508 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1790.] aux voix qu’il ne sera accordé aucun congé d’ici au 14 juillet, et que le décret rendu hier, abstraction faite de l’affaire de M. de Lautrec, pour laquelle il a été rendu, ne sera exécutoire que dans l’étendue du département où l’Assemblée nationale tiendra ses séances... M. d’Ambly. Je juge de la façon de penser des autres par la mienne ; et cependant je pense bien autrement que le préopinant. Je ne crois pas qu’il y ait parmi nous des hommes capables de s’en aller chez eux pour y causer du désordre. Nous avons tous fait un serment, et il n’est pas un de nous qui soit capable de ne le pas tenir. Qu'est-ce que ces craintes pusillanimes qu’on présente sans cesse? Quels sont nos ennemis? Où sont-ils? Je ne les crains point... Ceux qui demandent des congés ne les demandent que pour pouvoir se trouver ici au 14. J’aurais toutes les affaires du monde, que, d’après ce qui vient d’être dit, je ne partirais pas, parce qu’il n’y a point de péril. Le sentiment de la frayeur ne me convient pas... {Il s'élève un peu de murmures ). Je vois que vous ayez la même tranquillité que moi : en conséquence, je demande la question préalable. M. François d’Fscars. Je ne croyais pas que ma demandé pourrait former la matière d’une délibération; je ne m’éloigne que parce que d’Escars, grosse de sept mois et indisposée, m’appelle auprès d’elle. Je ne vais d’ailleurs qu’à vingt-cinq lieues d’ici, et ce n’est que par égard pour l’Assemblée que j’ai demandé un congé dont je savais bien pouvoir me passer. Si l’on imprimait sur le caractère de représentant de la nation le caractère de l’esclavage, je déclare que je supplierais l’Assemblée d’accepter dans l’instant ma démission. (L’Assemblée décide de passera l’ordre du jour.) M. Goupil de Préfeln, rapporteur du comité des pensions , présente un projet de décret en le faisant précéder des considérations suivantes (1) : Il est nécessaire de définir le sort des pensionnaires dont les émoluments, dons ou gratifications ont été provisoirement réduits à 3,000 livres pour tous les citoyens et à 12,000 livres pour les vieillards, jusqu’au 1er janvier 1790 et à partir de cette époque ont tous été suspendus. Une bonne constitution et une bonne administration des finances doivent être inséparables, parce qu’elles se soutiennent l’une l’autre; il faut donc veiller sur nos finances aussi attentivement que sur la Constitution. Le décret du 4 janvier dernier a deux parties: la réduction d’abord; la suspension ensuite. Il faut statuer définitivement aujourd’hui sur l’un et l’autre objet. Les lois ne peuvent avoir d’effet rétroactif; et par conséquent, en réduisant, on n’a pas pu vouloir réduire irrévocablement. Toutes les rentes, dons, gratifications annuelles, échues avant le 1er janvier 1790, seront payées en leur entier ; mais à compter de cette époque, toutes seront suspendues, même pour l’échéance, jusqu’à ce qu’il ait été fait à l’Assemblée un rapport général. Le comité sollicite quelques exceptions au nom de l’humanité et de la piété : (1) Le Moniteur n’a pas donné cette partie de la séanc©. Pour les pensions accordées aux jésuites qui se montaient à 206,000 livres ; Pour les pensions sur les économats, attribuées aux nouveaux convertis, montantîà la somme de 104,350 livres distribuées en 907 parties ; Pour celles aussi sur les économats, attribuées aux employés de la Régie, au nombre de onze, en réduisant la quote-part à 1,000 livres ; Pour celles attribuées en aumônes aux pauvres. Des familles ruinées par le système de Law ont demandé l’assistance du gouvernement et ont obtenu ces pensions ; Enfin pour celles provenant d’un don patriotique du clergé, de la somme de un million que le le roi a pris sur sa tête et qu’il distribue en une rente viagère de 120,000 livres aux 240 plus malheureux, choisis entre les veuves et enfants des matelots. M. d’Fstourmel. Je demande que l’exception soit étendue aux septuagénaires qui eux n’ont pas le temps d’attendre. (Cette motion est ajournée.) M. Camus. On pourrait, dès à présent, décréter l’exception pour les octogénaires ou bien, si l’Assemblée l’aime mieux, renvoyer la discussion sur cet objet à vendredi prochain. (L’ajournement à vendredi est prononcé.) Le projet de décret du comité des pensions est ensuite mis aux voix et adopté ainsi qu’il suit : L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des pensions, décrète ce qui suit : « Art. 1er. Tous les pensionnaires, sans exception, sur quelque caisse que leur payement ait été originairement assigné, toucheront les arrérages de leurs pensions, échus, soit pour année entière, soit pour portion d’année, jusqu’au 31 décembre 1789, et le payement leur en sera fait sans retard ni discontinuation, sous les retenues établies par les règlements. « Art. 2. La suspension ordonnée par l’article 2 du décret des 4 et 5 janvier dernier, sanctionné par le roi le 14 du même mois, du payement de toutes pensions, traitements conservés, dons et gratifications annuelles, est prorogée jusqu’à ce que par l’Assemblée nationale, en statuant sur le rapport qui lui sera fait incessamment par son comité des pensions, il en ait été autrement ordonné. « Art. 3. Les pensions accordées aux familles d’Assas, de Chambors, et au sieur colonel Lukner ainsi que les pensions de 600 liv. et au-dessous, sont exceptées de cette prorogation, et seront payées à leur échéance pour les six premiers mois de l’année 1790. « Art. 4. Sont pareillement exceptées les pensions assignées sur les économats aux ci-devant jésuites, aux nouveaux convertis, et aux anciens employés à la régie des économats, au nombre de onze; lesquelles seront payées, savoir : celles des ci-devant jésuites et celles des nouveaux convertis, en leur entier; et celles des anciens employés, pour les six premiers mois de l’année 1790, et jusqu’à la concurrence seulement de 1,000 livres ; pour l’année entière, à l’égard de celles qui excèdent ladite somme de 1 ,000 liv. «Art. 5. Continueront aussi d’être acquittées les aumônes ordinaires distribuées sur les fonds des économats, ainsi que les pensions alimentaires qui se payent à des religieuses dont les maisons ont été supprimées, sur les fonds destinés au soulagement des communautés religieuses. 509 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1790.] « Art. 6. Les veuves et les enfants des matelots qui se trouvent en tour de remplacement, seront inscrits sur les rôles de distribution des 120,000 livres appartenant pour cet objet à la marine, au lieu et place de ceux qui sont décédés en 1789, au nombre de cent six. » M. Moreau de Saint-Méry, rapporteur du comité de commerce et d'agriculture rend, compte d’une pétition des forains de Beaucaire qui demandent la conservation du privilège de cette ville et le maintien du privilège de sa foire. M. de Deüey d’Agier. Il faut alors étendre cette conservation à tous les marchés qui possèdent des privilèges semblables. Le décret et l’amendement sont adoptés, sauf rédaction, en ces termes: « L’Assemblée nationale, considérant que la franchise accordée aux foires franches est plutôt rune faveur pour le commerce du royaume, qu’un �privilège particulier à une ville, a décrété : « Qu’il ne serait rien innové, quant à présent, à ce qui concerne les foires franches ; qu’elles continueraient avec les mêmes exemptions de droits que par le passé ; « Que les anciennes ordonnances rendues pour le maintien du bon ordre et de la police seront exécutées selon leur forme et teneur, et particulièrement que le tribunal que la commune de Beaucaire établissait pour juger en première instance les contestations, continuerait ses fonctions comme par le passé, en se conformant, au surplus, aux décrets de l’Assemblée nationale. » Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une lettre de MM. les officiers municipaux de la ville de Nîmes, qui, après avoir rendu compte des derniers événements arrivés dans cette ville, annoncent à l’Assemblée l’intention où ils sont de donner leur démission. M. Cortois de Balore, évêque de Nîmes. Je n’entreprendrai point une discussion sur la lettre des officiers municipaux ; mais je me réunis à eux pour vous peindre la situation malheureuse de plusieurs familles. Il y a dans la ville de Nîmes beaucoup de manufactures. Les ouvriers ont perdu plusieurs des négociants qui les faisaient travailler : ils ont besoin de secours extraordinaires. Dans l’intervalle qui s’écoulera entre la démission de la municipalité actuelle et la formation de la nouvelle , de qui pourront-ils obtenir ces secours? Je propose de charger les commissaires du roi au département du Gard, et messieurs du comité permanent de Nîmes, de pourvoir promptement, et parles moyens les plus efficaces, au soulagement de ces malheureux. M. l’abbé Gouttes. Il est juste d’adopter cette proposition, mais il faut que le décret porte en même temps que les dommages seront pavés par ceux qui les ont causés. M. lie Deist deBotidoux.Je demande qu’ils soient payés par les trois mille deux cents personnes qui ont signé la délibération. Plusieurs membres réclament l’ordre du jour et l’Assemblée décide qu’elle y passera. M. le Président. M. de Mirabeau le jeune m’annonce qu’il est prêt à paraître à l’Assemblée conformément au décret qui le lui ordonne (1). Je demande si M. de Mirabeau le jeune doit paraître à la barre ou à la tribune. M. de Cazalès. Un membre ne peut être dépouillé de son caractère, toutes les fois qu’il n’est pas convaincu du délit dont on l’accuse. Je pense que M. le vicomte de Mirabeau doit être entendu à sa place. M. de Mirabeau l'aîné. S’il ne s’agissait que de l’amour-propre individuel de mon frère, je ne prendrais pas la parole; mais vous l’avez mandé pour vous rendre compte de sa conduite ; vous n’avez pas dit qu’il paraîtrait à la barre ; vous avez voulu l’entendre ; vous ne pouvez pas, sans l’avoir entendu, déclarer qu’il est jugeable; et tout membre qui n’est pas déclaré jugeable doit continuer à jouir de tous ses droits dans cette Assemblée. Je me rappelle une circonstance qu’il ne sera pas inutile de citer, et je la citerai avec d’autant plus de confiance qu’elle est honorable pour celui qu’elle concerne. M. Malouet, ayant été inculpé, voulut, par une délicatesse très louable, être entendu à la barre; l’Assemblée décréta qu’il parlerait à la tribune. Il me semble que cet exemple décide la question. (On applaudit. — M. de Mirabeau le jeune entre; il monte à la tribune.) M. le Président fait lecture du décret par lequel l’Assemblée a ordonné à M. de Mirabeau le jeune de venir rendre compte de sa conduite. M. de Mirabeau le jeune. J'étais à deux cents lieues d’ici lorsque ce décret m’a été notifié. Je me suis empressé d’obéir, et je pense avoir prouvé, par la célérité que j’ai mise dans mon retour, mon respect pour les ordres de l’Assemblée. La calomnie m’a précédé : elle a vomi contre moi des libelles affreux, elle m’accompagne, elle me poursuivra encore pour dénaturer les faits dont la vérité sera ma justification. La calomnie me suivra partout. Hier encore, à Ecouen, on a voulu m’arrêter, et, sans le secours des officiers municipaux, j’aurais peut-être été la victime de la fureur du peuple. Cependant, j’en ai fait l’expérience, il est aussitôt désabusé que trompé. A Gastelnaudary, le même peuple qui, le 14, me couchait en joue et demandait ma tête, est venu, le 22, se presser avec joie autour de moi ; il criait: « Il a sa grâce, nous en sommes bien aises; il a l’air d’un bon homme. » Si quelquefois ma voix s’affaiblit, si je ne suis pas les faits dans leur ordre, je prie l’Assemblée d’y suppléer par son silence et par son attention. Voici la quatorzième nuit que je passe sans me coucher. Je demande la permission de faire une observation préliminaire. On a voulu établir un rapport entre mon opinion dans cette Assemblée et ma conduite au dehors. Je donne ma parole d’honneur que je n’ai parlé qu’avec respect de l’Assemblée et des décrets rendus par elle et sanctionnés par le roi. Si quelqu’un avait l’audace de dire le contraire, je lui donne d’avance le démenti le plus formel ; la preuve viendra après. Je prie ceux de mes collègues qui sont aussi journalistes de me traiter avec justice. J’imagine qu’on ne me reproche rien d’antérieur aux circonstances qui m’amènent en (1) Nous insérons la partie de la séance relative à M. de Mirabeau le jeune, telle que la donne le Moniteur; nous donnons in extenso , p. 512, les pièces lues par l’orateur.