BAILLIAGE DE SÉZ ANNE. CAHIER Des doléances , plaintes et remontrances du clergé des bailliages de Sémnne et Châtillon (1). Empressés de seconder les vues bienfaisantes de Sa Majesté, qui appelle autour de son trône ses fidèles sujets, pour être éclairée sur leurs véritables intérêts, redresser les griefs de la nation entière, assurer la prospérité du royaume au dedans et au dehors, rendre à chaque citoyen sa liberté civile, établir l’égalité nécessaire pour le bonheur de ses sujets ; Désirant concourir au bien général dans l'assemblée indiquée des Etats, où la nation va montrer sa force et son énergie, pour remédier à d’anciens abus, et abolir toute forme d’administration préjudiciable à la félicité publique, présentons a l’assemblée des Etats les plaintes et doléances suivantes. CHAPITRE PREMIER. L’ordre du clergé demande que la religion catholique, apostolique et romaine continue toujours à être la seule dominante dans tout le royaume, et que l’exercice public de toute autre soit sévèrement proscrit et défendu. Que la sanctification des dimanches et fêtes soit mieux observée ; que la décence et la modestie soient mieux gardées dans les temples ; qu’in-jonction soit faite aux officiers de police de faire observer plus exactement les ordonnances rendues à cet égard. Que Sa Majesté sera suppliée très-humblement d’accorder aux évêques la permission de s’assembler en conciles nationaux, provinciaux, et synodes, trop longtemps négligés, comme seuls capables de procurer la restauration de la discipline ecclésiastique, tant dans le clergé séculier que dans le clergé régulier; et de supprimer les assemblées du clergé comme inutiles et trop dispendieuses. Qu’il y ait, dans tout le royaume, une uniformité dans les prières publiques, par conséquent même catéchisme, même missel, même bréviaire, même rituel, même chant, même pour les chapitres et les ordres religieux ; que toutes les fêtes patronales soient célébrées le même jour par tout le royaume. Réclament fimmunité des personnes ecclésiastiques, soit dans l’ordre civil, soit dans l’ordre ecclésiastique, de sorte qu’aucune ne puisse jamais être arrêtée par les juges d’église ou civils, sans avoir été entendue. Que l’ordre de Malte soit assujetti aux mêmes charges et payement de la portion congrue comme tout le clergé du royaume ; que ses privi-viléges et immunités ne soient pas plus étendus que ceux de l’Église. Que les religieux privilégiés soient assujettis au payement de la dîme, comme tous les proprié-tairesfonciers. (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. Que les dîmes inféodées soient également assujetties aux mêmes charges que les dîmes ecclésiastiques, conjointement et proportionnellement avec elles, et par conséquent, suppression de tous les privilèges des dîmes inféodées à cet égard. Que les églises succursales et annexes soient érigées en titre de cure, chaque peuple ayant droit d’avoir son pasteur, puisqu’il fournit, pour sa subsistance, une partie de ses revenus et de ses travaux. Que les portions congrues soient élevées à la somme de 1,500 livres pour les cures de campagne au-dessous dedeux cents feux, de 2,000 livrespour les paroisses au-dessus, et de 2,400 livres pour les cures des villes : lesquelles sommes, à prendre sur les dîmes de chaque paroisse, seront représentatives d’une rente de 93 septiers de froment, mesure de Paris, pour les 1,500 livres, et 124 septiers pour les 2,000 livres, et 148 septiers pour les 2,4001ivres, en appréciant ieseptier de blé 16 livres, lesquelles rentes ne pourront jamais, sous aucun prétexte, être érigées en nature, et pour lesquelles on ne pourra demander aucune augmentation pendant l’espace de dix années. Après la neuvième année expirée, il sera fait une nouvelle estimation du prix des grains sur celui des trois années précédentes, laquelle estimation durera encore dix ans, et ainsi de suite, de neuf années en neuf années. Les portions congrues des vicaires augmentées en proportion de celles de leurs curés respectifs, c’est-à-dire que la portion congrue de chaque vicaire sera la moitié de celle de son curé. En conséquence, le casuel supprimé, comme avilissant un ministère spirituel qui doit être exercé gratuitement conformément aux canons de l’Eglise, aux lois du royaume, notamment à l’article 15 de l’ordonnance des États d’Orléans. Que le seigneur Roi soit supplié de supprimer quelques bénéfices en commende, pour affecter le tiers franc à l’augmentation des portions congrues dans les paroisses où la dîme ne serait pas suffisante, pour doter celles des villes où il n’existe point de dîmes, pour aussi indemniser leschapitres et autres établissements publics dont les revenus seraient notablement diminués par l’accroissement desdites portions congrues; que les revenus desdites commendes soient administrés par un bureau établi dans chaque diocèse où les curés seront appelés. Qu’il ne soit point effectué de réunion de bénéfices consistoriaux qu’avec connaissance de I causes et le concours de la commission intermé-I diaire des Etats généraux. j Qi’"' soit ordonné une révision des ordres sup-, primbL de l’emploi des revenus et biens provenant ü3 ladite suppression, et que les sommes I restantes soient appliquées à l’usage qui sera jugé 1 le plus utile au bien général. Que la moitié des canonicats de cathédrale et . collégiale, soit affectée à tout prêtre qui aura exercé pendant quinze ans les fonctions du ministère. Les bénéfices titrés devant être la récompense 763 [États gén. 1789. Cahiers, 1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Sézanne.] du travail et du mérite, demande que les curés aient le droit d’y prétendre, et l’assurance d’y parvenir. Qu’il soit assuré à tout ecclésiastique occupé dans le ministère, qui, par maladie ou infirmité, ne pourrait plus remplir aucune fonction, une pension alimentaire qui puisse le faire subsister où il jugera à propos de se retirer. Demande que tout bénéficier, dont le revenu équivaudra à la portion congrue, soit à la résidence, pour empêcher la pluralité des bénéfices, et procurer le bien des lieux de leur résidence. La suppression des notaires apostoliques, les actes publics ecclésiastiques permis aux notaires royaux ; les mises en possession accordées aux doyens ruraux et aux archiprêtres, comme il se pratique en plusieurs diocèses. Qu’il soit pourvu à l’éducation gratuite des pauvres de la campagne, en affectant une somme prise sur les fabriques dans les paroisses où elle est suffisamment dotée, et établir des bourses dans les collèges et séminaires des villes épiscopales pour des enfants pauvres, en qui on reconnaîtrait des talents. CHAPITRE II. Administration. - Le clergé des bailliages de Sézanne et Ghâtillon demande le retour périodique des Etats généraux, comme seuls capables de consentir les lois, d’accorder les impôts, de remédier aux désordres des finances et de les prévenir, regardant comme la source du bonheur public une constitution sage qui autorise une nation à discuter elle-même ses plus chers intérêts. Les Etats généraux ne pouvant réformer tous les abus, redresser tous les griefs dans une seule tenue, quelque longue qu’on la suppose, observe qu’il serait à propos, qu’avant de se séparer, on déterminât les questions qui seraient traitées dans les Etats suivants, afin que toutes les vues particulières, tournées vers les mêmes objets, puissent donner à la nation le résultat de l’opinion publique. Une commission intermédiaire des Etats généraux, toujours subsistants, composée des députés des provinces, chargée du dépôt des lois communes à la nation, et de tous ses rapports avec son souverain, dont la formation et la régénération sera déterminée par les Etats généraux. Que le tiers-état aura toujours, dans les Etats généraux, un nombre de députés égal aux deux autres ordres. Que les ordres travailleront ensemble, et que les voix seront comptées par tête. Que toutes les provinces seront mises en pays d’Etats, et le nombre des membres qui les composeront, fixé, pour les trois ordres, dans la même proportion que celle qui vient d’être réglée pour les Etats actuellement convoqués. Constater les revenus de l’Etat, ses charges, ses dettes, avant de consentir aucun impôt. Affecter une somme déterminée pour les pensions; examiner les titres de celles qui existent, afin que l’Etat ne soit pas surchargé de dépenses inutiles; supprimer les acquits de comptant,’ parce qu’ils n’énoncent pas les raisons qui justifient l’emploi* ; ; Consentir une égale répartition des impôts pour tous les ordres, et en proportion chacun de sa fortune. Le clergé se fait une gloire de voter cette égalité, et de renoncer à ses privilèges à cet égard, persuadé que l’ordre de la noblesse ne témoignera pas moins d’empressement à faire ce sacrifice. Mais l’ordre du clergé réclame pour l’ordre de la noblesse, comme pour le sien, la conservation et la confirmation des prérogatives personnelles, et des propriétés attachées aux deux premiers ordres de l’Etat. Exempter de toutes impositions les seuls biens appartenant aux hôpitaux, qui, par leur fondation, tournent à l’avantage des pauvres citoyens, et dont l’exemption vient en accroissement pour leur soulagement. La liquidation des dettes du clergé, en les confondant avec celles de l’Etat ; le clergé, contribuant à l’acquit de celles de l’Etat, doit être libéré de celles qu’il a contractées pour venir à son secours. Le clergé, faisant le sacrifice de tous ses privilèges pécuniaires en faveur de l’Etat, demande à rentrer dans la classe commune des autres citoyens propriétaires, pour la confection de ses baux, et à n’être plus sujet au droit d’amortissement. Qu’il ne soit permis aucun abonnement particulier pour les impôts aux corps, provinces, ou communautés et particuliers, de quelque condition qu’ils soient. L’aliénation des domaines pour un temps limité, attendu qu’étant mal cultivés pour la plupart, ils ne produisent pas les revenus qu’on pourrait en attendre, et que, d’ailleurs, les frais de régie en absorbent la plus forte partie. La subvention territoriale représentative detous les impôts sur les biens, comme l’imposition la plus certaine et la plus égale. Assujettir à un impôt quelconque et proportionnel les fortunes cachées, consistant en billets, lettres de change et autres effets commerça-bles. Suppression totale des aides et gabelles. > Renvoi des douanes et barrières aux confins du royaume, gardés en tout temps par les soldats invalides. La suppression de tous les couriers employés à la perception de tous les différents droits, procurera, par la cessation de leurs gages, un bénéfice considérable à l’Etat et au commerce : nombre de bras, par là, deviendront utiles. Pour prévenir les années de disette, établir des greniers publics dans les lieux de marchés, qui se rempliront dans les années d’abondance, et qui ne se videront que pour les besoins du peuple, ou pour le renouvellement des grains. Encourager et récompenser l’agriculture ; faire une loi sage qui obvie aux dégâts que cause la trop grande quantité de gibier. Abolir la mendicité dans tout le royaume; que chaque paroisse occupe et nourrisse ses pauvres, en formant un fonds de charité pour venir à leur secours. Qu’il y ait, dans les saisons mortes, des ateliers de chari'té dans chaque paroisse pour occuper les pauvres munouvriers. Que le pauvre, qui n’a que sa chaumière pour tout bien, soit exempt d’imposition. L’abolition des lettres de cachet. Rendre la liberté aux nègres dans les îles. CHAPITRE III. De la justice. Que les parlements ne soient plus que des cours souveraines de justice ; que toutes leurs fonctions soient réduites à juger, en dernier ressort, les causes civiles et criminelles; qu’il soit établi des cours souveraines dans chaque province, Que les présidiaux jugent, en dernier ressort, 764 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Sézanne.' dans toute matière civile, jusqu’à 4,000 livres, sans aucune évocation à un autre tribunal. Suppression des tribunaux d’exception, comme bureaux des finances, traites foraines, greniers à sel, eaux et forêts, et élection, comme préjudiciables au Roi et à ses sujets. Un arrondissement du ressort des différents tribunaux, qui rapproche la justice des justiciables. Un nouveau code civil et criminel, où les formes des procédures soient simplifiées. Supprimer cette jurisprudence connue dans toutes les cours sous le nom de jurisprudence du palais, qui rend les véritables lois muettes, et qui préjudicie autant aux parties qu’elle est contraire à la justice. Fixer un temps limité aux juges pour terminer les affaires, motiVer les sentences et arrêts, tant au civil qu’au criminel. Accorder aux criminels des avocats, pendant toute l’instruction du procès. Oter la vénalité des charges de judicature, et commettre, pour rendre la justice, des jurisconsultes qui s’en seront rendus dignes par leurs talents et leur intégrité. Supprimer les lettres de committimus , même pour les personnes attachées au service de la cour. Lecture faite de tous et un chacun des articles ci-dessus, examen et discussion faits, et délibération prise, ils ont été généralement approuvés et admis. Ce fait, l’assemblée a été indiquée au vendredi 20 du présent, neuf heures du matin. Signé Melet, président, et Seraine, secrétaire. CAHIER De la noblesse des bailliages de Sézanne et de Châlillon-sur-Marne réunis , remis à M. le marquis DE PleüRRE, maréchal de camp , bailli d'épée , député ; en cas d’empêchement , M. Devil-LlERS DE LA BERGE, conseiller au parlement , député subrogé (1). AVERTISSEMENT. La noblesse a fait tout ce qui a dépendu d’elle pour engager l’ordre du tiers-état à se réunir avec le clergé et avec elle, pour travailler en commun et ne former qu’un seul cahier ; il lui a été impossible d’amener le tiers-état à cette heureuse réunion; il a voulu travailler seul et séparément, ce qui a forcé les deux autres ordres à faire de même. Le tiers-état , pressé par les ouvrages de la campagne, a marqué l’empressement le plus vif de retourner à ses travaux ; en sorte que pour toutes les opérations, procès-verbaux , rédaction des cahiers des trois ordres et élections des députés, il n’v a eu que six jours, l’assemblée générale des' trois ordres ayant été ouverte le 1G mars et terminée le 21 du même mois. L’assemblée de l’ordre de la noblesse était composée de trente-sept membres, dont un s’est retiré durant les séances, et n’a pas assité à la clôture. Noms des commissaires : MM. de Pleurre ; de Mezières ; Duval ; de Mari court, secrétaire; Devilliers de la Berge; Le (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé delà Bibliothèque du Sénat. Dieu de Ville ; L’Espagnol, chevalier de Saint-Quentin; de Lantage; Le Cordelier des Fourneaux. CAHIER De la noblesse des bailliages de Sézanne et de Châtillon-sur-Marne. CHAPITRE PREMIER. Articles généraux. Art. 1er. Exprimer au Roi la reconnaissance respectueuse de sa noblesse des bailliages de Sézanne et de Châtillon-sur-Marne, pour le bienfait signalé que Sa Majesté a accordé à la nation, en la rappelant à ses droits et à sa constitution légitime. Art. 2. Assurer sa propre existence, en telle sorte qu’il soit hors du pouvoir des ministres de dissoudre l’assemblée des Etats généraux avant qu’elle ait fini le grand ouvrage auquel elle doit travailler. Art. 3. Qu’il soit passé en loi constitutive et fondamentale, que les Etats s’assembleront périodiquement au plus tard, pour la première fois, dans trois ans, sans qu’il soit besoin de nouvelle convocation ; et prescrire, à cet effet, aux baillis le temps où ils seront tenus de faire procéder à la formation des cahiers et aux élections. Art. 4.. Assurer la liberté individuelle de tous les membres composant l’assemblée. Art. 5. Ces préliminaires remplis, s’occuper des grands objets généraux ;en conséquence : 1° statuer que la liberté individuelle de tous soit inviolable, et que nul n’en puisse être privé par lettres de cachet, ordres supérieurs ou autrement, que par ordonnance du juge compétent ; et que, dans tous les cas, il sera interrogé dans les vingt-quatre heures, et incontinent renvoyé par-devant son juge naturel ; 2° que le|secrétaire d’Etat qui aura contre-signé de pareils ordres en réponde en son propre et privé nom, qu’il puisse être, pour raison de ce, actionné dans les cours, soit par celui contre qui il les aura décernés, soit par les veuves; enfants et héritiers, et en icelles, être poursuivi, soit par la voie civile, soit par la voie criminelle, jusqu’à jugement de condamnation ou absolution ; 3° l’exécution stricte des lois concernant les évocations ; 4° l’abolition absolue et entière des commissions en matière criminelle, et la restriction des commissions en matière civile au seul cas où toutes parties intéressées se réuniraient pour en demander une ; 5° la réformation de la justice, l’abréviation des procédures civiles, la diminution des frais occasionnés surtout par l’excès des impôts auxquels elles sont assujetties, et la restriction des ressorts ; 6° la réformation du code pénal. Art. 6. Examiner et constater le montant net des revenus du Roi, les besoins réels de chaque département, les causes et l’étendue du déficit annoncé. Art. 7. Examiner les titres des créanciers de l’Etat, consolider la dette légitime, proscrire tout ce qui est usuraire, peut-être meme en cas d’excès à cet égard, faire rapporter ce qui a été indûment payé. Art. 8. Supprimer tous les impôts généraux, et principalement ceux qui pèsent uniquement sur le tiers-état; les remplacer par un seul ou plusieurs autres qui seront consentis généralement et également répartis par l’assemblée des Etats généraux ; entendant la noblesse que les offres 764 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Sézanne.' dans toute matière civile, jusqu’à 4,000 livres, sans aucune évocation à un autre tribunal. Suppression des tribunaux d’exception, comme bureaux des finances, traites foraines, greniers à sel, eaux et forêts, et élection, comme préjudiciables au Roi et à ses sujets. Un arrondissement du ressort des différents tribunaux, qui rapproche la justice des justiciables. Un nouveau code civil et criminel, où les formes des procédures soient simplifiées. Supprimer cette jurisprudence connue dans toutes les cours sous le nom de jurisprudence du palais, qui rend les véritables lois muettes, et qui préjudicie autant aux parties qu’elle est contraire à la justice. Fixer un temps limité aux juges pour terminer les affaires, motiVer les sentences et arrêts, tant au civil qu’au criminel. Accorder aux criminels des avocats, pendant toute l’instruction du procès. Oter la vénalité des charges de judicature, et commettre, pour rendre la justice, des jurisconsultes qui s’en seront rendus dignes par leurs talents et leur intégrité. Supprimer les lettres de committimus , même pour les personnes attachées au service de la cour. Lecture faite de tous et un chacun des articles ci-dessus, examen et discussion faits, et délibération prise, ils ont été généralement approuvés et admis. Ce fait, l’assemblée a été indiquée au vendredi 20 du présent, neuf heures du matin. Signé Melet, président, et Seraine, secrétaire. CAHIER De la noblesse des bailliages de Sézanne et de Châlillon-sur-Marne réunis , remis à M. le marquis DE PleüRRE, maréchal de camp , bailli d'épée , député ; en cas d’empêchement , M. Devil-LlERS DE LA BERGE, conseiller au parlement , député subrogé (1). AVERTISSEMENT. La noblesse a fait tout ce qui a dépendu d’elle pour engager l’ordre du tiers-état à se réunir avec le clergé et avec elle, pour travailler en commun et ne former qu’un seul cahier ; il lui a été impossible d’amener le tiers-état à cette heureuse réunion; il a voulu travailler seul et séparément, ce qui a forcé les deux autres ordres à faire de même. Le tiers-état , pressé par les ouvrages de la campagne, a marqué l’empressement le plus vif de retourner à ses travaux ; en sorte que pour toutes les opérations, procès-verbaux , rédaction des cahiers des trois ordres et élections des députés, il n’v a eu que six jours, l’assemblée générale des' trois ordres ayant été ouverte le 1G mars et terminée le 21 du même mois. L’assemblée de l’ordre de la noblesse était composée de trente-sept membres, dont un s’est retiré durant les séances, et n’a pas assité à la clôture. Noms des commissaires : MM. de Pleurre ; de Mezières ; Duval ; de Mari court, secrétaire; Devilliers de la Berge; Le (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé delà Bibliothèque du Sénat. Dieu de Ville ; L’Espagnol, chevalier de Saint-Quentin; de Lantage; Le Cordelier des Fourneaux. CAHIER De la noblesse des bailliages de Sézanne et de Châtillon-sur-Marne. CHAPITRE PREMIER. Articles généraux. Art. 1er. Exprimer au Roi la reconnaissance respectueuse de sa noblesse des bailliages de Sézanne et de Châtillon-sur-Marne, pour le bienfait signalé que Sa Majesté a accordé à la nation, en la rappelant à ses droits et à sa constitution légitime. Art. 2. Assurer sa propre existence, en telle sorte qu’il soit hors du pouvoir des ministres de dissoudre l’assemblée des Etats généraux avant qu’elle ait fini le grand ouvrage auquel elle doit travailler. Art. 3. Qu’il soit passé en loi constitutive et fondamentale, que les Etats s’assembleront périodiquement au plus tard, pour la première fois, dans trois ans, sans qu’il soit besoin de nouvelle convocation ; et prescrire, à cet effet, aux baillis le temps où ils seront tenus de faire procéder à la formation des cahiers et aux élections. Art. 4.. Assurer la liberté individuelle de tous les membres composant l’assemblée. Art. 5. Ces préliminaires remplis, s’occuper des grands objets généraux ;en conséquence : 1° statuer que la liberté individuelle de tous soit inviolable, et que nul n’en puisse être privé par lettres de cachet, ordres supérieurs ou autrement, que par ordonnance du juge compétent ; et que, dans tous les cas, il sera interrogé dans les vingt-quatre heures, et incontinent renvoyé par-devant son juge naturel ; 2° que le|secrétaire d’Etat qui aura contre-signé de pareils ordres en réponde en son propre et privé nom, qu’il puisse être, pour raison de ce, actionné dans les cours, soit par celui contre qui il les aura décernés, soit par les veuves; enfants et héritiers, et en icelles, être poursuivi, soit par la voie civile, soit par la voie criminelle, jusqu’à jugement de condamnation ou absolution ; 3° l’exécution stricte des lois concernant les évocations ; 4° l’abolition absolue et entière des commissions en matière criminelle, et la restriction des commissions en matière civile au seul cas où toutes parties intéressées se réuniraient pour en demander une ; 5° la réformation de la justice, l’abréviation des procédures civiles, la diminution des frais occasionnés surtout par l’excès des impôts auxquels elles sont assujetties, et la restriction des ressorts ; 6° la réformation du code pénal. Art. 6. Examiner et constater le montant net des revenus du Roi, les besoins réels de chaque département, les causes et l’étendue du déficit annoncé. Art. 7. Examiner les titres des créanciers de l’Etat, consolider la dette légitime, proscrire tout ce qui est usuraire, peut-être meme en cas d’excès à cet égard, faire rapporter ce qui a été indûment payé. Art. 8. Supprimer tous les impôts généraux, et principalement ceux qui pèsent uniquement sur le tiers-état; les remplacer par un seul ou plusieurs autres qui seront consentis généralement et également répartis par l’assemblée des Etats généraux ; entendant la noblesse que les offres [Bailliage de Sézanne,J 765 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. qu’elle fait à la nation ne puissent être acceptées que par la nation même assemblée en Etats généraux et pour le temps qu’elle aura déterminé. ’/'/Art. 9. Supprimer cette foule de droits, tant généraux que locaux, aussi multipliés qu’onéreux, comme les gabelles que le Roi a nommées lui-même désastrueuses, les aides fatigantes pour le peuple, et les traites si nuisibles à la libre circulation du commerce ; et que tous ces droits, qui pèsent sur le peuple de si près, soient remplacés par quelque droit unique , s’il est possible, de la plus facile perfection et la moins onéreuse. Que cette foule de bureaux, de commis et de barrières, marques de la servitude, disparaissent et laissent le voyageur parcourir en liberté ce vaste royaume. Art. 10. Balancer les impôts, de manière que l’agriculture écrasée soit soulagée ; et que les capitalistes, banquiers, négociants, marchands, artistes et tous ceux exerçant des professions libérales et lucratives qui, jusqu’ici, se sont soustraits aux impôts, en supportent le fardeau avec les propriétaires fonciers et rentiers ordinaires qui, jusqu’à présent, l’ont supporté seuls. Art. 11. Simplifier l’impôt et sa perception autant qu’il sera possible. Art. 12. Quenuls princes, seigneurs, corps, communautés ou provinces, nepuissents’abonner pour . l’impôt, mais soient tenus de le payer comme il aura été imposé, sauf, en cas desurtaxe, à se pourvoir, ainsi et comme le décideront les Etats généraux, et jamais au conseil. Art. 13. Qu’aucun impôt ne soit établi que pour un temps limité, passé lequel il ne pourra être exigé, sous peine dé mort, contre ceux qui entre ¬ prendraient de le percevoir. Art. 14. Que les dépenses de chaque département, y compris celles de la maison du Roi, seront invariablement fixées; et que les ministres de chacun d’eux seront responsables à la nation assemblée de l’emploi des fonds. Art. 15. Faire un examen sérieux des pensions, des motifs sur lesquels elles ont été accordées, pour retrancher celles qui l’auraient été mal à propos, et restreindre celles qui seraient trop considérables. Art. 16. Demander que les domaines du Roi soient déclarés aliénables ; le supplier d’en ordonner l’aliénation irrévocable, pour le prix en être appliqué au payement de la dette nationale et prévenir par ces moyens l’abus de la mauvaise administration des domaines, les échanges frauduleux et accroître les revenus de l’Etat. Charger les acquéreurs desdits domaines, à quelque titre que ce soit, d’acquitter les charges et redevances, tant anciennes que nouvelles, dont lesdits domaines auraient été grevés envers les villes, communautés et particuliers, en produisant par eux les titres de leurs prétentions, soit que ces charges subsistent encore ou que le domaine s’en soit emparé par succession de temps ; les anciens propriétaires auraient le même droit. Art. 17. Demander que les droits de domaine, dont on est parvenu à faire une science, soient réduits à la plus grande simplicité, de façon que celui qui paye le droit le connaisse aussi facilement que celui qui le perçoit. Art. 18. Demander l’aliénation irrévocable des maisons royales inhabitées, et la suppression des gouvernements et états desdites maisons. Art. 19. Que le nombre des princes, qui assurent la stabilité du trône et font l’ornement et la gloire de la nation, ne soit pas pour elle une surcharge et une vraie ruine, par les apanages immenses qu’on leur forme ; et, qu’à l’avenir, il ne soit plus donné d’apanages, sauf à la nation, lorsqu’un fils de France sera parvenu à l’âge de quinze ans révolus, à lui assurer un état de maison convenable à sa dignité et à la splendeur de sa naissance. Art. 20. Demander la suppression de toutes les capitaineries, sauf les plaisirs personnels de Sa Majesté, si elle le désire, et de la manière la moins nuisible à l’agriculture, sans toucher aux droits de propriété. Art. 21. Demander la suppression des charges, offices et tribunaux inutiles, et la réunion aux tribunaux ordinaires des matières dont la connaissance leur est attribuée. Art. 22. Demander, non la suppression totale, mais la réduction raisonnable des droits de com-mittimus ; en sorte qu’on ne jouisse de ce droit qu’aux conditions qui l’ont fait accorder, c’est-à-dire, d’un service indispensable et réel. Art. 23. Que chaque année, tout comptable soit tenu de rendre ses comptes au vrai, aux chambres des comptes, de sa gestion de l’année précédente, s’il est possible, à moins que les Etats généraux n’indiquent d’autres moyens. Que les acquits de comptant soient absolument rejetés, ne puissent servir de pièces justificatives desdits comptes, et qu’en conséquence, les gardes du trésor royal soient forcés en recette jusqu’à concurrence du montant d’iceux, et contraints par corps à payer ledit montant, et leurs comptes rendus publics par la voie de l’impression. Art. 24. Que tous les gouverneurs, lieutenants généraux et autres officiers, ayant dans les provinces des états et traitements, y remplissent leurs fonctions, et y résident au moins neuf mois de l’année. S’ils n’ont que des titres et appointements sans fonctions réelles et continues, c’est une déprédation véritable, une surcharge pour les peuples; demander la suppression desdits titres et états. Art. 25. Que tous les intendants de province soient supprimés. Art. 26. Demander la suppression du Concordat, des annates et de tous objets qui font sortir l’argent du royaume pour Rome. Art. 27. Que tous les archevêques et évêques ne puissent posséder plusieurs bénéfices, non plus que les abbés et prieurs commendataires, et que les uns et les autres soient tenus de résider dans leurs bénéfices respectifs, au moins neuf mois de l’année, sans pouvoir s’en dispenser sous prétexte d’affaires ou de fonctions à la cour. Les Etats généraux invités à pourvoir, par leur sagesse, à l’exécution de cet article. Art. 28. Que les bénéfices des diocèses soient donnés en préférence aux diocésains, et que chaque enfant d’un diocèse ait droit, s’il est jugé capable, d’y requérir un bénéfice avant tout étranger, même gradué. Demander une loi précise pour fixer les règles à suivre à cet égard. Art. 29. Supprimer, comme très-onéreuse à la classe la plus indigente du peuple, toutes les confréries, et désigner un dimanche pour la célébration de toutes les fêtes patronales de chaque diocèse audit et même jour. Art. 30. Qu’on ne multiplie pas au delà du besoin et par faveur le nombre de maréchaux de France, au détriment de cette grande dignité, et à la surcharge du royaume, par les traitements qu’il faut leur faire pour en soutenir l’éclat. Art. 31. Qu’on laisse éteindre cette foule d’officiers généraux, qui ne peuvent être employés en aucun temps, et au plus grand nombre des- 766 [États gên. 1789. Cahiers.] quels il faut aussi des retraites ou traitements vraiment onéreux au royaume. Louis XIY et Louis XV, dans le temps de leurs plus grandes guerres, n’en avaient pas la moitié de ce qu’il y en a aujourd’hui. Art. 32. Que les fréquents changements dans le militaire, résultant des opinions toujours vacillantes du ministre et du dispendieux conseil de la guerre, étant extrêmement fatigants pour les troupes, ruineux pour Poflicier et dégoûtant pour le soldat, ces abus soient supprimés. Art. 33. La liberté de la presse avec les modifications jugées convenables par les Etats généraux. Art. 34. Demander la diminution considérable des charges qui anoblissent. Art. 35. Demander l’exécution des anciennes et nouvelles lois concernant le port d’armes. CHAPITRE II. Articles communs aux trois ordres du bailliage de Sézanne. Art. 1er. Demander qu’il soit rétabli dans la province de Champagne, dont le bailliage de Sézanne fait partie, des Etats provinciaux, pour que tous les citoyens puissent faire entendre leurs plaintes et griefs, connaître la force de l’impôt et se mettre à l’abri de son extension arbitraire. Art. 2. Que la nation elle-même détermine la forme et l’organisation de ces Etats. Art. 3. Demander la réformation de la coutume de Meaux. Art. 4. Le bailliage de Sézanne, dans une étendue d’environ vingt lieues, n’est traversé par aucune rivière ni grandes routes, n’a point de débouchés ; d’où il résulte que tout y est dans l’inertie, et que des terres immenses et stériles, qui produiraient si elles étaient cultivées, restent sans culture. Le Roi a depuis longtemps ordonné l’ouverture d’une route d’Allemagne à Vitry-le-François par Sézanne. La volonté du Roi a toujours été éludée par les intérêts particuliers ; cette route a déjà coûté des sommes très-considérables, tous les ponts sont faits, et elle est la plus courte, avantage précieux pour le commerce ; et dans le cas où il faudrait porter promptement des troupes sur le Rhin, elle vivifierait un pays immense. Les intérêts particuliers intriguent pour empêcher que cet établissement, dont les avantages sont incalculables, soit mis à sa fin. Charger les députés d’obtenir l’intervention de la nation, pour qu’il ne soit fait aucune route dans la province de Champagne avant que celle-là soit finie. Art. 5. Demander qu’il soit pris en considération qu’une partie du bailliage de Sézanne, couverte de deux grandes forêts et d’une chaîne considérable de grands bois pendant l’espace de six lieues, éloignée de onze lieues des maréchaussées, dans un pays presque désert et livré à des brigands dangereux, soit protégé par une brigade de maréchaussée qui soit rétablie, soit à la Ferté-Gaucher, où elle a déjà été, soit à Courgivaux. Art. 6. Demander que dans les bailliages de Sézanne et de Châtillon, il soit ouvert des ateliers de charité, surtout dans les temps de calamité. Art. 7. Il existe à Sézanne un chapitre royal, sous le titre de Saint-Nicolas, dont les douze bénéfices sont à la nomination du Roi. Ce chapitre est utile à la ville et nécessaire, pour que les fidèles puissent satisfaire aux exercices de religion ; mais comme ce chapitre est trop pauvre, que sa principale dotation consiste dans un droit [Bailliage de Sézanne.] de minage d’un vingt-huitième par boisseau de grain , la crainte de payer ce droit écarte du marché de Sézanne les marchands, et par conséquent nuit infiniment au commerce. Demander la conservation dû chapitre et la suppression du droit de minage. Sa Majesté peut indemniser de cette suppression le chapitre, sans frais, en y réunissant à perpétuité un bénéfice dont le. produit net soit du double au moins de la valeur du droit de minage. Par cette opération, si la nomination du Foi est diminuée d’une abbaye ou d’un prieuré, elle se trouvera enrichie par l’amélioration des douze canonicats qui sont également à sa nomination. Art. 8. Demander qu’il soit pris des moyens efficaces pour abolir la mendicité et purger l’Etat des vagabonds. CHAPITRE III. § 1er-Clergé. Demander la conservation des prérogatives honorifiques du clergé, divisé en deux classes : l’une trop riche, l’autre trop pauvre. Améliorer l’état de cette dernière par la suppression de quelques monastères ou bénéfices en commende, et celui de la plupart des pasteurs, qui n’ont pas de bénéfices suffisants pour y vivre avec décence, remplir leurs intentions charitables, et gratuitement les fonctions de leur ministère à la décharge du peuple. § 2. Noblesse. Art. 1er. Demander que l’assemblée nationale donne la reconnaissance des prérogatives de rang, d’honneur et de dignité qui doivent appartenir particulièrement à l’ordre de la noblesse, et qu î font partie de la constitution de la monarchie française. Art. 2. Solliciter les Etats généraux de prendre en considération la noblesse pauvre, qui a si peu de moyens et de ressources pour subsister, élever et placer ses enfants. §3. Le tiers-état. Demander la suppression de bénéfices inutiles-, que les hôpitaux, maisons de charité et écoles publiques soient multipliés et améliorés à l’avantage du pauvre peuple. (Signé de tous. les membres de l’ordre de la noblesse le 21 mars 1789.) COPIE Des pouvoirs du représentant de la noblesse des bailliages de Sézanne et de Châtillon - sur - Marne (1). 1 ° Il conférera avec les autres députés de la noblesse -, il tâchera de connaître les vues les plus générales de la noblesse française ; il fera les plus grands efforts pour que les délibérations se fassent par ordre et non par tête. Si l’opinion contraire prévaut, il protestera. 2° Il se pénétrera de l’esprit et de l’ordre du cahier, à l’effet surtout que les délibérations des (1) M. le marquis de Pleurre, maréchal de camp, bailli d’épée de Sézanne, député pour la noblesse. M. Devilliers de la Berge, conseiller au parlement, député subrogé. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Sézanne.] 767 Etats soient prises de manière qu’il ne soit délibéré sur aucun objet de finance, d’impôt ou d’emprunt, avant que le retour périodique des Etats, leur organisation pour l’avenir, la liberté individuelle des citoyens, leurs propriétés et la responsabilité des ministres soient irrévocablement assurées, et que les privilèges honorifiques de la noblesse soient maintenus et conservés. ( Signé de tous les membres de la noblesse, le 21 mars 1789. CAHIER Des plaintes et doléances de l'ordre du tiers-état des bailliages de Sézanne et Châtillon. Nota. Ce cahier manque aux Archives de l’Empire. Nous l’insérerons dans le Supplément qui terminera le recueil des cahiers, si nous parvenons à le retrouver dans les archives du département de la Marne.