[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, jetés dans notre ville, avaient médité la mort de cfft infortuné. Nous étions nommés pour le juger, et, au moment où son innocence allait être reconnue, ces brigands l’on arraché de nos mains et l’ont assassiné. D’un autre côté, nous touchons au moment d’éprouver les horreurs de la famine ; il n’y a pas dans notre ville de quoi nourrir les habitants plus de douze jours. Menacés par des brigands, nous avons levé dans notre sein une milice composée de cinq à six cents jeunes gens déterminée; mais ils ne sont pas armés. Nous vous supplions dé nous faire donner des armes pour nous défendre, et de prévenir la disette dont notre ville est menacée. M. le Président, à la députation. L’ Assemblée nationale ne peut jamais douter que des Français ne soient de bons citoyens; elle a donc toujours cru que les habitants de Saint-Germain n’étaient pp coupables des torts que quelques gens malintentionnés leur avaient reprochés. ;Quantàla demande des armes, c’est au ministre de la province, Messieurs, que vous devez vous adresser, ainsi que pour l’approvisionnement de votre ville. Le comité des subsistances vacepen-dapt donner à ce dernier objet tous les soins qui peuvent dépendre de lui. M. le Président invite le bureau chargé du règlement, et celui de constitution, à s'assembler ce soir, et à donner à leur travail toute l’activité cpii est en leur pouvoir, afin qu’il puisse être promptement soumis à l’Assemblée. La séance est levée et renvoyée au 23. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 21 juillet 1789. PRÉLIMINAIRE DE LA CONSTITUTION. RECONNAISSANCE ET EXPOSITION RAISONNÉE Des droits de l'homme et du citoyen. — Lu les 20 et %\ juillet 1789, au comité de constitution , par M. l’abbé Sieyès (1). . Les représentants de la nation française, réunis en Assemblée nationale, reconnaissent qu’ils ont par leur mandats la charge spéciale de régénérer la constitution de TEtat. En conséquence, ils vont, à ce titre, exercer le, pouvoir constituant; et pourtant, comme la représentation actuelle n’est pas rigoureusement conforme à ce qu’exige une telle nature de pouvoir, ils déclarent que la constitution qu’ils vont donner à la nation, quoique provisoirement obli-gatoirepour tous, ne sera définitive qu’après qu’un nouveau pouvoir constituant, extraordinairement convoqué pour cet unique objet, lui aura donné un consentement que réclame la rigueur des principes. Les représentants de la nation française, exerçant dès ce moment les fonctions du pouvoir constituant : Considèrent que toute union sociale, et par ,tl) Ce documcai u’a été iaséré au Hju�tynr,. . [21 juillet 1789,] conséquent toute constitution politique, ne peut avoir pour objet que de manifester, d’étendre çjt d’assurer les droits dè l'homme et du citoyen. Us jugent donc qu’ils doivent d’abord s'aty**) cher à reconnaître ces droits; que leur exposition raisonnée doit précéder le plan de constitution, comme en étant le préliminaire indispensable, et que c'est présenter à toutes les cousU*:- tutions politiques l’objet ou le but que toutes, J sans distinction, doivent s’efforcer d’atteindre.1 En conséquence, les représentants delà nation , française Reconnaissent et consacrent, par une promulgation positive et solennelle, la déclaration suivante des droits de l'homme et du citoyen. i; Ses besoins et ses moyens, L’homme est, de sa nature, soumis à des besoins ; mais, de sa nature, il possède les moywt] d’y pourvoir. < Il éprouve dans tous les instants le désir du bien-être; mais il a reçu une intelligence, une volonté et une force : l’intelligence pour connaître, la volonté pour prendre une détermination, et la force pour l’exécuter. Ainsi le bien-être est le but de l’homme; ses facultés morales et physiques sont ses moyens personnels : avec eux il pourra s’attribuer ou se procurer tous les biens et les moyens extérieurs qui lui sont nécessaires. .■nu Comment 11 les exerce sur la nature. � s Placé au milieu de la nature, l’homme recueil ses dons; il les choisit, il les multiplie; il les péiiu fectionne par son travail : en môme temps il apprend à éviter , à prévenir ce qui peut lui nuire ; il se protège, pour ainsi dire, contre la’ nature avec les forces qu’il a reçues d’elle ; M ose môme la combattre; son industrie va toujours se perfectionnant, et l’on voit la puissance de l’homme, indéfinie dans ses progrès, asservir déplus en plus à ses besoins toutes les puissance*/ de la nature. i * Comment il peut les exercer sur ses semblables . Placé au milieu de ses semblables , il se sen$j pressé d’uue multitude de nouveaux rapports�? Les autres individus se présentent nécessaire� ment, ou comme moyens , ou comme obstacles ,,, Rien donc ne lui importe plus que ses rapport*) avec ses semblables. tj Si les hommes voulaient ne voir en eux quoo des moyens réciproques de bonheur, ils pourraient; occuper en paix la terre, leur commune habita*? tion, et ils marcheraient ensemble avec sécurité à leur but commun. >. Ce spectacle change, s’ils se regardent comme obstacles les uns aux autres: bientôt il ne leur reste que le choix entre fuir ou combattre sanal cesse. L’espèce humaine ne présente plus qu’une - grande erreur de la nature. j Deux sortes de relations entre les hommes. Les relations des hommes entre eux sont donc J d-e deux jjfe [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il juillet 1789.] 257 guerre, que la force seule établit, et celles qui naissent librement d’une utilité réciproque. Relations Illégitimes. Les relations qui n’ont d’origine que la force, sont mauvaises et illégitimes. Deux hommes, étant également hommes, ont, à un égal degré, tous les droits qui découlent de la nature humaine. Égalité de droits. Inégalité de moyens. Ainsi, tout homme est propriétaire de sa personne, ou nul ne l’est. Tout homme a le droit de disposer de ses moyens, ou nul n’a ce droit. Les moyens individuels sont attachés par la nature aux besoins individuels. Celui qui est chargé des besoins, doit donc disposer librement des moyens. Ce n’est pas seulement un droit, c’est un devoir. Il existe, il est vrai, de grandes inégalités de moyens parmi les hommes. La nature fait des forts et des faibles; elle départ aux uns une intelligence qu’elle refuse aux autres. Il suit qu’il y aura entr’eux inégalité de travail, inégalité de produit, inégalité de consommation ou de jouissance; mais il ne suit pas qu’il puisse y avoir inégalité de droits. Tous ayant un droit découlant de la même origine, il suit que celui qui entreprendrait sur le droit d’un autre, franchirait les bornes de son propre droit; il suit que le droit de chacun doit être respecté par chaque autre, et que ce droit et ce devoir ne peuvent pas ne pas être réciproques. Donc le droit du faible sur le fort est le même que celui du fort sur le faible. Lorsque le fort parvient à opprimer le faible, il produit effet sans produire obligation. Loin d’imposer un devoir nouveau au faible, il ranime en lui le devoir naturel et impérissable de repousser l’oppression. C'est donc une vérité éternelle, et qu’on ne peut trop répéter aux hommes, que l’acte par lequel le fort tient le faible sous son joug, ne peut jamais devenir un droit ; et qu’au contraire l’acte par lequel le faible se soustrait au joug du fort, est toujours un droit, que c’est un devoir toujours pressant envers lui-même. Relations légitimes. Il faut donc s’arrêter aux seules relations qui puissent légitimement lier les hommes entre eux, c’est-à-dire à celles qui naissent d’un engagement réel. 11 n’y a point d’engagement, s’il n’est fondé sur la volonté libre des contractants. Donc, point d’association légitime, si elle ne s’établit sur un contrat réciproque, volontaire et libre de la part des co-associés. Puisque tout homme est chargé de vouloir pour son bien, il peut vouloir s’engager envers ses semblables, et il le voudra, s’il juge que c’est son avantage. L’état social, suite du droit naturel. Il a été reconnu plus haut que les hommes peuvent beaucoup pour le bonheur les uns des autres. Donc une société fondée sur l’utilité réciproque est véritablement sur la ligne des moyens naturels qui se présentent à l’homme pour le conduire à son but ; donc cette union est un Ve série, t, vin. avantage, et non un sacrifice, et l’ordre social est comme une suite, comme un complément de l’ordre naturel. Ainsi, lors même que toutes les facultés sensibles de l’homme ne le porteraient pas d’une manière très-réelle et très-forte, quoique non encore éclaircie, à vivre en société, la raison toute seule l’y conduirait. Objet de runioii sociale. L’objet de l’union sociale est le bonheur des associés. L’homme, avons-nous dit, marche constamment à ce but; et certes, il n’a pas prétendu en changer , lorsqu’il s’est associé avec ses semblables. Donc l’état social ne tend pas à dégrader, à avilir les hommes, mais au contraire à les ennoblir, à les perfectionner. Donc la société n’affaiblit point, ne réduit pas les moyens particuliers que chaque individu apporte à l’association pour son utilité privée ; au contraire, elle les agrandit, elle les multiplie par un plus grand développement des facultés morales et physiques ; elle les augmente encore par le concours inestimable des travaux et des secours publics: de sorte que, si le citoyen paye ensuite une contribution à la chose publique, ce n’est qu’une sorte de restitution ; c’est la plus légère partie du profit et des avantages qu’il en tire. Donc l’état social n’établit pas une injuste inégalité de droits à côté de l’inégalité naturelle des moyens; au contraire, il protège l’égalité des droits contre l’infiuence naturelle, mais nuisible, de l’inégalité des moyens. La loi sociale n’est point faite pour affaiblir le faible et fortifier le fort; au contraire, elle s’occupe de mettre le faible à l’abri des entreprises du fort; et couvrant de son autorité tutélaire l’aniversalité des citoyens, elle garantit à tous la plénitude de leurs droits. L’état social favorise et augmente la liberté. Donc l’homme, entrant en société, ne fait pas le sacrifice d’une partie de sa liberté : même hors du lien social, nul n’avait le droit de nuire à un autre..Ce principe est vrai dans toutes les positions où l’on voudra supposer l’espèce humaine : le droit de nuire n’a jamais pu appartenir à la liberté. Loin de diminuer la liberté individuelle, l’état social en étend et en assure Dusage ; il en écarte une foule d’obtacles et de dangers, auxquels elle était trop exposée, sous la seule garantie d’une force privée, et il la confie à la garde toute-puissante de l’association entière. Ainsi puisque, dans l'état social, l’homme croît en moyens moraux et physiques, et qu’il se soustrait eh même temps aux inquiétudes qui en accompagnaient l’usage, il est vrai de. dire que la liberté est plus pleine et plus entière dans l’ordre social, qu’elle ne peut l’être dans l’état qu’on appelle de nature. La liberté s’exerce sur des choses communes , et sur des choses propres. La propriété de sa personne est le premier des droits. De ce droit primitif découle la propriété des actions et celle du travail , car le travail u’est que l’usage utile de ses facultés; il émane évidemment de la propriété de lu personne et des actions. La propriété des objets extérieurs, ou la prq-17 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]21 juillet 1789.] 2o8 priélé réelle, n’est pareillement qu’une suite et comme une extension de la propriété personnelle. L’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, le fruit que nous mangeons, se transforment en notre propre substance, par l’effet d’un travail involontaire ou volontaire de notre corps. Par des opérations analogues, quoique plus dépendantes de la volonté, je m’approprie un objet qui n’appartient à personne, et dont j’ai besoin, par un travail qui le modifie, qui le prépare à mon usage. Mon travail était à moi ; il l’est encore : l’objet sur lequel je l’ai fixé, que j’en ai investi, était à moi comme à tout le monde; il était même à moi plus qu’aux autres, puisque j’avais sur lui, de plus que les autres, le droit de premier occupant. Ces conditions me suffisent our faire de cet objet ma propriété exclusive.' 'état social y ajoute encore, par la force d’une convention générale, une sorte de consécration légale ; et l’on a besoin de supposer ce dernier acte, pour pouvoir donner au mot propriété toute l’étendue du sens que nous sommes accoutumés à y attacher dans nos sociétés policées. Les propriétés territoriale s sont la partie la plus importante de la propriété réelle. Dans leur état actuel, elles tiennent moins au besoin personnel qu’au besoin social; leur théorie est différente : ce n’est pas ici le lieu de la présenter-Étendue de la liberté, — Ses limites. Celui-là est libre, qui a l’assurance de n’être point inquiété dans l’exercice de sa propriété personnelle, et dans l’usage de sa propriété réelle. Ainsi tout citoyen a le droit de rester, d’aller, dépenser, de parler, d’écrire, d’imprimer, de publier, de travailler, de produire, de garder, de transporter, d’échanger et de consommer, etc. Les limites de la liberté individuelle ne sont placées qu’au point où elle commencerait à nuire à la liberté d’autrui. C’est à la loi à reconnaître ces limites et à les marquer. Hors de la loi, tout est libre pour tous : car l’union sociale n’a pas seulement pour objet la liberté d’un ou de plusieurs individus, mais la liberté de tous. Une société dans laquelle un homme serait plus ou moins libre qu’un autre, serait, à coup sûr, fort mal ordonnée ; elle cesserait d’étre libre; il faudrait la reconstituer. Rapports des engagements avec la liberté. Il semble au premier aspect que celui qui contracte un engagement, perd une partie de sa liberté. Il est plus exact de dire qu’au moment où il contracte, loin d’être gêné dans sa liberté, il l’exerce ainsi qu’il lui convient; car tout engagement est un échange où chacun aime mieux ce qu’il reçoit que ce qu’il donne. Tant que dure l’engagement, sans doute il doit en remplir les obligations : la chose engagée n’est plus à lui; et la liberté, avons-nous dit, ne s’étend jamais jusqu’à nuire à autrui. Lorsqu’un changement de rapports a déplacé les limites dans lesquelles la liberté pouvait s’exercer, la liberté n’en est pas moins entière, si la nouvelle position n’est que le résultat du ehoix que l’on a fait. Garantie de la liberté. Vainement déclarerait-on que la liberté est le droit inaliénable de tout citoyen; vainement la loi prononcerait-elle des peines contre les infracteurs, s’il n’existait, pour maintenir le droit et pour faire exécuter la loi, une force capable de garantir l’un et l’autre. La garantie de la liberté ne sera bonne que quand elle sera suffisante, et elle ne sera suffisante que quand les coups .qu’on peut lui porter, seront impuissants contre la force destinée à la défendre. Nul droit n’est complètement assuré, s’il n’est protégé par une force relativement irrésistible. La liberté individuelle a, dans une grande société, trois sortes d’ennemis à craindre. Les moins dangereux sont les citoyens malé-voles. Pour les réprimer, il suffit d’une autorité ordinaire. Si justice n’est pas toujours bien faite en ce genre, ce n’est pas faute d’une force coercitive relativement suffisante ; c’est plûtôt parce que la législation est mauvaise et le pouvoir judiciaire mal constitué. II sera remédié à ce double inconvénient. La liberté individuelle a beaucoup plus à redouter des entreprises des officiers chargés d’exercer quelques-unes des parties du pouvoir public. De simples mandataires isolés, des corps entiers, le gouvernement lui-même en totalité, peuvent cesser de respecter les droits du citoyen. Une longue expérience prouve que les nations ne se sont pas assez précautionnées contre cette sorte de danger. Quel spectacle que celui d’un mandataire qui tourne contre ses concitoyens les armes ou le pouvoir qu’il a reçus pour les défendre, et qui, criminel envers lui-même, envers la patrie, ose changer en instrument d’oppression les moyens qui lui ont été confiés pour la protection commune ! Une bonne constitution de tous les pouvoirs publics est la seule garantie qui puisse préserver les nations et les citoyens de ce malheur extrême. La liberté enfin peut être attaquée par un ennemi étranger. De là le besoin d’une armée. Il est évident qu’elle est étrangère à l’ordre intérieur, qu’elle n’est créée que dans l’ordre des relations extérieures. S’il était possible, en effet, qu’un peuple restât isolé sur la terre, ou s’il devenait impossible aux autres peuples de l’attaquer, n’est-il pas certain qu’il n’aurait nullement besoin d’armée ? La paix et la tranquillité intérieures exigent, à la vérité, une force coercitive, mais-d’une nature absolument différente. Or, si l’ordre intérieur, si l’établissement d’une force coercitive légale peuvent se passer d’armée, il est d’une extrême importance que là où est une armée, l’ordre intérieur en soit tellement indépendant, que jamais il n’y ait aucune espèce de relation entre l’un et l’autre. Il est donc incontestable que le soldat ne doit jamais être employé contre le citoyen, et que l’ordre intérieur de l’Etat doit être tellement établi, que, dans aucun cas, dans aucune circonstance possible, on n’ait besoin de recourir au pouvoir militaire, si ce n’est contre l’ennemi étranger. Autres avantages de l’état social. Les avantages qu’on peut retirer de l’état 60- cial ne se bornent pas à la protection efficace et complète de la liberté individuelle; les citoyens ont droit encore à tous les bienfaits de l’associa- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juillet 1789.] 9 lion. Ces bienfaits se multiplieront à mesure que l’ordre social profitera des lumières que le temps, l’expérience et les réflexions répandront dans l’opinion publique. L’art de faire sortir tous les biens possibles de l’état de société, est le premier et le “plus important des arts. Une association combinée pour le plus grand bien de tous, sera le chef-d’œuvre de l’intelligence et de la vertu. Personne n’ignore que les membres de la société retirent les plus grands avantages des propriétés publiques, des travaux publics. On sait que ceux des citoyens qu’un malheureux sort condamne à l’impuissance de pourvoir à leurs besoins, ont de justes droits aux secours de leurs concitoyens, etc. On sait que rien n’est plus propre à perfectionner l’espèce humaine, au moral et au physique, qu’un bon système d’éducation et d'instruction publique. On sait qu’une nation forme avec les autres peuples, des relations d’intérêts qui méritent de sa part une surveillance active, etc. Mais ce n’est pas dans la déclaration des droits qu’on doit trouver la liste de tous les biens qu’une bonne constitution peut procurer aux peuples. Il suffit ici de dire que les citoyens en commun ont droit à tout ce que l’Etat peut faire en leur faveur. Les fins de la société étant ainsi rappelées, il est clair que les moyens publics doivent s’y proportionner, qu’ils doivent s’augmenter avec la fortune et la prospérité nationales. L’ensemble de ces moyens, composé de personnes et de choses, doit s’appeler l’établissement public, afin de rappeler davantage son origine et sa desiination. L’établissement public est une sorte de corps politique qui, ayant, comme le corps de l’homme, des besoins et des moyens, doit être organisé à peu près de la même manière. Il faut le douer de la faculté de vouloir et de celle d'agir. Le pouvoir législatif représente la première, et le pouvoir exécutif représente la seconde de ces deux facultés. Le gouvernement se confond souvent avec l’action ou l’exercice de ces deux pouvoirs ; mais ce mot est plus particulièrement consacré à désigner le pouvoir exécutif ou son action. Rien n’est plus commun que d’entendre dire : On doit gouverner suivant la loi ; ce qui prouve que le pouvoir de faire la loi est distinct du gouvernement proprement dit. Le pouvoir actif se subdivise en plusieurs branches. C’est à la constitution à suivre cette analyse. Ce que e’est que la constitution. La constitution embrasse à la fois la formation et l’organisation intérieures des différents pouvoirs publics, leur correspondance nécessaire, et leur indépendance réciproque. Enfin, les précautions politiques dont il est sage de les entourer, afin que toujours utiles, ils ne puissent jamais se rendre dangereux. Tel est le vrai sens du mot constitution ; il est relatif à l’ensemble et à la séparation des pouvoirs publics. Ce n’est point la nation que l’on constitue, c’est son établissement politique. La nation est l’ensemble des associés, tous gouvernés, tous soumis à la loi, ouvrage de leur volonté, tous égaux en droits, et libre sdans leurs communications et dans leurs engagements respectifs. Les gouvernants, au contraire, forment, sous ce seul rapport, un corps politique de création sociale. Or tout corps a besoin d’être organisé, limité, etc., et par conséquent d’être constitué. Ainsi, [jour le répéter encore une fois, la constitution d’un peuple n’est et ne peut être que la constitution de son gouvernement et du pouvoir chargé de donner des lois, tant au peuple qu’au gouvernement. Une constitution suppose avant tout un pouvoir constituant. Les pouvoirs compris dans l’établissement public sont tous soumis à des lois, à des règles, à des formes, qu’ils ne sont point les maîtres de changer. Pouvoir constituant et pouvoirs constitués. Gomme ils n’ont pas pu se constituer eux-mêmes, ils ne peuvent pas non plus changer leur constitution ; de même ils ne peuvent rien sur la constitution les uns des autres. Le pouvoir constituant peut tout en ce genre. Il n’est point soumis d’avance à une constitution donnée. La nation qui exerce alors le plus grand, le plus important de .ges pouvoirs, doit être dans cette fonction, libre de toute contrainte, et de toute forme, autre que celle qu’il lui plaît d’adopter. Mais il n’est pas nécessaire que les membres de la société exercent individuellement le pouvoir constituant; ils peuvent donner leur confiance à des représentants qui ne s’assembleront que pour cet objet, sans pouvoir exercer eux-mêmes aucun des pouvoirs constitués. Au surplus, c’est au premier chapitre du projet de constitution qu’il appartient d’éclairer sur les moyens de former et de réformer toutes les parties d’une constitution. Droits civils. Droits politiques. Nous n’avons exposé jusqu’à présent que les droits naturels et civils des citoyens. Il nous reste à reconnaître les droits politiques. La différence entre ces deux sortes de droits consiste en ce que les droits naturels et civils sont ceux pour le maintien et le développement desquels la société est formée; et les droits politiques, ceux par lesquels la société se forme. Il vaut mieux, pour la clarté du langage, appeler les premiers, droits passifs , et les seconds, droits actifs. Citoyens passifs. Citoyens aetifs. Tous les habitants d’un pays doivent y jouir des droits de citoyen passif: tous ont droit à la protection de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, etc. , mais tous n’ont pas droit à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics; tous ne sont pas citoyens actifs. Les femmes, du moins dans l’état actuel, les enfants, les étrangers, ceux encore qui ne contribueraient en rien à soutenir l’établissement public, ne doivent point influer activement sur la chose publique. Tous peuvent jouir des avantages de la société ; mais ceux-là seuls qui contribuent à l’établissement public, sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale. Eux seuls sont les véritables citoyens actifs, les véritables membres de l’association. L’égalité des droits politiques est un principe fondamental. Elle est sacrée, comme celle des droits civils, De l’inégalité des droits politiques 260 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. sortiraient bientôt les privilèges. Le privilège est, ou dispense d’une charge commune, ou octroi exclusif d’un bien commun. Tout privilège est donc injuste, odieux et contradictoire au vrai but de la société. La loi étant un instrument commun, ouvrage d’une volonté commune, ne peut-avoir pour objet que l’intérêt commun. Une société ne peut avoir qu’un intérêt général. Il serait impossible d’établir l’ordre, si l’on prétendait marcher à plusieurs intérêts opposés. L’ordre social suppose nécessairement unité de but, et concert de moyens. Une association politique est l’ouvrage de la volonté unanime des associés. Son établissement public est le résultat de la volonté de la pluralité des associés. On sent bien que l’unanimité étant une chose très-difficile à obtenir dans une collection d’hommes tant soit peu nombreuse, elle devient impossible dans une société de plusieurs millions d’individus. L’union sociale a ses fins ; il faut donc prendre les moyens possibles d’y arriver-, il faut donc se contenter de la pluralité. Mais il est bon d’observer qu’alors même il y a une sorte d’unanimité médiate ; car, ceux qui unanimement ont voulu se réunir pour jouir des avantages de la société, ont voulu unanimement tous les moyens nécessaires pour se procurer ces avantages. Le choix seul des moyens est livré à la pluralité; et tous ceux qui ont leur vœu à prononcer, conviennent d’avance de s’en rapporter toujours à cette pluralité. De là deux rapports sous lesquels la pluralité se substitue, avec raison, aux droits de l’unanimité. La volonté générale est donc formée par la volonté de la pluralité. Tout pouvoir, toute autorité viennent du peuple. Tous les pouvoirs publics, sans distinction, sont une émauationde la volonté générale; tous viennent du peuple, c’est-à-dire de la nation. Ces deux termes doivent être synonymes. Toute fonction publique est, non une propriété, mais une commission. Le mandataire public, quelque soit son poste, n’exerce donc pas un pouvoir qui lui appartienne en propre, c’est le pouvoir de tous; il lui a été seulement confié; il ne pouvait pas être aliéné, car la volonté est inaliénable, les peuples sont inaliénables ; le droit de penser, de vouloir et d’agir pour soi est inaliénable; on peut seulement en commettre l’exercice à ceux qui ont notre confiance ; et cette confiance a pour caractère essentiel d’être libre. C’est donc une grande erreur de croire qu’une fonction publique puisse jamais devenir la propriété d’un homme; c’est une grande erreur de prendre l’exercice d’un pouvoir public pour un droit , c’est un devoir. Les officiers delà nation n’ont au-dessus des autres citoyens que des devoirs de plus; et qu’on ne s’y trompe pas, nous sommes loin, en prononçant (jette vérité, de vouloir déprécier le caractère d’homme public. C’est l’idée d’un grand devoir à remplir, et par conséquent d’une grande utilité pour les autres, qui fait naître et justifie les égards et le respect que nous portons aux hommes en place. Aucun de ces sentiments ne s’élèverait dans des âmes libres, à l’aspect de ceux qui ne se distingueraient que par des droits, c’est-à-dire [21 juillet 1789.[ qui ne réveilleraient en nous que l’idée de leur intérêt particulier. Ici peut se terminer l’exposition raisonnée des droits de l’homme et du citoyen, que nous avons voulu offrir à la nation française, et que nous nous proposons à nous-mêmes, pour nous servir de guide dans l’ouvrage de la constitution auquel nous allons nous livrer. Mais, afin que ces droits éternels soient connus de tous ceux à qui ils appartiennent, etqu’ils puissent être plus aisément retenus, nous en présentons à toutes les classes de citoyens, la partie la plus essentielle en résultats faciles à saisir, dans la forme suivante : Art. 1er. Toute société ne peut être que l’ouvrage libre d’une convention entre tous les associés. Art. 2. L’objet d’une société politique ne peut être que le plus grand bien de tous. Art. 3. Tout homme est seul propriétaire de sa personne; et cette propriété est inaliénable. Art. 4. Tout homme est libre dans l’exercice de ses facultés personnelles, à la seule condition de ne pas nuire aux droits d’autrui. Art. 5. Ainsi, personne n’est responsable de sa pensée, ni de ses sentiments; tout homme a le droit de parler ou de se taire; nulle manière de publier ses pensées et ses sentiments, ne doit être interdite à personne; et en particulier, chacun est libre d écrire, d’imprimer ou de faire imprimer ce que bon lui semble, toujours à la seule condition de ne pas donner atteinte aux droits d’autrui. Enfin, tout écrivain peut débiter ou faire débiter ses productions, et il peut les luire, circuler librement tant par la poste, que par toute autre voie, sans avoir jamais à craindre aucun abus de confiance. Les lettres eu particuliier doivent être sacrées pour tous les intermédiaires qui oe trouvent entre celui qui écrit, et celui à qui il écrit. Art. 6. Tout citoyen est pareillement libre d'employer ses bras," son industrie et ses capitaux, ainsi qu’il le juge bon et utile à lui môme. Nul genre de travail ne lui est interdit. Il peut fabriquer et produire ce qui lui plaît, et comme il lui plaît; il peut garder ou transporter à son gré toute espèce de marchandises, et les vendre en gros ou en détail. Dans ces diverses occupations, nul particulier, nulle association n’a le droit de le gêner, à plus forte raison de l’empêcher. La loi seule peut marquer les bornes qu’il faut donner à cette liberté comme à toute autre. Art. 7 .Tout homme est pareillement le maître d’aller ou de rester, d’entrer ou de sortir, et même de sortir du royaume, et d’y rentrer quand et comme bon lui semble. Art. 8. Enfin, tout homme est le maître de disposer de son bien, de sa propriété, et de régler sa dépense ainsi qu’il le juge à propos. Art. 9. La liberté, la propriété et la sécurité des citoyens doivent reposer sur une garantie sociale supérieure à toutes les atteintes. Art. 10. Ainsi, la loi doit avoir à ses ordres une force capable de réprimer ceux des simples citoyens qui entreprendraient d’attaquer les droits de quelque autre. Art. il. Ainsi, tous ceux qui sont chargés de faire exécuter les lois, tous ceux qui exercent quelque autre partie de l’autorité ou d’un pouvoir public, doivent être dans l’impuissance d’attenter à la liberté des citoyens. Art. 12. Ainsi, l’ordre intérieur doit être tellement établi et servi par une force intérieure et légale, qu’on n’ait jamais besoin de requérir le secours dangereux du pouvoir militaire. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juillet 1789.] 261 Art. 13. Le pouvoir militaire n’est créé, n’existe, et ne doit agir que dans l’ordre des relations politiques extérieures. Ainsi, le soldat ne doit jamais être employé contre le citoyen. H ne peut être commandé que contre l’ennemi extérieur. Art. 14. Tout citoyen est également soumis à la loi, et nul n’est obligé d’obéir à une autre autorité que celle de la loi. Art. 15. La loi n’a pour objet que l’intérêt commun; elle ne peut donc accorder aucun privilège à qui que ce soit; et s’il s’est établi des privilèges, ils doivent être abolis à l’instant, quelle qu’en soit l'origine. Art. 16. Si les hommes ne sont pas égaux en moyens , c’est adiré en richesses, en esprit, en force, etc., il ne suit pas qu’ils ne soient pas tous égaux en d?-oits. Devant la loi, tout homme en vaut un autre; elle les protège tous sans distinction. Art. 17. Nul homme n’est plus libre qu’un autre. Nul n’a plus de droit à sa propriété, qu’un autre n’en peut avoir à la sienne. Tous doivent jouir de la même garantie et de la même sécurité. Art. 18. Puisque la loi oblige également les citoyens, elle doit punir également les coupables. Art. 19. Tout citoyen appelé ou saisi au nom de la loi, doit obéir à l'instant, il se rend coupable par la résistance. Art. 20. Nul ne doit être appelé en justice, saisi et emprisonné, que dans les cas prévus, et dans les formes déterminées par la loi. Art. 21. Tout ordre arbitraire ou illégal est nul. Celui ou ceux qui l’ont demandé, celui ou ceux qui l’ont signé sont coupables. Ceux qui le portent, qui l’exécutent ou le font exécuter, sont coupables. Tous doivent être punis. Art. 22. Les citoyens contre qui de pareils ordres ont été surpris, ont le droit de repousser la violence parla violence. Art. 23. Tout citoyen a droit à la justice la plus prompte, tant pour sa personne que pour sa chose. Art. 24. Tout citoyen a droit aux avantages communs qui peuvent naître de l’état de société. Art. 25. Tout citoyen qui est dans l’impuissance de pourvoir à ses besoins, a droit aux secours de ses concitoyens. Art. 26. La loi ne peut être que l’expression de la volonté générale. Chez un grand peuple, elle doit être l’ouvrage d’un corps de représentants choisis pour un tempscourt, médiatement ou immédiatement par tous les citoyens qui ont à la chose publique intérêt avec capacité. Ces deux qualités ont besoin d’être positivement et clairement déterminées par la constitution. Art. 27. Nul ne doit payer de contribution que celle qui a été librement votée par les représentants de la nation, Art. 28. Tous les pouvoirs publics viennent du peuple, et n’ont pour objet que l’intérêt du peuple. Art. 29. La constitution des pouvoirs publics doit être telle, que toujours actifs, toujours propres à remplir leur destination, ils ne puissent jamais s’en écarter au détriment de l’intérêt social. Art. 30. Une fonction publique ne peut jamais devenir la propriété de celui qui l’exerce; son exercice n’est pas un droit, mais un devoir. Art. 31. Les officiers publics, dans tous les genres de pouvoir, sont responsables de leurs ré-varications et de leur conduite. Le Roi seul doit être excepté de cette loi. Sa personne est toujours sacrée et inviolable. Art. 32. Un peuple a toujours le droit de revoir et de réformer sa constitution. U est même bon de déterminer des époques fixes, où cette révision aura lieu, quelle qu’en soit la nécessité. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE DUC DE LIANCOURT. Séance du jeudi 23 juillet 1789 au matin (1). La séance estouverte par la lecture d’une adresse des communes de Bordeaux, accompagnée de 5,000 signatures et d’une adhésion de 90 électeurs de la même ville. On lit diverses autres adresses des citoyens de Riom, de Sancoins en Nivernais, de la commune du Havre, et des citoyens négociants des diverses provinces du royaume, assemblés en foire à Beaucaire. Toutes ces adresses expriment des sentiments de respect, de confiance envers l’Assemblée nationale, et annoncent les résolutions et les dispositions les plus patriotiques. La noblesse du Maine et celle delà municipalité de Dombes ont envoyé à leurs députés les pouvoirs les plus illimités. M. le Président fait lecture de plusieurs lettres qu’il a reçues de diverses villes qui demandent des secours pour dissiper des troupes de brigands qui, sous prétexte de la disetle des grains, infestent le pays et causent des soulèvements. 11 donne communication de la réponse qu’il fait à ces différentes demandes, en anonçant que le Roi a donné des ordres et pris des mesures pour assurer à ces villes la tranquillité publique. M. le Président fait lecture d’un avis qui lui a été envoyé par le ministre, et qui lui annonce que des grains venus de Barbarie par les soins de M. Necker, pour l’approvisionnement de Paris, sont arrivés jusqu’à Montlhéry, toujours escortés par des troupes; il demande qu’attendu que les troupes ont été retirées depuis Montlhéry jusqu’à Paris, ou prenne des moyens pour faire arriver ces grains de ce poste jusqu’à Paris, en les faisant escorter par des milices nationales. M. le président ajoute qu’il a fait passer cet avis du ministre à M. le marquis de Lafayette. On a annoncé et introduit une députation de la ville de Chartres. M. Parent, portant la parole, a dit: Nosseigneurs, la nation française, attentive à toutes les opérations et aux démarches que vous dicte votre sagesse éclairée, n’a pas besoin de vous engager à continuer les pénibles travaux qu’exige le but qui vous a rassemblés. Elle sait avec quelle confiance elle peut s’en rapporter à votre activité vigilante et à votre dévouement patriotique; elle sait que la révolution heureuse qui se prépare ne sera due qu’à votre zèle et à votre fermeté: (1) Celte séance est i icomp'él© au Moniteur.