587 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1791.] représentants libres du peuple français de Saint-Domingue, à une émanation de l’auguste assemblée de la nation, réunie pour modifier vos décrets conformément à leurs convenances locales et particulières; il leur défend d’y rien ajouter et déclare qu’il soutiendra cette étrange proclamation avec toutes les forces qui sont en ses mains. Nous vous l’envoyons, Messieurs, cette interprétation avec nos observations et le projet de’ décret auquel elles ont donné lieu, n° 8. Cet objet mérite toute votre attention. « Marchant à grands pas vers le despotisme le plus effréné, le gouverneur général a fait toutes les dispositions possibles pour porter la défiance dans les esprits, le trouble dans les villes et les campagnes. Les citoyens sont en armes, non pour attaquer, ils sont Français, ils ne démentiront point ce titre, mais pour défendre leurs personnes qui sont exposées ; ils voient le mépris des ordres de’ l’Assemblée nationale si bien manifesté à l’occasion des corporations des villes de Nîmes et de Montauban ; ils voient, disons-nous, le gouverneur général en former de semblables et recevoir d’elles un serment particulier ; ils le voient le publier et se refuser à la célébration de la fête nationale du 14 juillet, de même qu’à la prestation de serment, qu’à ceite époque, nous avons demandé aux troupes de ligne d’être tidèles à la nation, à la loi, au roi, à la partie française de Saint-Domingue. « Serait-il nécessaire, Messieurs, de vous expliquer le motif de ce serment, à la partie française de Saint-Domingue, mais vos lumières et votre justice vous ont déjà dit qu’il est une conséquence néce-sairede vosdécretspar lesquels vuusdéclarez n’avoir pas vou u nous assujettir à des lois incompatibles avec nos convenances locales et particulières. « Vous avez déjà senti que les convenances locales et particulières commandaient impérieusement le serment, non seulement à ceux qui habitent la partie française de Saint-Domingue, mais à ceux qui sont convaincus delà prépondérance que donne Saint-Domingue à la France dans la balance politique de l’Europe. Celte vérité importante pourrait-elle trouver des contradicteurs? « Ce n’est pas tout, Messieurs, des défenses formelles faites aux ol liciers de maréchaussée et autres agents de la police intérieure, d’obéir aux ordres qui leur seraient donnés par ceux que le peuple, en sa juste défiance des entreprises du pouvoir arbitraire, a choisis pour veiller à sa sûreté, des ordres formels donnés aux agents subalternes du pouvoir exécutif pour s’opposer à l’établissement des municipalités, après en avoir solennellement refusé l’exécution, les mouve-mentsdans lestroupes de ligne, les canons braqués sur toutes les issues de la ville, toutes les caisses des deniers publics sous la garde des soldats, des amas d’armes et de munitions, des poudres entassées dans les casernes de la ville de Port-au-Prince, qui, après avoir été presque anéantie par pn tremblement de terre, a senti les plus funestes effets du plus terrible incendie, craint d’être réservée à un fléau plus horrible encore de la guerre civile : Voilà par quelle voie le gouverneur général répond aux vues bienfaisantes du monarque dont il se dit le représentant. c Le colonel du régiment de Port-au-Prince, loin de se restreindre à ses fonctions de commandant d’un corps de troupes de ligne, loin de les réserver à la défense du peuple, seul but de leur institution, protège les corporations, reçoit leur serment, excite les malintentionnés contre les bons citoyens, et surtout contre les membres de rassemblée générale, deux desquels, à son instigation, ont été calomnieusement accusés d’avoir voulu séduire ce qu’il appelle son régiment. Rien mieux que les pièces que nous vous adressons, n° 9, ne manifestera combien le procédé du gouverneur général sont attentatoires à la liberté publique... » M. ILinguet, orateur de la députation. Je n’ai pas besoin, Messieurs, de vous faire remarquer qu’il n’y a pas jusqu’à présent un seul de ces paquets dont on vous aitrendu compte. Cependant je vous prie d’observer qu’il n’y en a pas un seul qui n’ait été fidèlement expédié avec la lettre qui en était l’annonce. Le membre de la députation (continuant la lecture de la ietire) : « La partie de l’ouest et la commune de Port-au-Prince nous ont fait remettre une adre-se apportée par des commissaires, pour nous faire part de leurs jusLs alarmes sur les entreprises que les ennemis de la Constitution lui préparent. Le jour de la réception deleur adresse, l’assemblée générale a décrété la nécessité de son rapprochement avec le premier agent du pouvoir exécutif, et a renvoyé 4 commissaires vers le gouverneur général pour opérer ce rapprochement, l’engager à se rapprocher du lien de ses séances, à Saint-Marc, et en même temps pour lui notifier son décret, qui casse cette corporation qu’il autorise. La première entrevue de ces commissaires avec le gouverneur général n’annonce rien de favorable pour ce rap rochement, et nous apprenons en ce moment, par un courrier envoyé exprès, le refus formel qu’en a fait le gouverneur général. Nous vous envoyons copie n° 10. « M. le comte de Pegnier insiste toujours sur la faculté législative que s’attribua l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, et ne vent pas distinguer que c’est seulement sur le régime intérieur toujours conformément au décret. Vous jugerez, Messieurs, par celui de l’assemblée générale de Saint-Domingue, n° 11, combien nous devons surveiller nos intérêts, particulièrement en ce qui concerne nos subsistances, et combien peu nous devons compter sur la surveillance du gouverneur général, toujours indifférent sur nos subsistances. « Nous sentons quelles peuvent être les suites funestes de ce refus obstiué, mais nous savons aussi ce que doivent faire de vrais Français pour soutenir les droits du peuple et le succès d’une révolution qui doit opérer la sûreté, la gloire et le bonheur de tout l’empire. « Convaincus que la modération et la prudence n’excluent point le courage et la fermeié, nous suivrons votre exemple, et comptez, Messieurs, sur la constance et sur la fidélité des représentants de la partie française de Saint-Domingue. » « Signé : Les membres de l’assemblée coloniale de Saint-Domingue. » M. Darnave, au nom du comité colonial. Je demande un mot seulement, Monsieur le Président; c’est un fait. Je ne veux pas interrompre la défense des pétitionnaires; je ne demande pas même à relever les différentes erreurs de faits et de citations qui ont été déjà fréquemment commises ; mais l’orateur vient de dire que des 9 paquets qui étaient joints à cette missive, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, 588 [5 avril 1791.] aucune pièce n’a été lue à cette assemblée’, or, je dis moi qu’il n’y a pas une seule pièce de quelque importance, qu’il n’y a pas un seul de ces arrêtés que l’assemblée coloniale in-tulait décret, pouvant servir à sa justification, qui n’ait été lu dans cette Assemblée, et qui ne soit encore imprimé dans le rapport. Je somme donc l’orateur qui vient de dire que les pièces contenues dans les 9 paquets indiqués dans cette lettre n’ont pas été lus, de citer et de lire un seul acte intéressant contenu dans les 9 paquets qu’il puisse employer pour sa justification. M. Linguet, orateur de la députation. Messieurs, l’incident qu’on vient d’élever nécessiterait la remise de la séance à un autre jour. (Murmures.) M. Bafoey. Nous ne sommes pas ici pour entendre les sottises de M. Linguet. Plusieurs membres : Laissez donc ünir. M. Linguet, orateur de la députation. On s’élèverait également contre une simple indication nominale des pièces à laquelle je serais en ce moment forcé, puisque, n’ayant point prévu les difficultés que l’on me fait, je n’ai pas pu me charger des originaux; mais voici mes gages, les pièces sont indiquées ici ; je les dépose sur le bureau avec l’engagement de déposer demain notre justification ; les voilà donc. (Il les remet.) Maintenant, Messieurs, n’est-ce que de la surprise que vous éprouvez? Que feriez-vous, en ce moment, eu rapprochant ce que vous venez d’entendre, et en comparant les pièces dont l’indication se trouve ici, et dont la vérification sera faite dès demain, sur laquelle vous pouvez dès à présent compter, comme si elles étaient sur votre bureau, en rapprochant le rapport par lequel ont été compromis si cruellement ces hommes honnêtes, ces citoyens vertueux qui jetaient vers vous des cris que vous n’avez jamais entendus ? Maintenant, législateurs suprêmes, restaurateurs d’une nation illustre, amis de la justice, protecteurs des droits de l’homme innocent, réformateurs de la jurisprudence, destructeurs des abus du despotisme, dont le plus grand, sans doute, était celui de juger sans connaître, de condamner sans entendre, pouvez-vous croire que le 12 octobre dernier vous étiez instruits quand vous avez prononcé? Dans l’ancien régime, malgré la férocité, malgré la morgue tyrannique de ces tribunaux, qui se disaient souverains et représentants de la nation, la justice s’était ménagé cependant, contre les surprises qui pouvaient souvent leur être faites, une ressource dont ils usaient ordinaire-ments : leurs décisions, même définitives, étaient revues, souvent même rétractées, quand des pièces soustraites, ou nouvellement retrouvées, leur étaient produites. N’est-ce pas ici le cas d’appliquer ce moyen consacré par toutes les lois, cette ouverture à la requête civüe, expédient dont quelquc-fois la chicane a pu se prévaloir, mais qui souvent a sauvé le bon droit trahi par la négligence ou les prévarications des défenseurs des rapporteurs? Et que serait-ce, Messieurs, si mon profond respect, si ma soumission ne m’imposait silence, sur l’époque dont on m’interdit l’examen ? Avec quelle évidence je vous ferais voir que vous avez également été trompés sur toutes les circonstances et toutes les particularités dont on a prétendu vous rendre compte, sur le décret du re-quièrement des troupes par exemple, précaution devenue indispensable, nécessitée par le péril imminent où se trouvait la colonie d’un saccage-ment inévitable, péril qu’elle n’a cependant évité qu’en partie, puisque deux jours après, le 29 juillet, pour ne pas tout perdre, le soldat s’est hâté, avant que d’être désarmé, d’égorger une municipalité, sous l’ordre de laquelle il venait de faire le serment de ne jamais prendre les armes corftre les citoyens. Cet attentat réfléchi, accompagné des détails les plus atroces, les plus honteux à l’humanité, on vous l’a représenté comme un acte de patriotisme héroïque, digne d’une couronne civique décernée par vos mains; et les infortunées victimes, échappées à la fureur, qui pouvaient avec avantage repousser le feu meurtrier, ont préféré venir ici demander examen et justice. Humiliés* dégradés, écartés pendant 6 muis, ces citoyens n’out pu vaincre que par les plus inconcevables efforts les obstacles qui se multipliaient pour vous empêcher d’entendre au moins une fois leurs gémissements. Quant au décret relatif à l’ouverture de nos ports, on a exagéré puisqu’on a dit de tous les ports; de tous, vous a-t-on dit pour vous induire à regarder cette ouverture comme un appel indistinct à tous les étrangers, comme une infraction irrévocable de toutes les lois de notre commerce, comme une rupture absolue de tous les rapports commerciaux entre la métropole et la colonie. Eh bien! ce même Hécret porte avec lui le démenti formel de ces inculpations. Ce ne sont pas tous les ports qu’il ouvrit, ce sont seulement ceux où il y avait des municipalités. Et pourquoi cette restriction? C’est que, par ce même décret, les municipalités étaient chargées spécialement de veiller à l’exécution des lois prohibitives contre l’admission de3 marchandises étrangères; hors celles dont l’introduction avait nécessité l’ouverture; c’était des subsistances, des farines. La colonie en était dépourvue : la France, comme vous ne le savez que trop, ne pouvait lui en fournir. La détresse est prouvée par des procès-verbaux authentiques, envoyés au gouverneur, et repousés par le gouverneur, dans les spéculations et dans les ordres duquel entrait peut-être cette mesure. Et, Messieurs, est-ce donc ici qu’il faut rappeler que la famine est une des armes les plus familières au despotisme contre un peuple qui commence à parler de liberté? D’ailleurs le décret et cette ouverture n’étaient pas une nouveauté ; trois ports de la colonie en jouissaient déjà sous l’ancien régime; mais le privilège exclusif était une facilité pour un accaparement odieux; c’était une tyrannie de plus ajoutée à celle qui écrasait, qui dévorait la colonie. L’assemblée de Saint-Marc, en multipliant les ports nourriciers, prévenait les spéculations meurtrières. Eu n’admettant à sa confiance que ceux qui avaient déjà des municipalits, elle prévenait les fraudes nuisibles au commerce. C’est ainsi que, dans toutes ses opérations, elle ne cessait de concilier les égards pour les vrais intérêts de la métropole avec les devoirs que lui imposait la confiance de la colonie. Ce décret, il est vrai, n’est pas du nombre de ceux dont on vous a dérobé la connaissance, il fallait bien le mettre sous vos yeux, au moins par une lecture rapide, puisque c’était un des principaux griefs contre lesquels on voulait nommément solliciter, détermiuer votre rigueur; mais