[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 janvier 1791.] avons besoin des jurés. Je demande que l’on passe à l’ordre du jour. M. Fréteau de Sainl-Just. Nous connaissons tous les malheureux événements d’Aix, et nous savons que les commissaires du roi n’ont pas encore pu reprendre toute l’autorité et toute l’énergie qu’ils doivent avoir pour faire exécuter les lois. Comment, dans ces circonstances, peut-on se refuser à une mesure aussi sage, aussi humaine que celle de prier le roi de donner des ordres pour faire vérifier les plaintes dont il s’agit, et faire traiter les prisonniers avec les égards que commaude la loi ? M. Rewbel. Il ne faut pas préjuger que les prisonniers d’Aix sont maltraités, jusqu’à ce que vous en soyez bien informés ; j’appuie la proposition de M. Chabroud, à condition que le décret sera rédigé de manière à ne pas improuver les municipalités. L'Assemblée, consultée, décrète ce qui suit : « L’Assemblée nationale, sur la dénonciation qui lui a été faite, que les personnes détenues dans les prisons d’Aix, de Toulon et de Marseille, en suite des derniers troubles qui ont eu lieu à Aix, se plaignent d’y être traitées avec dureté; « Décrète que le roi sera prié de donner des ordres pour que les plaintes dont il s’agit, soient vérifiées, et pour que tous les prisonniers soient traités avec les égards dus à l’humanité, et conformément à la loi. » M. de Biron demande un congé de quinze jours. L’Assemblée le lui accorde. L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret sur les jurés. La discussion s’ouvre sur le titre II relatif à la formation du tribunal criminel. M. Duport, rapporteur. Messieurs, la question sur laquelle vous avez actuellement à prononcer, est celle-ci. Y aura-t-il un seul tribunal criminel par département? L’affirmative forme le premier article du titre II de la formation du tribunal criminel. L’opinion publique agit avec d’autant plus de force, qu’elle est moins partagée; ce serait détruire son action que de trop multiplier les tribunaux, qui ont principalement besoin de sa surveillance. Si on établissait un tribunal criminel dans chaque district, il en résulterait aussi l’inconvénient de multiplier le nombre des accusateurs publics, d’affaiblir leur caractère, et de les rendre moins étrangers à toutes les affections locales : il y aurait une disproportion sensible entre le nombre des juges criminels, la nature de leurs fonctions et l’étendue de leur juridiction. Dans un district, il peut se passer plusieurs mois, et même une année entière, sans qu’il se présente une seule affaire criminelle. Il est impossible que des juges, qui exerceraient si rarement leurs fonctions, pussent acquérir une grande expérience... Enfin, il nous a semblé que c’était une vérité presque de sentiment, que celle de croire qu’il serait inconvenant de multiplier jusqu’au nombre de 550 les lieux où la liberté, l’honneur et la vie des citoyens sont mis en question... Une forme simple et modeste convient à la justice civile, mais elle ne convient pas à ces grands établissements qui doivent juger entre la société et les Individus... Je demande que la discussion se 343 borne à la question de savoir s’il y aura un seul tribunal criminel par département M. SBfilïat-Savarlifi. J’ai examiné avec la plus sévère attention le projet d’un seul tribunal criminel par département ; j’y ai trouvé des inconvénients majeurs et pas l’ombre d’un avantage. Le premier inconvénient que présente, à mes yeux, la proposition du comité de Constitution, est celui du déplacement des juge*. Si vous obligez les cinq juges de chaque district à aller successivement au chef-lieu du département pour y former le tribunal criminel, vous priverez successivement chaque district, pendant un certain temps, de ses juges ; ou bien il arrivera que les jugements criminels seront confiés à des suppléants de juges, c’est-à-dire à des hommes qui n’ont la confiance publique qu’au second ordre. Je ne parle pas des dépenses, mais je remarque que l’office des juges criminels, après le verdict du juré du jugement, se réduit à très peu de chose; que chaque affaire, l’une dans l’autre, ne leur emploiera pas plus d’un jour. Ainsi, en supposant qu’il y ait, par an, 60 affaires criminelles dans un département, on voit que les juges criminels ne seraient occupés que deux mois dans l’année... Un autre inconvénient, c’est celui du déplacement des témoins, éloignés souvent de 40 lieues du chef-lieu de leur département. Combien est-il de personnes à qui, soit à cause de leur âge, soit à cause de leurs infirmités, un pareil voyage serait impossible? L’inconvénient du déplacement des jurés sera bien plus grave, puisqu’ils ne seront pas payés. On vous propose d’appeler à la fonction de juré tous ceux qui payeront 10 livres d’imposition; mais dans les pays où les propriétés foncières payent le sixième, tel homme a 10 livres d’imposition et n’a que 60 livres de revenu, voulez-vous obliger cet homme à des déplacements? Parmi les jurés, il s’en trouvera beaucoup qui n’inspireront pas la confiance, qui seront récusés et rayés de la liste; les honnêtes gens seuls y resteront. L’éloignement du tribunal serait donc eu quelque sorte une taxe établie sur la probité. Comme les choses soumises au calcul de l’intérêt personnel font plus d'impression sur les hommes que les raisonnements et les vues d’utilié publique, les inconvénients que jevous indique donneront occasion de parler contre l’institution des jurés. J’ai été frappé, en lisant le rapport de votre comité, de ne voir dans la formation du tribunal criminel qu’un tribunal de district, puisque ce seront les juges de district qui iront successivement siéger à ce tribunal criminel; puisque nous n’y trouverons que les mêmes lumières que dans les tribunaux ne district; puisque ce seront les mêmes homme?, ce n’était pas la peine de faire voyager, à grands frais, les juges, les jurés et les témoins. Quand j’ai dit que le tribunal criminel ne sera autre chose qu’au tribunal de district, j’ai fait une grâce au plan du comité; car il est évident que les juges additionnels, qui compléteront ce tribunal, n’auront pas la confiance publique au même degré que les juges de district nommés avant eux, et préférés à eux pour composer les tribunaux de district ; et vous voulez que le peuple contie sa vie et son honneur à celui à qui il n’a pas voulu confier sa fortune!... N’ôtez-vous pas le plus grand de tous les avantages que vous avez voulu donner à l’accusé, celui d’être jugé par des hommes qui ont sa confiance? Ne