640 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 avril 1790.] été souvent employées pour arracher ou surprendre le consentement du monarque : la manière d’y procéder est, en soi, extrêmement vicieuse, ainsi qu’on l’a observé dans le rapport fait au comité, et d’ailleurs l’échangiste, dont le titre n’a pas reçu sa perfection, n’a jamais dû se regarder comme proprietaire incommutable. (/) L’apanage n’est pas un titre vraiment héréditaire; il ne transmet point la propriété. Tant que nos rois se sont permis de disposer arbiirairement de leurs domaines, il était naturel de croire que les dons qu’ils faisaient à leurs puînés étaient affranchis de tout espoir de retour à la couronne. La condition d’un fils de France était au moins aussi favorable, et son titre était sûrement plus sacré que celui d’un acquéreur à deniers comptants ou à tiire gratuit. Mais lorsque nos souverains ont mieux connu leurs propres intérêts; lorsqu’ils ont été assez instruits de« grandes maximes du droit public; pour reconnaître qu’ils n’avaient pas le droit d’aliéner le, domaine de la couronne; lorsqu’enfin le progrès des lumières leur a fait adopter le grand principe qui confond et incorpore leur patrimoine avec celui de. la nation, pour n’en faire qu’un tout indivisible, la loi des apanages réversibles s’est établie d’tlle-inême; Charles V l’a consacrée d’une manière solennelle, et elle se trouve clairement énoncée dans l’article 1er de l’ordonnance de 156b. Une loi si sage, qui n’est qu’un corollaire des règles fondamentales du droii social, aurait même dû avoir un effet rétroactif; mais de longs préjugés ne se dissipent que lentement, et Louis XI, qui se piquait d’une politique si profonde, osa bien s’emparer de la Bourgogne à la mort Je Charles le Téméraire, mais il abandonna l’Artois à la maison d’Autriche; l’une et l’autre province avaient cependant été détachées delà France au même titre, l’une pour Robert d’Artois, frère de Saint-Louis, et l’autre en faveur de Philippe le Hardi, le dernier des fils du roi Jean. Cette distinction fut fondée, sans doute, sur ce que la première de ces concessions avait été faite sans clause de retour, avant qu’aucune loi eût établi le principe de l’inaliénabilité, au lieu qne la réversion avait été stipulée lors du don fait à Philippe de Bourgogne. Cette loi qui déclare les apanages réversibles, à défaut û hoirs mâles, a, dans quelques occasions, îvçu une interprétation trop stricte que le comité n’a pas cm devoir adopter. Un a prétendu que l’apanage ne pouvait jamais se recueillir eu ligne collaterale, quoiqu’il existât des mâles descendus du premier apanagiste. De grands exemples ont même favorisé cette opinion rigoureuse. A la mort de René, roi de Sicile et duc d’Anjou, cette province fut réunie à la couronne au préjudice de Charles, comte du Maine, son neveu, et fils de son frère. La même règle fut suivie à la mort de Charles de Bourgogne, puisque la branche de Nevers, descendue, comme la sienne, du premier duc Philippe, existait encore; mais, en politique, on s’écarte souvent des principes d’une justice exacte. Tous les publicistes conviennent aujourd’hui que tous les descendants par mâles du prince auquel l’apanage a été concédé, sont appelés à le recueillir, et le comité s’est conformé à l’opinion dominante. Les terres données en apanage contiennent communément de vastes forêts. Les bois, cette substance précieuse de nécessité première, dont la con-ommalion est si prompte et la reproduction si lente, sont dignes de la plus grande attendon. Ils se divisent en futaies et en taillis; les premières sont considérées comme uue portion du fonds auquel elles sont inhérentes; les taillis, au contraire, divisés ordinairement en coupes réglées, ou susceptibles de l’être, forment une jouissance annuelle, et sont mis au nombre des fruits. De cette distinction naît la conséquence que tous ceux qui ont la jouissance d’un bien domanial ont le droit de couper les taillis qui n’en sont pas nommément exceptés, pourvu qu’ils n’intervertissent point l’ordre des coupes, et qu’ils ne se rendent coupables d’aucune faute ni d’aucune négligence qui puisse nuire à la reproduction. Les futaies sont soumises à d’autres règles; les simples concessionnaires ne peuvent y toucher en aucun cas. Ils ne peuvent pas même disposer des chablis ni des arbres abattus par les vents. Ils n’en sont qup les con>eivateurs. Les apanagistes ne sont point propriétaires, on vient de l’établir. Ils ont, à la vérité, des droits plus étendus que les simples usufruitiers. Leur jouissance, qui peut s’étendre à plusieurs générations, et embrasser plusieurs siècles, les a fait assimiler, à certains égards, aux propriétaires. Cependant les anciennes ordonnances leur ont expressément refusé ia disposition des futaies. Elles sont de droit exceptées de la concession de l’apanage. En effet, un grand arbre n’est pas un fruit annuel; il tient au fonds qui l’a produit; il en fait partie: il ne peut en être détaché sans quele fonds ne soit détérioré. Nos rois eux-mêmes se sont interdit la liberté d’abattre les futaies, sans des raisons pressantes, et avec des formalités longues et multipliées. Le comité a cru devoir proposer le principe avec une modification qui lui a semblé juste, et que l’Assemblée nationale appréciera dans sa sagesse. {g) Lorsque la question des engagements a été discutée au comité des domaines, et qu’il s’est occupé du mode du remboursement, il a pensé que ce genre de contrat se réduit, en dernière analyse, à un simple prêt d’argent fait ordinairement à très gros intérêt; que celui qui a acquis à ce tiire mérite peut-être moins défaveur qu’un créancier ordinaire, et qu’il ne peut pas espérer un meilleur traitement. Il a seulement l’avantage précieux d’être nanti d’un gage, dont, par le droit naturel et civil, il ne peut être dépouillé, sans avoir reçu le montant de sa créance; mais le paiement de la somme mentionnée au contrat doit en être fait selon la valeur numérique des espèces actuelles, sans égard aux révolutions intermédiaires, contre l’avis proposé au comité lors du premier rapport. L’Assemblée ordonne l’impression du rapport de M. Barrère de Vieuzac et du projet de décret présenté par M. Ënjubault de La Boche. Elle ajourne toute délibération sur les domaines de la couronne jusqu’après la distribution de ces rapports. M. le Président annonce que la discussion est ouverte sur les assignats. M. Martineau. Le projet de décret qui vous a été soumis hier par le comité des finances donne lieu à trois questions principales : 1° la somme des assignats est-elle suffisante? 2e les assignats doivent-ils avoir un cours forcé? 3° les assignats doivent-ils porter intérêt? Première question. — Le comité se renferme dans des bornes irop étroites, la somme de 400 millions est insuffisante aux besoins de la société. La circulation est anéantie; le y commerce est interrompu; les travaux sont suspendus; des millions de bras restent dans l’inaction. Quelle est la cause de ces circonstances funestes? la voici : le Trésor public retient les fonds des particuliers. 11 y a pour 789 millionsde dettes exigible-! actuellement échues : il faut donc que le remède soit proportionné au mal, et porter l’émission des assignats à 800 millions. Seconde question. — II serait sans doute injuste de forcer les créanciers de l’Etat à prendre des assignats sans forcer leurs propres créanciers à les recevoir. On doit donc donner aux assignats un cours forcé. On se propose de combattre cette assertion, et l’on n’a pour cela que des préjugés auxquels le souvenir du système de Law donne naissance. Le papier-monnaie, dans les temps du despotisme, est dangereux ; il favorise les déprédations. Mais dans une nation constituée, qui veille elle-même à l’émission des billets, qui en détermine la quotité et l’emploi, ce danger n’existe plus. A peine eut-il paru 2 ou 300 millions de billets de Law, que le crédit public se ranima, et que la balance du commerce, au grand étonnement des nations, devint en faveur de la France. Mais la scène changea. En voici la raison : le régent, enhardi par ce succès, ne borna plus l’émission des billets; il en créa pour 9 milliards; et, au lieu de payer les dettes de l’Etat, il fit des dons immenses aux courtisans dont il était environné. 661 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 avril 1790.] Troisième question. — Je ne conçois pas comment le comité a pu proposer de faire porter intérêt aux assignats, puisqu’au lieu d’être des effets de commerce, ils sont un véritable papier-monnaie. Vous grevez la nation de 18 millions d’intérêts pour 400 millions d’assignats. Un intérêt excite la cupidité, ne ranime pas la confiance, et donne lieu à l’agiotage. M. Prieur. Vous vous trouvez dans un des moments les plus intéressants pour la chose publique. Le royaume est dans un état pénible. Si vous faites une opération bien calculée, demain il se trouvera dans l’état le plus florissan t. La France, en un jour, va changer de face. Vous devez donc prendre toutes les précautions possibles pour opérer cet heureux changement. Quelles sont ces précautions? Les voici : Vous vous proposez de décréter pour 400 millions d’assignats portant intérêt. Si l’hypothèque est certaine, chacun se les disputera. Je n’ai que deux questions fort simples à faire. Avec quoi voulez-vous payer les intérêts et le remboursement? Avec les revenus des biens du clergé, avec les biens du clergé. Mais ne manquera-t-on pas de contiance en cette hypothèque, tant que ces biens ne seront point entièrement à votre disposition? M. Chasset vous a fait un rapport qui a mérité vos applaudissements, et vous a tracé la marche que vous devez suivre. Il faut décréter, sans déplacer, les trois premiersjarticles du projet de décret présenté au nom du comité des dîmes. Ges articles ne doivent éprouver aucune difficulté. S’il s’élevait une voix pour les attaquer, mille s’élèveraient pour les défendre. Ils contiennent les bases fondamentales de la confiance. De ces articles dépend le salut de l’Etat. l)écrétez-les; ils donneront la vie à tous, ils assureront votre liberté, ils rappelleront le numéraire. Ces trois articles peuvent vous sauver ; et vous balanceriez à les décréter! Votre patriotisme m’est garant que vous ne vous séparerez pas sans cela. (La proposition de M. Prieur est appuyée par un assez grand nombre de membres.) M. de Boisgelin, archevêque d’Aix, demande qu’on revienne à l’ordre du jour. La priorité est réclamée pour la motion de M. Prieur. M. de Cazalès. Continuer l’ordre du jour, voilà la règle; l’interrompre par une motion incidente, voilà l’exception ; la règle doit obtenir la priorité. Je ne prétends pas préjuger l’opinion de l’Assemblée sur la très importante question de savoir si le clergé doit rester usufruitier. C’est encore une plus grande question de décider si, à l’avenir, le clergé sera salarié en argent. Certainement il n’est pas un bon esprit qui ne trouve inconcevable qu’on veuille nous faire décréter de semblables questions à l’heure qu’il est, sur un rapport non autorisé par le comité ecclésiastique, et que d’ailleurs l’Assemblée n’a pas encore eu le temps de méditer. Je demande donc qu’on revienne à l’ordre du jour, sauf à ajourner la question. M. Barnave. La proposition de M. Prieur est certainement de nature à précéder, soit dans la discussion, soit dans la délibération de l’objet des assignats. Plus une opération est importante, plus elle est hardie, plus il est nécessaire de la faire prendre par tout ce qui doit contribuer à son succès. Lorsqu’on s’oppose à ce que nous délibérions, sans désemparer, sur la proposition de M. Prieur, on oublie que les questions qu’elle renferme ne sont qu’une suite de vos décrets, et qu’il s’agit d’en déduire une conséquence immédiate et nécessaire. M. Fréteau. Je crois qu’il faut pourvoir sur-le-champ au paiement de la dette publique, et qu’il faut assurer solennellement l’hypothèque des assignats, leur paiement et leur privilège. C’est pour cela que je vous supplie de' ne pas commencer à trois heures une discussion de cette importance, de la renvoyer à demain, et d’arrêter que les jours suivants y seront employés si cela est nécessaire. M. Charles de Lameth demande la priorité pour M. Prieur, et l’ajournement à demain, en arrêtant que le décret sera porté dans la séance de demain. M. de E*a Rochefoucauld. Je ne combats pas la priorité demandée pour la motion de M. Prieur : il est raisonnable de prendre un parti sur les biens du clergé avant de les assigner comme hypothèque. Je demande donc cette priorité, et que demain on commence la discussion de cette motion. (La demande deM. de La Rochefoucauld est décrétée.) M. le Président invite l’Assemblée à se retirer dans ses bureaux pour la nomination du président et des secrétaires. La séance est levée à trois heures un quart. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE BARON DE MENOU. Séance du samedi 10 avril 1790, au soir(l). La séance est ouverte à 6 heures du soir. Un de MM. les secrétaires fait lecture des adresses suivantes : Adresse de félicitation, adhésion et dévouement de la ville de Saint-Affrique en Haute-Guyenne; elle demande que le couvent des Cordeliers, établi dans son sein, soit érigé en collège national. Adresse de la nouvelle municipalité de la communauté de Grancey-sur-Ourse, remise au bureau des dons patriotiques. Quoiqu’il n’y ait aucun habitant qui jouisse de 400 livres de revenu, elle fait le don patriotique de la somme de 300 livres. Adresse des nouvelles municipalités des communautés de Poet-Laval en Dauphiné, de Saint-Hilaire de Soussac, de Saint-Glément en Saintonge, de Puy-Guillaume en Auvergne, de la ville de Gortez en Corse, et de Mencival ; De la ville de Langeais ; elle demande avec instance que l’option de l’administration ou du tribunal de district lui soit déférée ; De la communauté de Panissière en Forez. Indépendamment de la contribution patriotique, elle faitdon du produit des impositions sur les ci-devant privilégiés ; (1) Cette séance est incomplète au Moniteur,