ICoDTention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. J jî décembre 1793 248 Procès-verbal de la fête républicaine célébrée au Mans le décadi 30 frimaire, l’an II de la République française, pour la plantation de l’arbre de la liberté, abattu par les bri¬ gands (1). Enfin à des-jours d’horreur ont succédé des jours d’allégresse. Après avoir retenti des foudres de la guerre, nos murs ont retenti de chants civiques. Heu¬ reux présage ! La joie qui suit les combats est fille de la victoire. Mais bien moins glorieux d’avoir vaincu que d’avoir terrassé des satellites de la tyrannie, nous sentons que la nôtre nous est inspirée par le génie de la liberté. Quand tous les brigands qui ont mordu la poussière eussent été vainqueurs, quand ils eussent massacré nos familles, oui, nous en jurons par les mânes de nos frères, le culte de la liberté eût été solennellement rétabli dans nos murs, et notre dernier soupir serait encore pour elle. Immortelle cité ! Ton nom devient cher à la République, puisque des milliers d’esclaves ont trouvé la mort dans ton sein. La calomnie qui obscurcissait tes hautes destinées disparaît et fuit maintenant loin de tes murs orgueilleux ; mais tu as sauvé ton pays, que t’importe la renommée 1 La seule gloire qui soit digne de toi, celle que nous ambitionnons tous, c’est de coopérer par le sacrifice de nos propriétés, et même de notre vie, au bonheur et à la prospérité de la République. Le décadi 30 frimaire, toutes les autorités constituées et un grand nombre de citoyens s’étant réunis à la maison commune, le maire leur annonça qu’une cérémonie civique allait avoir lieu pour la plantation de l’arbre de la liberté abattu par les brigands, et les invita à Ïr mettre toute la pompe et la solennité dignes de 'objet qu’ils allaient célébrer. Tous reçurent cette invitation avec des transports d’allégresse, et de nombreux applau¬ dissements succédèrent au discours énergique du maire. Toute la garde nationale, réunie sous les armes et précédée d’une musique guerrière, formait un cortège imposant. On quitta la maison commune et l’on se rendit sur la place Victoire. Au milieu s’élevait un grand chêne paré des couleurs nationales et Surmonté de trois couronnes civiques; des citoyens en soutenaient l’équilibre jusqu’à ce que le maire eût, au nom de tous, versé la première pelle de terre pour couvrir ses racines. A quelques pas de là, roulaient dans la boue tous les vieux parchemins de l’ancienne et ridicule noblesse. Ce contraste frappant et majestueux ranima dans tous les cœurs le feu sacré de la liberté. . Tyrans du monde, voilà l’emblème de vos destinées! Vos grands noms, fruits de l’igno¬ rance des siècles pourriront un jour dans la poussière. Et vous, peuples qui fléchissez encore le genou devant eux, redemandez à la nature votre dignité primitive, ou plutôt terrassez vos oppresseurs, ils ne vous paraissent forts que parce qu’ils ont usurpé votre puissance. (1) Archive » nationales, carton C 288, dossier 883, pièce 23. Lorsque le cortège eut entouré l’arbre de la liberté, des airs patriotiques firent retentir les nues. Le maire prit ensuite la parole et dit ; « Citoyens, les brigands ont fait de cette cité le théâtre de tous les crimes. Il ne manquait à leur scélératesse que de rougir vos maisons du sang de vos enfants, et ils l’eussent fait, si la vengeance des troupes républicaines ne les eût dispersés d’épouvante, après avoir donné la mort à un grand nombre d’entre eux. « C’est ici, c’est sur cette place que nos frères ont péri par le fer assassin des suppôts de la tyrannie; mais ils sont morts heureux puisqu’ils ont rendu le dernier soupir pour la défense de la liberté. En est-il parmi nous qui n’ambitionne une mort aussi glorieuse? « Nos malheurs sont grands sans doute, mais ils sont indispensables aü salut de la République et tous les sacrifices que nous avons faits doivent être des jouissances pour les âmes vraiment républicaines. « Nous ne viendrons pas ici regretter nos pro¬ priétés, nos jouissances, quand nous avons à pleurer les plus braves défenseurs de la patrie. Cet acte d’égoïsme est indigne de nous. Un sen¬ timent plus noble, plus digne de la cause sacrée que nous défendons, nous anime en ce moment. Nous oublierons jusqu’à la trace de nos adver¬ sités, et, transportés d’un saint enthousiasme pour la liberté, nous ne pousserons tous en¬ semble qu’un seul cri : Vive la liberté! vive la République ! C’est sur les ruines du despotisme que s’établit la liberté; c’est du malheur des tyrans que naît la félicité des hommes libres. Pour anéantir les premiers, il fallut emprunter la foudre du peuple; pour faire régner les se¬ conds, il ne faut que guider ses vertus. « C’en est fait, citoyens, du despotisme et de ses esclaves; la paix va régner à jamais parmi nous, et notre union fera notre bonheur et notre force. . « Arbre sacré ! Que ton front majestueux plane et s’élève dans les nues; qu’il soit l’interprète de nos regrets et de notre reconnaissance pour les mânes de nos généreux défenseurs. * Vive la liberté! vive la République! » Le procureur général syndic prit aussi la parole et peignit, dans un discours énergique toute la scélératesse des brigands qui ont désolé cette cité; il paya, aux mânes de nos frères assassinés par ces monstres, le tribut de regrets qui leur sont dus et que nous ressentons tous. Puis, rappelant au peuple la victoire signalée que nous avons remportée sur eux, il montra combien elle devait être heureuse, la commune qui avait aussi avantageusement servi son pays. Le cortège, s’avançant ensuite vers la place où traînaient les titres féodaux, le maire y mit le feu, et le peuple en témoigna sa joie par les cris multipliés de : Vive la liberté ! vive la Républi¬ que ! Le cortège retourna ensuite à la maison com¬ mune où le maire félicita le peuple sur le dévoue¬ ment civique qu’il venait de montrer, et de là, on se rendit à la Société populaire, qui fut réins¬ tallée au son de la musique et des cris mille fois répétés de : Vive la République! vive la liberté ! Pour copie conforme : Potier, maire; Tubbat, secrétaire du conseil général.