23 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [T juillet 1791.] (L’Assemblée renvoie au comité l’amendement de M. Goupil-Préfeln relatif aux doctrines immorales et ajourne la discussion de l’article 9 après celle des autres articles du projet de décret.) M. Démeunier, rapporteur , donne lecture de l’article 10, ainsi conçu : « Ceux qui seront prévenus d’avoir attenté publiquement aux mœurs, par outrage à la pudeur des femmes, par actions déshonnêtes, d’avoir favorisé la débauche, ou corrompu des jeunes gens de l’un ou l’autre sexe, par exposition et vente d’images obscènes, pourront être saisis sur-le-champ et conduits devant le juge de paix, lequel est autorisé à les faire retenir jusqu’à la prochaine audience de la police correctionnelle. » M. Pétion. Cet article est délicat, il renferme plusieurs points; et il en est sur lesquels je m'arrête un instant, et uniquement sous un rapport : c’est ce rapport qui peut prêter un peu à l’arbitraire. Personne, sans doute, n’est offensé plus que moi de certaines images que vous apercevez quelquefois exposées aux regards du public; mais en même temps il est difficile de mettre des limites bien exactes à ce genre de délit. Sous ce terme d’image obscène, il serait très facile sans doute d’empêcher beaucoup d’estampes qui, par exemple, servent de modèles à nos plus grands artistes, et qui sous un rapport, peuvent paraît e obscènes, et cependant ne le sont réellement pas. Je demande si le comité ne pourrait pas trouver des expressions qui rendissent ce que tout le monde aperçoit de répréhensible dans ces arts. M. Robespierre. Je ne vois pas que le comité puisse résoudre le problème proposé par M. Pétion; du moins je ne vois pas que l’on puisse substituer à l’épithète d’obscène une autre épithète moins viaie, et qui puisse moins donner lieu à l’arbitraire. J’adop'e cependant l’avis de M. Péticn, et j’y ajoute cette observation : c’cst que, si le législateur peut se mêler de la vente et de l’exposition des images, s’il peut la punir, il y a la même raison coœre les écrits obscènes et licencieux, il faut par conséquent attaquer ici la liberté de la presse. ( Murmures ironiques.) C’est sur un principe qu’il faut établir la loi; or, le principe est ici le même pour les communications des idées qui sont présentées au public, soit par la parole, soit par les écrits, soit par les usages des beaux-arts, tel que la gravure et la peinture. La loi doit être uniforme; et puisque cette loi porte sur le principe sacré de la liberté, je dis que pour faire une parei le loi il faut en approfondir le principe, il faut la considérer d’une manière générale, et ne point entamer sans cesse le principe par des lois partielles qui, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, portent atteinte à la liberté de publier ses pensées. Nous avons le droit de faire au comité de Constitution le reproche d'avoir sans cesse éludé la discussion solennelle et profonde de celle question, et de nous l’avoir toujours fait préjuger en détail par des articles partiels. Je conclus que dans ce moment l'Assemblée nationale ne doit point porter une loi sur ce que le comité appelle les images obscènes. M. le Président met aux voix l’article dans les termes suivants : Art. 10. « Ceux qui seront prévenus d’avoir attenté publiquement aux mœurs par outrage à la pudeur des femmes, par actions déshonnêtes, par exposition et vente d’images obscènes, d’avoir favorisé la débauche, ou corrompu des jeunes gens de l’un ou l’autre sexe, pourront être saisis sur-le-champ et conduits devant le juge de paix, lequel est autorisé à les faire retenir jusqu’à la prochaine audience de la police correctionnelle. » {Adopté.) M. Mon gins de Roquefort. Je demande s’il y a un article dans le Code pénal pour un tuteur qui séduirait sa pupille ? M. Le Pelletier-Saint-Fargeau. Il y a dans le Code pénal un article, une peine grave prononcée contre celui qui enlèverait une jeune fille de la maison de ses parents, soit pour la séduire, soit pour la prostituer. Le cas de la séduction de la pupille opérée par le tuteur ne se trouve pas dans le Code pénal, mais d’a rès l’observation du préopinant, comme ce délit-là me paraît très grave, on pourra l’y placer. M. Moreau. Et la séduction d’une pénitente par son confesseur, n’est-ce pas affreux?... M. Rémeunier, rapporteur , donne lecture de l’article 11, ainsi conçu : « Si le délit est prouvé, les coupables seront condamnés, selon la gravité des faits, à une amende de 50 à 500 livres, et à un emprisonnement qui ne pourra excéder 6 mois. S’il s’agit d’images obscènes, les estampes et les planches seront en outre confisquées et brisées. » M. de Dienzie. Je demande que M. Robespierre soit chargé de rédiger l’article. M. Démeunier, rapporteur. Certes, depuis longtemps, j’ai prouvé que je ne voulais répondre ni pour les comités, ni pour moi aux reproches, aux accusations, aux calomnies; ma conduite dans l’Assemblée pourra répondre. ( Applaudissements au centre ; murmures à V extrémité gauche.) Je passe donc à la seule observation nécessaire. Messieurs, il n’est pas un code où l’on ait employé d’autres expressions que le mot obscène, et fl n’est pas possible d’en employer d’autres. Le mot obscène est connu partout. Il ne s’agit point du tout de supprimer les nudités qui concernent les arts, et j’avertis l’Assemblée que, dans 1 église de Saint-Pierre de Rome, on voit des peintures représentant des personnages absolument, nus, qui ne paraissent à personne des sujets obcènes ; les juges ne s’y méprendront pas, et sauront bien distinguer les ob.ets auxquels doit s’appliquer cette qualification qui ne peut nullement être confondue avec la nudité servant aux arts. M. Buzot. Il est impossible de punir des mômes peines un homme qui aura corrompu des personnes de l’un et de l’autre sexe, et un homme qui aura vendu des images obscènes ; r’ed bien assez de condamner un marchand de 50 à 500 li-vi es d’amende, mais l’emprisonner encore six mois pour le faire périr de faim, et après en faire un mendiant, assurément il n’y a pas, entre cette peine-là et le délit, aucune espèce de proportion, surtout quand on la compare avec l’a Mre, d’avoir favorisé la débauche; et je crois qu’en effet, il faut absolument graduer les peines d’une manière au moins plus juste.