634 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 avril 1791.] présentants de la nation. Elle jouit de 100 écus de pension sur les économats, pension qui n’a d’autre cause que l’abjuration de sa mère... Que fera la patrie reconnaissante pour l’unique rejeton de ce marin célèbre?.. S’il fut né dans une caste privilégiée, sa famille aurait été comblée de bienfaits et de la munificence de la cour et des ministres. Thurot était un héros sorti de la classe appelée alors plébéienne ; c’est aux représentants du peuple à venger sa mémoire et à soutenir sa famille. Je demande que l’Assemblée, en considération des services rendus à l’Etat par le capitaine Thurot, décrète qu’il sera donné à MUe Thurot, sa fille unique, la somme de 1,000 livres à titre de pension viagère, en y comprenant les 300 livres de pension dont elle jouit sur les ci-devant économats. ( Vifs applaudissements.) M. Bouche. J’appuie cette motion. Je n’ai pas besoin de rappeler les faits d’armes et les grands services rendus par le capitaine Thurot à la marine française, en observant qu’elle aurait eu plus de succès, si Thurot eût eu le commandement qu’avait M. Conflaus. J’ajoute que l’Assemblée a déjà décrété que les enfants des personnes qui ont servi l’Etat pourront être récompensés et je propose non pas de renvoyer au comité dont je crois l’avis inutile quand une demande est évidemment juste et fondée sur les décrets, mais de décréter sur-le-champ la motion de M. Barrère. M. Vernier. Je demande que jamais l’on ne vienne surprendre la générosité des représentants de la nation pour aucune demande, quelque juste qu’elle soit. La proposition peut honorer celui qui la fait; elle peut être juste. L’Assemblée ne peut sans doute refuser de récompenser les services du célèbre Thurot. Mais vous avez donné un fonds au comité des pensions. Il faut donc que le comité en prépare la distribution. En conséquence, pour que toutes les formalités soient observées, je demande le renvoi au comité des pensions. (L’Assemblée renvoie la motion de M. Barrère-Vieuzac au comité des pensions, pour en être rendu compte samedi.) M. Malès, au nom du comité des rapports, rend compte de l’affaire pendante entre les sieurs Dupré-Saint-Maur et Picot-Dampierre et propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, décrète que, sur la pétition à elle présentée le 22 mars dernier par le sieur Dupré-Saint-Maur, relativement à une instance en cassation d’arrêt, actuellement pendante au conseil d’Etat du roi, faisant fonction de tribunal provisoire de cassation, entre ledit sieur Dupré-Saint-Maur et le sieur Picot-Dampierre, il n’y a pas lieu à délibérer. » (Ce décret est adopté.) M. Merle, au nom des comités des rapports, ecclésiastique , d'aliénation et de mendicité. Messieurs, trois espèces de réclamations vous sontsou-mises dans l’affaire des Quinze-Vingts ; la première est celle des Quinze-Vingts qui se plaignent des administrateurs qui les ont régis et régissent depuis 1779; la deuxième est celle des sieurs abbés d’Espelle, Laugier et Meynier, qui vous dénoncent leur destitution et des persécutions ; la troisième est celle des acquéreurs, qui vous présentent la spoliation et les injustices commises envers eux par le cardinal de Rohan. Vos comités réunis n’ont pas pensé qu’ils fussent compétents pour examiner cette grande question ; ils ont pensé que le titre des acquéreurs devait avant tout et préalablement être vérifié et examiné par les corps administratifs. En conséquence, ils ont observé que c’était par-devant le département de Paris que les acquéreurs devaient se retirer pour faire vérifier leurs titres et leurs prétentions ; les acquéreurs ont trouvé cela très juste, et de leur consenlement leur pétition a été momentanément reculée. Je n’aurai donc l’honneur aujourd’hui que de vous entretenir de la pétition des Quinze-Vingts et de celle de MM. Meynier, Laugier et d’Espede. Dans le mémoire que les Quinze-Vingts ont présenté, ils exposent la somme de maux sous laquelle ils gémissent, le renversement de l’ordre ancien sous lequel ils vivaient depuis plusieurs siècles, les administrateurs de leur maison renvoyés et remplacés par des agents du cardinal de Rohan, le régime actuel contraire à leurs statuts et à leur existence, les nouveaux administrateurs dilapidant les fonds de l’hôpital, les réclamations vainement présentées sur ces dilapidations et sur celles qu’ils disent avoir été partagées par le cardinal de Rohan lui-même, le Parlement lui-même arrêté dans ses démarches par des ordres arbitraires, enfin la crainte fondée de rester chargés de la liquidation générale qui reste à faire, pour raison de la vente de leur enclos. C’est, Messieurs, d’après ces faits que les Quinze-Vingts vous demandent : 1° Que leurs anciens statuts soient exécutés, et que, conformément à ces statuts, leur première administration soit rétablie; 2° qu’à l’effet de connaître les comptes de la nouvelle administration, les parties soient renvoyées devant les tribunaux. Ainsi leur pétition a deux objets : ancienne administration rétablie, et comptes des anciens administrateurs rendus. Quant au premier objet, c'est-à-dire au rétablissement de l’ancienne administration, vous sentez, Messieurs, que cette pétition ne peut être accueillie; cette administration tenait à un ordre de choses que votre sagesse a renversé ; les principaux administrateurs étaient des conseillers au Parlement et au Châtelet de Paris. L’Assemblée nationale a déclaré que, dans l’ordre de ses travaux, elle s’occuperait incessamment de l’organisation des maisons de secours; c’est par conséqupnt à cette époque très prochaine qu’il faut remettre ce qui concerne l’établissement de cette administration première. Mais comme tout ce qui peut contribuer au plus grand bien ne peut point être étranger à vos comités, ils vous proposeront de faire surveiller cette administration, qui subsistera provisoirement, par les corps administratifs, lesquels seront autorisés à entendre les plaintes des pauvres aveugles et à leur faire fournir par les administrateurs actuels tous les secours qui pourraient leur manquer, d’autant plus volontiers que si d’un côté les Quinze-Vingts se plaignent, d’un autre côté les administrateurs prétendent qu’ils gouvernent cette maison avec autant de sagesse que d’humanité ; ils expriment leur désir de rendre compte dès cet instant à des commissaires, soit de l’état de leur caisse, soit de la manière dont ils se conduisent; et en effet, selon un imprimé qui vous a été distribué de la part de l’administration honoraire, il nous a paru que par le nouvel ordre de choses et par le régime [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES (7 avril 1791.] 635 intérieur actuel, le sort des aveugles était amélioré ! Suspendons donc notre jugement sur la véracité de ces faits, et reposons-nous au surplus sur la surveillance des corps administratifs que vous allez provisoirement commettre. Quant au second objet de la pétition, le compte des administrateurs, point de' difficulté, Messieurs, que l’administration soit obligée de faire apurer ses comptes. Tout administrateur est comptable ; mais, Messieurs, une question s’élève, c’est celle de savoir si vous soumettrez le compte de toute l’administration, depuis 1779, à une révision, ou si, au contraire, vous ne jugerez comptables que les administrateurs qui régissent depuis le 22 avril 1786; et c’est ici le grand point de la difficulté qui doit particulièrement occuper l’Assemblée. 11 est bon de vous observer que, à l’époque du 22 avril 1786, il a été rendu un arrêt du conseil qui a reçu le compte présenté par le cardinal de Rohan, de l’administration tenue jusqu’alors. Les Quinze-Vingts prétendent que ce compte n’a jamais été bien établi et que cet arrêt n’eût d’autre objet que de couvrir les injustices qui avaient été commises. Le cardinal de Rohan, au contraire, soutient que ce compte a été rendu, qu’il a été examiné dans tous ses détails ; et la preuve qu’il en donne c’est qu’il était alors à la Bastille, qu’il n’avait plus, par conséquent, de -crédit, et que c’était le baron de Breteuil, son plus grand ennemi, qui présidait à cette reddition de compte. Tel est le véritable point de la difficulté. Le cardinal peut-il être assujetti à un compte, ou ne peut-il pas y être assujetti? Voilà, Messieurs, ce que vous allez décider. Quant à nous, nous vous avouerons que nous n’avons pas vu dans cet arrêt, qui est le seul titre invoqué par M. le cardinal, Jes caractères d’un apurement définitif. Cet arrêt ordonne seulement la transcription, sur les registres de l’hôpital, de l’état présenté par le cardinal, comme formant son compte; et c’est sur un de ces états qu’est porté le fameux emploi des 2 millions versés par les entrepreneurs dans la main du cardinal aux termes du contrat. Cet arrêt du 22 avril devait être revêtu de lettres patentes pour être ensuite enregistrées au Parlement, et elles n’ont jamais été obtenues. Ces considérations ont fait sentir à vos comités que le compte du cardinal de Rohan ne pouvait être regardé comme véritablement apuré et qu’il ne pouvait être dispensé de rendre un nouveau compte s’il en était requis. La seconde réclamation est des sieurs Meynier, Laugier et d’Espelle. Les deux premiers prétendent qu’ils sont parle fait destitués deleurs places d’administrateurs, mais qu’ils étaient inamovibles et irrévocables; qu’ainsi ils n’ont pu être privés de cette administration. La demande du sieur abbé d’Espelle a le même objet. U se plaint d’avoir été destitué de la place d’aumônier qu’il occupait dans cette maison. Rien, Messieurs, de plus simple que la question que ces deux réclamations semblent amener. Les sieurs Meynier et Laugier qui ne sont qu’un, pouvaient-ils être destitués ? L’arrêt du conseil qui a prononcé cette destitution peut-il être regardé comme acte arbitraire? Voilà la question. Y a-t-il lieu à destitution dans la place du sieur abbé d’Espelle? Quant aux deux premiers c’est, Messieurs, en principe général, un système assez singulier que celui qui a pour objet de soutenir qu’un administrateur peut en cette qualité être irrévocable et inamovible. Le mot d’administrateur fait au contraire naître l’idée de la révocabilité. Les statuts de l’hôpital nous apprennent qu’à la place de maître n’était pas inhérente à celle d’administrateur dont on ne pouvait jouir que tant qu’il plairait au roi. Lors de la translation des Quinze-Vingts à l’hôtel des Mousquetaires, le sieur Meynier n’a jamais voulu s’y rendre. Il y avait donc nécessité de commettre un autre administrateur à sa place. La place de maître fut supprimée par un arrêt du conseil du 22 avril 1789. Le sieur Meynier qualifie cet arrêt d’acte du pouvoir arbitraire et il en demande l’anéantissement. Vos comités, Messieurs, n’eu ont pas jugé ainsi. Ils ont unanimement regardé que, nommé par le roi, sous cette clause d’en jouir comme ses prédécesseurs, c’est-à-dire révocable à-volonté, le sieur Meynier avait pu être révoqué par le roi et qu’au surplus sa conduite avait nécessité sa révocation. Quant au sieur abbé d’Espelle, il était un des aumôniers de l’hôpital ; alors il y en avait 13 dans cette.maison. Ginqfurent supprimés, dont le sieur d’Espelle. Cette réforme fut un acte de justice; à cela quel crime y a-t-il donc? Et comment trouver dans cette destitution des traces de pouvoir arbitraire qui mérite réclamation? Il n’y en a pas sans doute. Aussi vos comités ont-il pensé que sur cet objet il n’y avait pas lieu à délibérer. Voici notre projet de décret : Art 1er. L’hôpital des Quinze-Vingts sera administré conformément à la loi du 5 novembre 1790. « Art. 2. Les administrateurs de ladite maison rendront compte de leur administration, en conformité de l’article 14 du même titre de la même loi. « Art. 3. Les administrateurs pourront en tout temps prendre connaissance des pièces justificatives des comptes par un conseil et sans déplacer. « Art 4. L’arrêt du conseil de 1786 ne contenant qu’une présentation des comptes offerts par le cardinal de Rohan tenu, en sa qualité d’administrateur, de rendre compte de sa gestion depuis le 31 décembre 1779 inclusivement, est renvoyé au département de Paris, lequel donnera sou avis pour être statué ce qu’il appartiendra. « Art. 5. Sur la pétition des sieurs Meynier, Laugier et d’Espelle, l’Assemblée déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. Martineau. Je vous avoue que le rapport que vous venez d’entendre a de quoi surprendre ceux qui ont quelque connaissance sur cette affaire; je n’ai rien à dire sur les trois premiers articles qui ne concernent que la régie et administration de l’hôpital des Quinze-Vingts actuellement établis dans l’ancien hôtel des Mousquetaires; mais sur les articles 4 et 5, j’ai peine à concevoir quels sont les motifs qui peuvent avoir déterminé votre comité. Quel est l’objet capital de cette affaire? C’est la vente de l’ancien enclos de Quinze-Vingts. L’hôpital a porté ses plaintes au Châtelet contre cette vente, contre tout le brigandage dont elle a été accompagnée, sa voix a été étouffée par un acte arbitraire, par une évocation au conseil. Il vient de paraître un mémoire des acquisitions, qui déclare qu’elles se sont montées à 6,500,000 livres. Combien a-t-il été versé au Trésor public? Quelle somme est restée dans les mains de M. le grand-aumônier? Combien de personnes ont pris part à ce brigaudage? Voilà ce