684 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1790.] rent de toutes parts, qu’ils nous regardent comme des bêtes féroces regardent des proies qu’ils ont à dévorer. Qu’ils se nourrissent de notre vie ; qu’ils boivent notre sang; mais qu’ils respectent vos jours, ceux de votre épouse et de votre fils. Autrefois, la colère des dieux infernaux ne pouvait s’apaiser que par des sacrifices humains. Peuples, faites venir autour de vous ceux qui ont remplacé aujourd’hui ces anciens dieux de la terre. Les Gurtius sont prêts ; où est le gouffre et combien leur faut-il de victimes? .Deuxième suite de l'opinion de M. de Montlo-.sier, député d' Auvergne, sur la régénération du pouvoir exécutif en France. Gela est vrai, la haine est entrée dans mon cœur, cette implacable haine qu’Annibal avait vouée aux ennemis de son pays, qui lui apprit à dissoudre des rochers, à franchir des montagnes inaccessibles et à braver, au milieu de leur gloire, une troupe de brigands qui avaient l’ambition de dominer ia terre. Que les brigands qui dominent ma patrie entendent ces paroles et qu’ils frémissent : ils ont beau marcher dans les ténèbres, la lumière se fera au milieu d’eux; les enfants de la montagne, les enfants de la patrie veillent et la patrie sera sauvée. Hommes audacieux ! et pourquoiavez-vous honte de votre audace? il ne faut pas aujourd’hui beaucoupde courage pour le crime, il n’eu faut que pour la vertu; montrez-vous à découvert et que Pou sacheenfin ce que vous voulez et qui vous êtes. Nous ne les connaissons pas, et cependant ils sont partout; et nos assemblées, et nos places, et le trône, et les autels, et nos propres maisons elles-mêmes sont infectées de leur soufle impur. Maître, voyez celui qui est à vos côtés, assis à votre table, eu qui vous avez placé peut-être toute votre confiance, eh bien ! c’est celui-là même qui doit vous trahir, et qui vous livrera peut-être, ce soir, à des hommes armés de glaives et de bâtons. C’est ainsi que le père hésite auprès du fils, le frère auprès du frère, les amis auprès des amis. Une circonspection timide a remplacé sur toutes les lèvres les anciens et les plus doux épanchements; je ne sais quel morne silence règne dans toutes les bouches, tandis que la guerre est dans tous les cœurs. Bons citoyens, à quels signes pourrons-nous enfin nous reconnaître? Quel sera notre cri de ralliement, ou, pour parler un langage de paix, qu’elles sont les espérances qui nous restent et les vœux que nous avons à former? C’est d’avoir la liberté, une patrie et un roi. Qui nous donnera la liberté? c’est la loi; c’est elle qui doit protéger le travail du pauvre contre l’avidité du riche; c’est elle qui, à son tour, doit préserver la propriété du riche des regards envieux du pauvre. En un mot la loi, voilà le boulevard inébraD.lable qui doit protéger à jamais la sûreté des personnes et celle des propriétés. Qui nous donnera une patrie? une constitution? car sans constitution on peut être habitant de son pays, on n’en e t point citoyen : la loi assure la liberté civile, la constitution seule assure la liberté politique. Sans loi on n’aurait ni bonheur ni sûreté; sans constitution on n’aurait pas l’influence politique qui est nécessaire pour en assurer la durée; mais je dis une constitution et non pas un vain échafaudage créé au millieu des tempêtes et des convulsions de toutes espèces ; je dis une constitution et non pas un colosse ridicule, semblable au vaisseau d’Argos, cousu de pièces et de morceaux, sans liaison entre eux et sans cohérence; je dis une constitution et non pas une collection réglementaire, qui met l’influence civile et politique entre les mains de ceux qui ne jouissent pas, même dans le fait, de toute liberté individuelle ; qui fait que le chef de la nation, le seul de son royaume sans influence sur les lois, sans place, sans existence certaine, sans domicile, sans propriété, ne peut même pas être le premier citoyen; qui arme toutes ses passions contre toutes ses vertus, et qui, le rendant l’ennemi né de ses sujets, le met sans cese dans l’inévitable nécessité d’opprimer lalibertépnbliqueoud’êtreopprimé par elle : car voilà le roi que vous avez fait; dépositaire, inviolable à la vérité, mais non moins infortuné, d'une autorité sans cesse harcelée, sans force, sans appuis et sans dignité, il doit se trou-à la fois incapable de tout et coupable de tout. Enfin je dis une constitution, et j’entends par là un ouvrage mûr et réfléchi, qui raccorde les confiances particulières avec la confiance générale, les mouvements du prince avec ceux de la nation; les mouvements de la nation avec ceux des corporations qu’elle renferme; en un mot, un ouvrage dont les parties, ayant un sens précis et univoque, soient produites toutes à la fois du sein de la sagesse et de l’intelligence, comme on dit que Minerve sortit tout année du cerveau de Jupiter; voilà la constitution qu’il nous faut. Mais, comme on le voit, celte constitution suppose un roi car, sans roi, ou ce qui est la même chose avec un fantôme de roi, il ne faut pas espérer d’avoir jamais en France une véritable constitution. Ici je n’interrogerai pas cette foule innombrable d’atômes législateurs, d’écrivains faméliques, de journalistes incendiaires, vermisseaux politiques que la dissolution du moment a fait naître : j’interrogerai cette poignée d’hommes sages, qui, à de nombreuses observations qui leur ont donné la connaissance des hommes, joignent ces grandes lectures, ces profondes méditations qui leur ont donné la connaissance des peuples. Or, si nous portons nos regards sur tous ces anciens peuples qui n’eurent pas de roi, nous verrons qu’ils aimèrent la liberté; mais qu’ils l’aimèrent comme des amants ombrageux et jaloux, souvent jusqu’à la fureur : aussi quelle précaution ne prirent-ils pas, comme à Athènes, pour qu’une maison ne fût pas plus magnifiquement bâtie que celle d’un autre; comme à Sparte, pour empêcher qu’un particulier se distinguât par le moindre luxe; comme à Rome pour empêcher qu’il eût de trop vastes possessions, ou qu’il distribuât du pain en public; comme partout pour empêcher qu’un citoyen n’eût pas ostensiblement une trop grande faveur populaire ! Et de là, combien d’injustices de tout genre! Quelle ingratitude envers les bienfaiteurs de la patrie! Quelle altération, quel égarement dans tous les principes et dans tous les cœurs, lorsqu’on se crut forcé de récompenser les plus grands services, le salut même de la patrie par l’exil, la proscription ou la mort! G’est que ces peuples n’avaient pas de roi et qu’ils sentaient que, dans cette position, la liberté ne peut se garantir qu’avec une égalité, je ne dis pas seulement légale, mais totale et rigoureuse; c’est qu’ils sentaient que toutes les fois que le sommet du gouvernement est vide, il faut trembler et s’armer tout de suite contre ceux qui tendent à en approcher; car cette cime est d’autant plus facile à usurper qu’elle n’est pas occupée; au lieu que, dans un grand gouvernement, où les grandes inégalités sont nécessaire- 685 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 février 1790.] ment admises parce qu’elles sont inévitables, si la puissance majeure qui les surmonte toutes n’a pas une très grande force pour les contenir, les premières secousses suffiront pour l’abattre ; à plus forte raison s’il n’en existe pas du tout. G’est bien alors que le premier audacieux, qui voudra escalader les hauteurs du trône, s’y placera avec impudence, et commandera de là le respect et la servitude. Français! envisagez la suite nombreuse de ces tyrans de Rome, esclaves devenus assassins de leurs maîtres, et assassinés a leur tour par d’autres esclaves; envisagez le sort du peu pie romain lorsque des chefs sans force et des lois sans vigueur le livrèrent à la discrétion d’une soldatesque effrénée : envisagez cette soldatesque elle-même lorsqu’elle commença à porter ses regards sur les trésors et les dignités de l’empire, et lorsque son glaive dirigé contre les barbares osa se tourner contre les citoyens. Français, voyez le peuple romain; mais que dis-je? voyez -vous vous-mêmes! Je veux encore vous offrir une réflexion, et ce sera la dernière: c’est qu’appelés comme nous le sommes, à établir la constitution de cet empire, il est de toute importance pour la liberté que ce soit nous qui fassions l’autorité royale et non pas que l’autorité royale se fasse (1). Ï1 est de toute importance que nous la fassions vaste et étendue, ainsi que le comporte un grand royaume, car si nous rapprochons trop ses limites, la nécessité, ia force des choses et le cours des événements l’obligeront un jour de s’étendre malgré nous et malgré tout, et dès lors tout est perdu. U est de toute importance que nous la fassions au plus tôt; car, flétrie et avilie comme elle l’est, il lui faudra plus d’un jour pour se relever et remonter au degré de splendeur qui lui est nécessaire; il est de toute importance que nous la fassions au plus tôt, car toutes ces nouvelles corporations, plantées sur un terrain neuf et composé de détriments anciens, cherchent déjà ou chercheront bientôt à étendre le plus qu’elles le pourront leur existence vivace: encore quelques jours et tout le terrain sera occupé. On cherchera de toutes parts l’ancien emplacement de la monarchie et le monarque ne sera plus et la monarchie sera détruite. Il nous faut donc la liberté, une constitution et un roi. Je l’ai dit, sans constitution nous ne pouvons avoir de liberté; mais sans roi nous n’aurons ni constitution, ni liberté : sans roi nous n’aurons ni crédit, ni considération publique: sans roi, le désordre de nos finances se perpétuera et se propagera sans cesse ; sans roi les ateliers seront déserts, les manufactures et le commerce languiront de toutes parts; sans roi, ia libre circulation des grains ne pourra être protégée ; les intérêts particuliers lutteront sans cesse entre eux; aucune force ne pourra les rallier; en un mot, sans roi, la plus cruelle indigence, l’anarchie, la banqueroute, la famine, la guerre civile, tous les maux, tous les fléaux sont sur nos têtes. 0! Français de tous les pays, hommes des plaines et des collines, des collines et des vallées, vous qui habitez au bord des eaux, vous qui demeurez dans les déserts ou sur la cime des montagnes, hommes de toutes les professions, de tous les lieux, de toutes les classes, réunissez-vous tous à moi et demandons à grands cris un roi, un roi... Et toi, souverain arbitre des destinées, (1) Or; elle se fera nécessairement par elle-même sj nous ne la faisons pas. (Note de M. de Montlosier.) ciel, daigne abaisser sur nous tes regards, délivre-nous surtout de tous ces prophètes que lu semblés nous avoir envoyés dans ta colère: les furieux... Et que font à nos malheurs les lambeaux de tant d’infortunés qu’ils ont mis en pièces ? nous demandions du pain, et ils nous ont apportés des cadavres... Ciel! donne-nous un roi, un roi qui aille et qui marche devant nous, ou plutôt rends-nous ce roi bon et humain, qui, le premier de tous les rois de la terre est descendu sur la terre pour s’identifier avec un peuple; ren ds-nous le fils de Henri ! Plus malheureux et plus grand peut-être que son aïeul, il n’a pas renoncé comme lui au culte de ses pères pour conserver sa couronne: il a fait à ses sujets le sacrifice de sa couronne même : il n’a pas seulement donné du pain à des rebelles, il en a distribué à ses propres assassins; rassasié d’opprobres, et toujours plus grand, les outrages, il les a combattus par des bienfaits ; tous les attentats, il lésa repoussés par sa bonté. Un mot pouvait rallier auprès de lui des légions de serviteurs fidèles, il a préféré d’être seul avec sa vertu; et tandis que tout respirait la vengeance et le carnage, lui seul a été calme, lui seul a été bon et sa bonté a déconcerté tous les crimes. Ciel! voilà le roi qu’ils nous ont ôté, voilà le roi que tu dois nous rendre. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE TALLEYRAND, ÉVÊQUE D'AUTUN. Séance du mercredi 24 février 1790 (1). M. Gaultier de Biauzat, l'un de MM. les secrétaires. donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Le procès-verbal est adopté sans réclamation. M. le Président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de décret présenté par le comité des droits féodaux, dans la séance du 8 de ce mois. M. Merlin, rapporteur , rappelle à l’Assemblée que le rapport est divisé en trois parties et qu’au-jourd’hui la discussion porte uniquement sur les droits féodaux abolis sans indemnité. La discussion de ce projet est ouverte successivement sur chaque article. L’article premier est décrété sans aucune contestation; il est ainsi conçu: Art. 1er. « Toutes distinctions honorifiques, supériorité et puissance résultantes du régime féodal, sont abolies. Quant à ceux des droits utiles qui subsisteront jusqu’au rachat, ils sont entièrement assimilés aux simples rentes et charges foncières. » Un membre observe sur l’art. 2 que cette clause , tout autre service purement personnel, semble entraîner l’abolition de toute corvée, sans indemnité, ce qui n’est point dans l’intention de l’Assemblée, parce qu’il y a telle corvée qui est représentative des droits dûs pour cession de terrain. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.