[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 décembre 1789.] 23 L’ordre du jour appelle un rapport du comité des finances sur la contribution patriotique (1). M. Lebrun. Messieurs , l’article 7 de votre décret du 6 octobre dernier, concernant la contribution patriotique, ordonne que les déclarations seront faites au plus tard avant le 1er janvier prochain. Cependant le concours d’une infinité de circonstances publiques et particulières, a suspendu et suspend toujours le zèle des citoyens. Le créancier de l’Etat en proie à de vaines alarmes n’a pas douté de votre volonté, mais il a longtemps douté de votre pouvoir. Tout ce qui est attaché à l’administration, tout ce qui est attaché aux tribunaux, tous les agents du fisc, tous ceux qui vivent ou s’enrichissent des bienfaits du prince ou de la cour, attendent les décrets qui doivent déterminer leur sort et la quantité de leur revenu. Ceux qui furent privilégiés ne peuvent se rendre compte de leur fortune qu’après avoir calculé ce qu’en retrancheront les impositions, et les impositions ne sont pas encore assises. Le commerçant, l’homme de toutes les professions, a senti l’influence des événements publics : les calculs du présent ne sont ni les calculs du passé, ni les calculs de l’avenir. Le retour de la tranquillité leur promet le bénéfice ; mais pleins d’incertitude et d’indétermination, les corps, les communautés, les ecclésiastiques de tous les rangs, soumis à l’empire des lois que votre sagesse a prononcées, comptent sur votre justice, mais votre justice n’a point encore réglé leur destinée. D’ailleurs, il est des consciences timides jusqu’au scrupule, il en est d’autres qui voudraient être hardies, et tous ces gens-là fatiguent votre comité et le conseil de consultation, sur toutes les espèces, sur tous les cas. Enfin les municipalités qui subsistent encore n’osent user d’un pouvoir prêt à leur échapper. Des comités, formés par le hasard des circonstances, n’ont qu’une autorité précaire et mal assurée. Partout le citoyen attend l’impulsion des agents de la loi, pour déterminer son patriotisme. Il est donc nécessaire de fixer un nouveau délai, et ce nouveau délai sera certainement utile, parce qu’il sera le dernier, parce que les municipalités nouvelles, soutenues par la confiance publique, revêtues d’une autorité incontestable, premier gage de cette liberté que nous attendons tous, premiers garants et premiers appuis de cette sécurité que nous avons achetée par tant d’inquiétudes et de dangers , rappelleront vos décrets avec plus d’énergie, et demanderont aux citoyens le prix que nous avons mis au bonheur et à la félicité commune. Nous vous proposons en conséquence le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, considérant que les circonstances publiques et particulières, la variation que doit opérer dans les revenus l’heureuse révolution qui va réunir et régénérer les Français, l’inaction de la plupart des municipalités, les doutes gui ont pu s’élever sur l’esprit et sur l’extension de la loi, ont dû retarder les déclarations prescrites par son décret du 6 octobre dernier; 4 « Considérant qu’un nouveau délai est sollicité (t) Çe rapport B’a pas été inséré au Moniteur, par les raisons les plus légitimes; qu’il importe, surtout que les premiers actes de ces nouvelles municipalités, qui vont être, pour les peuples, les gages et les garants de la liberté, de la sécurité, et de toutes les prospérités publiques et particulières, ne soient pas des actes de rigueur, mais de confiance et de patriotisme, a décrété et décrète : « Qu’il sera accordé un délai de deux mois, à dater du jour de la publication du présent décret, pour faire les déclarations prescrites par son décret du 6 octobre dernier ; que, ce nouveau délai expiré, les municipalités appelleront tous ceux qui seront en retard. » M. Delley-d’Agier propose d’ajouter au décret que les noms des contribuables patriotes seront imprimés avec la liste des sommes qu’ils se seront soumis à payer. M. Populos trouve cette méthode immorale et tendant à ouvrir une inquisition odieuse sur la fortune des citoyens. M. Camus propose d’inscrire sur la liste le nom seul du contribuable sans faire mention du chiffre de la contribution. M. de Yirieu. Je démande pour les négociants la faculté de faire leurs déclarations en corps. Nous avons à cet égard l’exemple de la Hollande qui, ayant demandé une contribution patriotique, s’est contentée d’ouvrir un tronc où chaque citoyen déposait son offrande et inscrirait son nom. M. Solliers voulait que les revenus provenant de l’industrie fussent soumis à la contribution patriotique. M. de Crillon. Si'vous voulez éviter les fraudes et les fausses déclarations, il faut que les noms des contribuants patriotes soient imprimés avec le chiffre des sommes versées. M. le vicomte de Mirabeau. Vous avez adopté de confiance le plan de la contribution patriotique; vous devez laisser à la confiance le soin de l’exécuter et de lui faire porter ses fruits. M. le comte de Mirabeau dit qu’un des plus grands inconvénients observés par ceux qui ont critiqué la contribution patriotique, c’est qu'elle peut donner une fausse idée de la fortune nationale, parce qu’on attribuerait les déficit assez Srobable qu’elle éprouverait à toute autre cause. n a craint que les circonstances, nécessairement passagères, les commotions communiquées à toutes les fortunes, et les inquiétudes répandues généralement, ne portassent quelque atteinte à cette contribution. Il fallait donc s’attendre à un roduit beaucoup moindre que celui qu’on aurait û naturellement espérer. Il suffirait donc d’imprimer les noms comme un ressort d’émulation, mais de taire les sommes que chacun aurait données. La discussion ayant été fermée, on demandait la question préalable sur tous les amendements à la fois. Mais l’Assemblée a jugé qu’ils devaient être délibérés séparément. Malgré une vive opposition, surtout d’un côté de la salle, il a d’abord été décrété que la liste des contribuants patriotes sera imprimée, ensuite ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (26 décembre 1789.) 24 (Assemblée nationale | qu’on imprimerait également la liste des sommes données par chacun d’eux. La motion principale a passé alors de la manière suivante : « L’assemblée nationale, considérant que les circonstances publiques et particulières, la variation que doit opérer dans les revenus l’heureuse révolution qui va réunir et régénérer les Français, l’inaction de la plupart des municipalités, ies doutes qui ont pu s’élever sur l’esprit et sur l’extension de la loi ont dû retarder les déclarations prescrites par son décret du 6 octobre dernier; « Considérant qu’un nouveau délai est sollicité par les raisons les plus légitimes, qu’il importe surtout que les premiers actes de ces nouvelles municipalités qui vont être pour les peuples les gages et les garants de la liberté, de la sécurité, de toutes prospérités publiques et particulières, ne soient pas des actes de rigueur, mais de confiance et de patriotisme, a décrété et décrète : « Qu’il sera accordé un délai de deux mois, à dater du jour de la publication du présent décret, pour faire les déclarations prescrites par son décret du 6 octobre dernier ; que, ce nouveau délai expiré, les municipalités appelleront tous ceux qui seront en retard; que la liste des noms des contribuables patriotes sera imprimée, avec la liste des sommes qu’ils se seront soumis à payer. » M. le Président donne lecture d’une lettre du garde des sceaux qui envoie à l’Assemblée deux expéditions en parchemin pour être déposées en ses archives : 1° Des lettres patentes sur le décret du 17 de ce mois, concernant les formes et modes de répartition à l’égard des taillables de la province de Champagne, pour les impositions ordinaires de 1790, et de ceux des provinces de taille personnelle et mixte, où les départements ne sont pas encore faits ; 2° Des lettres patentes pour l’exécution du décret du même jour, concernant les impositions et administration de la province du Dauphiné. M. Camus demande la parole pour faire une motion relative aux pensions. Il développe avec la plus grande vigueur la manière dont le revenu public était absorbé par les pensions; il a renouvelé la partie de la motion de M. Bouche, afin que les pensionnaires ne fussent payés qu’après avoir représenté leurs titres; mais il a ajouté qu’on leur donnerait, pour cet effet, l’intervalle de six mois, depuis le 1er janvier prochain jusqu’au i*r juillet, et qu’en outre il fût déterminé qu’aucune pension ne pût passer 12,000 livres. Voici son projet : . « 1° Que les sommes échues en 1789 pour pensions, traitements et dépenses légitimes arriérés, continueront à être payées ainsi que par le passé; « 2° Qu’à compter du 1er janvier 1790, il ne sera payé aucune autre somme que celles qui sont énoncées au rapport du comité des finances, du 18 novembre dernier, et ce, seulement par provision, et en attendant qu’il soit fait, sur les différentes parties, la réduction dont elles seront susceptibles; « 3° Que toutes pensions, dons, traitements, gratifications, mêmeceux decesobjets qui seraient compris dans la dépense de quelques-uns des départements, dont l'état est annexé au rapport du comité des finances, les pensions sur la cassette du Roi exceptées, ne seront payés, pour ce qui échoira, à compter du lw janvier 1790, qu’à commencer du 1er juillet suivant pour les six premiers mois de ladite année, pendant lequel temps desdits six premiers mois 1790, toutes les personnes qui auront des pensions, traitements, etc., présenteront leurs titres pour être vus, visés ou approuvés, réduits ou supprimés, s’il y a liéu ; « 4° Que dans la séance du 2 janvier prochain, le comité des finances présentera un projet de règles, d’après lesquelles les pensions, traitements, dons, etc., doivent être vérifiés et jugés, et que, dans la même séance, il rendra compte de l’exécution du décret du 28 novembre dernier sur l’état des recherches faites sur l’abus des finances et des pièces qui ont dû lui être remises en exécution de ce décret. » L’Assemblée applaudit vivement et témoigne qu’elle partage le sentiment de l’orateur. La discussion de cette motion est ajournée à lundi, 2 heures. M. le Président. Je consulte l’Assemblée sur une signature qui vient de m’être demandée pour attester que deux membres, qui ont signé un imprimé portant un avis du comité des rapports, sont bien membres de ce comité. M. Hébrard. Les habitants de Bélesme ont dénoncé l’intendant d’Alençon et son subdélégué, le sieur Bayard de La Vingtrie ; le comité des recherches a déclaré qu’il n’y avait lieu à délibérer. La même demande a été introduite ensuite au comité des rapports et y a été jugée de la même façon. C’est sans doute pour notifier cette décision que la demande de signature a eu lieu. Je crois que dans de pareilles circonstances un comité n’a pas le droit de déclarer seul qu’il n’y a pas lieu de délibérer, sans que l’Assemblée soit appelée à se prononcer. Au surplus, je suis chargé du rapport de l’affaire de Bélesme et j’en demande l’ajournement à lundi. M. Duport. La question qui vient de se produire ne peut être résolue que par un décret et je propose le suivant : « Aucun des comités de l’Assemblée nationale ne pourra rendre public son avis, mais il sera tenu (dans tous les cas) de consulter l'Assemblée, qui, seule, pourra arrêter le parti qu’il conviendra de prendre. » (Ce décret est mis aux voix et adopté.) M. Blin. Je demande qu’il soit défendu aux comités de renvoyer directement au pouvoir exécutif sans un prononcé de l’Assemblée. (Cette motion n’est pas appuyée.) M. Latil demande que la pièce dont il vient d’être question soit rapportée sur le bureau ou au secrétariat et que si elle ne l’est pas dans le jour, M. le président écrive à Bélesme pour déclarer que cette pièce n’est pas un décret de l'Assemblée. La motion est mise aux voix et adoptée. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de lundi pour 9 heures 1/2 du matin.