ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1790.J 073 [Assemblée nationale.] lité; mais l’intérêt de notre bonheur veut que ces différents corps obéissent toujours, et jamais ne commandent; si par leur propre force, ils pouvaient se donner l’impulsion qui leur est nécessaire, s’ils la recevaient d’eux-mêmes, ils seraient eux-mêmes le pouvoir exécutif; et ce n’est pas en eux que nous avons prétendu le placer. Nous avons dit dans tous nos mandats que nous voulions conserver précieusement et religieusement ce que nos pères ont toujours eu : un roi. Ah ! si son pouvoir et la puissance ne sont que de vains simulacres, si tout peut se faire sans lui, ou ne pas se faire sans lui, s’il n’a que l’extérieur de la royauté, sans en avoir les agissantes prérogatives, si, à l’heureuse impuissance de faire le mal, il ne joint pas la plénitude de puissance pour faire le bien, ce n’est pas un tel roi que nous voulons, et notre attente est trompée. C’est surtout à l’instant où la chose publique va se former, où tous les corps administratifs, les tribunaux, les milices nationales s’organisent dans toutes les parties du royaume que nous avons plus besoin que jamais de retrouver cette autorité tutélaire, qui, en dirigeant leur action secondaire, protège et maintienne leur utilité, prévienne leur choc, les contienne dans leurs limites, et les garantisse d’une soudaine et dangereuse dégénération. Tant que les ministres et les agents inférieurs de cette autorité seront soumis à l’impérieuse loi de la responsabilité, nous n’avons rien à craindre d’elle et nous n’avons que des bienfaits à en recevoir. D’après ces considérations, je conclus, Messieurs, à ce que le décret qui vous occupe, allant au-devant de ce que vous décréterez relativement à l’organisation du pouvoir exécutif et faisant pressentir d’avance l’intention où vous êtes de régler sans délai un point constitutionnel d’une si haute importance, contienne, par amendement au second projet, qui vous a été proposé par M. Le Ghapellier, les deux articles suivants : 1° Tous les corps administratifs, les directoires de départements et de districts, les municipalités, les tribunaux et les milices nationales n’agiront jamais qu’au nom du Roi ; ils lui rendront compte de l’exercice des pouvoirs qui leur sont confiés par la constitution ; ils recevront ses ordres contresignés par un secrétaire d’Etat, et seront tenus, sous peine de la plus sérieuse responsabilité, d’y déférer incontinent dans tous les cas pressés, où le Roi jugerait que tout retard dans l’exécution pourrait être nuisible. Dans les cas ordinaires et non pressés.ils pourront faire au Roi des représen talions sur l’exécution de ses ordres, s’ils pensent qu’il y ait lieu, en les adressant à un des secrétaires d’Etat; auxquelles représentations le Roi aura tel égard qu’il jugera convenable, sauf dans les cas pressés ou non pressés la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir exécutif. 2° Les troupes réglées seront tenues d’agir et de se porter partout où besoin sera, soudainement et sans attendre ni ordre ni réquisition, dans tous les cas de flagrant délit, sous peine d’être responsables de leur négligence. Elles seront aussi tenues d’agir pour protéger la vie, la liberté, la propriété des citoyens, la tranquillité publique et la perception des impôts légalement établis, toutes les fois qu’elles en auront reçu l’ordre du Roi, adressé à leurs chefs et contresigné par le secrétaire d’Etat au département de la guerre, sans être obligées d’attendre la réquisition des ofliciers publics, sauf la responsabilité du ministre de la guerre et des chefs militaires sur tous les faits étrangers aux objets ci-dessus menlion-ués et qui ne seraient pas conformes à la loi. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE TALLEYRAND, ÉVÊQUE D’AUTUN. Séance du mardi 23 février 1790 (1). M. le baron de Marguerittes , secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la veille qui est adopté sans réclamation. M. le Président. M. Louis de Durfort, ministre du Roi à Florence, m’adresse une lettre pour m’informer qu’il s’empresse de payer la contribution patriotique du quart de ses revenus qu’il fait monter à huit mille livres. 11 m’annonce, en outre, qu’il a décerné un prix de 500 livres pour le cultivateur qui aura la meilleure plantation d’oliviers, dans Je territoire de Gastelnaudary. L’Assemblée applaudit beaucoup. M. Goupil de Préfeln. Je demande qu’on présente à l’approbation du Roi cette touchante et. sublime Adresse au peuple français (2), qui ne peut être publiée au prône sans avoir été sanctionnée par lui. Cette motion est décrétée. M. le Président. M. Ghristin demande à faire un rapport sur les salines, au nom du comité des domaines. M. Christin rend compte des réclamations-qui se sont produites au sujet de l’affectation aux salines de Salins et de Montmorot des bois appartenant aux communautés situées dans l’arrondissement de ces salines. 11 propose le décret sui vant « L’Assemblée nationale, après avoir ouï le rapport de son comité des domaines, sur les réclamations qui lui ont été adressées par plusieurs communautés de Franche-Comté, a décrété et décrète ce qui suit : « Art. 1er. L’affection et la destination aux salines de Salins et de Montmorot, des bois, soit en taillis, soit en futaie, appartenants aux communautés situées dans les trois lieues formant l’ancien arrondissement de ces salines, sont révoquées et supprimées. « Art. 2. L’exploitation et la délivrance des coupes de l’année 1790 seront faites néanmoins comme à l’ordinaire dans les bois uesdites communautés pour le service des salines de 1791, et cette délivrance sera payée à raison de 6 livres la corde. « Art. 3. 11 est sursis à statuer sur la conservation ou la suppression de la saline de Montmorot, jusqu’à ce que l’Assemblée du département ait manifesté et motivé son avis à cet égard. « Le présent décret sera incessamment présenté: à la sanction du Roi. » Ce décret est mis aux voix et adopté sans contestation. M. le Président. L’ordre du jour appelle la. suite de la discussion sur le projet de décret relatif au rétablissement de la tranquillité publique. M. de Cnstine. Je demande la priorité pour In projet de M. de Mirabeau. Le premier article préviendra la dévastation des forêts du royaume, et (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. (2) Adoptée le 11 février précédent. 677 [Assemblée nationale J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1790.| l’on sait combien cet objet est important ; mais, en publiant une loi aussi rigoureuse, nous devons à nos commettants de nous occuper des moyens de détruire un impôt qui est la cause de presque tous les désordres. Je demande qu’inces-samment la suppression de la gabelle fasse la matière de nos délibérations. M. Démeunier. Il faut d’abord examiner ce qui doit entrer dans le décret que vous allez rendre. Dans ce moment-ci, moment de crise, il faut le dire, deux maux nous affligent : les désastres de quelques provinces et le défaut de perception des impôts. La constitution ne peut s’ébranler qne par des désordres tels que ceux qui régnent dans quelques provinces, et d’où pourrait naître une anarchie, que vos lois, que la contiance que vous inspirez auraient peine à détruire. La constitution peut s’écrouler par une privation de recette pour le trésor royal. Vous trouverez peut-être nécessaire d’annoncer au peuple que vous vous occupez des impôts indirects et des moyens de les supprimer ; que, déjà condamnée par vous, la gabelle n’existera plus à la lin de cette année, mais que cet impôt doit être payé jusqu’au moment de la suppression . Je demande que l’Assemblée décide d’abord si les désordres des provinces, et les obstacles apportés à la perception de l’impôt, doivent être les objets de votre décret. Il me semble que, dans cette occasion, les divisions qui partagent quelquefois l’Assemblée doivent disparaître ; que tous les amis de la liberté publique se rallient pour chercher de bonne foi à prévenir ou à réparer nos maux : ces maux sont certains ; peu nous importe d’en connaître en cet instant la cause : arrêtons-les ; voilà notre devoir. Que l'Assemblée adopte, soit le projet du comité, soit celui M. de Mirabeau, soit tout autre ; mais qu’elle en adopte un, et qu’elle juge sur-le-champ si ce décret doit renfermer des dispositions sur la perception de l’impôt. M. l’abbé Cfouttes. Le comité des finances m’a chargé de vous demander de semblables dispositions. Il croit qu’il faut indiquer nominativement les impôts directs et indirects, afin que le peuple comprenne facilement ce dont on lui parlera. Les désordres dont on vous a entretenus sont très réels; ils existent dans ma province; le peuple est trompé, il est égaré. Le premier article du projet de Al. de Mirabeau me paraît très propre à réprimer lesinsurrections et je pense qu’il doit être admis. M. d’Harambure fait lecture d’un projet de décret par lequel il propose de demander à chacune des quarante mille municipalités, et l’une dans l’autre, une somme de 500 livres en argent, sur les impositions de 1790. Le produit de cette avance serait consacré à augmenter les payements de la caisse d’escompte. On observe que cette proposition est hors de l’ordre du jour. La priorité est demandée pour un projet de décret présenté par M. Boussion, député de l’Agénois. Une partie de l’Assemblée témoigne le désir d’aller aux voix sur cette priorité. Les membres qui avaient proposé des décrets sollicitent la parole pour attaquer cette priorité. La discussion est fermée sur cet objet. La priorité est accordée au projet de M. Bous-sion. Ce projet est conçu dans ces termes : « L’Assemblée nationale, considérant que les ennemis du bien public ont trompé le peuple, en distribuant de faux décrets, au moyen desquels il s’est cru autorisé à commettre des violences contre les propriétés et même contre les personnes dans quelques provinces, a décrété ce qui suit : « 1° A l’avenir, nul citoyen, sans distinction, ne pourra, dans aucun cas, s’autoriser des décrets de l’Assemblé nationale, s’ils ne sont sanctionnés par le Roi, publiés par ordre des municipalités et lus au prône des messes paroissiales ; « 2° Le pouvoir exécutif enverra incessamment l’Adresse de l’Assemblée nationale aux Français, et tous les décrets acceptés, sanctionnés ou approuvés par le Roi, à mesure qu’ils auront été rendus, aux diverses municipalités du royaume, avec ordre aux curés et vicaires desservant les paroisses de les lire au prône ; * 3° Dans les cas d’insurrection et de violences contre les propriétés ou les personnes, ou de résistance à la perception des impôts, les municipalités seront tenues d’employer tous les moyens que leur donne la confiance des peuples, avant de passer à la loi martiale. Toutes les municipalités se prêteront mutuellement main-forte réciproque. Si elles s’y refusaient, elles seraient responsables des suites de leur refus ; « 4° Les officiers municipaux seront responsables des dommages occasionnés par une émeute, s’il était prouvé que leur négligence en fut la cause ; « 5° On s’occupera incessamment d’organiser les milices nationales, auxquelles il est ordonné de prêter main-forte, dans tous les cas d’insurrec ¬ tion, à toute réquisition des officiers municipaux ; « 6° De décréter notamment quels sont les droits féodaux abolis sans indemnité; a 7° D’organiser le plus promptement possible les départements et les districts. » M. de Cazalès. Il est certain que le décret auquel le priorité est accordée affaiblit sensiblement la loi martiale. Cependant la loi martiale n’a pas suffi. J’ai reçu encore hier des nouvelles de ma province ; elles sont affligeantes. M. le vicomte de Mirabeau vous dira que la municipalité de Rennes a défendu à la milice nationale de sortir de cette ville. Les désordres ne peuvent être réprimés que par le pouvoir exécutif. Je propose en amendement au décret la disposition suivante : « Le Roi sera supplié de prendre toute les mesures nécessaires, et sera autorisé à faire tous actes à cet effet, sous la responsabilité seule des ministres. » On observe que les amendements doivent être présentés successivement sur chaque article, sauf à proposer les additions à la fin de la délibération. On lit l’article premier. M. de llontlosier (1). Messieurs, de grands troubles se sont élevés dans le royaume; la force et la violence semblent avoir pris partout la place des lois. Ce ne sont plus des erreurs qu’il faut excuser, ce sont des brigands qu’il faut S unir et des brigandages qu'il faut réprimer. ms cette force réprimante doit-elle être remise au monarque, ou, comme on vous le propose, à des corporations particulières ? Dilemme absurde (1) Le discours de M. de Montlosier est incomplet au Moniteur.