation. Ou reprend la motion pour le renvoi des ministres et le rappel de M. Necker. M. Mounier. Il est à craindre que la demande faite par le préopinant ne porte quelque atteinte à la liberté et à la puissance que le Roi doit avoir dans la formation de son conseil et du ministère. Refuser sa confiance à un ministre à qui le Roi a donné la sienne, serait de la part de l’Assemblée nationale une manière indirecte d’obliger le Roi à le renvoyer, et un tel droit dans l’Assemblée y ferait naître une multitude d’intrigues pour faire tomber du ministère ses ennemis, et pour s’y faire porter soi-même ; c’est là un des plus grands abus du parlement d’Angleterre et une des causes qui portent le plus d’orages, soit dans la constitution, soit dans le ministère. Mon avis est donc qu’on peut demander le rappel de M. Necker, mais uniquement parce que le Roi a demandé hier des conseils à l’Assemblée nationale pour le retour de la paix, et que le meilleur qu’elle puisse lui donner, c’est le rappel de M. Necker. M. Barnave. Je n’ai point dit qu’il fallait exiger du Roi le renvoi des ministres, mais qu’il fallait l’inviter à les renvoyer ; que l’Assemblée nationale, par sa puissance et par sa communication avec le Roi, est nécessitée à avoir de l’influence sur ses ministres, et que partout où il existe une nation libre, elle doit avoir et peut exercer cette influence. M. le comte de Mirabeau. Dans une circonstance aussi urgente, je pourrais éviter toute controverse, puisque le préopinant, obligé de convenir avec nous que le Roi nous ayant consultés, nous avons le droit et le devoir de Jui proposer ce que nous croirons opportun, ne s’oppose point à l’adresse pour le renvoi des ministres. Mais je ne crois pas qu’il soit jamais permis dans cette Assemblée de laisser sans réclamation, violer, même dans un discours, les {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 116 juillet 1789.] 243 principes, et de composer avec les amours-propres aux dépens de la vérité. S’il est une maxime impie et détestable, ce serait celle qui interdirait à l’Assemblée nationale de déclarer au monarque que son peuple n’a point de conliance dans ses ministres. Cette opinion attaque à la fois et la nature des choses, et les droits essentiels du peuple, et la loi de la responsabilité des ministres, loi que nous sommes chargés de statuer; loi plus importante encore, s’il est possible, au Roi qu’à son peuple; loi qui ne sera jamais librement en exercice si les représentants du peuple n’ont pas l’initiative de l’accusation: qu’il me soit permis de m’exprimer ainsi. Eh! depuis quand les bénédictions et les malédictions du peuple ne sont-elles plus le jugement des bons ou des mauvais ministres? Pourquoi une nation qui est représentée, s’épuiserait-elle en vains murmures, en stériles imprécations, plutôt que de faire entendre le vœu de tous par ses organes assermentés? Le peuple n’a-t-il pas placé le trône entre le ciel et lui, atin de réaliser, autant que le peuvent les hommes, la justice éternelle, et anticiper sur ses décrets du moins pour le bonheur de ce monde? % Mais vous voulez donc confondre les pouvoirs ? Nous aurons bientôt occasion d’examiner cette théorie des trois pouvoirs, laquelle exactement analysée montrera peut-être la facilité de l’esprit humain à prendre des mots pour des choses, des formules pour des arguments, et à se routiner vers un certain ordre d’idées, sans revenir jamais à examiner l’intelligible définition qu’il a prise pour un axiome. Les valeureux champions des trois pouvoirs tâcheront alors de nous faire comprendre ce qu’ils entendent par cette grande locution des trois pouvoirs; et par exemple, comment ils conçoivent Je pouvoir judiciaire distinct du pouvoir exécutif, ou même le pouvoir législatif sans aucune participation au pouvoir exécutif. 11 me suffit aujourd’hui de leur dire: vous oubliez que ce peuple, à qui vous opposez les limites des trois pouvoirs, est la source de tous les pouvoirs, et que lui seul peut les déléguer. Vous oubliez que c/est au souverain que vous disputez le contrôle des administrateurs. Vous oubliez enfin que nous, les représentants du souverain, nous devant qui sont suspendus tous les pouvoirs, et même ceux du chef de la nation s’il ne marche point d’accord avec nous, vous oubliez que nous ne prétendons point à placer ni déplacer les ministres en vertu de nos décrets, mais seulement à manifester l’opinion de nos commettants sur tel ou tel ministre. Et comment nous refuseriez-vous ce simple droit de déclaration, vous qui nous accordez celui de les accuser, de les poursuivre, et de créer le tribunal qui devra punir ces artisans d’iniquités dont, par une contradiction palpable, vous nous proposez de contempler les œuvres dans un respectueux silence? Ne voyez-vous donc pas combien je fais aux gouverneurs un meilleur sort que vous, combien je suis plus modéré? Vous n’admettez aucun intervalle entre un morne silence et une dénonciation sanguinaire. Se taire ou punir, obéir ou frapper, voilà votre système. Et moi, j’avertis avant de dénoncer, je récuse avant de flétrir, j’offre une retraite à 'l’inconsidération ou à l’incapacité avant de les traiter de crimes. Qui de nous a plus de mesure et d’équité? Mais voyez la Grande-Bretagne 1 Que d’agitations populaires n’y occasionne pas ce droit que vous réclamez! C’est lui qui a perdu l’Angleterre ..... L’Angleterre est perdue! Ah! grand Dieu! quelle sinistre nouvelle! Eh! par quelle latitude s’est-elle donc perdue? ou quel tremblement de terre, quelle convulsion de la nature a englouti cette île fameuse, cet inépuisable foyer de si grands exemples, cette terre classique des amis de la liberté?.... Mais vous me rassurez.... L’Angleterre fleurit encore pour l’éternelle instruction du monde: l’Angleterre répare dans un glorieux silence les plaies qu’au milieu d’une fièvre ardente elle s’est faite! L’Angleterre développe tous les genres d’industrie, exploite tous les filous de la prospérité humaine, et tout à l’heure encore elle vient de remplir une grande lacune de sa constitution avec toute la vigueur de la plus énergique jeunesse et l’imposante maturité d’un peuple vieilli dans les affaires publiques.... Vous ne pensiez donc qu’à quelques dissensions parlementaires, (là comme ailleurs, ce n’est souvent que du partage qui n’a guère d’autre importance que l’intérêt de la loquacité); ou plutôt c’est apparemment la dernière dissolu-lution du parlement qui vous effraie. Je ne vous dirai pas que, sur votre exposé, il est évident que vous ignorez les causes et les détails de ce grand événement, qui n’est point une révolution, comme vous t’appelez; mais je vous dirai que cet exemple offre la preuve la plus irrésistible que l’influence d’une Assemblée nationale sur les ministres ne peut jamais être désastreuse, parce qu’elle est nulle, cette influence, aussitôt que le sénat en abuse. Qu’est-il arrivé, en effet, dans cette circonstance rare où le roi d’Angleterre, étayé d’une très-faible minorité, n’a pas craint de combattre la formidable Assemblée nationale et de la dissoudre? Soudain l’édifice fantastique d’une opposition colossale s’est écroulé sur ses frêles fondements, sur cette coalition cupide et factieuse qui semblait menacer de tout envahir. Eh! quelle est la cause d’un changement si subit? c’est que le peuple était de l’avis du Roi et non de celui du parlement. Le chef de la nation dompta l’aristocratie législative par un simple appel au peuple, à ce peuple qui n’a jamais qu’un intérêt, parce que le bien public est essentiellement le sien. Ses représentants, revêtus d’une invisible puissance, et presque d’une véritable dictature, quand ils sont les organes de la volonté générale, ne sont que des pygmées impuissants, s’ils osent substituer à leur mission sacrée des vues intéressées ou des passions particulières. Livrons-nous donc sans crainte à l’impulsion de l’opinion publique; loin de redouter, invoquons sans cesse le contrôle universel; c’est la sentinelle incorruptible de la patrie; c’est le premier instrument auxiliaire de toute bonne constitution; c’est l’unique surveillant, le seul et puissant compensateur de toute constitution vicieuse; c’est le garant sacré de la paix sociale, avec laquelle nul individu, nul intérêt, nulle considération ne peut entrer en balance. M. lïounter. 11 faut empêcher la réunion des pouvoirs; il faut que J’Asscmblée nationale ne confonde pas les pouvoirs exécutif et législatif. Quand on fera la constitution, on posera des limites sacrées à chacun de ces pouvoirs; en attendant, il n’est pas de la dignité de la nation d’avoir de l’influence sur le choix des ministres. M. le comte de Aflirabeau. Sans examiner ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juillet 1789- ] 244 [Assemblée nationale.] la nature des pouvoirs exécutif et législatif, il est certain que la nation a le droit de contrôler l’emploi que les ministres font de l’autorité royale. M. Gleizcn. Messieurs, vous êtes tous d’accord, mais aucun de vous n’a prononcé le véritable mot. On ne peut pas demander le renvoi des ministres, mais on peut les dénoncer. M. de Clermont-Tonnerre. Je crois qu’ü ne convient pas de demander le rappel de M. Necker. Les représentants de la nation ont fait pour ce ministre tout ce qu’ils pouvaient faire en lui témoignant leur estime et leurs regrets dans un de leurs derniers arrêtés; et le Roi, qui a bien entendu à cet égard et les vœux de l’Assemblée nationale et celui de la ville de Paris, les remplira sans doute de lui-même. M. de Tally-Tolïendal. Messieurs, nous l’avons vu, nous l’avons entendu, dans les rues, dans les carrefours, sur les quais, dans les places, il n’y avait qu’un cri, le rappel de AJ. Necker. Tout ce peuple immense nous priait de redemander M. Necker au Roi. Les prières d’un peuple sont des ordres; il faut donc que nous demandions le rappel de M. Necker. Cet avis réunit tous les esprits. Il est décidé qu'il sera envoyé une députation au Roi, pour lui demander le renvoi des ministres et le rappel de M. Necker. La rédaction de cette adresse est renvoyée au comité. M. le Président lit une lettre de M. le maréchal de Broglie, qui annonce les ordres de détail donnés pour le prompt éloignement des troupes de Paris. Elle est ainsi conçue : A M. le président de l'Assemblée nationale. Monsieur le président, « J’ai l’honneurdevous prévenir que Sa Majesté, qui m’avait appelé auprès de sa personne, pour me charger du commandement des troupes qu’elle avait fait approcher de sa capitale, m’a donné ordre de les faire partir pour retourner dans leurs garnisons respectives et qu’en conséquence, le Roi a fait expédier des ordres, pour que les régiments qui sont ici, à Sèvres et à Saint-Cloud, en parlent demain 17, pour se rendre à Saint-Denis et y remplacer ceux qui y sont réunis, lesquels reprendront aussi, demain 17, les routes qu’ils avaient tenues pour venir des différentes frontières. Les troupes qui arriveront demain à Saint-Denis en repartiront le 18 pour retourner de même dans leurs garnisons. « Signé : Maréchal de Broglie. » Monsieur le Président lit ensuite une lettre de M. le premier président du parlement de Paris, dont la teneur suit : « M. le président, le parlement m’a chargé de faire part à l’Assemblée nationale d’un arrêté qu’il vient de prendre ce matin. « Je m’empresse de remplir cette mission en vous adressant une copie de cet arrêté. « Je suis avec respect, monsieur le président, votre très-humble et très-obéissant serviteur. « Bochard de Saron. » On fait lecture de l’arrêté: « La cour, instruite par la réponse du Roi, du jour d’hier, à l’Assemblée nationale, de l’ordre donné aux troupes de s’éloigner de Paris et de Versailles; « A arrêté que M. le premier président se retirera à l’instant par devers ledit seigneur Roi, à l’effet de le remercier des preuves qu’il vient de donner de son amour pour ses peuples, et de sa confiance dans ses représentants, dont le zèle et le patriotisme ont contribué à ramener la tranquillité publique. « Arrête que M. le premier président fera part de l’arrêté de ce jour à l’Assemblée nationale. » M. de Cleriuont-Tonnerre observe que, dans cette lettre le parlement de Paris semble traiter de corps à corps avec l’Assemblée nationale; et que puisque M. le premier président se relirait devers le Roi, il pouvait bien aussi se* retirer par devers l’Assemblée nationale. Bette observation est appuyée par MM. les ducs d’Aiguillon, de Luynes, de Prasliu, de la Rochefoucauld. MM. Duport, Le Pelletier de Saint-Fargeau et Fréteau tâchent d’excuser la compagnie, sur ce que, dans un ordre si nouveau, elle a bien pu ne pas connaître encore toutes les convenances. On se disposait à aller aux voix sur le projet d’adresse de M. le comte de Mirabeau, lorsqu’on annonce Je renvoi de tous les ministres. Dans le moment il a été résolu d’envoyer une députation au Roi, pour le remercier au nom de l’Assemblée nationale. On nomme les membres de cette députation qui est composée de ; CLERGÉ. MM. MM. Ruffo de Laric, évêque de Lasmartres , Saint-Flour ; Mes nard; De La Rochefoucauld, évê-Morel : que de Beauvais ; MM. D’Haremburo; De Lannoy ; De Crussol d’Ambois Lalande. NOBLESSE. MM. De Dieuzie ; De Tousiain ; De Ferrières. COMMUNES. MM. MM, Duval de Grandpré ; Hell ; Verchère de Reffye ; Lesuré ; Gossin ; Lanjuinais; Grangier ; Tellier ; Boullé; Auvry ; Jouy-Desroches ; De Neuville. Un député de la noblesse dit, avant le départ de la députation, qu’il est autorisé à annoncer que, d’après les vœux des Parisiens, le Roi a résolu d’aller se montrer à eux dans la capitale, et qu’il