[17 novembre 1789.] gâ [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. physiquement être élu que par la réunion de tous les électeurs. M. le comte de Crillon. Le nombre des députés à raison du territoire sera nécessairement ternaire; à raison de la population ou de la contribution, il ne le sera presque jamais. Alors comment trois assemblées nommeront-elles pour ces deux bases deux ou quatre députés? Il faudrait confier alternativement cette nomination à l’une des trois assemblées; mais les moyens d’alterner seront extrêmement compliqués. Je pense que l’élection doit être faite dans une seule assemblée. M. le Chapelier. L’intention de l’Assemblée est de faire un décret dont l’exécution soit possible : cependant si un département doit nommer ou cinq, ou sept, ou onze députés d’après Ja combinaison des trois bases, la division de ces nombres ne pouvant se faire par trois, quel district voudra en nommer moins qu’un autre district? Chacune de ces assemblées voudra en élire le plus grand nombre possible afin d’augmenter son influence sur l’Assemblée nationale, et de là des débats et des désordres fâcheux. On craint avec raison l’influence qui résulterait de la tenue des assemblées d’élection dans le chef-lieu du département; mais ne doit-on pas craindre aussi dans les districts l’influence de deux ou trois seigneurs? M. de Bousmard, député de la Meuse , interrompt l’opinant, et lui observe qu’il n’y a plus de seigneurs. M. le Chapelier. Je me suis trompé; je ne devais pas jne servir d’un mot que la destruction du régime féodal a rejeté de notre langue. J’ai voulu dire l’influence des gens riches, et sans contredit l’influence de la richesse est de tous les temps et de tous les lieux. La liberté d’une assemblée dépend souvent du nombre de ses membres. Quand ils sont peu nombreux, l’intrigue a plus de prise; chacun veut être élu, et cette prétention donne lieu au petit commerce dangereux qui se fait en disant : Donnez-moi votre voix et je vous donnerai la mienne. Quand bien même ces raisons n’existeraient pas, il faudrait rejeter une motion qui rendrait le plan que vous avez adopté si difficile à exécuter. Prenez-y garde, ceux qui voteraient pour une semblable mesure ne désireraient pas l’exécution de ce plan. M. Defermon retire sa motion et se réfère à l’article proposé par le comité. M. le marquis de Foucault-Lardinalie. S’il dépend d’un membre de l’Assemblée de retirer sa motion, il dépend aussi d’un autre membre de la réclamer, et plus de cent réclament celle de M. Defermon. On met aux voix le sous-amendement ainsi exprimé : « Dans le cas où un département sera divisé en six districts, il n’y aura que deux assemblées.» Puis les deux amendements suivants, qui forment une partie de la motion de M. Defermon : « Dans le cas où il y aura trois assemblées composées de deux ou trois districts réunis, elles se rassembleront dans le chef-lieu de l’un de ces districts. » Cet amendement est adopté. « Les assemblées de district se réuniront alternativement pour l’élection dans l’un de ces districts. » Cet autre amendement est également adopté. M. le Président, du consentement de l’Assemblée, pose ainsi la question principale de la motion de M. Defermon : « Les députés à l’Assemblée nationale seront-ils nommés par tous les électeurs de l’entier département, ou seront-ils nommés par les électeurs réunis de trois districts, si les districts sont au nombre de neuf; ou de deux districts, si les districts sont au nombre de six ; ou enfin de chaque district, si les districts ne sont qu’au nombre de trois ; bien entendu que, s’il est décidé que les élections se feront par les électeurs réunis de l’entier département, l’Assemblée statuera ultérieurement si elles pourront être faites dans le chef-lieu du département, et si pour ces élections les chefs-lieux de district n’alterneront pas, » La question posée de la sorte, les voix ont été prises à la manière accoutumée ; mais ayant paru douteux de quel côté était la majorité, on a réclamé l’appel nominal, après lequel les voix ont été comptées. M. le Président a prononcé le décret, portant : « Que les députés à l’Assemblée nationale seraient nommés par les électeurs réunis de tous les districts de chaque département, se réservant l’Assemblée de statuer si les élections pourront se faire dans le chef-lieu du département, ou si elles ne se feront pas dans les chefs-lieux des divers districts qui alterneront; ce qui a été ajourné à demain. » ' L’ordre du jour a été donné pour la séance du soir. M. le Président a levé la séance, et l’a renvoyée à ce soir six heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Séance du mardi 17 novembre 1789, au soir (1). La séance est ouverte par l’annonce d’un don patriotique de la part des sœurs de l’Union chrétienne de la ville de Caen. M. le chevalier de Boisse, député de Lyon, demande qu’il lui soit permis de s’absenter jusqu’au 20 du mois prochain. — L’Assemblée consent à cette demande. M. Dourthe, député de Sedan, demande que sa démission, donnée pour cause de maladie et qu’on avait omis de mentionner dans les précédents procès-verbaux, soit insérée dans celui de la séance d’aujourd’hui, L’ Assemblée y consent. Une députation de la commune de Paris est annoncée ; elle est introduite ; elle dépose sur le bureau un arrêté du district des Cordeliers et une (1) Celle séance est incomplète au Moniteur. [17 novembre 1789.] 83 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] délibération de la commune sur cet arrêté, qui porte que trois députés de ce district ont donne leur démission ; le district des Cordeliers, en nommant de nouveaux députés, a fait l’arrêté do t l voici l’extrait : « L’assemblée générale a unanimement arrêté que les députés à la commune prêteraient le serment dont voici la formule : Attendu que nous n’avons d’autres pouvoirs que ceux de nos commettants, nous jurons et promettons de nous opposer autant qu’il sera en nous, à tout ce qui pourrait porter atteinte au pouvoir constituant, et de protester contre tout ce qui ne serait pas adopté par la majorité des districts ; que nous sommes révocables à volonté, etc. Arrête en outre que ladite formule sera imprimée et envoyée à tous les districts. » La commune de Paris a blâmé cette conduite ; elle n’a pas voulu recevoir les nouveaux députés, et a rappelé les anciens. M. 1» Président répond à la députation que l’Assemblée nationale prendra cette affaire eu considération. L’ordre du jour appelle la discussion sur l'arrêt du parlement de Mets, adressé à l' Assemblée nationale pendant la séance d’hier. M. le vicomte de Mirabeau (1). Je sens, Messieurs, toute la défaveur qui doit suivre celui qui monte à la tribune, et est supposé y monter avec l’intention de combattre une idée presque généralement adoptée par l’Assemblée ; mais je crois que c’est dans cette circonstance qu’un opinant a le plus de droits à l’attention et à l’indulgence de l’Assemblée. Je connais peu les formes judiciaires; je ne sais par conséquent pas quelle est la différence qui existe entre un enregistrement pur et simple, et un enregistrement provisoire, accompagné de protestation. Je n’entreprendrai donc pas de déterminer quelle peine a encouru le parlement de Metz par la conduite qu’il a tenue; je me contenterai d’examiner la base sur laquelle elle est fondée et je ne crains pas de dire que je ne la trouve pas dénuée de fondement. Le parlement de Metz dit, que ne croyant pas reconnaître dans le décret de l’Assemblée nationale, du 3 du courant, et dans la sanction qui y est jointe, le caractère de liberté nécessaire pour rendre les lois obligatoires, il est incertain sur ta manière de remplir, dans les circonstances actuelles, les engagements qu’il a contractés par son serment. Personne n’est plus convaincu que moi que le monarque est libre ; il le dit dans sa proclamation et je suis accoutumé à ne voir que la vérité et mon devoir, dans ce qui émane de la bouche du monarque ; mais personne ne disconviendra avec moi que, quand bien même il ne le serait pas, il tiendrait encore le même langage. (Un grand tumulte éclate dans la salle. — On demande que l’orateur soit rappelé à l’ordre. — Plusieurs membres proposent de lui retirer la parole. — M. le président parvient à ramener le silence.) M. le vicomte de Mirabeau. Je dois imaginer aussi que l’Assemblée est libre dans ses délibérations et opinions ; et l’attention qu’on me prête en ce moment, où je ne suis pas d’accord (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. le vicomte de Mirabeau. avec la majorité de l’Assemblée, m’en est un sûr garant. Mais vous paraît-il impossible, Messieurs, qu’aux frontières du royaume, on ne croie pas à l’évidence de ces vérités que nous croyons apercevoir? Vous savez mieux que moi que les nouvelles ne parviennent pas dans les provinces d’une manière parfaitement exacte ; sur les lieux mêmes il y a autant de versions différentes que de témoins; il est possible que les 15,000 hommes qui ont été à Versailles, précédés d’un train d’artillerie, inviter le Roi à se rendre dans la capitale, aient été dénoncés dans les provinces comme une armée qui a été enlever le monarque; on y a peut-être cru que toutes les horreurs qui ont précédé sa translation étaient l’effet d’intrigues combinées, tandis qu’elles n’ont été, selon les appa-parences, que les crimes de quelques brigands isolés. (De nouvelles interruptions couvrent la voix de l’orateur. 11 attend que le silence se rétablisse.) M. le vicomte «le Mirabeau. Quant à ce qui regarde l’Assemblée nationale, ne pardonnerez-vous pas, Messieurs, qu'on ail pensé, à 120 lieues de nous, ce que beaucoup de membres ont cru et soutenu dans le sein de l’Assemblée lorsque la question de son départ pour Paris y a été discutée? Je pense donc, Messieurs, que le parlement de Metz a pu croire, sans crime, mais seulement par erreur, que le Roi et l’Assemblée nationale notaient pas libres et j’interrogerai à cet égard la conscience d’un grand nombre de membres de cette Assemblée. Il en est (et en grand nombre) qui ont craint, mal à propos sans doute, l’i nfluence de la capitale sur les décrets de l’Assemblée; il en est beaucoup môme à qui leurs commettants ont manifesté la même crainte ; je le tiens d’eux-mêmes. D’après ces considérations, je conclus, Messieurs, par demander : 1° Que le Roi soit remercié de la promptitude qu’il a mise à rassurer les peuples sur l’identité de ses principes avec ceux de l’Assemblée nationale et à les manifester en cassant l’arrêt du parlement de Metz; 2° Que l’Assemblée nationale, considérant que son autorité dépend de sa liberté, déclare à toutes les provinces qu’elle est parfaitement libre et que les peuples doivent à ses décrets le respect qui est du à tous les actes du pouvoir législatif; 3° Que l’Assemblée ordonne à son président de se retirer immédiatement par devers le Roi, à l’effet de proposer le présent décret à l’acceptation de Sa Majesté, pour être ensuite envoyé au parlement de Metz, qui sera tenu de l’enregistrer sans réserve et sans délai, ainsi qu’à tous les autres tribunaux et corps administratifs du royaume. M. Lavle. Le discours de M. le vicomte de Mirabeau est irrespectueux pour l’Assemblée et tend à ia déconsidérer dans l'opinion publique. Je propose de lui interdire la parole pour trois mois. M. de Cazalès. Une Assemblée délibérante n’est pas libre quand chacun de ses membres n’a pas le droit de dire crûment son sentiment ; il ne doit même pas être interrompu, à moins qu’il n’attaque les individus, et M. le vicomte de Mirabeau n’a manqué à personne. M. Bion. Je demande que le discours que vous