(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (21 janvier H91.J 391 Elles sont chargées d’un établissement de 40 lits destinés à recevoir de pauvres filles et femmes malades. Le traitement nous y a paru bon; chaque malade est couchée séparément et reçoit tous les secours nécessaires. Les revenus destinés, soit pourla communauté, soit pour l’hôpital, forment une masse de 33,767 1. dont il faut déduire, pour les charges, 7,130 1. La dépense sera, pour les religieuses de chœur, de la somme de ........... 11,900 liv. Pour les sœurs converses de. . . . 2,100 Total ...... 14,000 liv. En déduisant ces 14,000 livres de 26,637 livres de revenu net, il ne restera pour la dépense de l’hôpital que 12,637 livres. Si l’on supposait les 40 lits constamment remplis, le nombre des journées serait de 14,600 et le prix de chacune d’elles ne serait que d’environ 17 à 18 sous. Mais dans l’évaluation des revenus nous n’avons pas compris l’intérêt de la somme capitale que représentent l’emplacement, la construction ou l’achat et l’ameublement des bâtiments. Ces objets sont peu considérables, car le local est fort borné et la maison n’est pas vaste. Il ne paraît pas que les affaires de cette communauté soient en bon état : lors de notre visite, les religieuses nous ont présenté un compte de leurs dettes actives et passives. Les premières, suivant cet état, sont de 29,759 livres, les secondes de 47,160 livres. Il en résulte que cet établissement est actuellement endetté de 14,401 livres. Il est d’une grande ressource pour les pauvres de ce quartier, qui sont en grand nombre, et les citoyens qui l’avoisinent paraissent attachés à sa conservation : mais l’état de ses affaires exige que l’on ne remplisse pas exactement les 40 lits, que l’on en réduise même le nombre. Nous avons été vraiment affligés de voir que, nonobstant les soins et la charité des dames hospitalières envers les malades qui leur sont confiées, la mortalité dans cet hôpital est effrayante. Le nombre de malades reçues pendant les 10 dernières années, est de 304, et celui des mortes, suivant l’état qu’on nous en a fourni, est de 139. La mortalité y est donc de plus d’un tiers; ce qui est inconcevable dans un hôpital où rien ne paraît manquer à la bonté du traitement. TROISIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 21 JANVIER 1791. Seconde suite du rapport fait par le comité de mendicité , sur ses visites dans les divers hôpitaux de Paris (1). Hôpital des Quinze-Vingts . L’opinion générale est que saint Louis est le fondateur des Quinze-Vingts; il n’existe aujour-(1) Voyez la lre partie de ce rapport, Archives parlementaires, tome XVII, p. 111. d’hui de la munificence de ce souverain qu’une rente de 36 livres sur les domaines. On ne sait si sa pieuse générosité borna ses dons à ces revenus, se confiant, pour le soutien de cet établissement, dans la charité des fidèles qui, dans ces temps de barbarie, élevait et soutenait tant d’ordres mendiants. Ce prince leur donna un terrain situé hors de Paris, qui par suite s’est trouvé enclavé dans le quartier Saint-Honoré. C’est ce même terrain qui, vendu sous l’administration du cardinal de Rohan, a occasionné tant de réclamations que vous avez renvoyées à votre comité des rapports, et dont votre comité de mendicité n’a pas cru devoir prendre connaissance, puisqu’il ne doit considérer l’hôpital des Quinze-Vingts que comme maison de secours. C’est un conte digne d’orner la légende dorée, que celui qui fait renvoyer à saint Louis, par le sultan Saladin, trois cents gentilshommes auxquels on avait crevé les yeux. Belleforet, qui écrivait plus de 3 siècles après saint Louis, est le premier qui fasse mention de cet événement, que le sire de Joinville, tout à la fois si pieux et si crédule, n’aurait pas manqué de rapporter, s’il eût eu le plus léger fondement. Un homme qui croyait bonnement que le Nil avait sa source dans le paradis terrestre, et que le vent y faisait tomber les épices, aurait sûrement donné, dans son style naïf, des détails sur une cruauté si étrange. Mais comme tout ce qui tient du merveilleux est facilement cru, cette fable a dû, dans des temps d’ignorance, être avidement saisie ; et l’édit de François Ier, du mois de mai 1546, relatif aux Quinze-Vingts, la rapporte encore de bonne foi. Tout ce qui reste de monuments historiques du temps de saint Louis, les ordonnances de ce roi, la bulle du pape, enfin les historiens du temps, annoncent que la maison a été fondée pour des pauvres aveugles, et il n’y est pas question de gentilshommes. Il paraît, d’après les recherches faites à la bibliothèque du roi, que du temps de Saint-Louis les pauvres aveugles jouissaient déjà, dans Paris, de quelques privilèges pour la mendicité, et qu’ils formaient une espèce de congrégation informe, qui successivement est devenue plus régulière. Le plus ancien des règlements connus sur cet hôpital est de Michel Debraché, aumônier du roi Jean ; il a été succédé par beaucoup d’autres, dont le dernier est de 1786. Tous s’accordent pour prouver que l’association des pauvres aveugles est une association religieuse ; le nom de frère, qu’ils ont conservé jusqu’à ce jour, l’obligation de réciter un office particulier, la tenue d’un chapitre, l’état de minorité qui leur défend de vendre ou d’acheter, enfin la renonciation qu’ils font à la propriété de leurs biens, au préjudice même de leurs enfants légitimes : tout annonce les règles, les usages et les abus de la monasti-cité. Cette opinion est confirmée par un édit de Philippe le Bel, qui oblige les aveugles des Quinze-Vingts à porter une fleur de lys sur leur robe, pour les distinguer des autres associations religieuses. Trois cents frères ou sœurs habitent la maison des Quinze-Vingts. On les disiingue en aveugles et en voyants ; ils ont seuls droit aux distributions qui se font en argent tous les mois. 11 est défendu à un frère aveugle d’épouser une femme aveugle, et celle-ci ne peut se marier qu’à un voyant. On sent quel est le but de cette loi ; on a supposé que la cécité avait besoin de conducteur. Aussi les premiers règlements bornant le nombre des 392 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.) frères voyants à ceux qui seront reconnus indispensablement utiles au service de la maison, permettaient l’admission de quatre-vingt-huit sœurs voyantes, et les faisaient choisir parmi les plus anciennes femmes ou veuves des frères aveugles. Les aumônes obtenues par la mendicité des aveugles étaient alors les plus solides revenus de la maison. Il leur fallait un guide, et il avait semblé plus naturel de le leur donner dans des femmes qui, partageant l’intérêt de l’association générale, étaient à la maison d’une moindre dépense. Aujourd’hui que le revenu de l’établissement est assuré, que la quête est défendue aux aveugles, et qu’une infirmerie suffisante est, dans la maison, destinée à recevoir les malades, ce nombre prodigieux des sœurs voyantes n’est plus qu’un abus. Le dernier règlement le fixe à trente. Un aveugle non marié reçoit 24 sous par jour; s’il est marié, il en reçoit 40. Chaque enfant, au-dessous de l’âge de 16 ans, reçoit 3 sous par jour. Ces différentes espèces de paye doivent nécessairement faire varier la dépense de la maison. Pour récompenser le zèle des voyants ou voyantes qui s’unissent à des aveugles, on les a admis à la fraternité; mais la proportion en est fixée, comme il a été dit ci-dessus, de manière que le nombre des frères ou sœurs aveugles et voyants, réunis, n’excède jamais trois cents ; tout ce qui est au delà est considéré comme aspirants, c’est-à-dire ayants droit, par la vacance des places, à recevoir le traitement complet de la maison. Les veuves qui ont vécu 5 ans avec leurs maris aveugles, reçoivent 12 sous par jour; celles qui avaient un logement particulier en reçoivent 3 de plus. Il y a actuellement, à la charge de la maison, 20 veuves à 15 sous par jour, et 6 à 12. Si l’humanité voit avec satisfaction, dans la possibilité qu'ont les frères aveugles de se marier, un moyen de douceur, de consolation dans leur malheureux état, la réflexion y fait voir quelques inconvénients qui en balancent bien les avantages. Le premier de tous est d’unir à la jeunesse bien constituée la vieillesse et les infirmités, d’atlacher, au mouvement d’un être vicié par son organisation, la force et la santé d’un individu qui pourrait être bien plus utile ailleurs, de multiplier ainsi la cécité, de la propager de race en race. Les sœurs voyantes, inutiles à la maison, ôtent d’ailleurs aux aveugles des places que l’institution n’accorde qu’à eux, ou pour leur propre avantage. Tout ce qui n’y sert pas, y nuit et serait remplacé bien plus justement par un individu en état de cécité ; enfin le désordre que ces femmes apportent et doivent apporter dans la maison est aussi d’un bien grand inconvénient. Bien que le traitement quelles reçoivent soit très modique, il est toujours beaucoup pour des filles qui n’ont rien ; et peu de celles qui épousent les aveugles font le projet d’augmenter le bien-être de leur mari par le travail. Pour 4 ou 5 labo-lieuses, 30 sont fainéantes, et avec d’autant plus de constance qu’cites l’ont été toute leur vie et que les soins de leur ménage ne les peuvent pas même occuper. De là les querelles, les prétentions outrées, le malheur au lieu de consolation pour les maris et le désordre dans la maison. St l’on ajoute que les lois monastiques qui gouvernent cet établissement déshéritent les enfants de la moitié de la succession de leurs père et mère reçus frères et sœurs, on verra comment le mariage est encore dans cette maison une source de misère. L’institution qui assure par jour une paye à la femme et aux enfants des aveugles serait sans inconvénient, s’ils étaient assistés au milieu de Paris. Cette institution est absolument, par ses effets, contraire aux intentions de bienfaisance qui l’ont établie. Indépendamment des frères et des sœurs qui ont des logements dans la maison, 483 aveugles externes reçoivent encore des pensions dans l’ordre qui suit : 8 ecclésiastiques à 300 liv. . . . 2,400 liv. 25 gentilshommes à 300 . . . 7,500 100 pauvres à 200 ... 20,000 100 — à 150 ... 15,000 100 — à 100 ... 10,000 150 — à 60 ... 9,000 483 63,900 liv. Ce n’est qu’en 1783 que les pensions pour les ecclésiastiques et pour les nobles ont été établies. On assure qu’elles ont été souvent sollicitées par des personnes fort au-dessus, par leur fortune, de la détresse qui aurait pu justifier leur sollicitation. Il est, sinon étonnant, du moins honteusement scandaleux, de voir avec quelle cupidité l’intrigue savait s’agiter jusqu’aux portes des hôpitaux pour dérober la subsistance des pauvres. Si un seul de ces pensionnaires, jadis privilégiés, pouvait se passer de cette pension pour ne pas mourir de faim, leur tort serait impardonnable de l’avoir sollicitée, car iis auraient rendu coupables d’une cruelle injustice les chefs de l’administration qui l’auraient accordé. Il existe encore dans cette maison un abus qui, quoique commun à tous les hôpitaux de Paris, est poussé ici à l’excès. Environ 800 individus, en y comprenant les femmes et les enfants, forment la plus grande population de l’intérieur des Quinze-Vingts ; 8 prêtres à la tête desquels marche un chefecier sont chargés de l’administration spirituelle. Très commodément logés, recevant du sel et du bois de la maison, leurs honoraires et les frais qu’occasionne le service de l’église s’élèvent à 21,016 livres par année. Nous ne ferons que copier littéralement l’état de dépense annuelle que nous avonssous les yeux; en rapportantde pareils abus, il ne faut pas pouvoir même être soupçonné d’exagération. Frais relatifs à V église des Quinze-Vingts. Honoraires des ecclésiastiques. Chefecier ...................... 3,000 liv. Premier vicaire ........ . ....... 1,800 Deuxième, troisième et quatrième vicaires à 1,500 livres ............. 4,500 Cinquième, sixième et septième vicaires à 1,400 livres ......... .... 4,200 Gages des personnes attachées à l’église ................. . ......... 3,876 Honoraires des prédicateurs ..... 840 Entretien de l’église et de la sacristie ........................... 2,800 Total ....... 21,016 liv. Si, dans l’Empire français, les frais du culte étaient calculés d’après la base de la population des Quinze-Vingts, ils reviendraient à plus de 630,480,000 livres par année, et c’est une maison de charité qui nous présente cet incroyable calcul! [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] Les frais d’administration nous ont également paru énormes; ils montent à 17,026 livres. C’est encore une preuve arithmétique que nous présenterons : Frais d'administration. Directeur général ............... 4,000 liv. Le frère maître, non compris son prêt .............. , ............. 600 Greffier ........................ 1,200 Trésorier ....................... 3,000 Inspecteur des bâtiments ........ 1,548 Commis aux archives ........... 1/200 Garde-magasin ......... . ....... 300 4 frères-jurés à 220 livres chacun ............................. 880 8 capitulaires à 36 livres chacun. 288 Huissier .......... . ............ 360 Deux portiers ... . .............. 610 Maître d’école .................. 348 Maîtresse d’école ...... ........ 548 Prix d’encouragement pour les enfants .................. .......... 144 Différents frais évalués à ........ 2,000 Total ....... 17,026 liv. En réunissant les frais du culte et d’administration, on trouve que chaque individu demeurant aux Quinze-Vingts, paye 48 livres pour ces deux objets : c’est assurément beaucoup plus que ne payeront individuellement les contribuables de la France, pour toutes les charges de l’Etat. Nous le répétons encore : c’est une maison de charité qui nous présente cet incroyable calcul ! Nous avons peut-être interverti l’ordre naturel que nous aurions dû suivre en nous rendant compte de l’association des Quinze-Vingts ; mais nous avons cru devoir en écarter d’abord tout ce qui avait rapport au régime général, pour rapprocher tout ce qui reste d’intéressant à connaître sur cette fraternité religieuse, et ne plus fixer vos regards que sur l’intérieur de la maison. Les conditions requises pour être reçu frère ou sœur aux Quinze-Vingts, sont d’être aveugle, pauvre, né Français, de professer la religion catholique, apostolique et romaine, et d’être âgé de vingt-un ans. La validité de ces titres d’admission, soumise au jugement de l’administrateur en chef, laisse aux refus une grande latitude, et ouvre une grande porte aux protections, si l’on ajoute foi aux plaintes qui ont été faites à ce sujet. Si le frère est marié, il représente l’acte de la célébration de son mariage; si reçu frère il veut se marier, il en demande la permission à ses supérieurs. Le frère ou la sœur font, en chapitre et en présence des administrateurs, leur serment de réception; ils jurent sur la perte de leur âme , et la main posée sur l’Evangile : 1° D’assister dévotement aux messes, services et prières qui se ( hantent dans l’église; de se confesser ap moins six' fois par année; 2° D’apporter céans tous leurs biens, de quelque nature qu’ils soient, tant meubles qu’immeubles; de déclarer où ils sont situés, sans en rien retenir, et de n’en disposer ni transporter hors de l’hôpital en aucune manière sans permission. 393 Pour obtenir des lettres de fraternité, le récipiendaire est obligé d’aller chez un notaire ratifier ses vœux et donations , et de remplir les formalités exigées par l’édit de 1731. Après ces formalités remplies, un frère, qui a donné à l’association corps et biens , est dans un état de minorité habituelle; il ne peut ni faire acte, ni autoriser sa femme à en passer. Maître à la vérité de l’usufruit de son bien, s’il est chassé de la maison, sa donation n’en a pas moins son effet; et ses enfants, s’il en existe, ont besoin de la condescendance du chapitre pour en obtenir une portion. Ces lois, qui peuvent être simples pour des moines qui ne laissent aucune postérité, deviennent plu3 compliquées par les différentes positions où le mariage met un frère aveugle : nous abrégerons, le plus qu’il nous sera possible, les détails de ce code aussi absurde qu’impolitique. Si un frère non marié décède, il laisse en totalité ses biens, de quelque nature qu’ils soieDt, et sa donation a son entier effet au profit de l’association. La femme d’un frère mort sans enfants, et qui n’a point été elle-même reçue au nombre des sœurs, doit quitter la maison, et la moitié de l’usufruit de la donation faite par son mari lui est seulement accordée; s’il y a des enfants, elle jouit de l’usufruit entier. La femme d’un frère mort sans enfants, si elle est reçue sœur, jouit de l’usufruit entier des biens du défunt, à l’exception des bagues et joyaux, qui doivent être remis à l’association. Dans le cas où l’usufruitier vient à mourir, les enfants n’ont que la moitié des biens, tant meubles qu’immeubles, et les enfants déjà pourvus sont obligés de rapporter ce qu’ils ont reçu. Si une sœur se marte en secondes noces, elle doit remettre la moitié de ce qu’elle tenait du prédécédé. Ainsi, tandis que l’institution provoque le mariage par le traitement qu’elle assure aux femmes et aux enfants, elle prononce à son profit l’exhérédation de ces mêmes enfants, elle renverse les lois les plus sacrées, les plus douces de la nature, et ne tend qu’à faire des pères dissipateurs et des enfants misérables. Telle est cependant la jurisprudence en usage aux Quinze-Vingts. Nous n’ajouterons aucune réflexion à ce court exposé, bien convaincus que vous vous hâterez de détruire les règlements antisociaux de cette association barbarement religieuse, par lesquels, tandis que vous délibérez, la veuve et l’orphelin sont encore sous vos yeux dépouillés sans pitié. Au milieu des antiques règlements de l’association des aveugle-, vous recueillerez peut-être une loi sage que vous pourriez transporter sans inconvénient dans les différents hospices dont vous ordonnerez l'établissement ou le maintien, Quatre jurés, connus sous cette dénominaiion depuis le xve siècle, exercent dans l’intérieur de la maison une sorte de juridiction de police : leur premier devoir est d’entretenir la paix et l’ordre; apaiseurs nés de toutes h s querelles, ils doivent prévenir toutes l< s divisions dans les familles et surveiller les mœurs. Deux de ces frères doivent être voyants, deux autres aveugles; tous les ans le chapitre assemblé en élit deux pour remplacer ceux qui sort nt. Ges quatre jurés reçoivent, comme on l’a vu dans l’état de dépense, ouire leur prêt, chacun, deux cent vingt livres d’honoraires. 1 dépendamment des quatre jurés, il y a encore huit frères capitu- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] 894 lants, qui, renouvelés chaque année, oui le droit d’assister au chapitre avec eux sans avoir de voix délibérative; ils reçoivent pour honoraires trente-six livres par an. A la tête des douze capitulants dont on vient de parler, se trouve un frère-maître ou ministre, auquel on accorde 600 livres ri’appoin'ements de plus que son prêt. C’est à lui que les jurés font le rapport de ce qui se passe dans la maison contre le bon ordre. C’est sans doute une institution populaire et sage, que celle qui associe le pauvre aux délibérations qui ont rapport à son existence : en l’unissant par son intérêt personnel à l’intérêt général, en l’éclairant sur ses droits et ses devoirs, elle lui apprend à respecter et la règle et ceux qui la font observer. Une administration sage, délibérant sous les yeux du pauvre, arrêterait les murmures et les plaintes de l’homme malheureux, toujours inquiet parce qu’il et privé de la liberté, toujours mécontent parce que, repoussé avec dédain, il ne sait jamais bien, ni ce qu’on attend de lui, ni ce qu’il a droit d'attendre des autres. On devine aisément que l’influence des frères-jurés capitulants a dû souffrir quelques atteintes depuis 1546, où le règlement qui les maintient dans leurs droits a été enregistré au Parlement de Paris. Un grand-aumônier de France, dispensateur suprême des grâces, 6 gouverneurs pris dans les classes auxquelles seules il était réservé, jadis, de parvenir aux places, ont dû naturellement éloigner les frères capitulants des délibérations les plus importantes de l’administration; et c’est au mystère dont elle était enveloppée, à l’autorité sévère par laquelle les représentations étaient repoussées, qu’on doit particulièrement attribuer la méfiance et les plaintes des frères aveugles, dont le sort est incomparablement meilleur depuis 1784 qu’il ne l’était auparavant. L’établissement d’une infirmerie dans la maison est un des sujets de plainte des frères Quinze-Vingts; ceux qui sont mariés préfèrent d’être traités dans leur domicile, et l’on ne peut s’en étonner. On avait établi pour eux un pot-au-feu, mais on a reconnu que plusieurs frères feignaient d’être malades pour obtenir ce supplément de secours ; que les remèdes étaient gaspillés et que les maladies étaient plus longues et plus difficiles à traiter, par l’absence du régime et l’abus fréquent d’aliments nuisibles. Si, par une surveillance exacte, il était possible d’éviter ces inconvénients, il n’en fallait pas moins une infirmerie pour les célibataires et pour ceux qui n’avaient que des enfants en bas âge. Ainsi l’établissement d’une infirmerie nous a paru bon et nécessaire; mais peut-être la base qui fixait la retenue exercée sur le traitement de chaque malade, manque-t-elle de justesse. On retenait aux frères et aux soeurs sans enfants 3 s. 4 d. par jour, ou les deux tiers de leur prêt, pour acquitter leur traitement à l’infirmerie, et aux frères ayant des en lan i s à leur charge, le tiers de leur traitement ; il nous aurait paru plus équitable de retenir par tête la part qui revenait à chacun ; en sorte que celui qui avait 5 enfants, n’aurait dû payer que le cinquième, et ainsi de suite, puisque la consommation journalière de ceux qui sont en santé, est réglée sur cette proportion, et que l’absence d’un individu de la famille ne diminue pas la dépense d’un tiers, ni de deux, mais de celle qu’il consomne. Nous ne prolongerons pas, au reste, l’énumé-ratiou d’une infinité de petits règlements de détail, dont la plupart à corriger ne présentent rien de piquant, ni à la curiosité ni à la censure : nous dirons seulement que le grand-aumônier j supérieur né de cette maison, comme jadis il était le surveillant de toutes les aumônes, de tous les hôpitaux, dirige le spirituel, indépendamment de l’autorité de Fevêque de Paris, mais seulement en qualité de vicaire apostolique, de grand vicaire du pape. Cet ordre de choses ne laisse pas que d’avoir sa singularité et encore son ridicule. Les revenus des Quinze-Vingts consistaient jadis presque uniquement dans le produit des quêtes faites dans toutes les églises du royaume au profit de cette maison : ces quêtes s’affermaient ; celles des églises de Paris se donnaient par adjudication aux aveugles de l’hôpiial; celui qui en donnait le plus, avait le privilège exclusif d’aller mendier dans l’église qu’il avait affermée. Cet usage m'est aboli que depuis environ 15 ans. La vente du terrain de la rue Saint-Honoré a porté une prodigieuse augmentation dans les revenus de cette maison, et a donné le moyen d’améliorer le sort des frères, de leur interdire la quête, et de donner des pensions à 483 externes. Les revenus de la maison des Quinze-Yingts, originairement établis sur les quêtes faites dans toute l’étendue du royaume, suffiraient pour prouver que cet hôpital appartient à la nation entière et ne doit pas être comoris par ceux que le département de Paris pourrait compter appartenir à la capitale. Le règlement de 1522 porte d’ailleurs expressément que les frères doivent sans distinction être natifs du royaume ; sinon que le roi, pour quelque cause juste el raisonnable, voulsit ung étranger y être mis, et qu'il lui baillât lettre de naturalité. La proportion naturelle de ceux tant demeurant dans la maison qu’assistés au dehors ou dans le département, donne 570 étrangers à Paris pour 172 du département. Les revenus des Quinze-Vingts consistent en loyers de maisons, en rentes et en fermages. On ne parlera point ici du loyer des chaises, ni du droit d’étal de boucherie, parce que dans la suppression ces loyers ne peuvent subsister. Loyers des différents ateliers de l’enclos ......................... 16,523 liv. Fermages à la campagne ....... 9,285 Rentes sur différents particuliers. 2,540 Sur le Trésor royal, pour l’intérêt de 5 millions, partie de la vente de l’ancien enclos ............... 250,000 Sur le domaine ................ 28,380 Sur diverses communautés ..... 660 Total des revenus ..... 307,388 liv. Il est rendu par les acquéreurs de l’ancien enclos, par acte du 28 juillet 1785, une somme de 434,745 livres et une autre de 91,750 livres, par ces mêmes acquéreurs, mais qui y opposent des demandes en indemnité de non-jouissances. Les charges de la maison consistent en rentes dues au roi et à d’autres particuliers, ci ............ . ............ En vingtième sur les maisons de Paris, environ ................... En rentes viagères et pensions de retraite ......................... 17,328 liv. 3,474 liv. 460 13,394 Il reste donc en revenus libres. . 293,994 liv. [Assemblée nationale.] 395 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier!79I.| Cette somme, distribuéeen pensions suffisantes. données aux frères et sœurs dans les domiciles qu’ils choisiraient, fournirait le moyen d’assister 200 aveugles de plus ; et ces nouveaux moyens de secours seraient encore augmentés par la valeur du terrain actuel de l’hôpital, qui serait avantageusement vendu dans le quartier de Paris où l’on a besoin de grands espaces pour des ateliers. Peut-êlre pour compléter celle idée, dont nous n’articulons pas ici le projet, chaque département ourrait-il avoir la disposition d’un certain nom-re de pensions qu’il distribuerait à son gré, en se conformant aux vœux de l’institution. Quel que soit le parti qui sera pris ultérieurement, nous croyons important de donner promptement à cette maison un administrateur et des règlements qui, ne fussent-ils que provisoires, seraient plus analogues à l’état actuel des choses, que le régime gothique sous lequel elle vit. La surveillance doit sans doute en être confiée au département de Paris. Hôpital des Petites-Maisons et de la Trinité. L’hôpital des Petites-Maisons est l’hôpital du grand bureau des pauvres de Paris. Le grand bureau, une des plus anciennes fondations de la capitale pour le soulagement des pauvres, a pour objet d’assister un certain nombre de vieilles gens et de petits enfants de toutes les paroisses de Paris, connus, domiciliés, et hors d’état de gagner leur vie. Des commissaires des pauvres, nommés par les curés, marguilliers et notables citoyens des paroisses, sont chargés de recevoir, chacun dans leur département, la taxe des pauvres due par tous les habitants de la ville et faubourgs de Paris. Cette taxe, très modique, puisque celle des personnes qui payent le plus n’est portée qu’à 10 I. 10 s., s’élève en tout à 52,000 livres ; elle est employée particulièrement à donner 12 sous par semaine aux pauvres vieux et aux enfants inscrits sur le grand rôle. Les pauvres âgés de 60 ans, munis des certificats suffisants de leur paroisse, peuvent seuls y être inscrits. 1172 pauvres âgés, 492 enfants, sont assistés aussi par le grand bureau des pauvres, et dépensent à cet établissement environ 46,000 livres. Le revenu de la taxe des pauvres, qui est de 52,000 livres, est augmenté de 6 ou 7,0001. par des donations particulières. L’économie faite sur cette recette tourne au profit de l’hôpital des Petites-Maisons, où sont admis les pauvres âgés des deux sexes, et recevant déjà l’aumône du grand bureau; la condition dernière est qu’ils aient 70 ans révolus et qu’ils soient garçons ou filles, ou dans l’état de veuvage. Les enfants à l’aumône du grand bureau sont aussi, chacun par ordre d’âge, admis à l’hôpital de la Trinité. Celui des Petites-Maisons est plutôt un hospice qu’un hôpital; il est l’asile de 538 pauvres. La maison leur fournit du bois, du sel, une chambre pour deux, et un écu par semaine ; s’ils sont malades, ils sont reçus à une infirmerie, où ils sont traités avec beaucoup de soins: pendant ce temps, ils ne reçoivent pas l’écu qui leur est alloué en état de santé. L’âge très avancé auquel sont reçus les pauvres dans cet hospice, y rend la proportion des malades plus forte qu’ailleurs; aussi y a-t-il 187 lits, sur 538 pauvres. L’esprit de charité qui dirige cette maison se prête à laisser les pauvres à l’infirmerie aussi longtemps qu’ils le veulent, quoique guéris des maladies qui les y ont amenés : la dépense en est un peu plus forte, mais h» convalescent en reçoit plus de soins, et l’administration des Petites-Maisons a le bon esprit de nenserquele bien-être des pauvres est pour elle d’un calcul préférable à quelques petites économies de plus. On ne peut donner trop d’éloges à l’ordre, à la propreté avec lesquels est tenue cette maison. Tous les pauvres que nous avons interrogés se sont montrés contents des soins qu’on avait d’eux, et du traitement qu’ils éprouvaient. La mortalité n’est, année commune, que de 80; et si l’on considère que tout ce qui arrive dans cette maison a au mains 70 ans, et qu’un grand nombre en a beaucoup davantage, on trouvera celte mortalité peu considérable, en la comparant surtout à celle des autres hôpitaux. 40 sœurs de la Charité sont chargées de l’infirmerie et du service de la cuisine; elles le sont aussi du soin de 40 à 50 personnes insensées des deux sexes, admises dans cet hôpital en payant une pension de 100 écus, et enfermées dans�des loges un peu meilleures que celles de Bicêtre, mais à peu près de la même espèce. Ces fous, toujours réputés incurables dès qu’ils sont admis dans cette maison, n’y sont point traités. L’usage, dégradant pour l’humanité, de montrer des fous à qui veut les voir, co urne on montre des animaux sauvages, a jusqu’ici été celui de cette maison. Une délibération très récente de l’administration vient cependant de l’interdire. Cette défense devrait bien être générale dans tous les établissements où l’on reçoit des malades de cette espèce; car, indépendamment du respect dû à l’humanité, en quelque état qu’elle soit, et par lequel il devrait être interdit de faire servir sa dégradation au plaisir et à la curiosité des oisifs ; que d’hommes, dont la folie était tranquille et douce, sont devenus furieux et malheureux, par les agaceries répétées de toute cette succession de curieux 1 Une cour séparée de la maison reçoit des vénériens, qui payent 168 livres pour leur traitement. Ce corps de logis peut en contenir 18; le chirurgien seul en a connaissance, et rend compte à l’administration du prix que ces hommes donnent pour leur guérison, et sur lequel le dixième lui est alloué : c’est une des recettes casuelles de cette maison, peu considérable, puisqu’elle doit fournir les aliments et les drogues. Une autre recette casuelle de cette maison est la somme donnée par ceux des pauvres qui, inscrits déjà sur le rôle du grand bureau, et par conséquent âgés de plus de 60 ans, achètent la préférence de ne pas attendre leur tour pour être admis dans la maison ; cette somme est de 1,500 livres pour être admis dans le préau, c’est-à-dire au traitement commun, et de 2,400 livres pour l’être à l’infirmerie. La maison fait sûrement quelque profit sur ces mises, puisqu’elles supposent au moins 10 ans de vie à ceux pour qui elles sont faites, et que beaucoup n’atteignent pas ce terme. Il nous a semblé que cet abus était le seul que l’on pût remarquer dans cet hospice, vraiment fait pour servir de modèle dans les grandes villes, tant pour son intention (tue pour sa tenue ; mais cette somme, donnée pour obtenir une préférence, est vraiment un abus que le bon emploi qui en est fait ne peut même justifier; car enfin, c’est la place d’un pauvre plus âgé, prise par un autre que ses ressources ou ses protections auraient pu faire vivre sans elle. Vainement di- 396 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (21 janvier 1791.] rait-on que le nombre de pauvres admis dans cette maison est plus fort que celui prescrit par la fondation, et qu’ainsi les pensionnaires ne prennent réellement la place de personne : nous répondrons que toutes les économies faites du bien des pauvres doivent tourner au profit des pauvres, et que puisque la sagesse de l’administrateur de l’hôtel des Petites-Maisons, l’usage grandement utile qu’il a fait du résultat de ses économies ne peuvent empêcher la réflexion, elle est une vérité que l’on ne peut méconnaître. 11 y a aussi dans cette maison un bâtiment où les enfants à l’aumône du grand bureau sont traités de la teigne, moyennant une somme de 30 livres; 20 à 25 malades y sont communément réunis. L’administration de cette maison était conduite ar M. le procureur général du Parlement de aris, et par 8 administrateurs choisis par lui dans le nombre des anciens commissaires des pauvres de toutes les paroisses. Ce sont eux qui font le rôle des pauvres admissibles dans la maison ; il se renouvelle tous les 4 ou 5 ans, lorsque celui fait précédemment est près de s’épuiser. Il est communément, au moment où il est arrêté, de 6 à 700 personnes. Quant à celui des pauvres âgés de 60 ans, et des enfants secourus extérieurement, il est toujours existant à 1,172 pour P s premiers et 492 pour les seconds, les morts ou les admis dans les hôpitaux étant sur-le-champ remplacés. Un économe conduit tous les détails intérieurs de cette maisou. Trois soeurs de la Charité l’aident pour tous les soins de vigilance; 5 ecclésiastiques et 3 ou 4 domestiques y sont attachés. Les revenus de cette maison sont d’environ 290,000 livres tant en revenus fixes qu’en casuels, dans lesquels on fait entrer, par approximation, la recette de 10 ou 11 de ces mises, de 1.500 livres et 2,400 livres. L’économie annuelle se monte à près de 50,000 livres employées jusqu’ici en construc' tions utiles à la maison. Deux ou trois grandes salles d’infirmerie et un immense bâtiment pour loger près de la moitié des pauvres ont été construits depuis 10 ans. Ces bâtimen ts, nécessaires par le mauvais état de ceux qu’ils ont remplacés, et par l’augmentation des pauvres à secourir, réunissent toutes les conditions désirables pour un hôpital : étendue, élévation des salles, commodité des chambres, renouvellement continuel d’air, et aucun ornement superflu à l’extérieur. Le projet des administrateurs est de reconstruire successivement ce qui reste de vieux bâtiments, qui tous sont dans une grande dégradation, et d’une grande incommodité. Nous ne pouvons finir le rapport que nous vous soumettons, des renseignements que nous avons pris à l’hôpital des Petites-Maisons, sans vous répéter qu’ils nous ont entièrement satisfaits ; qu’il nous a paru que cette manière de secourir les vieillards était la plus convenable et la plus utile dans une grande ville, où les ressources de leur famille ajoutaient encore à celles qu'ils trouvaient dans la maison, et où ils jouissent de l’inestimable avantage d’une libre dépense des sommes que la bienfaisance publique leurdestine. Il est fort à désirer quelle soit imitée dans les villes un peu considérables; elle économiserait les dépenses, et soulagerait plus de malheureux ; 670 personnes, économes, sœurs, chirurgiens, employés, pauvres, insensés, vénériens, vivant sur les revenus de cette maison, c’est-à-dire sur 240,000 livres, parce que 50,000 livres sont annuellement économisées, donnent pour la dépense de chacun, 348 livres. Nous voudrions pouvoir vous rendre un compte aussi complètement avantageux de l’hôpital de la Trinité, dépendant, ainsi que nous l’avons déjà dit, du grand bureau des pauvres, et sous la direction des mêmes administrateurs que l’hôpital des Petites-Maisons. Sur le rôle des pauvres enfants orphelins de Paris, ou de ceux assistés par le grand bureau dans les diverses paroisses de la capitale, 100 petits garçons et 36 petites filles sont admis à l’hôpital de la Trinité. L’ancienneté de leur inscription sur le rôle fait leur titre d’admission ; l’âge de 9 ans est cependant l’époque la plus reculée pour leur entrée; au delà de cet âge ils ne peuvent plus y prétendre. Une fois admis, ils sont conservés jusqu’à celui où ils peuvent entrer en apprentissage, et de là abandonnés à leurs propres ressources pour gagner leur vie; mais ils apportent à leur apprentissage la même habitude d’oisiveté et d’inertie que tous les enfants de Paris et de tous les hôpitaux du royaume. Il est vraiment pénible de penser combien peu, en secourant ces malheureux enfants, en pourvoyant à leur nourriture, on s’occupe du reste de leur vie; combien on paraît penser qu’elle finit là où elle va commencer, au moment où, jetés dans la société, ils devraient être prémunis contre les écueils de la pauvreté et du libertinage, par une habitude de travail, qui vaut elle seule des principes pour ceux dont l’industrie doit assurer l’existence, et que l’enseignement des principes mêmes ne peut remplacer. La lecture, l’ecriture, le calcul et la religion, voilà aussi, comme à la Pitié, à quoi se borne leur instruction pendant 10 ans. Parmi 5 ecclésiastiques attachés à cette maison, un seul est chargé de leur apprendre à lire, à écrire et à compter; un second, du catéchisme, les trois autres mènent ces enfants aux convois. Voilà la destination, l’occupation et le travail de ces enfants, qui, concurremment avec les enfants de la Pitié et ceux des Enfants-Trouvés, ont chacun leur division de paroisses, qu’ils desservent dans ce triste rapport. Je ne sais si, jadis, la piété a pu entrer pour quelque chose dans une telle destination; ce n’est pas au moins la piété éclairée, ce n’est pas celle qui, s’occupant de leur sortfutur, penseà remplir leur enfance des moyens de conduite et de bonheur pour la suite de leur vie. Un petit calcul d’économie préfère employer ces enfants à cette dégoûtante et vagabonde fonction, qui rapporte 8,000 livres par an à la maison, plutôt que de les former à un travail dont le gain serait moins assuré; ou plutôt la routine, l’éternelle routine, principe le plus en honneur dans la plupart de ces maisons, fait aujourd’hui comme hier, par cette seule, et toujours excellente raison de l’usage sans réflexions et sans soins. Gomme le nombre des enfants de la Trinité est moins nombreux que dans les autres maisons, ils sont un peu plus surveillés dans leur apprentissage, et la proportion de ceux qui tournent mal, toujours très considérable, est moins forte qu’ail-ieurs. Cette routiue, règle première de tous les hôpitaux, fait encore que ces enfants sont vêtus en jaquette jusqu’à seize ans, au lieu d’être en habits; ils étaient ainsi vêtus du temps de Henri II, fondateur de la maison: pourraienl-ils l’être autrement aujourd’hui? Cependant ces robes, d’une étoffe très lourde et très épaisse, conservent l’humidité plus longtemps qu’un autre vêtement, y joignent à l’incommodité de leur [21 janvier 1791. J 397 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. coupe l’inconvénient de l’insalubrité pour ces enfants, qui les portent quelquefois mouillées plusieurs jours. La nourriture est bonne, et la proportion des malades est très petite; mais les soins qu’alors ils reçoivent sont incomplets : aucun bouillon particulier pour eux, point de vin pour leur convalescence; enfin aucun de ces soins bienfaisants, qu’il semble qu’on devrait trouver si communément dans ces maisons de charité, et qui s’y aperçoivent si rarement. Le traitement des petites filles est le même que celui des garçons: elles doivent être 36, mais il n’y en a aujourd’hui que 25; il paraît que le non complet tient à la négligence de l’économie et à la volonté d’une supérieure, qu’on assure se refuser à l’exécution de plusieurs articles du règlement, et apporter dans l’exercice de ses charitables fonctions, la vanité et le despotisme que l’on ne rencontre que trop souvent dans l’administration des hôpitaux. On ignore pourquoi l’administration exige que ces petits enfants apportent eu entrant 40 livres, qui ne leur sont jamais rendues, et les petites filles 50 livres; pourquoi des petits garçons doivent encore être munis d’une bonne paire de souliers, sans quoi ils ne seraient pas reçus dans la maison, quoique admis. Ce n’est plus là la la charité douce, éclairée et bienfaisante, qu’on reconnaît avec tant de plaisir à l’hôpital des Petites-Maisons, et cependant c’est la même administration. La mortalité est très rare dans les enfants des deux sexes, mais le défaut d’air, dans la partie du bâtiment destiné aux petites filles, rend pour elles le scorbut très commun. La cour des petits garçons, plus grande, et leurs courses fréquentes dans Paris, les en préservent. Le revenu de cette maison est d’environ 70,000 livres, la dépense est d’environ 60, OOOhvres; ainsi chaque enfant coûte annuellement à peu près 440 livres. Un greffier régit avec beaucoup d’ordre et d’intelligence toute cette maison, sous la surveillance des administrateurs. Il semble qu’au milieu de Paris un si petit établissement pourrait facilement présenter à tous les établissements d’eDfants du royaume, un modèle de soins, de travail, d’instruction, comme l’hôpital des Petites-Maisons en présente un de bienfaisance. Quoique soumis à un régime beaucoup meilleur que celui de l’hôpital de la Pitié, il ne peut pas plus que lui servir de modèle; le système de ce genre d’établissement est tout à fait à changer : et l’on ne peut trop tôt s’en occuper, car si l’humanité prescrit impérieusement de secourir complètement la vieillesse, d’adoucir, de tranquilliser les derniers jours d’une vie passée dans la misère, combien cette même humanité, et combien avec elle la morale et la raison n’or-donnent-eiles pas plus impérieusement encore de préparer au bonheur les longs jours que l’enfance doit parcourir par les seuls moyens qui l’assurent : l’industrie et l’amour du travail. QUATRIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 21 JANVIER 1791. Rapport du comité de mendicité sur V établissement de la Charité maternelle de Paris. L’Assemblée nationale, ayant, par son décret du mois de juin, ordonné à son comité de mendicité de prendre une connaissance particulière de l’association bienfaisante établie depuis quelques années dans la capitale, sous le nom de Charité maternelle , et de lui en rendre compte, le comité croit ne pouvoir mieux se conformer aux intentions de l’Assemblée, qu’en publiant le mémoire qui lui a été remis par les dames administratrices de cette association. Ce mémoire, extrêmement exact et vérifié dans toutes les parties par le comité, lui a paru ne rien laisser à désirer. 11 est un témoignage certain de l’humanité, de la charité, de la tendre et respectable sollicitude, de la sévérité des principes de cette réunion de citoyennes qui, apportant dans les ménages de malheureux, secours et consolation, ont, comme déjà il a été dit, diminué d’une manière sensible le nombre des enfants légitimes exposés aux Enfants-Trouvés. Mémoire sur la Charité maternelle donné par les dames administratrices de cette Société. « La Charité maternelle est une association « libre et indépendante. Le titre d'établissement « ne lui appartient point, puisqu’elle n’a aucune « des facultés qu’il suppose, qui font ordinaire-« ment celles de posséder et d’acquérir. « Plusieurs personnes se sont réunies pour « former une société de bienfaits et de soins, et « appliquer les uns et les autres à une classe de « pauvres pour laquelle il n’existe à Paris ni « hôpitaux, ni fondations. Cette classe est celle « des enfants légitimes des pauvres. La société « s’est proposée de les préserver de l’abandon de « leurs parents et de tous les maux qu’entraîne « la privation des secours, dans les premiers « instants de la naissance. « La pauvreté du peuple de Paris appelait à ce « bienfait un si grand nombre d’individus, qu’il « était nécessaire, pour l’exécution d’un plan si « vaste, que cette société devînt très nombreuse. « Ce fut pour y parvenir que le projet en fut « annoncé dans les papiers publics. « Avant de distribuer les bienfaits provenus de « cette réunion d’aumônes, il fallait en fixer la « nature et la quantité, et indiquer les familles « qui devaient y participer. Cette société fit des « règlements provisoires et les rendit publics, « afin de recevoir tous les conseils et toutes les « observations qui pouvaient les perfectionner. « Elle crut aussi qu’il était nécessaire, pour mé-« riter la confiance, de rendre publics tous les « comptes et les résultats de son administration. « Bientôt la composition de la société, ses prin-« cipes, l’importance de ses motifs lui attirèrent « les bienfaits de la reine, un grand nombre « d’associés et les secours du gouvernement qui « crut devoir la protéger et l’étendre. « Ces règlements, arrêtés définitivement, au « mois de lévrier 1789, sont la base de son insti-« tution. Ils embrassent trois objets ; « Le premier, la société en général; « Le second, son administration; « Le troisième, les pauvres appelés aux dons « de la charité maternelle. « La société est composée de tous les sous-« cripteurs et bienfaiteurs qui, par des contri-« butions annuelles et momentanées, lui appor-« tent des aumônes. Toutle monde indistinctement « est appelé à cette société, et les noms de toutes « les personnes qui se font connaître, composent « la liste. Une société nombreuse, composée de