670 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 juillet 1790.] lilé de ses appointements. A l’effet de quoi, au-dessus de trente ans, chaque année augmentera d’un vingtième des trois quarts des appointements restants (1). La publicité des grâces réunissant le triple avantage d’instruire le peuple des noms de ceux qui ont bien mérité de la patrie, d’animer tous les citoyens par l’espérance de partager ses bienfaits, et d’écarter les sollicitations de ceux qui, dénués de titres pour obtenir des grâces, pourraient parvenir à les surprendre, votre comité a cru devoir vous proposer, Messieurs, de décréter : 1° que l’état des pensions, tel qu’il sera arrêté par l’Assemblée nationale, sera rendu public; 2° que tous les dix ans il sera imprimé en entier; et que, tous les ans, dans le mois de janvier, l’état des changements survenus dans le cours ue l’année précédente, et celui des concessions de nouvelles pensions, seront livrés à l’impression. Par ce moyen, le public instruit de l’usage que l’on aura fait des sommes destinées à récompenser les services rendus à la nation, sera dans le cas de juger si ses représentants se sont écartés des principes qui doivent toujours déterminer ses bienfaits. Quelque sage, quelque utile que soit une loi, une surveillance continuelle peut seule en assurer l’exécution . Sans cette surveillance, chaque jour la loi s’altère, et elle Unit bientôt par tomber en désuétude. Nous en faisons depuis longtemps la malheureuse expérience; et combien de lois ne pourrait-on pas citer, que leur sagesse et leur utilité n’ont pu sauver de l’inexécution, et même de l’oubli ! Celle que nous vous présentons, Messieurs, devant se trouver souvent en contradiction directe avec les vues personnelles des ministres, éprouvera infailliblement des atteintes dangereuses : sil œil attentif du pouvoir législatif n’est pas constamment ouvert sur son exécution, dans peu ses dispositions seront annulées, et les anciens abus renaîtront avec plus de vigueur que jamais. D’après ces réflexions, dont vous sentez, Messieurs, toute la justesse, votre comité a cherché les moyens de concilier les intérêts de la nation avec ce qu’elle doit à son auguste chef; et il a pensé qu’en conservant au roi la proposition de la liste des grâces, il devait poser des limites que les agents du pouvoir exécutif ne pussent franchir . Cette liste, à laquelle sera jointe celle des pensionnaires décédés, et celle des pensionnaires existants, sera, parSa Majesté, présentée à chaque législature. L’Assemblée examinera ces listes, et rendra un décret approbatif des pensions qu’elle croira devoir être tant accordées que conservées : le roi sanctionnera ce décret; et les pensions accordées en cette forme, seront les seules exigibles. Gomme il pourrait se faire que la religion du monarque fût trompée, et que son erreur échappât à la vigilance et à la sévérité de l’examen de l’Assemblée législative, votre comité a cru devoir poser, comme loi première et essentielle, qu’aucun citoyen ne pourrait prétendre aux grâces et aux récompenses de l’Etat, qu’autant que ses services seraient recommandés et attestés par les (1) Exemple pris pour un traitement de 2,000 livres. Pension : Au bout de trente ans de service. 500 üy. Après 31 ans .... ...... 575 Après 32 ans .......... 650 Après 50 ans .......... 2,000 départements, les officiers généraux et autres agents des pouvoirs exécutif, administratif et judiciaire, qui peuvent en avoir une pleine connaissance. Le concours de ces moyens rendra les surprises plus rares, les fraudes plus difficiles, et deviendra une barrière contre les entreprises du ministère. Telles sont, Messieurs, les bases que nous vous présentons pour la distribution des pensions et des gratifications à venir. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, considérant que chez un peuple libre, servir l’Etat est un devoir que tout citoyen est tenu de remplir, et qu’il ne peut prétendre de récompense, qu’autant que la durée, l’éminence et la nature de ses services lui donnent des droits à une reconnaissance particulière de la nation ; que s’il est juste que, dans l’âge des infirmités, la patrie vienne au secours de celui qui lui a consacré ses talents et ses forces, lorsque sa fortune lui permet de se contenter des grâces honorifiques, elles doivent lui tenir lieu de toute autre récompense, décrété ce qui suit : Art. 1er. L’Etat doit récompenser les services rendus au corps social, quand leur importance et leur durée méritent ce témoignage de reconnaissance. La nation doit aussi payer aux citoyens le prix des sacrifices qu’ils ont faits à futilité publique. Art. 2. Les services qu’il convient à l’État de récompenser sont ceux qui intéressent la société entière. Les services qu’un individu rend à un autre individu ne peuvent être rangés dans cette classe, qu’autant qu’ils sont accompagnés de circonstances qui en font réfléchir l’effet sur tout le corps social. Art. 3. Les sacrifices dont la nation doit payer le prix sont ceux qui naissent des pertes qu’on éprouve en défendant la patrie, ou des dépenses qu’on a faites pour lui procurer un avantage réel et constaté. Art. 4. Tout citoyen qui a servi, défendu, illustré, éclairé sa patrie, ou qui a donné un grand exemple de dévouement à la chose publique, a des droits à la reconnaissance de la nation, et peut, suivant sa position, la nature et la durée de ses services, prétendre aux récompenses honorifiques ou pécuniaires. Art. 5. Une médaille ou tout autre symbole de la gratitude nationale, seront la récompense la plus flatteuse et la plus distinguée. Art. 6. Il y aura deux espèces de récompenses pécuniaires : les pensions et les gratifications. Les premières seront destinées au soutien honorable du citoyen auquel ou les accorde; les secondes, à payer des pertes souffertes, des sacri-| fices faits à l’utilité publique. J Art. 7. Aucune pension ne sera accordée à qui | que ce soit, avec clause de réversibilité au profit i d’un autre; mais suivant les circonstances, et ! dans le cas de défaut absolu de patrimoine, la ! veuve d’un homme mort dans le cours de son ser-; vice public, pourra obtenir une pension alimen-| taire, et les enfants être élevés aux dépens de la ; nation, jusqu’à ce qu’elle les ait mis en état de pourvoir eux-mêmeà leur subsistance. Art. 8. IJ ne sera compris dans l’état des pensions que ce qui est accordé pour récompense de service. Tout ce qui sera prétendu à titre d’in-, demnité, de dédommagement, comme prix d’a- 671 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 juillet 1790.] liénation ou autres causes semblables, sera placé dans la classe des dettes de l’Etat, et soumis aux règles qui seront décrétées pour la liquidation des créanciers de la nation. Art. 9. .Dans l’administration duTrésor national il sera établi, pour le payement des pensions, dons et gratifications, une caisse distincte de toute autre. On ne pourra jamais être employé sur cette caisse qu’en un seul et même article. Ceux qui auraient usurpé, de quelque manière que ce soit, plusieurs pensions, seront rayés de la liste des pensionnaires et privés des grâces qui leur auraient été accordées. Art. 10. Nul ne pourra recevoir en même temps une pension et un traitement. Aucune pension ne pourra être accordée sous le nom de traitement conservé et de retraite. Art. 11. Il ne pourra être concédé de pensions à ceux qui jouissent d’appointements, gages ou honoraires -, sauf à leur accorder des gratifications, s’il y a lieu. Art. 12. Un pensionnaire de l’Etat ne pourra recevoir de pension d’aucune autre personne. Art. 13. La liste civile étant destinée au payement des personnes attachées au service particulier du roi et à sa maison, tant domestique que militaire, le Trésor public demeure déchargé de de toutes pensions et gratifications qui peuvent avoir été accordées, ou qui le seraient, par la suite, aux personnes qui auraient été, sont ou seront employés à l’un ou à l’autre de ces ser* vices. Art. 14. Il sera versé dans la caisse des pensions une somme de douze millions de livres, à laquelle demeurent fixés les fonds destinés aux pensions, dons et gratifications; savoir: dis millions pour les pensioûs et deux millions pour les dons et gratifications . Dans le cas où le remplacement des pensionnaires décédés ne laisserait pas une somme suffisante pour accorder des pensions à tous ceux qui pourraient y prétendre, les plus anciens d’âge et de service auront la préférence; les autres l’expectative, avec assurance d’être les premiers employés successivement. Art. 15. Au moyen de ce versement, il ne pourra être payé par aucune autre caisse, ni accordé par qui que ce soit, et sous quelque prétexte ou dénomination que ce puisse être, notamment sous celle de prêt, avances, secours pour payement de dettes, ou autrement, aucunes pensions, dous et gratifications, à peine contre ceux qui les auraient accordées ou payées, d’en répondre en leur propre et privé nom. Art. 16. Sont exceptées de la disposition de l’article précédent, les soldes et demi-soldes, tant de terre que de mer, et les pensions des curés et vicaires, qui continueront d’être payées sur les fonds qui y sont ou seront affectés. Art. 17. Aucun citoyen, hors le cas de blessures reçues, ou d’intirmités contractées pendant son service public, et provenant de fatigues ou de travaux, de voyages ou séjour en des lieux malsains, ne pourra obtenir de pension qu’il n’ait trente ans de service effectif, et ne soit âgé de cinquante. Art. 18. Il ne sera jamais accordé de pension au delà de ce dont on jouissait à titre de traitements ou appointements au moment où. cette pension sera accordée; mais quel que fût le montant de ces traitements et appointements, la pension, dans aucun cas, sous aucun prétexte, et quels que puissent être le grade ou les fonctions du pensionné, ne pourra jamais excéder la somme de douze mille livres. Art. 19. Tout citoyen après trente ans de service public et effectif, et s’il est âgé de cinquante, pourra obtenir une pension. Elle sera alors du quart du montant de ses appointements lorsqu’il était en activité. Art. 20. Chaque année de service, ajoutée à ces trente ans, produira une augmentation progressive du vingtième des trois quarts restants de ses appointements et traitements; de manière qu’après cinquante ans de service, le montant de la pension sera de Ja totalité des appointements et traitements, sans que néanmoins, comme on l’a dit ci-devant, cette pension puisse jamais excéder la somme de douze mille livres. Art. 21. Le fonctionnaire public, ou tout autre citoyen au service de l’Etat, que ses blessures on ses infirmités obligeront de quitter son service ou ses fonctions avant les trente années expliquées ci-dessus, recevra une pension déterminée par la nature et la durée de ses services, le genre de ses blessures et l’état de ses infirmités. Art. 22. Les pensions ne seront accordées que sur la recommandation et l’attestation des directoires de département et le district, des officiers généraux et autres agents des pouvoirs exécutif, administratif et judiciaire. Art. 23. A chaque législature, le roi formera la liste des pensions à accorder aux différentes personnes qui, d’après les règles ci-dessus, seront dans le cas d’y prétendre. A cette liste sera jointe celle des pensionnaires décédés, et des pensionnaires existants. Ces deux listes seront, par Sa Majesté, remises à la législature, qui rendra un décret approbatif des pensions qu’elle croira devoir être accordées et conservées. Le roi sanctionnera le décret, et les pensions accordées dans cette forme, seront les seules exigibles, et les seules payables[par le Trésor public. Art. 24. Les gratifications seront accordées sur les mêmes recommandations et attestations : elles ne seront jamais annuelles, mais pour une fois seulement, et elles seront calculées sur la nature des services rendus, des pertes souffertes, et d’après les besoins de ceux auxquels elles seront concédées. A chaque législature, il sera présenté un état des gratifications à accorder, et des motifs qui doivent en déterminer la concession et le montant. L’état de celles qui seront jugées devoir être accordées sera pareillement décrété par l’Assemblée législative, et sanctionné par le roi; les gratifications accordées dans cette forme seront aussi les seules payables par le Trésor public. Art. 25. Néanmoins, dans les cas urgents, le roi pourra accorder provisoirement des gratifications : elles seront comprises dans l’état qui sera présenté à la législature; si elle les juge accordées sans motif ou contre les principes décrétés, le ministre, qui aura contresigné les décisions, sera condamné à en verser le montant au trésor de l’Etat. Art. 26. L’état des pensions, tel qu’il aura été arrêté par l’Assemblée nationale, sera rendu public. Il sera imprimé en entier tous les dix ans; et tous les ans, dans le mois de janvier, l’état des changements survenus dans le cours des années précédentes, ou des concessions de nouvelles pensions et gratifications, pareillement livré à l’impression. Fait au comité des pensions le 17 juin 1790. Signé: Camus, Goupil, Gaultier, EXPILLY, FrÉ-teau, Treilhard, J. de Menou, Julien-François i Palasne, Cottin, L. M. de LA RÉ VEILLÉ RE.