[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juillet 1789.] 263 êtes notre espoir : la patrie gémissante vous implore comme des divinités tutélaires. Nos cœurs, notre reconnaissance décernent déjà la palme du patriotisme à vos vertus, à votre courage; couronnez vos travaux; et puisse le bonheur public être bientôt votre ouvrage et votre récompense! La Chambre des comptes, Messieurs, a l’honneur de vous proposer par ma voix, tous les renseignements qu’elle pourra vous donner, lorsque vous vous occuperez des linances. On fait lecture de l’arrêté qui a été déposé sur le bureau, et qui est conçu ainsi qu’il suit: Du 18 juillet 1789. — ■ « La Chambre, sur le récit de ce qui s’est passé hier, a arrêté que M. le premier président ira, dans ce jour, porter au pied du trône ses respectueuses félicitations sur le rétablissement du calme dans la capitale, que l’on doit à la loyauté et à la présence du Roi. « La compagnie se repose sur !e premier président, pour exprimer dignement les sentiments qui l’animent; elle le charge de faire part de son arrêté à l’Assemblée nationale, et de lui offrir l’hommage de tous les renseignements qu’elle peut lui donner, lorsqu’elle s'occupera des Finances. « Arrête en outre que deux de MM. les conseillers-maîtres se transporteront incessamment à l’IIôtel-de-Ville, pour remettre à MM. de la commune une copie de la présente délibération. » M. le Président répond : L’Assemblée nationale reçoit avec satisfaction l’hommage de la Chambre des comptes. Le bonheur ‘de la nation est le seul vœu des représentants de la nation; c’est le seul but de leurs travaux. Elle voit dans l’offre des renseignements sur les Finances que lui fait la compagnie que vous présidez, une nouvelle preuve de son désir de se rendre utile il l’Etat. L’Assemblée nationale y aura recours avec confiance, et ne doute pas d’y trouver les moyens de servir le désir impatient dont elle est animée de terminer l’ouvrage important du rétablissement des finances. A la suite de ces deux députations, on en annonce une de la cour des aides . M. de Paule Barentin, premier président de cette cour, entre, et remet un arrêté sur le bureau; il prononce le discours suivant: Messieurs, la cour des aides, créée par la nation assemblée, croirait manquer à son devoir le plus sacré, si elle différait à vous offrir l’hommage de son respect. Elle a rempli constamment l’honorable mission qui fut donnée, en 1355, aux généraux des Finances. Tant que son zèle n’a point été arrêté, tant que sa voix n’a point été étouffée par les ennemis du bien public, les peuples ont été heureux; mais ces jours fortunés se sont écoulés promptement. Des augmentations d’impôts, une répartition arbitraire, des extensions abusives, des vexations de tous les genres, tout présentait, depuis long-j temps, un désordre qui ne pouvait subsister. Toujours Frère de son illustre origine, la cour des aides n’a jamais cessé d’invoquer l’Assemblée de la nation à qui elle devait son existence: ce vœu fut le premier dont elle osa frapper les oreilles d’un jeune Roi avide de la vérité tant qu’il ne consulta que sou cœur. Les maux publics ont été portés à leur comble par les ennemis de la patrie; un nouveau cri s’est fait entendre: la France n’a vu de remède à ses malheurs que dans l’Assemblée de la nation; ses vœux enfin ont été exaucés; la force de la nécessité a brisé les obstacles qu’on a semés sur cette heureuse convocation ; et tous les Français, à travers les nuages qui couvrent encore notre horizon, croient entrevoir ici le soleil de la félicité publique. La cour des aides, Messeigneurs , unit sa voix à celle de tous les citoyens patriotes. Elle ne vient point, par rna bouche, vous offrir ses lumières et ses services; elle attendra les ordres de cette auguste Assemblée, lorsque s’occupant du soulagement des peuples, elle daignera descendre dans les détails des impositions, des perceptions, des répartitions, et enfin de la législation qui régit ces différents objets: heureuse que vous daigniez sanctionner l’estime publique qui a toujours marché à ses côtés, parce qu’elle a toujours suivi la route du devoir et de l’honneur. Qu’il me soit permis aussi, Messeigneurs, de regarder comme le plus beau jour de ma vie celui où j’ai l’honneur d’être l’organe de la cour des aides auprès de cette auguste Assemblée; elle devient d’autant plus chère à la nation, qu’elle vient de cimenter l’amour du Roi pour ses peuples et leur fidélité à sa personne sacrée. Elle m’a chargé, Messeigneurs, de vous témoigner son respect et de vous offrir ses remer-cîments sur les mesures que votre sagesse et votre fermeté vous ont inspirées pour concourir au rétablissement de la paix dans la capitale: c’est l’objet principal delà mission dont ma compagnie m’a honoré, et de son arrêté que je demande la permission de remettre sur le bureau. Lecture est faite de l’arrêté de cette cour ainsi qu’il suit: « Ce jour, les Chambres assemblées, la cour a arrêté que M. le premier président se reiirera dans le jour par devers l’Assemblée nationale, à l’effet de lui témoigner son respect et lui offrir ses remercîments sur les mesures que sa sagesse et sa fermeté lui ont suggérées pour concourir au rétablissement de la paix dans la capitale. « Signé : VIVIEN DU GOUBERK. » M. le Président répond: L’Assemblée nationale se rappelle avec satisfaction que la cour des aides doit son origine au vœu national exprimé par les Etats généraux de ce royaume ; elle reçoit avec plaisir le témoignage de son respect et l’offre des renseignements qu’elle fait par votre organe; elle me charge, Monsieur, de vous en donner l’assurance. L’Assemblée a paru voir avec satisfaction ces différentes députations: elle a applaudi aux discours qui ont été prononcés. Un membre rend compte à l'Assemblée des scènes tragiques qui se sont renouvelées hier à Paris, dont MM. Foulon et Berthier ont ôté les malheureuses victimes. De nouveaux troubles agitent la capitale; les divers districts sont divisés entre eux d’opinions et d’intérêts. M. de Iially-Tollendnl. Messieurs, un jeune homme éploré est entré ce matin chez moi, s’est précipité à mes pieds m’embrassant les genoux : « 0 vous, Monsieur, qui avez passé votre vie à pleurer un père, à réhabiliter sa mémoire, par ce nom sacré, Monsieur, intercédez pour moi auprès [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juillet 1789.J 264 de la nation. Rendez-moi le mien, sauvez-le de la mort qui l’attend. » Cet infortuné jeune homme était le fils de M. Berthier, intendant de Paris. Hélas! je n’ai pu appuyer ses touchantes prières, l’Assemblée ne s’est point formée, et le soir le père de ce malheureux a été exécuté de ia manière la plus affreuse. M. de Lally-Tollendal saisit cette occasion pour reproduire lè projet de proclamation qu'il avait déjà présenté. On se rappelle que ce projet avait été renvoyé aux bureaux; il n’est pas plus favorablement accueilli aujourd’hui, malgré les différents amendements proposés tant par M. de Laliy-Tollendal lui-même que par plusieurs autres membres. Dès la première phrase, on s’arrête; on ne veut S oint entendre le détail des malheurs où entre de Lally-Tollendal, comme proscriptions arbitraires, émigrations du royaume, désertion des villes, division des familles", etc. Plusieurs membres demandent qu’on y substitue la phrase suivante: « Tout citoyen doit frémir au mot de trouble qui entraîne après soi le renversement de l’ordre social. » D’autres soutiennent la motion. M. Mounier. Je ne trouve aucun inconvénient à adopter ce que propose M. de Lally. La proclamation est infiniment plus avantageuse que le silence, dans les circonstances actuelles. La puissance législative doit se montrer aujourd’hui ou jamais. Si cela réussit, comme il y a apparence, vous n’aurez qu’à vous louer de votre courage. Si cela ne réussit pas, au moins vous faites votre devoir; et cette considération doit l’emporter sur toute autre. Je conclus donc à admettre la proclamation de M. de Lally-Tollendal. Un membre observe qu’il faut distinguer deux classes de citoyens dans Paris: les uns qui mangent leur pain à la sueur de leur front, les autres qui sont dans l’aisance. Il faut ramener ceux-là dans l’ordre et le devoir, et rassurer les autres. M. le comte de Mirabeau. Je commence par déclarer, qu’à mon sens, les petits moyens compromettraient inutilement la dignité de l’Assem-Examinons quelles sont les causes des désordres de Paris; la première et la principale, c’est qu’aucune autorité reconnue n’y existe, c’est que le dissentiment le plus marqué s'établit entre les districts et les électeurs. Ceux-ci ont saisi les rênes de l’administration delà ville sans le consentement formel de la commune, mais autorisés par un péril imminent. A présent qu’ils ne peuvent pas méconnaître le principe, qu’ils sentent que ce consentement est absolument nécessaire, ils ont encore des assemblées; ils ont délibéré si, nonobstant le vœu formé par les districts de créer une administration nouvelle, iis ne resteraient pas revêtus du pouvoir qu’ils exercent; ils ont enfin établi dans leur sein un comité permanent qui n’a point de rapport direct avec les districts, dont l’objet incontestable est le bien public, dont la continuation a été nécessitée par les circonstances, mais dont le fruit est devenu nul, parce que les créateurs et les créés ne sont que de simples particuliers, sans délégation, sans confiance, et que leur pouvoir a cessé au moment où leur mission d’électeur a été consommée. De là résulte que les districts ne s’accordent point, ne marchent point ensemble; que durant cette anarchie il est impossible d’égaliser le fardeau, de proportionner les contingents et les secours ; qu’il faut au plus tôt réunir les districts ; qu’on le fera aisément par l’intervention de quelques députés conciliateurs; que la commune nommera un conseil provisoire, et que ce conseil s’occupera d’un plan de municipalité dont l’établissement assurera la subordination et la paix. Les municipalités sont d’autant plus importantes qu’elles sont la hase du bonheur public, le plus utile élément d’une bonne constitution, le salut de tous les jours, la sécurité de tous les foyers, en un mot, le seul moyen possible d’intéresser le peuple entier au gouvernement et de préserver les droits de tous les individus. Quelle heureuse circonstance que celle où l’on peut faire un si grand bien, sans composer avec cette foule de prétentions, de titres achetés, d’intérêts contraires que l’on aurait à concilier, à sauver, à ménager dans des temps calmes ! Quelle heureuse circonstance, que celle où la capitale, en élevaut sa municipalité sur les vrais principes d’une élection libre, faite par la fusion des trois ordres dans la commune, avec la fréquente amovibilité des conseils et des emplois, peut offrir à toutes les villes du royaume un modèle à imiter ! M. Mounier. Je demande à M. de Mirabeau s’il a entendu autoriser toutes les villes à se munici-paliser à leur manière? Cet objet est du ressort de l’ Assemblée nationale, et il serait trop dangereux de créer des Etals dans l’Etat, et de multiplier des souverainetés. M. le comte de Mirabeau. Le préopinant se trompe sur mes intentions. Ma pensée est précisément que l’Assemblée nationale ne doit pas organiser les municipalités. Nous sommes chargés d’empêcher qu’aucune classe de citoyens, qu’aucun individu n’attente à la liberté : toute municipalité peut avoir besoin de notre sanction, ne fût-ce que pour lui servir de garant et de sauvegarde. q Toute municipalité doit être subordonnée au ‘"grand principe de la représentation nationale : mélange des trois ordres, liberté d’élection, amovibilité d’offices; voilà ce que nous pouvons exiger; mais, quant aux détails, ils dépendent des localités, et nous ne devons point prétendre à les ordonner. Voyez les Américains; ils ont partagé leurs terrains inhabités en plusieurs Etats qu’ils offrent à la population, et ils laissent à tous ces Etqts le choix du gouvernement qu’il leur plaira d’adopter, pourvu qu’ils soient républicains et qu’ils fassent partie de la confédération. L’orateur conclut à ce qu’on envoie à Paris un député par district, pour établir un centre de correspondance entre toutes les Assemblées, afin de les accorder et de les faire marcher ensemble : il demande aussi qu’on déclare formellement que les fonctions des électeurs sont finies, et que toute Assemblée revêtue de fonctions municipales doit être établie du consentement de tous. Cette motion est applaudie. M. de Lally-Tollendal. Les coups terribles portés par un ministère coupable ont amené ces catastrophes effrayantes. 11 ne faut pas s’abuser : le peuple demande vengeance; mais il faut de la subordination, autrementon n’aurait quitté le joug et la tyrannie du ministère que pour rétomber