541 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 avril 1791*1 M. Foucault-dLardimalie. J’engage l’Assemblée à se pénétrer des idées et des leçons de liberté que lui a données M. Mirabeau. M. de Firieu. M. d’André est passé à un prin' cipe général. Il a voulu effacer les traces de cette détiance, et il nous jette, j’ose le dire, dans un autre précipice. Il asservit chaque membre de cette Assemblée à aller confesser ses affaires aux membres du comité de vérification qui ne s’assemble jamais... Un membre : 11 s’assemblera. M. de Firien. ... qui ne s’assemble jamais qu’en très petit nombre. Ainsi, Messieurs, l’Assemblée mettra dans les mains de deux ou trois individus le sort des affaires les plus importantes de chacun de nous. J’ose croire, Messieurs, que mon assiduité ordinaire à vos séances, que ma santé m’a seule empêché de fréquenter quelques fois, fait que je ne suis pas suspect; mais je déclare que si j’étais obligé de me soumettre à la juridiction despotique de 2 ou 3 membres d’un comité, je regarderais cela comme le sublime, le superfin du raffinement de la tyrannie individuelle d’un parti dominant. Ainsi M. d’André ne fait que vous proposer un joug excessivement tyrannique; et siM. deBiauzat a fait une motion qui caractérise d’une manière indécente la défiance de quelques membres de celte Assemblée, M. d’André nous précipite dans l’esclavage. {Murmures.) Veut-on nous assujettir à laisser périr nos affaires? Toute ma vie j’ai été de l’avis de la liberté, je le serai encore contre un parti dominant qui tyrannise tous ceux qui sont plus faibles que lui. ( Murmures à gauche.) En conséquence, je conclus que les congés soient accordés comme par le passé, et que les individus qui auront des demandes à faire, si l’Assemblée veut se faire rendre compte de leurs motifs, rendent compte à l’Assemblée même. Je ne connais que ce moyen d’éviter la tyrannie d’un petit nombre d’individus. M. Ijc Chapelier. Je prie l’Assemblée de se rappeler qu’à l’époque du mois d’octobre 1789, lorsqu’une partie de la minorité de l’Assemblée se pourvoyait de passeports qui annonçaient sa désertion.... M. Foucault-Ijardimalie. Mais, Messieurs, je n’ai pas connaissance.... {Murmures.) M. Ce Chapelier. Moi, je me le rappelle d’autant mieux qu’ayant alors l’honneur de présider l’Assemblée, j’avertis que plus de 100 passeports étaient présentés à signer pour des membres de l’Assemblée qui, au mois d’octobre 1789, voulaient s’absenter; et voici le décret qui fut rendu. On dit que l’on ne donnerait de passeports aux membres de l’Assemblée que sur des motifs connus d’elle. Or, le décret est parfaitement oublié : il est tombé en désuétude; et c’est une formalité dérisoire que de dire que M. un tel demande un congé pour affaires, sans dire quels sont les motifs. Il n’est pas d’affaires plus importantes que l’affaire publique. Nous avons tous des affaires particulières, et nous sommes tous condamnés à les abandonner pour finir enfin l’affaire publique. D’ailleurs , plusieurs membres ont fait un usage si étrange des congés qu’ils ont surpris à l’Assemblée, que c’est un devoir pour nous d’y mettre maintenant des précautions; et je ne conçois pas comment on peut regarder comme une tyrannie l’exposition des motifs qui portent un membre à abandonner pour quelques moments une Assemblée où ses commettants l’ont placé pour faire l’affaire publique. M. deFirlen. Ce n’est donc pas l’Assemblée qui doit juger, ce sont les commettants. M. Ce Chapelier. Nous sommes obligés de donner des congés à ces pasteurs respectables qui ont été élevés à l’épiscopat et qui doivent aller rassurer leurs collègues et leur troupeau, et les édifier parleurs exemples; mais, d’ailleurs, nous devons fort peu de congés pour d’autres raisons que pour des raisons de santé, car je ne connais pas d’affaire particulière qui puisse en légitimer un. {Applaudissements à gauche.) Je demande qu’on mette aux voix la motion de M. d’André et qu’on la décrète pour le salut public. {Applaudissements prolongés.) M. Foucault-Cardiiualie. Je suis aussi convaincu que M. Le Chapelier que les affaires publiques doivent avoir la préférence. Je suis peut-être un des membres les plus assidus de cette Assemblée; je n’ai manqué qu’à trois séances, et je déclare que jamais je n’ai été à aucun spectacle, à aucune maison de jeu pendant les séances de l’Assemblée. {Murmures.) Un membre demande l’ordre du jour sur les diverses propositions. (La motion de l’ordre du jour est mise aux voix et rejetée.) M. de Brnges. Je demande qu’on fasse revenir tous les députés qui sont en province, absents par congé. Plusieurs membres : Excepté les malades et les évêques nouvellement élus. M. Prieur. Je demande la question préalable sur cet amendement et qu’on aille aux voix sur la proposition de M. d’André. M. de Fazalès. Il est présumable que les membres de cette Assemblée qui sont absents le sont pour cause légitime; il serait donc ridicule de les faire revenir pour juger si les causes sont bonnes ou mauvaises. {Applaudissements.) (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion de M. de Bruges.) M. le Président. Je mets aux voix la motion de M. d’André ; elle est ainsi conçue : « L’Assemblée natiouale décrète qu’à compter de ce jour, toutes les demandes de congé qui lui seront présentées par ses membres seront renvoyées au comité de vérification, pour, sur son rapport seul, être statué ce qu’il appartiendra. » (Ce décret est adopté.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret sur les successions (1). M. Foys. Messieurs, je suis instruit que M. Tronchet, que nous voyons tous avec plaisir occuper la place de président, a une opinion formée, arrêtée, écrite même, sur la question du droit de tester. Je ne vous dirai pas que ceux qui l’ont vue la trouvent excellente. Tout le monde (1) Yoy. ci-dessus séance du 2 avril 1791, p. SOI. 542 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 avril 1791.1 le devinera; mais je demande que l’Assemblée nationale, ayant le plus grand intérêt dans une matière de cette nature et de celte importance, engage M. Tronchet, malgré sa qualité de Président, à lui faire part de son opinion. (Applaudissements.) M. Chabroud. Je partage certainement la confiance du préopinant dans les lumières de M. le Président. Je partage également l’approbation que l’Assemblée nationale a donnée à cette motion. Mais après ce premier mouvement, je demande à l’Assemblée à lui faire une objection. Il est, je crois, reconnu dans l’Assemblée que le Président ne doit jamais donner son opinion sur aucune matière. (Murmures.) M. Tuant de la Bouverie. Il n’y a pas un membre dans l’Assemblée qui ne s’otfre à donner lecture de l’opinion de M. le Président. M. Chabroud. Je n’ai pas besoin de développer à l’Assemblée les motifs qui l’ont déterminée à l’arrêter ainsi. Il me suffit de lui rappeler que tel a été son vœu, telle a été sa décision, et de Jui observer que, si l’opinion de M. le Président, écrite par lui, préparée par lui, était lue à la tribune, il est évident que M. le Président donnerait son opinion. D’après cela, malgré ma propre inclination, malgré ma très grande et très juste confiance, je demande que l’on passe à l’ordre du jour. M. le Président. Je ne puis qu’être très flatté de l’observation qui a été faite par les préopinants. Il est très vrai que j’avais fait pour moi, et comme tout membre de cette Assemblée doit faire, un travail particulier, pour m’instruire sur une matière aussi importante. Il est très vrai en même temps que ce travail n’était pas même totalement fini et que je l’ai interrompu au moment où vous m’avez fait l’honneur de m’appeler à la dignité que j’occupe aujourd’hui, parce que j’ai été convaincu, comme vient de vous le dire M. Chabroud, qu’il n'était pas permis à votre Président de donner son opinion ni directement ni indirectement. Ainsi je déclare formellement à l’Assemblée que je n’acquiescerai point à la proposition qui est faite, parce que ce serait violer vos règlements. M. Emmery. Je ne puis pourtant m’empêcher d'avoir l’honneur de vous observer que ce que l’on réclame pour être la règle, l’Assemblée nationale a décrété que ce ne l’était pas. J’ai l’honneur de vous observer que plusieurs fois j’avais entendu dire, dans cette Assemblée et par de très hauts esprits de l’Assemblée, notamment par M. de Mirabeau, qu’il faudrait qu’une fois un Président sût donner l’exemple de descendre de son fauteuil pour monter à la tribune dans des occasions importantes où il aurait un avis influent sur le bien, parce qu’il aurait été bien réfléchi. J’étais dans cette position remplissant le fauteuil, à une séance du soir, à la vérité, à la place du Président alors en place. Plusieurs membres : Ah ! ah ! ah I M. Emmery. Mais vous saviez que c’était un objet sur lequel j’avais annoncé, à l’avance, que j’avais une opinion faite. M. Dillon l’observa. Je répondis que je ne demandais pas mieux, mais que je n’osais prendre sur moi de monter à la tribune. Quelqu’un fît la motion pour que j’eusse la liberté de monter à la tribune. J’y montai, et l’Assemblée voulut bien m’entendre. Il semble qu’en effet il n’y a pas de motif qui puisse déterminer l’Assemblée à se priver d’une opinion, pourvu que celui qui est Président et qui a donné son opinion à la tribune, ne préside plus à la décision de l’affaire et né soit point son juge. (Applaudissements.) M. Eoys. Monsieur le Président, j’en demande pardon à votre modestie, mais il faut mettre ma motion aux voix. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’Angêly ): J’ai l’honneur de proposer à. l’Assemblée, et je crois que l’Assemblée ne s’y refusera pas, d’inviter son Président à quitter le fauteuil pour monter à la tribune et y donner son opinion, et à céder la présidence à l’un de ses prédécesseurs. (Applaudissements prolongés.) M. Tronchet me paraît y consentir. M. le Président. Mon premier devoirest celui d’obéir aux ordres de l’Assemblée. Je ne peux pas personnellement mettre aux voix la proposition qui m’est faite. Je prie un de mes prédécesseurs de venir prendre le fauteuil. Il mettra la proposition aux voix. M. Tronchet, président, quitte le fauteuil. M. Emmery, ex-président , le remplace et met aux voix la motion de M. Loys. (L’Assemblée décrète à l’unanimité que M. Tronchet est invité à prononcer son opinion sur les successions à la tribune.) M. Tronchet, président, reprend le fauteuil. M. le Président. Je reçois à l’instant, de MM. de La Marck et Trochot* exécuteurs testamentaires de M. de Mirabeau, une lettre dont je vais avoir l’honneur de vous faire lecture : « Monsieur le Président. « Nous avons l’honneur de vous prévenir que le convoi de M. de Mirabeau sera prêt à partir à quatre heures; nous attendons les ordres de l’Assemblée nationale. » Plusieurs membres : A cinq heures. M. le Président. Lorsque, samedi dernier, je m’acquittai de la mission pénible de vous annoncer la mort de M. de Mirabeau, plusieurs personnes annoncèrent le vœu que tout le monde allât au convoi, j’observai alors qu’il pouvait être prématuré de mettre cette proposition aux voix, attendu que je n’avais pas encore d’annonce officielle sur le jour ni sur l’heure du convoi, en sorte que les choses en sont restées dans cet état. Il est certainement dans le cœur de tous les membres de cette assemblée que tout le monde se trouve au convoi; mais vous devez sentir qu’il peut y avoir une grande différence dans la forme : les membres s’y rendront-ils comme individus, ou en corps? On m’a même à cet égard demandé des ordres que je n’ai pas pu donner. Ainsi je prie l’Assemblée de vouloir bien m’indiquer comment elle s’y rendra. Un grand nombre de membres : En corps 1 En corps! (Applaudissements.)