58 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Élats généraux.] [29 mai 1789.] régler les points constitutionnels ; qu’ils se communiquent leurs travaux par le moyen des commissaires, et que l’on parvienne ainsi à rédiger des projets de lois uniformes, sauf ù s’occuper à celte époque des moyens à employer pour que les projets se changent en lois. M. le baron d’Allarde propose de faire porter au clergé l’arrêté sur la délibération par ordre ; 161 membres sont de l’avis de cette motion ; 41 prétendent qu’il faut attendre la fin des conférences proposées par le Roi. La séance est levée. communes. M. le Doyen établit ainsi l’état de la question : Acceptera-t-on ou rejettera-t-on les conférences? Le tour d’opinion commence cette fois par la fin de la liste. MM. les députés de Bretagne, les députés d’Artois, MM. Bureau, Camus et plusieurs autres membres parlent contre les conférences. Ils soutiennent que les conférences sont inutiles, puisque la noblesse ne sera pas plus convaincue aux secondes qu’aux premières;; que l’arrêté qu’elle vient de prendre, et par lequel elle s’est liée, n’annonce que trop son opiniâtreté dans ses premiers principes ; quant au clergé, il s’est enveloppé d’un voile mystérieux en prenant le rôle de conciliateur pour acquérir des partisans dans l’un et l’autre ordre. Pressées entre le clergé et la noblesse, les communes doivent craindre un danger plus grand encore que celui des funestes privilèges de ces deux ordres. Il arrivera précisément en 1789 ce qui est arrivé en 1589. Le Roi avait proposé alors de pacifier les esprits, et il avait fini de les pacifier par un arrêt du Conseil. Quand bien même un pareil arrêté serait aujourd’hui favorable aux communes, que la noblesse et le clergé s’y soumettraient, un tel exemple ne pourrait-il pas être funeste? Le gouvernement ne pourra-t-il pas, à la moindre division dans les Etats, renouveler des coups d’autorité qui mettraient les Etats dans sa dépendance, dégraderaient la majesté de l’Assemblée nationale et violeraient sa liberté? Quelques membres parlent pour soutenir les conférences; ils observent qu’après avoir demandé l’entremise du clergé pour rétablir l’union, il serait indécent de rejeter celle qu’offrait le Roi sans avoir été sollicitée. Une conduite aussi peu modérée exposera les communes à son animadversion et justifiera les intrigues qu’on se permet contre elles ; avant de prendre un parti de rigueur, elles doivent épuiser toutes les voies de la douceur. Ceci serait le seul ordre qui ne con descendrait pas au désir du Roi, et c’est le seul ordre fort de la justice. La démarche de se prêter au vœu du Roi ne peut rien avoir de dangereux, puisque l’Assemblée n’est pas constituée, puisque le Roi ne veut pas prononcer un jugement, en annonçant qu’il n’assistera pas aux conférences. Quand bien même cet arrêt du conseil, que l’on redoute, interviendrait, il serait toujours nul, toujours illégal. M. le comte de Mirabeau (1). Messieurs, il est difficile de fermer les yeux sur les circonstances (1) Le discours de Mirabeau est incomplet au Moniteur. où la lettre du Roi nous â été remise; il est impossible de ne pas distinguer les motifs de ceux qui l’ont provoquée, du sentiment de l’auguste auteur de cette lettre. Il serait dangereux de confondre ses intentions respectables et les suites probables de son invitation. Un médiateur tel que Je Roi ne peut jamais laisser une véritable liberté aux partis qu’il désire concilier. La majesté du trône suffirait seule pour la leur ravir. Nous n’avons pas donné le plus léger prétexte à son intervention. Elle paraît au moment où deux ordres sont en négociation avec le troisième, au moment où l’un de ces ordres est presque invinciblement entraîné par le parti populaire. C’est au milieu de la délibération du clergé, avant aucun résultat, après des conciliabules (je parle des assemblées nocturnes du haut clergé, que la notoriété publique nous a dénoncées), que les lettres du Roi sont remises aux divers ordres. Qu’est-ce donc que tout ceci ? Un effort de courage, de patience et de bonté de la part du Roi, mais en même temps un piège dressé par la main de ceux qui lui ont rendu un compte inexact de la situation des esprits et des choses, un piège en tous sens, un piège ourdi de la main des druides. — Piège si l’on défère au désir du Roi, piège si l’on s’y refuse. Accepterons-nous les conférences? Tout ceci finira par un arrêt du Conseil. Nous serons chambrés et despotisés par le fait, d’autant plus infailliblement que tous les aristocrates tendent à l’opinion par ordre. Si nous n’acceptons pas, le trône sera assiégé de dénonciations, de calomnies, de prédictions sinistres. On répétera avec plus de force ce qu’on dit aujourd’hui pour tuer l’opinion par tête, que les communes tumultueuses, indisciplinées, avides d’indépendance, sans système, sans principes, détruiront l’autorité royale. On proférera avec plus de ferveur que jamais cette absurdité profonde, que la constitution va périr sous l’influence de la démocratie. Le trône sera assiégé de dénonciations, de calomnies, de prédictions sinistres. M. Bouthilier (2) répétera que nous éludons le combat. L’appel au peuple de M. d’Antraigues retentira plus que jamais. Faisons route entre ces deux écueils. Rendons-nous à l’invitation du Roi. Eh ! comment pourrait-on s’v refuser quand on a jugé à propos de déférer à celle du clergé? Mais faisons précéder les conférences d’une démarche plus éclatante, qui déjoue l’intrigue et démasque la calomnie. Vers quel but tendent les efforts des ordres privilégiés ? à inspirer de la méfiance au Roi sur nos intentions et nos projets parce qu’ils sentent bien que la puissance d’un Roi uni à son peuple a une influence irrésistible contre les préjugés tyranniques, les prétentions oppressives, les résistances de l’intérêt privé. Nous sommes bien forts, si toute leur ressource est de nous calomnier. Nous sommes bien forts, si, pour faire triompher la bonne cause, il ne faut que marcher unis avec le Roi, et ajouter chaque jour à la puissance du prince, qui né veut l’augmenter qu’en réglant l’exercice de son autorité sur les principes éternels de la justice, et de l’invariable but de la prospérité publique. Le Roi nous a adressé un hommage rempli de bonté; portons-lui une adresse pleine d’amour, où nous consacrerons à la fois nos sentiments et nos principes. Je demande qu'il soit fait à Sa Majesté une très-(1) L’un des commissaires conciliateurs de la noblesse. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 mai 1789.] [États généraux.] humble adresse, pour lui exprimer l’attachement inviolable de ses fidèles communes à sa royale personne, à son auguste maison et aux vrais principes de la monarchie ; pour témoigner à Sa Majesté leur respectueuse reconnaissance de ce que, dans sa sagesse et sa bonté pour ses peuples, elle a convoqué, non trois Assemblées distinctes de trois ordres séparés d’intérêt et de vue, mais l'Assemblée nationale, pour s’occuper, de concert avec Sa Majesté, de la régénération du royaume; de ce que, dans sa sollicitude bienfaisante, Sa Majesté à daigné rechercher les moyens de mettre fin a la malheureuse inaction à laquelle cette Assemblée nationale est réduite par l’incident le plus imprévu, le plus contraire au bien général ; pour lui exposer que, par déférence au désir de Sa Majesté, les communes de son royaume ont autorisé leurs commissaires à assister à la conférence à laquelle Sa Majesté a daigné les inviter, et l’informer en même temps qu’in timement convaincus que les députés des différents ordres sont députés à une seule et même Assemblée, l’assemblée nationale; que la vérification de leurs pouvoirs ne peut être définitivement faite et arrêtée que dans l’Assemblée nationale ; et déterminés, comme ils y sont obligés par les ordres de leurs constituants, à ne reconnaîire pour députés à l’Assemblée nationale que ceux dont les pouvoirs auront été vérifiés et approuvés dans la dernière Assemblée; ils chargent expressément leurs commissaires de s’occuper de tous les expédients qui, sans porter atteinte à ce principe fondamental, pourront être jugés propres à ramener la concorde entre les divers ordres, et les faire concourir à rechercher en commun les moyens de réaliser les espérances que Sa Majesté a conçues pour le bonheur et la prospérilé de l’Etat ; enfin de leur en faire le rapport, à l’effet que lesdites fidèles communes prennent une détermination, qui, s’accordant avec les instructions qu’ils ont reçues de leurs commettants, les mette à portée de*donner à Sa Majesté des preuves non équivoques de leur immortel dévouement à sa personne royale et à tout ce qui la touche, et de leur zèle illimité pour le bien et la prospérité du royaume. Si cette motion est adoptée, je demande qu’il soit immédiatement après ia délibération, nommé un comité de cinq à six personnes au plus, pour se retirer dans une autre chambre, rédiger l’adresse ainsi que la résolution de l’Assemblée portant les instructions des communes, et les rapporter dans cette séance même à l’Assemblée. Je demande que les instructions portent: 1° que les commissaires déjà chargés de la conciliation des ordres, sont autorisés à se rendre dans la conférence à laquelle il a plu à Sa Majesté de les inviter, et chargés d’y faire tous leurs efforts pour obtenir que celte conférence ait lieu dans la salle commune. 2° Qu’il leur soit intimé de n’agir dans cette conférence que comme représentant les communes, d’y exposer leurs principes, de chercher les moyens de ramener l’harmonie et la concorde sans toucher à ces mêmes principes. 3° Qu’il leur soit de plus intimé de représenter que, dans une telle conférence, ils sont prêts à ouïr avec attention et à rapporter aux communes les ouvertures de conciliation qui pourraient être faites , tant par les autres ordres que par les commissaires de Sa Majesté ; mais que lorsqu’il s’agit des droits les plus précieux des communes, iis ne peuvent prendre ni juges ni arbitres ; 4° Enfin qu’il leur soit intimé de dresser dans chaque conférence, de concert avec les autres m commissaires des autres ordres, un procès-verbal commun de ce qui se sera passé, de le signer en commun, et d’en préparer un double, pour être soumis et livré à l’impression. M. ffiabaud de Saint-Éiienne. Je propose de reprendre les conférences , d’entendre les ouvertures de conciliation, même sur le vote par tête, sans que les commissaires puissent rien décider; de déclarer en même temps que les communes ne consentent à reprendre les conférences qûe parce qu’elles ne voient dans les commissaires du Roi que de simples témoins, et dans les expressions de sa lettre, que la volonté de Sa Majesté de ne faire intervenir aucun ordre. Les débats sont prolongés jusqu’à trois heures et demie. La séance est levée et remise à cinq heures du soir. Séance du vendredi soir. COMMUNES. M. le Doyen et ses adjoints réduisent les avis de la manière suivante : - Accepter les conférences purement et simplement. Amendements : 1° A condition qu’à la fin de chaque conférence, il y aura un procès-verbal signé de tous les commissaires; 2° Que l’on ne les reprendrait qu’après une députation solennelle au Roi; 3° Qu’on augmenterait les pouvoirs des commissaires en y ajoutant la discussion sur la délibération par tête ; 4° Les reprendre en présence du Roi ; 5° Les reprendre dans la salle des Etats en présence du Roi et des trois ordres. Rejeter les conférences purement et simplement: 1° Se constituer; 2° Se constituer et députer; 3° Députer sans se constituer. M. le Doyen met aux voix , et la première proposition , avec les deux premiers amendements seulement, passe à une très-grande pluralité. L’arrêté est rédigé en ces termes : « Les députés des communes, assemblés dans la salle nationale, arrêtent à la pluralité des voix que pour répondre aux intentions paternelles du Roi, les commissaires déjà choisis par eux reprendront leurs conférences avec ceux choisis par MM. du clergé et de la noblesse, au jour et à l’heure que Sa Majesté voudra bien indiquer; que procès-verbal sera dressé de chaque séance et signé par tous ceux qui y auront assisté, afin que le contenu ne puisse être révoqué en doute. » Il est aussi arrêté qu’il sera fait au Roi une députation solennelle pour lui présenter les hommages respectueux de ses fidèles communes, les assurances de leur zèle et de leur amour pour sa personne sacrée et la famille royale, et les sentiments de la vive reconnaissance dont elles sont pénétrées pour les tendres sollicitudes de Sa Majesté sur les besoins de son peuple. La séance est levée à dix heures et demie du soir.