SÉANCE DU 22 PRAIRIAL AN II (10 JUIN 1794) - N° 71 485 pourroit demander qu’elle fût posée d’une autre manière. « XVIII. - L’accusateur public ne pourra de sa propre autorité renvoyer un prévenu adressé au tribunal, ou qu’il y auroit fait traduire lui-même : dans le cas où il n’y auroit pas matière à une accusation devant le tribunal, il en fera un rapport écrit et motivé à la chambre du conseil, qui prononcera; mais aucun prévenu ne poura être mis hors de jugement, avant que la décision de la chambre n’ait été communiquée au comité de salut public et de sûreté générale, qui l’examineront. « XIX. - Il sera fait un registre double des personnes traduites au tribunal révolutionnaire, l’un pour l’accusateur public, et l’autre au tribunal, sur lequel seront inscrits tous les prévenus, à mesure qu’ils seront traduits. «XX. - La Convention déroge à toutes celles des dispositions des lois précédentes, qui ne concorderoient point avec le présent décret, et n’entend pas que les lois concernant l’organisation des tribunaux ordinaires s’appliquent aux crimes de contre-révolution et à l’action du tribunal révolutionnaire. « XXI. - Le rapport du comité sera joint au présent décret, comme instruction « XXII - L’insertion du décret au bulletin vaudra promulgation. » Suit la teneur dudit rapport. Rapport sur le tribunal révolutionnaire, fait au nom du comité de salut public par Couthon Toutes nos idées, dans les diverses parties du gouvernement, étoient à réformer; elles n’étoient toutes que des préjugés créés par la perfidie et par l’intérêt du despotisme, ou bien un mélange bizarre de l’imposture et de la vérité, inévitable effet des transactions que la raison lui avoit arrachées. Ces notions fausses ou obscures, ont survécu, en grande partie, à la révolution même, parce que les ennemis de la liberté ont épuisé toutes les ressources de l’intrigue pour les perpétuer. L’ordre judiciaire sur-tout nous en offre un exemple frappant; il étoit aussi favorable au crime qu’oppressif pour l’innocence. L’univers en dénonçoit les vices, quand Sé-guier en faisoit encore le panégyrique. La révolution est bien loin de les avoir tous fait disparoître. Comment pourroit-on le penser, si l’on se rappelle que notre nouveau code criminel est l’ouvrage des conspirateurs les plus infâmes de l’assemblée constituante, et que le nom de Duport en souille le frontispice ! Le charlatanisme machiavélique, qui l’a créé, a pu venir à bout de le faire préconiser machinalement par l’ignorance crédule; mais il a changé les termes de la jurisprudence plutôt que l’esprit, et en a calculé les dispositions sur l’intérêt des riches et des factions, beaucoup plus que sur celui de la justice et de la vérité. Les droits de la République ont été bien moins respectés encore dans la poursuite des crimes contre la liberté, que ceux de la tran-quilité publique et des foibles dans la poursuite des délits ordinaires; il suffiroit de citer le nom de la haute-cour nationale : les temps moins malheureux qui ont suivi, ne sont pas à beaucoup près, exempts du même reproche. La faction immortelle des indulgens, qui se confond avec toutes les autres, qui en est la patrone et le soutien, n’a cessé de prendre sous sa sauve-garde les maximes protectrices des traîtres et l’activité de la justice, sans proportion avec celle des ennemis de la patrie et avec leur multitude innombrable, a toujours laissés flottantes les destinées de la République. Le tribunal révolutionnaire, long-temps paralysé, à justifié son titre, plutôt par le civisme de ses membres, que par les formes de son organisation, sur laquelle ont puissamment influé les conspirateurs mêmes que la conscience de leurs crimes forçoit à le redouter. Que n’ont-ils pas fait pour l’enlacer dans les entraves de la chicane et de l’ancienne jurisprudence ! Le régime du despotisme avoit créé une vérité judiciaire qui n’étoit point la vérité morale et naturelle, qui lui étoit même opposée, et qui cependant décidoit seule; avec les passions, du sort de l’innocence et du crime; l’évidence n’avoit pas le droit de convaincre sans témoins ni sans écrits; et le mensonge, environné de ce cortège, avoit celui de dicter les arrêts de la justice. La judicature étoit une espèce de sacerdoce fondé sur l’erreur, et la justice une fausse religion qui consistoit toute entière en dogmes, en rites et en mystères et dont la morale étoit bannie. Les indulgens contre-révolutionnaires voulurent assujétir à ces règles la justice nationale et le cours de la révolution. Les preuves morales étoient comptées pour rien, comme si une autre règle pouvoit déterminer les jugemens humains; comme si les preuves les plus matérielles elles-mêmes pouvoient valoir autrement que comme preuves morales. La perfidie contre-révolutionnaire cachoit, sous le voile d’une délicatesse hypocrite, le dessein d’assurer l’impunité des conspirateurs, assassinoit le peuple par fausse humanité, et trahissoit la patrie par scrupule. Tout concouroit à amolir ou à égarer la justice; l’intrigue l’environnoit de ses pièges, l’aristocratie l’intimidoit par ses éternelles clameurs. On voyoit sans surprise des femmes sans pudeur demander qu’on sacrifiât la liberté à leurs parens, à leurs maris, à leurs amis, c’est-à-dire, presque toujours à leurs complices. Tout le monde sollicitoit pour la parenté, pour l’amitié, pour la contre-révolution; personne ne sollicitoit pour la patrie : la faction des indulgens ne manquoit jamais de prétextes pour la faire oublier. Tantôt elle opposoit les prétendues vertus privées des ennemis du peuple, à leurs crimes publics, comme si la vertu pouvoit habiter avec le crime; tantôt elle leur cherchoit des titres de patriotisme dans les monumens mêmes de leur coupable hypocrisie; tantôt elle appeloit la haine et les poignards sur la tête des représentai fidèles ou des juges intègres qui avoient le courage de venger la patrie. Mais autant elle étoit indulgente pour les grands scélérats, autant elle étoit inéxorable pour les malheureux; elle ne trouvoit jamais un ennemi de la révolution convaincu, ni un patriote innocent. Ces féroces et lâches ennemis de l’humanité, tout couverts du sang du peuple, appeloient hommes de sang ceux qui vouloient sauver lhumanité par la justice, et quelquefois ils venoient à bout de les affoiblir ou de les étonner. SÉANCE DU 22 PRAIRIAL AN II (10 JUIN 1794) - N° 71 485 pourroit demander qu’elle fût posée d’une autre manière. « XVIII. - L’accusateur public ne pourra de sa propre autorité renvoyer un prévenu adressé au tribunal, ou qu’il y auroit fait traduire lui-même : dans le cas où il n’y auroit pas matière à une accusation devant le tribunal, il en fera un rapport écrit et motivé à la chambre du conseil, qui prononcera; mais aucun prévenu ne poura être mis hors de jugement, avant que la décision de la chambre n’ait été communiquée au comité de salut public et de sûreté générale, qui l’examineront. « XIX. - Il sera fait un registre double des personnes traduites au tribunal révolutionnaire, l’un pour l’accusateur public, et l’autre au tribunal, sur lequel seront inscrits tous les prévenus, à mesure qu’ils seront traduits. «XX. - La Convention déroge à toutes celles des dispositions des lois précédentes, qui ne concorderoient point avec le présent décret, et n’entend pas que les lois concernant l’organisation des tribunaux ordinaires s’appliquent aux crimes de contre-révolution et à l’action du tribunal révolutionnaire. « XXI. - Le rapport du comité sera joint au présent décret, comme instruction « XXII - L’insertion du décret au bulletin vaudra promulgation. » Suit la teneur dudit rapport. Rapport sur le tribunal révolutionnaire, fait au nom du comité de salut public par Couthon Toutes nos idées, dans les diverses parties du gouvernement, étoient à réformer; elles n’étoient toutes que des préjugés créés par la perfidie et par l’intérêt du despotisme, ou bien un mélange bizarre de l’imposture et de la vérité, inévitable effet des transactions que la raison lui avoit arrachées. Ces notions fausses ou obscures, ont survécu, en grande partie, à la révolution même, parce que les ennemis de la liberté ont épuisé toutes les ressources de l’intrigue pour les perpétuer. L’ordre judiciaire sur-tout nous en offre un exemple frappant; il étoit aussi favorable au crime qu’oppressif pour l’innocence. L’univers en dénonçoit les vices, quand Sé-guier en faisoit encore le panégyrique. La révolution est bien loin de les avoir tous fait disparoître. Comment pourroit-on le penser, si l’on se rappelle que notre nouveau code criminel est l’ouvrage des conspirateurs les plus infâmes de l’assemblée constituante, et que le nom de Duport en souille le frontispice ! Le charlatanisme machiavélique, qui l’a créé, a pu venir à bout de le faire préconiser machinalement par l’ignorance crédule; mais il a changé les termes de la jurisprudence plutôt que l’esprit, et en a calculé les dispositions sur l’intérêt des riches et des factions, beaucoup plus que sur celui de la justice et de la vérité. Les droits de la République ont été bien moins respectés encore dans la poursuite des crimes contre la liberté, que ceux de la tran-quilité publique et des foibles dans la poursuite des délits ordinaires; il suffiroit de citer le nom de la haute-cour nationale : les temps moins malheureux qui ont suivi, ne sont pas à beaucoup près, exempts du même reproche. La faction immortelle des indulgens, qui se confond avec toutes les autres, qui en est la patrone et le soutien, n’a cessé de prendre sous sa sauve-garde les maximes protectrices des traîtres et l’activité de la justice, sans proportion avec celle des ennemis de la patrie et avec leur multitude innombrable, a toujours laissés flottantes les destinées de la République. Le tribunal révolutionnaire, long-temps paralysé, à justifié son titre, plutôt par le civisme de ses membres, que par les formes de son organisation, sur laquelle ont puissamment influé les conspirateurs mêmes que la conscience de leurs crimes forçoit à le redouter. Que n’ont-ils pas fait pour l’enlacer dans les entraves de la chicane et de l’ancienne jurisprudence ! Le régime du despotisme avoit créé une vérité judiciaire qui n’étoit point la vérité morale et naturelle, qui lui étoit même opposée, et qui cependant décidoit seule; avec les passions, du sort de l’innocence et du crime; l’évidence n’avoit pas le droit de convaincre sans témoins ni sans écrits; et le mensonge, environné de ce cortège, avoit celui de dicter les arrêts de la justice. La judicature étoit une espèce de sacerdoce fondé sur l’erreur, et la justice une fausse religion qui consistoit toute entière en dogmes, en rites et en mystères et dont la morale étoit bannie. Les indulgens contre-révolutionnaires voulurent assujétir à ces règles la justice nationale et le cours de la révolution. Les preuves morales étoient comptées pour rien, comme si une autre règle pouvoit déterminer les jugemens humains; comme si les preuves les plus matérielles elles-mêmes pouvoient valoir autrement que comme preuves morales. La perfidie contre-révolutionnaire cachoit, sous le voile d’une délicatesse hypocrite, le dessein d’assurer l’impunité des conspirateurs, assassinoit le peuple par fausse humanité, et trahissoit la patrie par scrupule. Tout concouroit à amolir ou à égarer la justice; l’intrigue l’environnoit de ses pièges, l’aristocratie l’intimidoit par ses éternelles clameurs. On voyoit sans surprise des femmes sans pudeur demander qu’on sacrifiât la liberté à leurs parens, à leurs maris, à leurs amis, c’est-à-dire, presque toujours à leurs complices. Tout le monde sollicitoit pour la parenté, pour l’amitié, pour la contre-révolution; personne ne sollicitoit pour la patrie : la faction des indulgens ne manquoit jamais de prétextes pour la faire oublier. Tantôt elle opposoit les prétendues vertus privées des ennemis du peuple, à leurs crimes publics, comme si la vertu pouvoit habiter avec le crime; tantôt elle leur cherchoit des titres de patriotisme dans les monumens mêmes de leur coupable hypocrisie; tantôt elle appeloit la haine et les poignards sur la tête des représentai fidèles ou des juges intègres qui avoient le courage de venger la patrie. Mais autant elle étoit indulgente pour les grands scélérats, autant elle étoit inéxorable pour les malheureux; elle ne trouvoit jamais un ennemi de la révolution convaincu, ni un patriote innocent. Ces féroces et lâches ennemis de l’humanité, tout couverts du sang du peuple, appeloient hommes de sang ceux qui vouloient sauver lhumanité par la justice, et quelquefois ils venoient à bout de les affoiblir ou de les étonner. 486 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Il est résulté de là que jamais la justice nationale n’a montré l’attitude imposante, ni déployé l’énergie qui lui convenoit; que l’on a semblé se piquer d’être juste envers les particuliers, sans se mettre beaucoup en peine de l’être envers la République, comme si les tribunaux destinés à punir ses ennemis, avoient été institués pour l’intérêt des conspirateurs, et non pour le salut de la patrie. Ce qui sur-tout a favorisé la conjuration des indulgens, c’est l’adresse avec laquelle ils ont confondu les choses les plus contraires, c’est-à-dire, des mesures prises par la République pour étouffer les conspirations, avec les fonctions ordinaires des tribunaux pour les délits privés, et dans des temps de calme. Il faut en chercher la différence dans les principes mêmes de l’intérêt social, qui est la source de toutes les institutions politiques, et par conséquent de toutes les lois relatives à l’exercice de la justice. Les délits ordinaires ne blessent directement que les individus, et indirectement la société entière; et comme, par leur nature, ils n’exposent point le salut public à un danger imminent, et que la justice prononce entre des intérêts particuliers, elle peut admettre quelques lenteurs, un certain luxe de formes, et même une sorte de partialité envers l’accusé; elle n’a guère autre chose à faire qu’à s’occuper paisiblement de précautions délicates pour garantir le foible contre l’abus du pouvoir judiciaire. Cette doctrine est celle de l’humanité, parce qu’elle est conforme à l’intérêt public autant qu’à l’intérêt privé. Les crimes des conspirateurs, au contraire, menacent directement l’existence de la société ou sa liberté, ce qui est la même chose. La vie des scélérats est ici mise en balance avec celle du peuple; ici toute lenteur affectée est coupable, toute formalité indulgente ou superflue est un danger public. Le délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnoître : il s’agit moins de les punir que de les anéantir. Une révolution comme la nôtre n’est qu’une succession rapide de conspirations, parce qu’elle est la guerre de la tyrannie contre la liberté, du crime contre la vertu. Il n’est pas question de donner quelques exemples, mais d’exterminer les implacables satellites de la tyrannie, ou de périr avec la République. L’indulgence envers eux est atroce, la clémence est parricide. Celui qui veut subordonner le salut public aux préjugés du palais, aux inversions des jurisconsultes, est un insensé ou un scélérat qui veut tuer juridiquement la patrie et l’humanité. Si l’on veut avoir un gouvernement raisonnable, si l’on veut terminer les crises de la révolution, il est temps de porter, dans toutes les parties de l’administration civile et politique, cette justesse d’esprit qui met chaque principe à sa place, et qui prévient cette confusion éternelle des idées, la source la plus féconde de nos erreurs. Je n’en citerai qu’un exemple analogue au sujet même que je traite. Sous l’ancien despotisme, la philosophie lui demandoit en vain des conseils pour les accusés; impuissante ressource pour le foible opprimé, contre la tyrannie des lois et des tribunaux de ce temps; il eût beaucoup mieux valu instituer des lois et des juges tels que ce remède ne fût pas nécessaire; mais lorsqu’ap-pliquant ces souvenirs à tort à travers, si j’ose ainsi parler, aux événemens les plus extraordinaires de notre révolution, on demanda, on obtint des défenseurs officieux pour le tyran détrôné de la France; on fit, les uns sans le savoir, et les autres le sachant trop bien, une chose également absurde, immorale et impolitique; on remit la liberté en question et la patrie en danger. Par ce seul acte, on abjuroit la République; la loi elle-même invitoit les citoyens au crime, et consacroit scandaleusement les attentats contre la République; car défendre la cause des tyrans, c’est conspirer contre la République. On fit précisément la même faute quand on donna des défenseurs officieux aux complices du tyran, c’est-à-dire, à tous les conspirateurs. Chose incroyable ! la liberté étoit menacée par des conjurations éternelles, et la loi elle-même s’obstinoit à chercher des auxiliaires à ses ennemis. Le tribunal institué pour les punir, retentissoit de blasphèmes contre la révolution, et de déclamations perfides, dont le but étoit de lui faire le procès en présence du peuple; et ce n’étoit point à ces avoués mercenaires de la tyrannie qu’il falloit s’en prendre, mais à la loi seule; car plus ils ou-trageoient le peuple, et plus ils remplissaient dignement le rôle qu’elle leur imposoit elle-même. Les membres du tribunal révolutionnaire écrivoient, il y a déjà assez longtemps, au comité de salut public, que les défenseurs officieux rançonnoient les accusés d’une manière scandaleuse; que tel s’étoit fait donner 1,500 liv. pour un plaidoyer; que les malheureux seuls n’étoient pas défendus. Que pou-voit-on attendre autre chose d’une classe d’hommes voués par état à la défense des ennemis de la patrie, ou plutôt d’une institution qui suppose le défaut absolu de principes ? La République attaquée dans sa naissance par des ennemis aussi perfides que nombreux, doit les frapper avec la rapidité de la foudre, en prenant les précautions nécessaires pour sauver les patriotes calomniés. Ce n’est qu’en remettant l’exercice de la justice nationale à des mains pures et républicaines, qu’elle peut remplir ce double objet. Les défenseurs naturels et les amis nécessaires des patriotes accusés, ce sont les jurés patriotes : les conspirateurs ne doivent en trouver aucun. Combien on ménageroit le sang des bons citoyens ! Combien on épargneroit de malheurs à la patrie, si l’on pouvoit sortir de l’ornière de la routine, pour suivre les principes de la raison, et pour les appliquer à notre situation politique ! Nous avons cru devoir rappeler ici quelques vérités simples, non pour les réduire en pratique, dans ce moment, d’une manière précise et absolue, mais pour balancer l’influence dangereuse de la faction des indulgens qui cherche toujours à tuer la liberté par le salut de ses assassins. Qu’elle soit satisfaite enfin des hécatombes des héros républicains qu’elle a immolés à sa lâche férocité ! Grâces à sa perfide doctrine (que le despotisme royal et sénatorial érigea long-temps en principe de gouvernement, et 486 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Il est résulté de là que jamais la justice nationale n’a montré l’attitude imposante, ni déployé l’énergie qui lui convenoit; que l’on a semblé se piquer d’être juste envers les particuliers, sans se mettre beaucoup en peine de l’être envers la République, comme si les tribunaux destinés à punir ses ennemis, avoient été institués pour l’intérêt des conspirateurs, et non pour le salut de la patrie. Ce qui sur-tout a favorisé la conjuration des indulgens, c’est l’adresse avec laquelle ils ont confondu les choses les plus contraires, c’est-à-dire, des mesures prises par la République pour étouffer les conspirations, avec les fonctions ordinaires des tribunaux pour les délits privés, et dans des temps de calme. Il faut en chercher la différence dans les principes mêmes de l’intérêt social, qui est la source de toutes les institutions politiques, et par conséquent de toutes les lois relatives à l’exercice de la justice. Les délits ordinaires ne blessent directement que les individus, et indirectement la société entière; et comme, par leur nature, ils n’exposent point le salut public à un danger imminent, et que la justice prononce entre des intérêts particuliers, elle peut admettre quelques lenteurs, un certain luxe de formes, et même une sorte de partialité envers l’accusé; elle n’a guère autre chose à faire qu’à s’occuper paisiblement de précautions délicates pour garantir le foible contre l’abus du pouvoir judiciaire. Cette doctrine est celle de l’humanité, parce qu’elle est conforme à l’intérêt public autant qu’à l’intérêt privé. Les crimes des conspirateurs, au contraire, menacent directement l’existence de la société ou sa liberté, ce qui est la même chose. La vie des scélérats est ici mise en balance avec celle du peuple; ici toute lenteur affectée est coupable, toute formalité indulgente ou superflue est un danger public. Le délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnoître : il s’agit moins de les punir que de les anéantir. Une révolution comme la nôtre n’est qu’une succession rapide de conspirations, parce qu’elle est la guerre de la tyrannie contre la liberté, du crime contre la vertu. Il n’est pas question de donner quelques exemples, mais d’exterminer les implacables satellites de la tyrannie, ou de périr avec la République. L’indulgence envers eux est atroce, la clémence est parricide. Celui qui veut subordonner le salut public aux préjugés du palais, aux inversions des jurisconsultes, est un insensé ou un scélérat qui veut tuer juridiquement la patrie et l’humanité. Si l’on veut avoir un gouvernement raisonnable, si l’on veut terminer les crises de la révolution, il est temps de porter, dans toutes les parties de l’administration civile et politique, cette justesse d’esprit qui met chaque principe à sa place, et qui prévient cette confusion éternelle des idées, la source la plus féconde de nos erreurs. Je n’en citerai qu’un exemple analogue au sujet même que je traite. Sous l’ancien despotisme, la philosophie lui demandoit en vain des conseils pour les accusés; impuissante ressource pour le foible opprimé, contre la tyrannie des lois et des tribunaux de ce temps; il eût beaucoup mieux valu instituer des lois et des juges tels que ce remède ne fût pas nécessaire; mais lorsqu’ap-pliquant ces souvenirs à tort à travers, si j’ose ainsi parler, aux événemens les plus extraordinaires de notre révolution, on demanda, on obtint des défenseurs officieux pour le tyran détrôné de la France; on fit, les uns sans le savoir, et les autres le sachant trop bien, une chose également absurde, immorale et impolitique; on remit la liberté en question et la patrie en danger. Par ce seul acte, on abjuroit la République; la loi elle-même invitoit les citoyens au crime, et consacroit scandaleusement les attentats contre la République; car défendre la cause des tyrans, c’est conspirer contre la République. On fit précisément la même faute quand on donna des défenseurs officieux aux complices du tyran, c’est-à-dire, à tous les conspirateurs. Chose incroyable ! la liberté étoit menacée par des conjurations éternelles, et la loi elle-même s’obstinoit à chercher des auxiliaires à ses ennemis. Le tribunal institué pour les punir, retentissoit de blasphèmes contre la révolution, et de déclamations perfides, dont le but étoit de lui faire le procès en présence du peuple; et ce n’étoit point à ces avoués mercenaires de la tyrannie qu’il falloit s’en prendre, mais à la loi seule; car plus ils ou-trageoient le peuple, et plus ils remplissaient dignement le rôle qu’elle leur imposoit elle-même. Les membres du tribunal révolutionnaire écrivoient, il y a déjà assez longtemps, au comité de salut public, que les défenseurs officieux rançonnoient les accusés d’une manière scandaleuse; que tel s’étoit fait donner 1,500 liv. pour un plaidoyer; que les malheureux seuls n’étoient pas défendus. Que pou-voit-on attendre autre chose d’une classe d’hommes voués par état à la défense des ennemis de la patrie, ou plutôt d’une institution qui suppose le défaut absolu de principes ? La République attaquée dans sa naissance par des ennemis aussi perfides que nombreux, doit les frapper avec la rapidité de la foudre, en prenant les précautions nécessaires pour sauver les patriotes calomniés. Ce n’est qu’en remettant l’exercice de la justice nationale à des mains pures et républicaines, qu’elle peut remplir ce double objet. Les défenseurs naturels et les amis nécessaires des patriotes accusés, ce sont les jurés patriotes : les conspirateurs ne doivent en trouver aucun. Combien on ménageroit le sang des bons citoyens ! Combien on épargneroit de malheurs à la patrie, si l’on pouvoit sortir de l’ornière de la routine, pour suivre les principes de la raison, et pour les appliquer à notre situation politique ! Nous avons cru devoir rappeler ici quelques vérités simples, non pour les réduire en pratique, dans ce moment, d’une manière précise et absolue, mais pour balancer l’influence dangereuse de la faction des indulgens qui cherche toujours à tuer la liberté par le salut de ses assassins. Qu’elle soit satisfaite enfin des hécatombes des héros républicains qu’elle a immolés à sa lâche férocité ! Grâces à sa perfide doctrine (que le despotisme royal et sénatorial érigea long-temps en principe de gouvernement, et SÉANCE DU 22 PRAIRIAL AN II (10 JUIN 1794) - N° 72 487 même en vertu), deux cent mille de nos frères ont tombés victimes des plus lâches trahisons; et le triomphe de la plus sainte de toutes les causes a été retardé de quelques années. C’en étoit fait de la liberté, si vous n’aviez enfin rendu à la justice le droit de la venger; c’est votre énergie qui, dans ces derniers temps, nous a donné les moyens de vaincre nos ennemis étrangers, en arrêtant l’audace de nos ennemis intérieurs. Comment croire à la République ou à la victoire, quand la ligue des tyrans et des traîtres dominoit dans l’état, et se jouoit impunément des destinées du peuple français ! Il est vrai que l’audace des conjurations sans cesse renaissantes, vous a sans cesse prouvé que vous n’aviez point fait assez pour les étouffer. Vous avez senti à-la-fois l’insuffisance d’un seul tribunal révolutionnaire pour délivrer la République des perfides et féroces ennemis qu’elle renferme dans son sein, et les dangers de trop multiplier cette institution. Vous avez désiré du moins de la perfectionner, et de la débarrasser des entraves absurdes ou funestes qui peuvent arrêter la marche de la justice nationale. Vous aviez en conséquence ordonné à votre comité de salut public, il y a deux mois, de vous présenter un projet de décret qui pût remplir cette vue. Distraits jusqu’à ce jour de cet objet, par des soins non moins pressans, nous essaierons de réaliser aujourdhui votre vœu. Nous ne vous proposerons cependant point de changement dans l’organisation du tribunal révolutionnaire, mais seulement quelques dispositions qui tendent à écarter les abus les plus visibles que l’expérience a constatés, et que nous à dénoncés le zèle des magistrats qui le composent, et à le mettre en état de remplir ses fonctions importantes avec plus d’activité. Il s’agit, 1°. de compléter le nombre des jurés et des juges diminué par plusieurs circonstances; 2°. De fixer les principes de cette institution, de manière à garantir la liberté des patriotes calomniés, en accélérant le jugement des conspirateurs; 3°. De résumer dans une loi unique des définitions et des dispositions éparses dans une multitude de décrets. Tel est le but de celui que je vais vous proposer. C’est encore des poignards que nous dirigeons sur nous, nous le savons; mais que nous importent les poignards ! Le méchant seul tremble quand il agit; les hommes bien intentionnés ne voient point de dangers quand ils font leur devoir; ils vivent sans remords, et agissent sans crainte (1) . (1) P.V., XXXIX, 170. Minute de la main de Couthon. Décret n° 9463. B,n, 22 prair. et 22 prair. (1er et 2® suppl*); Imprimé par ordre de la Conv., (B. N. 8° Le38 24 17); Débats, n°” 628, p. 330 et 629, p. 345; J. Sablier, n°» 1370, 1373, 1377 et 1379; J. Lois, nos 620, 621, 623 et 628; Ann. R.F., n°* 192 et 194; J. Mont., n°* 45 et 49; M.U., XL, 347, 360 et 367; J. Fr., n°* 624 et 625; Mess, soir, n°® 661 et 662; J. Perlet, n°» 626, 627 et 628; C. Eg., n°* 662, 663; Mess, soir, nos 661 et 662; Rép., n°* 173, 175 et 177; C. Univ., 23, 24 et 26 prair. J. Univ., n° 1662; Audit, nat., n°* 625, 626, 627, 628, 629; J. S.-Culottes, n° 482; Ann. patr., n° DXXVI, voir ci-après, séances du 23 prair., n° 67 et du 24 prair., n° 10. 72 Au nom du comité de salut public, un membre [BARERE] annonce les nouvelles de l’armée des Pyrénées-Occidentales (1) . BARERE, au nom du comité de salut public : Citoyens, il ne manquait à la gloire des armées de la République dans le Midi que celle des Pyrénées Occidentales prit le mouvement victorieux que les armées des Alpes, des Pyrénées Orientales et surtout celle d’Italie lui ont imprimé. C’est cette vocation que l’armée campée le long de l’océan vient enfin de sentir. La campagne s’est ouverte pour elle le 14 prairial, et elle s’est ouverte sous les plus heureux auspices. Je vous en lirai les détails, après vous avoir fait observer la nouvelle tactique de nos ennemis intérieurs. Cachés dans nos cités, recélés dans Paris, ils tourmentent leur imagination pour fabriquer des nouvelles. Longtemps ils ont pris le parti d’en imaginer de mauvaises, espérant décourager le peuple et faire haïr la Convention; longtemps ils ont exagéré nos pertes, douté de nos succès, centuplé les maux de la guerre, tenté de rabaisser le courage des armées et de rallier les mécontents de l’intérieur; mais ils n’ont pas tardé à s’apercevoir que ces faux désastres et ces défaites préparées dans les journaux, ou les mauvais succès semés dans le public, ne produisaient que des mesures plus rigoureuses contre l’aristocratie et la faction de l’étranger, qu’il n’en résultait qu’un plus haut degré d’énergie dans le peuple et de courage dans les soldats républicains. Ils n’ont pas tardé à sentir qu’un peuple qui veut être libre est excité par le malheur et électrisé par les obtacles mêmes qui s’opposent à son dessein. Dès lors, les grands politiques de gazettes, les sociétés contre-révolutionnaires des Halles, se sont retournés; ils ont pris le parti de débiter des nouvelles plus heureuses, mais en exagérant les succès, en dépassant toutes les possibilités de victoire. C’est ainsi qu’ils ont tacitement accusé le gouvernement de tous les succès qu’eux-mêmes créaient dans leurs bulletins mensongers, et qu’ils trompaient le peuple par des espérances qu’ils savaient bien que les armées ne pouvaient pas remplir. C’est ainsi que, lorsque la partie gauche de l’armée du Nord prenait Menin, Fûmes et Courtray, les exagérateurs disaient que Valenciennes et Le Quesnoy étaient évacués et remis au pouvoir de la République; c’est ainsi que lorsque l’armée victorieuse d’Italie eut effrayé les tyrans coalisés d’Autriche et de Piémont, les exagérateurs publiaient hier que Turin était pris, et que le tyran de Piémont était arrêté. Citoyens, voilà le piège le plus adroit : le comité vient-il vous annoncer hier que l’armée d’Italie a des succès, l’opinion publique était déjà montée à une telle hauteur en succès que ce que les armées ont fait avec effort, avec cou-(1) Pyrénées occidentales et non orientales. P.V., XXXIV, 186; C. Eg., n° 661. SÉANCE DU 22 PRAIRIAL AN II (10 JUIN 1794) - N° 72 487 même en vertu), deux cent mille de nos frères ont tombés victimes des plus lâches trahisons; et le triomphe de la plus sainte de toutes les causes a été retardé de quelques années. C’en étoit fait de la liberté, si vous n’aviez enfin rendu à la justice le droit de la venger; c’est votre énergie qui, dans ces derniers temps, nous a donné les moyens de vaincre nos ennemis étrangers, en arrêtant l’audace de nos ennemis intérieurs. Comment croire à la République ou à la victoire, quand la ligue des tyrans et des traîtres dominoit dans l’état, et se jouoit impunément des destinées du peuple français ! Il est vrai que l’audace des conjurations sans cesse renaissantes, vous a sans cesse prouvé que vous n’aviez point fait assez pour les étouffer. Vous avez senti à-la-fois l’insuffisance d’un seul tribunal révolutionnaire pour délivrer la République des perfides et féroces ennemis qu’elle renferme dans son sein, et les dangers de trop multiplier cette institution. Vous avez désiré du moins de la perfectionner, et de la débarrasser des entraves absurdes ou funestes qui peuvent arrêter la marche de la justice nationale. Vous aviez en conséquence ordonné à votre comité de salut public, il y a deux mois, de vous présenter un projet de décret qui pût remplir cette vue. Distraits jusqu’à ce jour de cet objet, par des soins non moins pressans, nous essaierons de réaliser aujourdhui votre vœu. Nous ne vous proposerons cependant point de changement dans l’organisation du tribunal révolutionnaire, mais seulement quelques dispositions qui tendent à écarter les abus les plus visibles que l’expérience a constatés, et que nous à dénoncés le zèle des magistrats qui le composent, et à le mettre en état de remplir ses fonctions importantes avec plus d’activité. Il s’agit, 1°. de compléter le nombre des jurés et des juges diminué par plusieurs circonstances; 2°. De fixer les principes de cette institution, de manière à garantir la liberté des patriotes calomniés, en accélérant le jugement des conspirateurs; 3°. De résumer dans une loi unique des définitions et des dispositions éparses dans une multitude de décrets. Tel est le but de celui que je vais vous proposer. C’est encore des poignards que nous dirigeons sur nous, nous le savons; mais que nous importent les poignards ! Le méchant seul tremble quand il agit; les hommes bien intentionnés ne voient point de dangers quand ils font leur devoir; ils vivent sans remords, et agissent sans crainte (1) . (1) P.V., XXXIX, 170. Minute de la main de Couthon. Décret n° 9463. B,n, 22 prair. et 22 prair. (1er et 2® suppl*); Imprimé par ordre de la Conv., (B. N. 8° Le38 24 17); Débats, n°” 628, p. 330 et 629, p. 345; J. Sablier, n°» 1370, 1373, 1377 et 1379; J. Lois, nos 620, 621, 623 et 628; Ann. R.F., n°* 192 et 194; J. Mont., n°* 45 et 49; M.U., XL, 347, 360 et 367; J. Fr., n°* 624 et 625; Mess, soir, n°® 661 et 662; J. Perlet, n°» 626, 627 et 628; C. Eg., n°* 662, 663; Mess, soir, nos 661 et 662; Rép., n°* 173, 175 et 177; C. Univ., 23, 24 et 26 prair. J. Univ., n° 1662; Audit, nat., n°* 625, 626, 627, 628, 629; J. S.-Culottes, n° 482; Ann. patr., n° DXXVI, voir ci-après, séances du 23 prair., n° 67 et du 24 prair., n° 10. 72 Au nom du comité de salut public, un membre [BARERE] annonce les nouvelles de l’armée des Pyrénées-Occidentales (1) . BARERE, au nom du comité de salut public : Citoyens, il ne manquait à la gloire des armées de la République dans le Midi que celle des Pyrénées Occidentales prit le mouvement victorieux que les armées des Alpes, des Pyrénées Orientales et surtout celle d’Italie lui ont imprimé. C’est cette vocation que l’armée campée le long de l’océan vient enfin de sentir. La campagne s’est ouverte pour elle le 14 prairial, et elle s’est ouverte sous les plus heureux auspices. Je vous en lirai les détails, après vous avoir fait observer la nouvelle tactique de nos ennemis intérieurs. Cachés dans nos cités, recélés dans Paris, ils tourmentent leur imagination pour fabriquer des nouvelles. Longtemps ils ont pris le parti d’en imaginer de mauvaises, espérant décourager le peuple et faire haïr la Convention; longtemps ils ont exagéré nos pertes, douté de nos succès, centuplé les maux de la guerre, tenté de rabaisser le courage des armées et de rallier les mécontents de l’intérieur; mais ils n’ont pas tardé à s’apercevoir que ces faux désastres et ces défaites préparées dans les journaux, ou les mauvais succès semés dans le public, ne produisaient que des mesures plus rigoureuses contre l’aristocratie et la faction de l’étranger, qu’il n’en résultait qu’un plus haut degré d’énergie dans le peuple et de courage dans les soldats républicains. Ils n’ont pas tardé à sentir qu’un peuple qui veut être libre est excité par le malheur et électrisé par les obtacles mêmes qui s’opposent à son dessein. Dès lors, les grands politiques de gazettes, les sociétés contre-révolutionnaires des Halles, se sont retournés; ils ont pris le parti de débiter des nouvelles plus heureuses, mais en exagérant les succès, en dépassant toutes les possibilités de victoire. C’est ainsi qu’ils ont tacitement accusé le gouvernement de tous les succès qu’eux-mêmes créaient dans leurs bulletins mensongers, et qu’ils trompaient le peuple par des espérances qu’ils savaient bien que les armées ne pouvaient pas remplir. C’est ainsi que, lorsque la partie gauche de l’armée du Nord prenait Menin, Fûmes et Courtray, les exagérateurs disaient que Valenciennes et Le Quesnoy étaient évacués et remis au pouvoir de la République; c’est ainsi que lorsque l’armée victorieuse d’Italie eut effrayé les tyrans coalisés d’Autriche et de Piémont, les exagérateurs publiaient hier que Turin était pris, et que le tyran de Piémont était arrêté. Citoyens, voilà le piège le plus adroit : le comité vient-il vous annoncer hier que l’armée d’Italie a des succès, l’opinion publique était déjà montée à une telle hauteur en succès que ce que les armées ont fait avec effort, avec cou-(1) Pyrénées occidentales et non orientales. P.V., XXXIV, 186; C. Eg., n° 661.