114 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. llo avril 1791. J lesquelles on a décrété son rappel subsistent toujours. Il faut prendre une décision définitive à son égard. M. le Président. La dernière lettre M. Deschamps porte que sa santé n’est pas encore rétablie, que son dessein est de se retirer à la campagne et qu’il ne prévoit pas qu’il lui soit possible de se remettre entièrement avant la fin de la législature. M. Victor de Broglie. C’est une véritable dérision que de voir un membre de l’Assemblée venir demander à l’Assemblée même si le décret qu’elle arendu porte réellement ce qu’il exprime. Je demande que l’Assemblée persiste dans son décret de rappel et qu’elle renvoie l’affaire au pouvoir exécutif pour qu’il prenne les mesures convenables et nécessaires à l’effet que M. Deschamps satisfasse à la loi que lui impose ce décret. M. Foucault-liardlmalle. M. üeschamps étant malade, il y aurait de l’inhumanité et de la barbarie à le rappeler ; on ne peut forcer un membre de l’Assemblée, que le dérangement de sa santé en éloigne, de s’en rapprocher avant que cela lui soit possible. M. Lavie. SiM. Deschampsest réellement malade et qu’il soit décidé à rester à la campagne, nous ne pouvons pas nous y opposer. L’humanité même nous sollicite de céder à cette résolution ; mais M. Deschamps ne me paraît pas aussi malade qu’il le dit. (Murmures.) Il déclare vouloir se retirer à la campagne pour y demeurer jusqu’à la fin de la présente session, il paraît du moins assez étrange qu’il prévoie devoir être malade tant que durera la législature. (Murmures.) Puisque sa santé est mauvaise, il faut qu’il donne sa démission, parce qu’alors il sera dépouillé de son inviolabilité et la municipalité pourra le poursuivre s’il fait quelque démarche qui puisse troubler l’ordre public. M. Populus. La démission de M. Deschamps est véritablement acquise. M. Deschamps a demandé dans sa lettre un congé jusqu’à la fin de la législature constituante. M. Deschamps doit être considéré comme un militaire qui écrirait au ministre, en temps de guerre, qu’il ne peut joindre son régiment qu’après la fin de la guerre. (Applaudissements.) Le ministre très sûrement, et avec beaucoup de justice, regarderait cette déclaration comme une démission. Cependant il faut que le département de Rhône-et-Loire soit représenté. M. Deschamps déclarant qu’il ne peut le représenter a par là-même donné sa démission. Ma motion est que l’on tienne la lettre de M. Deschamps comme une démission de sa place de député, et qu’il soit ordonné à son suppléant de venir prendre sa place. (L’Assemblée nationale décrète qu’elle tient la lettre de M. Deschamps comme une démission de sa qualité de député, et ordonne que son suppléant viendra le remplacer.) La suite de la discussion sur l'organisation de la marine est reprise. M. lie Chapelier. Il me semble, Messieurs, que les simples règles de la justice et du bon sens suffisent pour nous diriger dans la détermination que nous avons à prendre. Je me garderai bien de comprendre, dans les idées que j’ai à vous soumettre, les diverses questions dont on a environné le système général dans les deux opinions qui se combattent, pour les colorer et les faire adopter par l’Assemblée. Indépendamment des critiques particulières qu’on a faites sur le plan du comité, on en a fait aussi de générales qui attaqueraient le système entier; mais il me semble qu’elles ne portent nullement sur le premier article. En effet, ceux qui s’exercent sur les vaisseaux de l’Etat doivent tous être admis sur les vaisseaux consacrés à la défense de l’Etat. Vous avez décrété qu’il y aurait des classes, qu’il y aurait une conscription pour la marine. Eh bien! il résulte de là que les marins, étant obligés de servir quand ils en seront requis, doivent tous être habiles à venir servir sur les vaisseaux de l’Etat. Il me semble que la justice et la raison prescrivent cette règle, et dès ce moment nous ne devons pas regarder comme insignifiant le premier article proposé par le comité, qui établit cette maxime. Il est vrai que les expressions dont il s’est servi pour concevoir ce principe le rendent un peu insignifiant; mais rédigeons-le en des termes plus clairs, et vous allez voir les conséquences qui en sortiront. Disons que la marine française sera composée de tous les citoyens soumis à la conscription maritime, et nous dirons ce qui doit effectivement exister, ce à quoi personne ne peut s’opposer. Voyons maintenant la différence des deux systèmes. Les uns veulent que la marine militaire soit tellement séparée de la marine marchande, que celle-ci ne puisse venir dans la marine militaire que par accident, par occasion, par besoin. Nous au contraire nous demandons véritablement que tous les navigateurs qui naviguent sur les vaisseaux de commerce, et qui se rendent utiles à l’Etat, ne soient point exclus des grades de la marine militaire, quoiqu’ils ne soient pas entretenus. Veuillez considérer les inconvénients qui résultent du plan proposé par M. de Ghampagny, savoir que les marins du commerce ne seront appelés, comme ils l’étaient jadis, à servir sur les vaisseaux de l’Etat, que lorsque le besoin l’exigera. Le petit remède même qu il vous propose, de faire décider par le Corps législatif si le nombre des entretenus sera augmenté, ou si les capitaines des navires marchands seront entretenus, ce remède est absolument nul; car, quand on veut détruire des préjugés trop enracinés, quand on veut régénérer la nation entière, il faut faire des dispositions pour que les institutions actuelles ne se sentent plus des institutions passées. A ce sujet voici quel était l’état ancien, quel est encore l’état de la marine, puisqu’il n’est pas réformé. Là il y a une manne entretenue et des hommes qui se sont servis de ces mêmes privilèges de naissance pour faire faire une constitution de la marine; ceux qui viennent les aider dans ce service, quand le besoin de l’Etat l’exige, sont des hommes qui ont l’air d’être postiches dans cette marine, et qui, quelques services qu’ils rendent, ne font pas partie du corps, et sont condamnés à des humiliations perpétuelles. (Applaudissements .) Et que résulterait-il du système que l’on vous propose? Que ce sera toujours la même organisation; que des hommes n’ayant pas de grades militaires, quoiqu’ils soient entretenus, lorsqu’ils [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1791. J seront appelés à faire le service sur les vaisseaux de l’Etat, paraîtront toujours avilis sous ce titre d’auxiliaires ; qu’on les regardera toujours comme on les regardait sous l’ancien régime, des hommes venus pour le besoin du moment, des hommes n’étant pas faits pour partager les honneurs. Et ne vous a-t-on pas dit qu’il serait humiliant pour des marins de la marine de l’Etat de voir partager leurs grades avec des hommes qui ne sont pas militaires. Pour moi, je ne vois aucun inconvénient dans le système contraire ; j’y vois le résultat nécessaire de la conscription militaire, car tout homme qui est forcé de venir servir sur les vaisseaux de l’Etat doit participer aux grades et aux honneurs qui sont attachés à ce service. Quel inconvénient aperçoit-OD dans Je grade d’enseigne donné à tous les capitaines de commerce, en raison de leurs services, de leur navigation ? il n’y en a aucun; au contraire, ils seront plus attachés à leur état par le grade qu’ils auront reçu, et plus pénétrés de l’obligation d’être utiles à la patrie en servant sur des vaisseaux de commerce, et ne voyant plus à côté d’eux de simples protecteurs dans la marine militaire, mais en y voyant des frères qui les défendent. Ces mots de protecteurs, de protégés, cette différence éternelle entre des hommes qui montent des vaisseaux armés de canons et des hommes qui montent des vaisseaux chargés de marchandises, me paraissent tout à fait contraires aux idées que nous devons avoir maintenant, d’après notre Constitution. Si vous établissiez encore cette ligne de démarcation, vous. verriez des protecteurs ; et à côté des protecteurs il y a toujours des protégés. Eh bien! moi je veux voir des frères d’armes qui servent utilement la patrie. On ne voit dans le projet de votre comité que l’esprit de votre Constitution, que la stricte justice. En adoptant les vues qui lui sont contraires, vous altéreriez la stabilité de vos travaux, par cela seul que les hommes qui composent la marine militaire pourront calculer que vous avez encore un peu ménagé, un peu favorisé les préjugés auxquels ils sont attachés. Et vous aurez, d’un autre côté, découragé cette marine marchande, à commencer depuis le dernier matelot jusqu’au capitaine le plus expérimenté; ils seront obligés de se regarder par votre décret comme les inférieurs de cette marine militaire, tandis qu’ils doivent être leurs égaux, quoiqu’ils servent l’Etat dans diverses fonctions. Je n’allonge pas davantage ma discussion qui ne peut tenir qu’à un ou deux principes, comme l’a dit M. de Ghampagny ; mais à un ou deux principes plus agrandis, plus appopriés au système de notre Constitution, plus conformes à nos principes. C’est à cela d’abord qu'il faut nous attacher, c’est ce qu’il faut décréter. La marine sera composée de tous les marins conscrits dans la marine française, c’est là le principe qu’il faut décréter. Il ne faut pas s’embarrasser dans des questions de détail, puisque la question qu’on vous propose tient à des principes que vous avez cent fois décrétés, et qu’il ne faut pas laisser fléchir. Décrétons ce premier point ; et péuétrons-nous de l’idée qu’il faut détruire les préjugés, les attaquer partout où nous les trouvons pour nous rallier a ces principes, pour établir notre constitution sur les mêmes bases, surtout pour suivre les règles de la justice. Je demande donc la priorité pour le projet du comité et je propose à l’Assemblée de commencer par établir comme principe fondamental que les 115 citoyens soumis à la conscription maritime seront compris dans la marine française. Cette maxime une fois fixée, on en pourra tirer toutes les conséquences. M. Malouet. Si l’on met aux voix la priorité et qu’elle soit accordée au projet du comité, la discussion sera nécessairement ouverte de nouveau. (Murmures.) M. le Président. Je mets aux voix l’article 1er ( Murmures ) ..... Je mets aux voix cet article parce que M. de Ghampagny lui-même l’a adopté. M. de Champagny. Je ne m’oppose point à ce que l’article 1er soit mis aux voix, quelles que soient les conséquences qu’on en puisse déduire ensuite. Si j’ai dit qu’il était insignifiant, c’est que j’ai trouvé cejugement conforme à la vérité; mais je l’expliquerai dans un second article que je me propose de présenter quand le premier sera adopté. M. Coynes de Ca Condray. A présent! à présent! M. le Président. Je mets aux voix l’article 1er. II est ainsi conçu : « Art. 1er. La marine française sera composée de tous les citoyens soumis à la conscription maritime. » (Adopté.) M. de Champagny. Je prends la liberté d’observer à l’Assemblée nationale que l’organisation de la marine qu’elle va décréter doit embrasser l’avenir comme le présent, et qu’il faut qu’elle craigne de s’y déterminer par des préventions que le moment aurait fait naître. M.Le Chapelier m’a paru aussi croire que j’avais mis des préventions à la place des principes. De ceux que j’ai établis résulte seulement la nécessité d’avoir un corps d’officiers de tout grade; car il n’y a pas de grade pour lequel on puisse faire une .exception ; aucun n’est indifférent à la chose publique. C’est en conséquence que je propose de faire suivre l’article que vous venez de décréter de la disposition suivante. Remarquez que je ne me sers pas du mot militaire parce que je ne veux pas de prétentions abusives. Voici cette disposition : « L’Etat entretiendra un corps d’officiers de mer de tous les grades spécialement destinés à son service. » Cet article est absolument nécessaire pour conserver une marine à la France et je crains que l’on ne puisse conclure du projet de décret du comité que tous les marins seront appelés indistinctement à tous les grades. M. Le Chapelier. Je demande qu’on ne délibère pas sur la disposition qui vous est soumise, et voici ma raison. Ou elle préjuge le système de M. de Champagny, qu’il ne faut pas préjuger; ou elle est parfaitement inutile ; car si M. de Ghampagny veut dire qu’on n’admettra aux grades que ceux qui sont entretenus, il préjuge son système et détruit celui du comité. Il y aura, dit M. de Champagny, un corps d’officiers de mer de tous les grades. Il faut tirer de là la conclusion qu’un officier de navire marchand ne pourra point avoir de grade ou de qualité, sans être entretenu par l’Etat, et alors il