170 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. nombre qui renferment cette disposition); ou elles attribuent à ces biens la qualité de propres, sous la condition que l’héritier des propres remboursera à l’héritier des acquêts le prix du retrait. Au premier cas, il est évident que les biens retirés changent de ligne, et conséquemment que le but du retrait est absolument manqué. Au second cas, il faut, pour que l’héritage retiré demeure dans la ligne de laquelle il est provenu, que la condition de remboursement soit exécutée dans un terme très court ; et comme il est rare qu’elle le soit, il est rare aussi que, dans ces coutumes, le retrait lignager atteigne son but. — Est-ce donc bien la peine de conserver, que dis-je? n’est-ce pas pour nous un devoir de proscrire un droit qui ne remplit pas les vues de la loi qui l’a établi? On me dira que cette considération est étrangère aux coutumes dans lesquelles le retrait lignager est admis pour les acquêts comme pour les propres; et, en effet, il est impossible de ne pas convenir que, sous ces coutumes, la conservation des propres dans les lignes dont ils proviennent, n’a pas été le but qu’on s’est propose. Mais je répondrai avec Dumoulin que, par cela même, ces coutumes sont d’autant plus odieuses, d’autant plus iniques, conséquemment d’autant plus dignes de la proscription que je sollicite pour toutes. Hcec consuetudo est odiosa et iniqua , dit ce jurisconsulte sur l’article 366 de celle du Maine. Au surplus, j’oserai inviter ceux qui croiraient le retrait lignager avantageux aux familles, à jeter les yeux sur les provinces et les villes où il n’a pas lieu, telle qu’une partie considérable des pays de droit écrit, tels encore que les territoires des coutumes de Douai, d’Arras, d’Hesdin, du Gambresis, du bailliage de Bapaume, telle aussi que la châtellenie d’Issoudun dans le Berri ; et je leur demanderai si, dans ces provinces, dans ces villes, dans ces cantons, les familles leur paraissent moins heureuses que partout ailleurs, et, en cas qu’elles le soient moins en effet, si c’est au défaut du retrait lignager qu’il faut attribuer cette différence de bonheur? Quel serait maintenant te prétexte qui pourrait servir ici à la défense du retrait lignager ? Dira-t-on du moins qu’il contribue à la perfection des mœurs, à l’amélioration du cœur humain? Mais ne savons-nous pas qu’il est devenu une occasion journalière de mensonges et de parjures? Combien de fausses déclarations sur le prix des ventes, pour détourner du retrait les parents des vendeurs? combien de contrats déguisés sous des couleurs factices pour les soustraire aux recherches des retrayants ? combien de faux serments prêtés devant* les juges, soit sur la nature, soit sur la sincérité des actes qui font l’objet du retrait? — Et que pouvez-vous espérer d’un peuple ainsi habitué à lutter sans cesse contre sa conscience? quelles mœurs lui inspirerez-vous dans cette funeste habitude? ou comptez-vous les mœurs pour rien dans la grande entreprise que vous avez formée de rendre la France à jamais libre?... J’en rougis... cependant il faut que je le dise: les despotes qui tyrannisèrent Rome et les Gaules, sous le titre d’empereurs, avaient sur le retrait lignager des idées plus justes et plus morales que nous. Ecoutons-les dans la loi 14, au Gode, de contrahendâ emptione: « Il était depuis longtemps permis aux parents « et aux associés (1) d’empêcher les étrangers [17 juillet 1790.] « d’acquérir; et les propriétaires ne pouvaient, « par l’effet de ce privilège, disposer à leur gré « de ce qu’ils avaient à vendre. Dudùm proximis « consortibusque concessum erat , ut extraneos ab « emptione removerent , ne que ho mines suo arbi-« tratuvendenda dis traherent. Et comme c’est une « injustice, colorée, il est vrai, d’une vaine appa-« rence d’honnêteté, mais qui n’en est pas moins « criante, que les hommes ne soient pas libres « de faire de leur bien ce qu’il leur plaît, nous « ordonnons, en abrogeant cette loi ancienne, « que chacun puisse traiter avec tel acheteur « qu’il jugera à propos. Sed quia gravis videtur « injuria quæ inani honestatis colore velatur , ut « domines de rebus suis facere aliquid cogantur « inviti, superiore lege cessatâ, unusquisque suo « arbitratu quærere vel probare possit emptorem. » C’est, Messieurs, à l’exemple de cette loi justement célèbre, que votre comité a l'honneur de vous proposer le décret suivant : Art. 1er. « Le retrait lignager est aboli. Art. 2. « Toute demande en retrait lignager, qui n’aurait pas été consentie et adjugée en dernier ressort avant la publication du présent décret, sera et demeurera comme non-avenue ; il ne pourra être fait droit que sur les procédures antérieures à cette époque. Art. 3. « Ne seront réputés adjugés en dernier ressort, que les retraits lignagers qui, à ladite époque, se trouveront consommés et effectués. »> M. Martineau. Il y a six mois que, sur un jugement rendu, je n’ai pu entrer en possession, parce qu’on me suscitait des chicanes; vous ne pouvez donner à vos décrets un effet rétroactif, c’est assez d’éteindre les procès qui ne seront pas jugés en dernier ressort; mais du moment qu’il y a un arrêt, le droit est irrévocablement acquis. M. Fréteau. Si l’on adoptait cet article, ce serait souiller une bonne loi par la disposition la plus inique. M. Merlin. Le grand objet du comité a été d’éteindre l’immensité de procédures commencées; il ne suffit pas qu’un jugement en dernier ressort soit rendu sur cette matière, pour qu’il doive être entièrement exécuté; cela est si vrai, que dans la coutume de Paris, par exemple, si vous ne consignez pas dans les vingt-quatre heures, vous êtes déchu. M. Martineau. Remarquez bien que cette explication est absolument inutile ; il est bien sûr que si un jugement est rendu à telles conditions, et que les conditions ne soient pas exécutées, il tombe de droit. Il n’est pas besoin pour cela d’un décret de l’Assemblée nationale; moi, j’ai consigné dans les vingt-quatre heures, j’ai voulu entrer en possession, on m’a suscité des chicanes, et je suis déchu, aux termes de votre décret. L’article 3 est écarté par la question préalable, et les deux premiers articles sont adoptés en ces termes : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er. « Le retrait lignager est aboli. Art. 2. •< Toute demande en retrait lignager, qui n’aura pas été consentie ou adjugée en dernier ressort avant la publication du présent décret, (1) Voilà bien le retrait lignager dont il s’agit ici, et le retrait de société aboli par le décret du 13 juin 1790