139 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. U6 avril 1791.J vriers, sur tous les sergents indistinctement de chacune desdites compagnies, également à dater de leur nomination. (Adopté.) Art. 5. (Décrété pour les autres troupes de ligne.) «• Le choix aura lieu dans les régiments sur tous les sergents du même régiment, et il sera fait par tous les officiers ayant 25 ans d’âge, et par les officiers supérieurs, à la majorité absolue des suffrages. (Particulier à l'artillerie.) « Dans les compagnies de mineurs en temps de paix, parmi tous les sergents desdites compagnies, et en temps de guerre, parmi tous les sergents de chacune des compagnies ; il sera fait par tous les officiers de ces compagnies ayant 25 ans d’âge, et parle commandant d'artillerie, à la j majorité absolue des suffrages. « Dans les compagnies d’ouvriers, parmi les sergents de la compagnie où l’emploi sera vacant, il sera fait par les officiers de ladite compagnie ayant 25 ans d’âge, et par le directeur de l’arsenal ou le directeur du parc, à la majorité absolue des suffrages. (Adopté.) Art. 6. (Idem.) « Quant aux autres places de seconds lieutenants, elles seront données à ceux qui auront été reçus élèves. (Adopté.) Art 7. Nomination aux places d'élèves. (Idem.) « Nul ne pourra être reçu élève du corps de l'artillerie, qu’il n’ait subi les examens qui seront prescrits pour l’admission au service, et ceux qui sont particuliers à l’école de l’artillerie. (Adopté.) Art. 8. Rang des élèves. (Idem.) « Les élèves du corps de l’artillerie auront rang de sous-lieutenants. (Adopté.) Art, 9. (Idem.) « Les élèves du corps de l’artillerie, après avoir satisfait aux examens particuliers à ce corps (lesquels seront conservés ou modifiés, s’il y a lieu) parviendront aux emplois de seconds lieutenants, suivant le rang qu’ils auront obtenu par ces examens. (Adopté.) Art. 10. Nomination aux emplois de premiers lieutenants. (Décrété pour les autres troupes de la ligne.) * Les seconds lieutenants parviendront, à leur tour d’ancienneté dans le régiment, dans la compagnie de mineurs ou d’ouvriers dont ils font partie, aux emplois de premier lieutenant. (Adopté.) Art. 11. Nomination aux emplois de capitaine. (Particulier à l'artillerie.) « Les premiers lieutenants, sans aucune exception, parviendront, en temps de paix, à leur tour d'ancienneté sur tout le corps, aux emplois de capitaine. « A la guerre, les officiers rouleront jusqu’au grade de capitaine commandant inclusivement dans le régiment ou bataillon, dans la compagnie des mineurs ou d’ouvriers, à laquelle ils sont attachés. (Adopté.) Art. 12. Nomination aux places de quartiers-maîtres. (Décrété pour les autres troupes de la ligne.) « Les quartiers-maîtres seront choisis par les conseils d’administration, à la pluralité des suffrages. (Adopté.) Art. 13. (Idem.) « Les quartiers-maîtres pris parmi les sous-officiers, auront le rang de seconds lieutenants ; ils conserveront leur rang, s’ils sont pris parmi les officiers. (Adopté.) Art. 14. (Idem.) « Les quartiers-maîtres suivront leur avancement dans les différents grades, pour le grade seulement, ne pouvant jamais être titulaires, ni avoir de commandement, mais jouissant en gratification, et par supplément d’appointements, de ceux attribués aux différents grades où les portera leur ancienneté. (Adopté.) Art. 15. Nomination aux emplois de lieutenants-colonels. (Idem.) « On parviendra du grade de capitaine à celui de lieutenant-colonel, par ancienneté, et par le choix du roi, ainsi qu’il va être expliqué. » M. le Président. La parole est à M. de Thi-boutot. M. de Thiboutot. Messieurs, il n’est aucune arme dont le service n’ait ses avantages et se3 désavantages; mais votre intention est, sans doute, de les proportionner les unes aux autres dans toutes celles qui composent l’état militaire. Vous venez de décréter l’organisation de l’artillerie, et vous avez cru devoir, non seulement doubler exactement le grade subalterne de capitaine dans les régiments de cette arme, quoiqu’il n’ait été doublé dans aucun des régiments d’infanterie et de cavalerie; mais même réduire à 9 le nombre de ses officiers généraux, et à 108 celui de ses officiers supérieurs, quoiqu’elle parût être fondée à réclamer 10 officiers généraux et 160 officiers supérieurs, pour être traitée, à ces deux égards, comme le corps du génie. 140 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 avril 1791.] Si vous n’avez voulu l'assimiler avec aucune arme, avec aucun corps de l’armée, lorsqu’il a été question des avantages auxquels elle pouvait peut-être prétendre comme eux, pourriez-vous vouloir l’assimiler avec eux, lorsqu’il est question du plus grand désavantage que puisse éprouver son service? On vous propose, Messieurs, d’autoriser les ministres du roi à y nommer à leur choix, et sans égard à l’ancienneté, une partie des emplois, soit d’officier supérieur, soit d’officier général ; et d’accorder aux soldats le quart de tous ceux d’officiers qui viendront à y vaquer, quand même ils n’auraient pas les connaissances nécessaires pour les bien remplir. Permettez-moi de vous observer que le roi et ses ministres ont eu jusqu’ici, dans chaque arme, le pouvoir de nommer hors de rang à tous les grades d’officier supérieur et d’officier général, ceux qu’ils ont voulu, ou qu’ils ont cru devoir distinguer des autres. S’ils n’ont point usé de ce pouvoir dans l’artillerie, c’est qu’ils n’avaient pas à mettre, entre les talents qui y existent, la différence qu’ils avaient à mettre entre ceux qui existent dans les autres armes ; c’est qu’il leur était impossible de les récompenser dans l’infanterie et dans la cavalerie, sans y distinguer les officiers qui en étaient pourvus, parce que l’infanterie et la cavalerie n’exigont pas nécessairement ces talents, et qu’ils avaient au contraire à les récompenser dans tous les officiers d’artillerie, parce qu’on ne peut y être admis qu’après en avoir fait preuve. On ne saurait en effet douter, Messieurs, que le premier emploi d’officier ne soit le prix du talent dans l’artillerie, puisqu’il se donne au concours, et qu’il n’est permis d v prétendre qu’après avoir soutenu, en présence de tous les ofticiers d’un régiment de cette arme, l’examen sévère d’un des plus habiles mathématiciens de l’Académie sur les sciences exactes, d’où dérive essentiellement la théorie de son service. Il est certain que ceux qui démontrent, à leur examen, le plus de talents pour ces sciences, obtiennent alors la préférence qui leur est due sur tous leurs camarades, ou sur tous leurs concurrents. Il est certain qu’ils ne sauraient faire preuve de ce talent, sans faire preuve d’aptitude pour un travail encore plus sec, encore plus pénible que celui qu’exige l’étude de la théorie et de la pratique de l’art auquel ils se destinent. Il est certain, enfin, qu’ils ne sont admis à l’exercer que pour passer dans une école où tous les officiers reçoivent la même instruction sur cette théorie et sur cette pratique, et qu’il faudrait qu’elle fût insuffisante, qu’elle fût conséquemment moins bien entendue qu’elle ne doit l’être, pour qu’ils ne fussent pas tous eux-mêmes en état de bien remplir, dans l’occasion, les différentes parties de leur métier. A quels signes reconnaîtrait-on donc, Messieurs, ceux qui devraient y obtenir une nouvelle préférence sur leurs camarades? Croyez-vous que des officiers qui ont eu nécessairement plus de peine à apprendre, et plus de dépenses à faire que ceux des autres armes, pour se mettre en état de rendre service à la patrie, soient moins attachés à leur fortune militaire, que les autres citoyens ne peuvent l’être à leur fortune civile? Serait-il digne de votre justice de vouloir rendre arbitraires les distinctions désavantageuses que le plus grand nombre d’entre eux aurait à éprouver? Elles ne sauraient être justifiées que par l’intérêt du service, c’est-à-dire que par la supériorité des connaissanc e qu’aurait acquises, sur la théorie et sur la pratique de l’artillerie, le petit nombre de ceux auxque s elles seraient destinées. Mais rl faudrait alors s’assurer de cette supériorité de connaissances par un nouvel examen, ou en exigeant de chaque officier des mémoires sur les différentes parties de son métier. Et que pourrait-on encore conclure de l’une et de l’autre de ces épreuves? Les idées les plus profondes qu’on a acquises sur un art quelconque, sur une science même qui ne fait pas partie des sciences exactes, ne sont-elles pas toujours celles qu’il est le plus difficile de bien développer ou de bien rendre, soit de vive voix, soit par écrit? Que deviendraient d’ailleurs les talents militaires dans les corps qui les cultivent, si on y destinait à celui de bien parler ou de bien écrire, les récompenses qui y ont été jusqu’ici réservées pour le talent de bien agir, ou de bien prendre son parti devant l’ennemi? Personne n’ignore que ce n’est pas le mérite de l’esprit naturel, mais celui de l’esprit acquis; que ce ne sont point les avantages de l’esprit en superficie, mais ceux de l’esprit en profondeur qui ont distingué les Vauban, les Vallière et les Gribeauval, dans la carrière qu’ils ont eue à parcourir. On se flatterait en vain de trouver, dans l’artillerie, des ofliciersqui fussent également propres à toutes les parties qu’embrasse le service de cette arme. On se flatterait donc en vain d’en trouver qui n’eussent pas à la fois quelque avantage et quelque désavantage à l’égard de leurs camarades; et on ne saurait apprécier ces avantages et ces désavantages, sans apprécier aussi l’utilité des différentes parties de leur métier, sans exposer conséquemment celles qu’on jugerait les moins utiles, à être moins bien remplies qu’elles ne doivent l’être. Si les occasions peuvent seules faire connaître les talents, elles peuvent seules aussi les former et les développer. Les plus grands géomètres, les plus habiles chimistes et les meilleurs physiciens de l’Académie, les officiers même les plus éclairés sur tous les détails de la théorie de leur service, ne seront jamais en état de le remplir aussi bien à la guerre, que ceux qui y auront perfectionné l’instruction qu’ils auraient acquise dans leur cabinet. Ce n’est donc pas seulement en se livrant au travail préparatoire, aux essais même de pratique qu’il exige; c’est en le faisant devant l’ennemi, qu’on devient capable de le bien faire dans les circonstances critiques et intéressantes pour l’Etat. On ne saurait prévoir toutes les difficultés, pour apprendre à les bien connaître, et il faut au moins les bien connaître, pour être en état de les vaincre. Voilà pourquoi, Messieurs, les officiers d’artillerie ont toujours cru jusqu’ici que les services qu’ils rendaient à la guerre étaient les seuls qui dussent être récompensés par des grades. Voilà pourquoi le roi a toujours cru lui-même que ceux qu’ils rendaient pendant la paix ne devaient être payés que par des lettres de satisfaction, ou tout au plus, par quelque gratification pécuniaire. Le despotisme qu’on reproche aux ministres a, dans tous les temps, respecté ces principes, parce qu’il a, dans tous les temps, senti la nécessité de conserver lés talents dans ce corps; et je ne crains pas de vous dire que, dès qu’on se permettra d’y récompenser par des grades, d’autres services que ceux rendus à la guerre, dès qu’on [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 avril 1791.] 141 se permettra même d’y récompenser plusieurs fois de cette manière quelque service rendu à la guerre, auquel le corps ne croirait pas devoir attacher un prix extraordinaire, tous les liens qui y attachent les ofticiers à leur métier seront brisés, ceux d’entre ces officiers, qui auront quelque fortune, le quitteront; ceux qui devrout y rester, parce qu’ils sont absolument sans fortune, renonceront à y mériter les grâces de l’Etat, auxquelles ils croiront devoir encore moins prétendre qu’à sa jusiice; le goût du travail s’éieindra parmi eux, et les peines de l’esprit ne leur permettront plus de se livrera celle nécessaire pour perfectionner, pour entretenir même les talents les plus utiles à la défense de la pa'rie. On aurait donc tort de vous présenter, Messieurs, comme un moyen d’encourager les vrais talents dans l’artillerie, le mode d’avancement qui vous est proposé pour elle. Le principe sur lequel il est fondé suffirait seul pour les décourager, et la manière dont il devrait en général être appliqué dans ce corps ne pourrait qu’en arrêter les progrès, et finir par les éteindre. Croyez-vous, en effet, Messieurs, qu’un ministre, chargé de détails aussi compliqués que ceux de cette arme, puisse jamais les suivre seul, et même avec les secours ordinaires qu’il emploie pour remplir sa place? Il ne saurait absolument se dispenser d’emprunter des secours extraordinaires à l’artillerie elle-même; et s’il n’est as aussi jaloux qu’il devrait l’être de la gloire e son ministère, vous sentez bien qu’il ne préférera pas toujours les plus utiles au bien de la chose et les plus dignes de son estime, à ceux dont il ne saurait avoir l’air de dépendre, à ceux même qu’il pourrait intéresser, non seulement à adopter, mais encore à faire valoir cette maxime si chère jusqu’ici à nos ministres de la guerre, que tout ce qui vient du roi doit êtré réputé grâce. S’il accorde sa confiance à quelque officier moins avancé qu’il ne peut l’être, cet officier, consulté sans doute sur l’avancement de ses camarades, n’en devient-il pas nécessairement le maître? Perdra-t-il de vue le sien, lorsqu’il aura à s’occuper de celui des autres? Et n’est-il pas à craindre qu’il ne sacrifie à l’avancement de ses protecteurs et de ses protégés, celui des officiers qui n’aurait pas le bonheur de lui plaire, ou qui, par son ancienneté, mettrait obstacle à son ambition. Que deviendraient dont les vrais talents qu’on se serait proposé d’encourager dans l’artillerie, si l’art de faire valoir des talents supposés, si celui de faire sa cour aux ministres, ou à ceux qui ont gagné leur confiance, si l’intrigue enfin ou la bassésse, devaient assurer le sort d’une partie des ofticiers qui seraient dans le cas de prétendre aux grades supérieurs? On vous dira peut-être, Messieurs : 1° qu'on arrive trop tard à la tête de ce corps et qu’il convient de mettre désormais les officiers d’un talent reconnu à portée d’en obtenir les premiers emplois, dans un âge qui leur permette de les remplir avec toute l’activité possible; 2° que le génie est un corps à talents comme l’artillerie, et qu’il a reçu avec reconnaissance le mode d’avancement qu’on voudrait vous faire agréer pour elle. Je vous observerai, à l’égard de la première objection, que les emplois les plus importants de l'artillerie ne sauraient être bien remplis que par des officiers d’une expérience consommée; que le mérite de cette expérience n’exclut pas celui de l’activité; et que, quand les chefs d’un corps destiné à être employé par petites parlies, infiniment séparées les unes des autres, devraient toujours être très bien choisis, ils ne pourraient jamais rien, ou presque rien, sans le secours des talents de leurs subordonnés. Je vous rappellerai qu’il faudrait nécessairement compter moins sur le mérite de ces talents lorsque les officiers auraient à les faire valoir auprès de leurs protecteurs autant que devant l’ennemi; et je vous prierai de remarquer que ce ne serait, en général, qu’aux dépens de leurs camarades qu’ils auraient à faire valoir auprès de leurs protecteurs; que la méfiance et la division prendraient, en conséquence, bientôt parmi eux, la place de la confiance et de l’union; et que l’intérêt de la chose publique aurait tout à souffrir, s’il s’en trouvait qui, dans les occasions essentielles, crussent avoir quelque raison d’en détacher leurs intérêts particuliers. Je vous proposerai à l’égard de la seconde objection, les considérations suivantes : Il est peut-être digne de la sagesse de l’Assemblée de n’admettre aucun des changements importants qu’on voudrait lui faire agréer pour l’artillerie, qu’après s’être bien assuré que les avantages qu’ils promettraient, l’emporteront sur les inconvénients qui en seraient la suite. Elle ne peut s’en assurer qu’en les comparant les uns avec les autres; et, comme le génie s’est plaint lui-même de son peu d'activité, lorsqu’il a été question de dépouiller l’artillerie du service des mines, comme il n’est pas douteux qu’il ne soit infiniment moins employé qu’elle devant l’ennemi, les inconvénients attachés au nouvel ordre de choses qu’on vient d’établir pour l’avancement de ce corps, ne sauraient êire comparés à ceux qui résulteraient de son établissement dans une ai me destinée à assurer le succès de toutes les actions de guerre. Ce serait peut-être aussi vouloir se tromper que de vouloir croire que les officiers du génie aient vu, en général, avec plaisir, introduire ce nouvel ordre de choses dans leur corps. 11 en est assurément plusieurs, et même de très éclairés, qui le regardent comme plus propre à y favoriser le talent de l’intrigue, qu’à y encourager les vrais talents militaires. 11 ne saurait être goûté, ni dans ce corps, ni dans l’artillerie, que par ceux qui auraient eu ou qui pourraient avoir plus d’occasions de se faire connaître que leurs camarades; et il y a lieu de croire, Messieurs, que ce ne serait pas d’après eux que vous voudriez en apprécier les avantages ou les inconvénients. Vous sentez qu’ils devraient avoir autant de raisons d’en désirer l'établissement, que tous leurs camarades en auraient de le craindre. Vous sentez qu’ils ne pourraient être pris pour juges dans leur propre cause et vous savez que les corps à talents ne sont pas muios accessibles que les autres à l’ambition; que les officiers même de ces corps, qui s'annoncent pour en être le plus exempts, sont presque toujours ceux qui en sont le plus susceptibles. Pour moi, Messieurs, qu’on ne soupçonnera pas d’intérêt particulier dans l’examen du mode d’avancement qui vous est proposé pour celui de l’artillerie, je me crois d’autant plus fondé à vous représenter les inconvénients qui en résulteraient pour elle, que j’ai été déjà à portée d’en éprouver les funestes effets dans ce corps. Elle l’avait adopté d’elle-même en 1765, pour 142 [Assemblée Datiouale.] ARCHIVES PARLEMEISTA1RES. [16 avril 1791.] un seul grade, c’est-à-dire, pour celui de chef de brigade ; et vous ne sauriez croire à combieu d’injustices il y a donné lieu. Vous ne sauriez croire combien d’officiers d’un talent réel, conséquemment très modestes, se sont vu préférer leurs cadets, d’un talent inférieur au leur, mais plus exercés qu’eux dans l’art de se faire valoir ou plus à portée de se faire protéger. Elle a perdu un grand nombre de sujets estimables, dont elle regrette encore la perte. Il a fallu qu’elle renonçât à user de ce mode d’avancement, dans la crainte de continuer à en abuser ; et elle a malheureusement reconnu bien tard, que la seule manière d’assurer les intérêts de son service était d’assurer le sort de ceux qui en étaient chargés. Pourriez-vous, d’après une expérience aussi décisive, ne pas le reconnaître vous-même, Messieurs, si vous observez surtout qu’il est impossible de se procurer, sans peine et sans efforts, les talents nécessaires à son service; qu’on ne peut se livrer à cette peine et à ces efforts, sans le secours de l’amour-propre; que l’amour-propre est, de toutes les passions de l’homme, la plus facile à blesser; qu’il est au moins incertain que le choix du roi put encourager le tiers des vrais talents de l’artillerie ; qu’il est certain qu’il en découragerait nécessairement les deux tiers, et que la nation aurait donc au moins deux fois plus à perdre qu’elle n’aurait à gagner, à en autoriser, à en établir surtout l’usage dans ce corps. Mais quelque funeste qu’il pût être à l’artillerie, Messieurs, il le serait encore bien moins que le droit qu’on voudrait y donner aux soldats, d’obtenir le quart de tous les emplois d’officiers qui y deviendraient vacants, sans avoir les connaissances nécessaires pour les bien remplir. Lorsque le bonheur d’être né possesseur de grandes terres était compté pour quelque chose, il n’a jamais dispensé personne de la preuve à fournir de ces connaissances pour y être admis comme officier. Depuis que vous avez décrété l’égalité de tous les citoyens, le malheur d’être né sans fortune pourrait-il donner le privilège de savoir, sans les avoir apprises, les choses les plus nécessaires à son service? Le nom seul que porte l’artillerie annonce assez que ce service exige essentiellement la connaissance des arts et des sciences qui y ont rapport. Voudrait-on se persuader que l’égalité à établir entre tous les citoyens qui composent l’Etat doit s’établir de même entre tous ceux qui composent l’armée, et qu’elle ne peut être établie si on soumet les officiers tirés de la classe des soldats à toutes les charges que le service de l’artillerie impose nécessairement aux officiers tirés des classes de la société les moins malaisées, lorsque ceux-ci ne seront pas asr-ujettis comme eux à toutes les charges qu’il impose à l’état de soldat, lorsqu’ils pourront même prétendre à être officiers, sans avoir fait les fonctions de soldat aussi longtemps qu’eux. Votre intention est vraisemblablement, Messieurs, que les officiers à fournir par la classe des soldats ne soient pris dans l’artillerie, comme danslcs autres arme-, que parmi les sous-officiers ; et vous avez déjà décrété que ce seraient ces sous-officiers qui désigneraient eux-mêmes dans les autres armes, ceux destinés à paitager leur rade avec eux. Croyez-vous que les soldats oivent nommer médiatement tous les officiers de l’armée? Croyez-vous que l’intérêt même de la chose publique le permetie dans un corps à talents? S’il le permet, Messieurs, il n’est point d’aspirant au grade d’officier dans l'artillerie, qui ne se soumette d’autant plus volontiers à cette charge, qu’il n'y existe aucun officier qui ne tienne à honneur d’être, dans son grade, le premier soldat de la troupe qu’il commande ; qu’il n’en est même point qui ne regarde comme le plus beau titre d’un général d’armée, celui d’être le premier soldat de sou armée. Mais vous penserez sans doute qu’il ne saurait être question de l’intérêt des classes plus aisées ou plus malaisées de la société, quand if est question du plus grand de tous les intérêts, de celui de ta défense de l’Etat, conséquemment de la société entière. La Constitution qu’on vous propose pour assurer cette défense ne méritera votre confiance qu’autant qu’elle sera fondée sur la nature des choses qu’elle ne peut changer, et à laquelle il est conséquemment de toute nécessité qu’elle se conforme. Il s’agit donc de savoir, Messieurs, si la nature du service qu’ont à remplir les officiers d’artillerie, dans tout autre grade que celui de lieutenant, n’exige pas des connaissances étendues dans les sciences qui y ont rapport, ou si elle les exige. Dans le cas où elle ne les exigerait pas, il paraîtrait juste de dispenser, de la charge de les acquérir, les citoyens de toutes les classes de la société qui y prétendraient à l’état d’officier. Dans le cas où on les exigerait, il paraîtrait absolument indispensable de les assujettir tous, et sans distinction, à remplir cette charge, lorsqu’ils approcheraient au moins du grade de capitaine en second. Gomme on ne saurait douter, Messieurs, qu’elle ne les exige ; comme je crois avoir prouvé qu’on ne peut assurer le bien du service de l’artillerie, qu’autant qu’on assurera le sort de ceux auxquels il sera confié, j’ai l’honneur de vous proposer de substituer aux articles du projet de décret de votre comité militaire, qui intéressent, soit l’avancement général de tous les officiers de cette arme, soit l’avancement particulier des officiers que la classe des soldats doit lui fournir, les articles suivants : « 1° Tous les emplois d’officiers d’artillerie auxquels on parviendra immédiatement, et sans passer par l’état de soldat, seront donnés à l’ancienneté. « 2° Le quart des emplois d'officiers qui y vaqueront dans les régiments appartiendra aux soldats de cette arme. Il seront admis sans examen à ceux de lieutenant en second, et même de lieutenant en premier; mais ils ne pourront prétendre à l’emploi de capitaine, sans avoir fait preuve des connaissances mathématiques qu’on exige des autres officiers, pour être admis même à celui de lieutenant en second. » M. Bureaux de Puzy. Les propositions de M. de Thiboutot ont déjà été plusieurs fois discutées lors des décrets sur le génie et ont été rejetées. Je pourrais m’en référer à ce seul point; cependant je vais réduire son opinion à deux points. Et d’abord, il prétend que ne donner qu’un tiers des places à l’ancienneté, c’est détruire l’émulation; or je dis au contraire que si l’avancement par tour d’ancienneté a été regardé dans tous les corps comme le moyen d’y porter la stupeur, il serait particulièrement nuisible à l’artillerie, s’il y était exclusif; car cVst dans une profession qui exige une instruction continuelle, que le talent doit toujours être stimulé. Je vous [16 avril 1791. 143 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. demande un peu si les grades accordés de cette manière ne tomberont pas aussi souvent sur la médiocrité, sur la négligence, que sur l’activité et sur le mérite réel ; conséquemment sous ce point de vue, la proposition de M. de Thiboutot est inadmissible. En second lieu, à l’égard des inspecteurs généraux de l’artillerie, dont M. de Thiboutot demande la conservation, je crois et je suis persuadé que le ministre fera de bons choix et qu’il conservera les plus capables; mais les conserver tous en activité par une loi, c’est leur accorder une faveur que vous n’avez pas donnée aux autres officiers généraux de l’armée. Cependant tous ces officiers généraux, qui peuvent être fâchés de n’être pas employés, ne se croient pas dégradés. D’un moment à l’autre ils peuvent reprendre leur activité. Sous ces deux rapports, auxquels se réduit l’opinion de M. de Thiboutot, vous ne pouvez admettre aucune des propositions qu’il vous a faites, à moins de détruire l’uniformité si précieuse que vous avez voulu établir dans la ligne et à moins de vous mettre en contradiction formelle avec le décret relatif au corps du génie. Je demande la question préalable sur les propositions de M. de Thiboutot, et qu’on procède à i’examen des articles du projet de décret. M. de Thiboutot. Quand on a la raison et l'expérience pour soi, certainement on ne peut rien alléguer contre ce que j’ai dit. M. de üoailles. Je crois aussi que M. de Thiboutot, dont je respecte infiniment les lumières, se laisse égarer par son attachement envers le corps de l’artillerie, dont il est membre. Je vois, dans les motifs mêmes qu’il vous a donnés, une raison pour rejeter sa proposition. Il vous a dit que l’artillerie est un corps à talents, qu’il faut y entretenir l’émulation; or, je demande si l’émulatiou subsistera lorsqu’il suffira d’avoir une bonne santé pour parvenir à tous les grades? Il faut que l’on puisse récompenser ceux qui se sont distingués par leur mérite: je ne vois pas d’autre moyeu d’encouragement. Nous ne destinons à ces encouragements qu’un tiers des places; les autres seront données à l’ancienneté. On peut s’en rapporter à la eagesse du roi, au patriotisme du ministre ; il faudra qu’on ne consulte dans les choix que l’utilité du service. Vous avez mis dans le génie, un tiers des places au choix du roi; pourquoi n’adopteriez-vous pas la même disposition pour l’artillerie? Je demande la question préalable sur les deux propositions de M. de Thiboutot. M. de Menonville de Tilliers. Je demande la division de la question préalable. Je crois que l’Assemblée est absolument décidée, quant au mode d’avancement, quoique cela soit irès éloigné de mon opinion. En ce qui concerne l’article des inspecteurs généraux, je demande la division; ces places étant inamovibles et étant non seulement des grades, mais des charges, leur ôter leur activité, ce serait véritablement les dégrader. M. Alexandre de Lameth, rapporteur. Je m’oppose à la division de la question préalable. L’opinion de M. de Menonville n’est pas fondée sur des raisons solides, les motifs qu’il a allégués sont inexacts. M. de Menonville veut écarter la question préalable de l’opinion de M. de Thiboutot relative aux inspecteurs généraux, en disant que ces officiers sont inamovibles, et que leurs places sont des charges; mais les places de directeurs dans le génie étaient aussi inamovibles, et cependant vous ne les avez pas regardées comme des propriétés des directeurs du génie; mais les places de colonels généraux de la cavalerie, de l’infanterie et des dragons étaient des charges, et cependant vous les avez supprimées. Vous avez fait alors ce que vous ferez encore en ce moment; vous n’avez consulté que l’intérêt général; vous avez voulu que les officiers les plus capables fussent choisis, et c’est pour que cela puisse être dans l’artillerie que nous vous proposons que le choix des inspecteurs soit fait parmi tous les officiers généraux de l’artillerie. Je demande donc que la question préalable porte sur les deux propositions de M. de Thiboutot, et je prie M. le Président de la mettre aux voix. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les propositions de M. de Thiboutot et adopte l’article 15 du projet du comité.) M. Alexandre de Lameth, rapporteur, continue la lecture des articles du projet de décret. Art. 16. (Idem.) « L’avancement au grade de lieutement colonel, soit par ancienneté, soit par le choix du roi, sera, pendant la paix, sur tout le corps; à la guerre, le tour d’ancienneté sera sur le régiment ou bataillon, et sur les compagnies de mineurs et d’ouvriers employés. (Adopté.) Art. 17. (Décrété pour les autres troupes de la ligne.) « Sur trois places de lieutenant-colonel vacantes, deux seront données aux plus anciens capitaines, et la troisième, par le choix du roi, à un capitaine en activité dans ce grade depuis 2 ans au moins. (Adopté.) Art. 18. Nomination aux emplois de colonels. (Idem.) « On parviendra du grade de lieutenant-colonel à celui de colonel par ancienneté, et par le choix du roi, ainsi qu’il va être expliqué. (Adopté.) Art. 19. (Idem.) « L’avancement au grade de colonel, soit par ancienneté, soit par le choix du roi, sera, pendant la paix, sur tout le corps; à la guerre le tour d’ancienneté sera sur le régiment et sur les officiers employés au parc. (Adopté.) Art. 20. (Idem.) « Sur 3 places de colonel vacantes, 2 seront données aux plus anciens lieutenants-colonels, et la troisième, par le choix du roi, sera donnée