(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 juin 1790.] 455 avec les commissaires nommés par les soixante sections, et munis de leurs pouvoirs, pour la vente des domaines nationaux dont ils ont donné ou donneront la désignation, et pour toutes les opérations relatives à cette vente ; et ce, jusques au moment où la nouvelle municipalité aura été élue, conformément aux décrets de l’Assemblée : se réservant l’Assemblée nationale de statuer incessamment sur les formes qui devront être suivies pour les reventes de ceux de ces domaines qui auront été acquis, au nom de la commune de Paris, par ses commissaires. » (Ce projet de décret est mis aux voix et adopté.) M. Se Président. L’ordre du jour est maintenant la discussion du projet de décret proposé par le comité d'aliénation sur la vente des domaines nationaux aux particuliers (1). M. de La Rochefoucauld, député de Paris , rapporteur. Nous vous avons présenté un projet de décret sur la vente des domaines nationaux aux particuliers. M. l’évêque d’Autun a présenté une série d’articles pour remplacer l’article 14. Nous nous sommes réunis à une section du comité des finances pour examiner ces articles ; et nous vous en rendrons compte dans une huitaine de jours. Nous recevons sans cesse des soumissions de particuliers. Il faut prendre un parti sur les demandes qui sont faites ; c’est l’objet des articles qui vont être soumis à votre discussion. L’esprit de ce décret est de mettre le plus de citoyens possible à portée d’acquérir des domaines nationaux, et d’obtenir un meilleur prix par une plus grande concurrence. Je donne lecture de l’article 1er : « L’Assemblée nationale, considérant que l’aliénation des domaines nationaux est le meilleur moyen d’éteindre une grande partie de la dette publique, d’animer l’agriculture et l’industrie, et de procurer l’accroissement de la masse générale des richesses par la division de ces biens nationaux en propriétés particulières, toujours mieux administrées, et par les facilités qu’elle donne à beaucoup de citoyens de devenir propriétaires, a décrété et décrète ce qui suit: « Art. 1er. Tous les domaines nationaux dont la jouissance n’aura pas été réservée au roi, ou la conservation ordonnée par l’Assemblée nationale, ou qui ne feront pas partie des 400 millions qui seront incessamment vendus aux municipalités, en exécution du décret du 14 mai de la présente année, pourront être aliénés en vertu du présent décret, et conformément à ses dispositions. » M. Martineau. Cet article est inadmissible : on ignore les biens qui seront réservés. Les particuliers ne peuvent pas faire de soumissions. On excepte aussi les 400 millions des municipalités; mais qui pourra distinguer ces biens? Les deux exceptions rendent le décret inutile. Il faut ajourner cet article à bref délai, et ne faire qu’un seul et unique décret sur le payement des biens nationaux et sur ceux de ces biens qui ne sont pas compris dans la vente ordonnée. M. Rewbell. Je demande l’ajournement dans un autre sens que M. Martineau. Vous avez décrété une vente de 400 millions seulement. Aujour-(1) Voyez le rapport de M. de La Rochefoucauld du 12 juin 1790, Archives parlementaires, t. XVI, p. 207. d’hui on demande la vente de la totalité des biens nationaux. Cette vente générale empêchera celle des 400 millions. Il faut attendre que les municipalités aient revendu; sans cela elles ne pourront revendre. Je demande l’ajournement jusqu’à ce qu’il soit justifié de la vente aux municipalités, et de la revente par elles à des particuliers. M. Delley d’Agier. Par l’article 2 du décret du 14 mai vous nous avez chargés de recevoir les soumissions des particuliers; elles sont arrivées ; votre comité vous demande aujourd’hui ce qu’il doit en faire ? M. de Follevllle. Outre les rapports sous lesquels MM. Martineau et Rewbell vous ont montré que le décret proposé était prématuré, j’en vois un autre que j’ai l’honneur de proposer à l’Assemblée: le rapporteur vous a dit qu’il proposait de statuer sur tous les articles du décret à l’exception de l'article 14 par lequel il doit être prononcé sur les valeurs à admettre en payement; et moi je demande que le décret soit ajourné jusqu’à ce que l’article 14 ait été rédigé, de manière à ce que toutes les valeurs à admettre en payement soient parfaitement définies. Dans ce nombre, je pense que vous admettrez au premier degré les dîmes inféodées. L’affinité de ces propriétés avec les biens nationaux, le respect pour la déclaration des droits de l’homme si éloquemment invoqués par M.Barrère et Le Chapelier, lorsque ce sujet fut traité, ont été sentis de manière à me persuader que l’indemnité préalable et équivalente, due aux propriétaires des dîmes inféodées , seront admis en concurrence avec les autres valeurs. Je demande donc que l’évaluation et liquidation de ces propriétés soient faites par les départements qui, peu occupés aujourd’hui, peuvent se livrer à ce soin sur la réquisition des particuliers qui se présenteront à cet effet, et que le projet de décret soit ajourné au moment où la fixation de ces valeurs sera déterminée pour être rapportée avant lui ou ensemble. M. de l�a Rochefoucand, rapporteur . Beaucoup de particuliers, m’envoyant des offres, ont proposé de payer en argent, ou dans des termes très courts. Notre silence laisserait un très grand embarras dans leurs affaires. Il faut leur répondre, et dire si leurs offres seront admises ou rejetées. On ne peut donc ajourner. Je propose d’ajouter à la fin de l’article, ces mots : « L’Assemblée nationale réservant aux assignats-monnaie leur hypothèque spéciale. » M. liiicas ( de Moulins). Je suis du nombre de ceux qui ont fait des soumissions : j’en ai présenté pour un grand nombre de particuliers ; il est nécessaire que je sache si elles seront acceptées. M. l'abbé Maury. J’ai l’honneur d’être député par votre comité des finances au comité d’aliénation. J’ai reçu deux avis par lesquels on m’annonçait que le travaille ce comité était remis à demain. Je vais vous faire hommage de mes réflexions. L’opération qu’on vous propose est le chef-d’œuvre de l’agiotage, et jamais les agioteurs n’ont formé de projets plus funestes. Je vais vous révéler leur secret. Les agioteurs de Paris sont en possession de gouvernerîle royaume et l’administration des finances. Ils sont ruinés quand les effets sont au pair. Que leur faut-il? Que les effets haussent ou baissent, sans cela ils ne peuvent faire.de spéculation. 456 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juin 1790.] Les effets n’ont pas baissé depuis un mois, et les agioteurs sont à l’aumône. Ils trouvent cette position fort incommode : M. l’évêque d’Autun vous a présenté un projet qui mérite d’être loué à jamais dans la rue Vivienne. Je n’ai pas l’honneur d’être confident de M. l’évêque d’Autun, et cependant je vais vous dire tous ses secrets. Je vous demande pardon si, dans cette discussion, le nom deM. l’évêque d’Autun est si souvent prononcé, mais je parle d’un plan proposé par lui et imprimé sous son nom.... (On observe que ce n’est pas là l’ordre du jour. M. de La Rochefoucauld se présente pour demander la parole. M. l’abbé Maury le pousse hors de la tribune par les épaules.... Il s’élève de grands mouvements.) M. Alquier demande la parole. M. Président. On élève une question incidente, en disant que l’opinant n’est pas dans l’ordre du jour : M. Alquier demande la parole, je la lui accorde. M. l'abbé Maury. M. le président, je ne puis la lui donner. M. lie Chapelier. J’ai à demander que l’opinant soit rappelé à l’ordre. M. le Président. On demande la parole sur les propositions du préopinant. Plusieurs voix : Et sur ses actions ! M. de Laneosne. Il y a une accusation à former contre M. l’abbé Maury : qu’il écoute son accusateur; il répondra ensuite. M. l’abbé llaury. Je supplie l’Assemblée de m’écouter avec la plus grande attention et la plus grande sévérité. J’ai dit que la proposition de mettre en vente tous les biens nationaux était une invention atroce de l’agiotage. Les agioteurs voyaient toutes leurs opérations dans une stagnation qui est pour eux la mort ; ils outdit : si nous mettons tous lesbiens nationaux en vente, il arrivera que les assignats, qui ne perdent que 3 0/0, ne vaudront pas plus que les autres effets, ou que ces effets vaudront autant que les assignats. Ce serait une belle proie pour ceux qui ont une grande quantité de ces effets en portefeuille : voilà ce qu’ils ont voulu : il s’agit d’examiner si c’est cela que vous devez vouloir. Pourquoi les assignats ont-ils une grande va!eur?G’est qu’ils sont hypothéqués sur des biens connus et liquides. Dès le moment oùtousles effets publics pourront être reçus comme les assignats, les assignats rentreront dans la classe des effets publics, et alors ils perdront 10 0/0, même avant leur émission. Si tous les effets publics qui portent 5 0/0 d’intérêt sont reçus comme les assignats, ou ils monteront au tauxde ceux-ci, ou ceux-ci descendront à la valeur de ceux-là. Ce calcul des agioteurs est très impatriotique. Votre comité de liquidation ne vous a pas encore fait connaître l’étendue de la dette publique. Plusieurs membres de ce comité m’ont communiqué le résultat de leurs travaux. On vous fera incessamment un rapport qui vous prouvera que la dette publiquese monte à 7 milliards ..... (Il s’élève des murmures.) Je parle de ce que j’ai appris par le comité de liquidation. Plusieurs voix : Vous n’en êtes pas! M. Dupont (de Bigorre ). Voilà un membre du comité qui demande à démentir M. l’abbé Maury. M. Biaille de Germon, membre du comité de liquidation, se présente à la tribune. M. l’abbé Maury ne veut pas la lui céder. Une partie de l’Assemblée insiste pour que M. Biaille de Germon soit entendu. M. l’abbé Maury. Permettez-moi de dire ce que je sais et de qui je le sais ; je ne prétends pas être cru sur ma parole. M. Lucas (de Moulins ). C’est l’assertion la plus odieuse, la plus incendiaire! M. l’abbé Maury veut anéantir la confiance. Je demande que le membre du comité de liquidation qui veut le démentir soit entendu. (Quelques moments s'écoulent dans une grande agitation.) M. Le Deist de Botidoux. M. le Président, on demande que vous consultiez l’Assemblée pour savoir si l’on entendra le comité, quand il est de sou devoir de donner un démenti à M. l’abbé Maury. Je vous somme de mettre cette demande aux voix ..... On ne peut souffrir que la tribune soit impunément souillée par d’aussi dange-reusesi mpostures. Beaucoup de membres du comité de liquidation se présentent à la tribune. M. l’abbé Maury les repousse. L’Assemblée décide que le comité de liquidation sera entendu. Après une longue résistance, M. l’abbé Maury quitte la tribune. M. l’abbé Gouttes. J’ai eu d’autant plus lieu d’être surpris de l’assertion de M. l’abbé Maury, que j’ai été secrétaire du comité de liquidation depuis sa formation, et qu’il y a quinze jours que j’ai l’honneur de le présider. J’ai assidûment assisté à toutes ses séances, et je ne crois pas qu’un seul de ses membres ait dit, ait pu dire ce que M. l’abbé Maury suppose. Nous avons une partie des états de la marine et des états du département de la guerre : des affaires particulières ont employé notre temps. Nous nous occupons à préparer un projet de décret pour assurer l’ordre dans notre travail. Je demande que M. l’abbé Maury nomme la personne qui lui a dit ce qu’il a avancé. Nous ne pouvons pas savoir qu’elle est t’étendue de la dette de l’Etat, puisque nous n’avons pas d’autres pièces que celles dont je viens de vous parler. M. l’abbé Maury. L’interruption qu’on m’a fait éprouver n'aurait pas été très nécessaire si on m’avait fait l’honneur de m’écouter. J’ai dit qu’un membre du comité.... Plusieurs voix : Vous avez dit plusieurs membres. M. Dupont (de Bigorre). M. l’abbé Maury a dit qu’il parlait au nom du comité. M. l’abbé Maury. M. Dupont dit une imposture. [Le soulèvement est général dans la partie gauche de V Assemblée). M. le Président. C’est en nous respectant nous-mêmes que nous conserverons le respect dû à cette Assemblée. Je demande qu’on veuille bien rentrer dans le calme et la tranquillité qui nous conviennent.