[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 août 1790.) L’article 6 est adopté tel que l’a proposé lé rapporteur. Les articles 7 à 11 sont successivement mis aux voix et décrétés sans discussion. M. le Président. L'ordre du jour est un rapport du comité diplomatique sur l’affaire d’Espagne. M. de Mirabeau, l’aîné. Messieurs, un décret de l’Assemblée nationale, en date du premier août, a chargé votre comité diplomatique de lui présenter son avis sur la réponse que demande l’Espagne. Le désir et le besoin de la paix, l’espérance, presque certaine, qu’elle ne sera pas troublée, les principes de notre Constitution nouvelle, nous ont seuls guidé dans l’examen de cette importante question. Pour la résoudre avec succès, nous avons considéré l’état de la politique actuelle et nos rapports avec les différentes puissancesde l’Europe ; nous avons distingué le système qu’avait embrassé jusqu’ici le gouvernement français, de la théorie qui convient à un nouvel ordre de choses. Il ne suffisait pas de connaître nos devoirs et nos intérêts ; il fallait les concilier avec la prudence; il fallait découvrir les moyens les plus convenables d’éviter sans faiblesse le fléau de la guerre ; il fallait surtout l’écarter du berceau de cette Constitution, autour duquel toute la force publique de l’Etat, ou plutôt tous les citoyens de l’Empire doivent former une impénétrable barrière. Si nous n’avions à considérer que l’objet de la contestation, qui s’est élevée entre les cours de Londres et de Madrid, nous ne devrions pas même supposer que la paix pût être troublée. Le territoire que se disputent ces deux puissances n’appartient ni à l’une ni à l’autre ; il est incontestablement aux peuples indépendants que la nature y a fait naître. Cette ligne de démarcation vaut bien celle que le pape, ou des traités bien antérieurs à la découverte de ces plages lointaines, se sont permis de tracer ; et ces peuples, s’ils sont opprimés, sont aussi nos alliés ! Nous ne ferons donc pas cette injure à deux nations éclairées, de penser qu’elles veuillent prodiguer leurs trésors et leur sang pour une acquisition aussi éloignée, pour des richesses aussi incertaines; et ces vérités simples, notre impartialité ne cessera de les leur rappeler, s’il en est besoin : mais ce premier point de vue ne décide pas la question. Si, d’un autre côté, nous devions uniquement nous déterminer par ta nécessité que les circonstances nous imposent, non seulement d’éloigner la guerre, mais d’en éviter les formidables ap-prêls, pourrions-nous vous dissimuler l’état de nos finances non encore régénérées, et celui de notre armée, de notre marine, non encore organisées ? Pourrions-nous vous cacher que dans les innombrables malheurs d’une guerre, même juste, le plus grand pour nous serait de détourner de la Constitution les regards des citoyens, de les distraire du seul objet qui doive concentrer leurs vœux et leurs espérances ; de diviser le cours de cette opinion publique dont toutes les forces suffisent à peine pour détruire les obstacles qui nous restent à surmonter? Mais les malheurs de la guerre, mais les inconvénients tirés de notre position actuelle ne suffisent pas pour décider la question des alliances. Enfin, si nous devions nous conduire aujourd’hui d’après ce que nous serons Un jour ; si, 263 franchissant l’intervalle qui sépare l’Europe de la destinée qui l’attend, nous pouvions donner, dès ce moment, le signal de cette bienveillance universelle que prépare la reconnaissance des droits des nations, nous n’aurions pas même à délibérer ni surfes alliances ni sur la guerre. L’Europe aura-t-elle besoin de politique, lorsqu'il n’y aura plus ni despotes, ni esclaves ? La France aura-t-elle besoin d’alliés, lorsqu’elle n’aura plus d’ennemis? Il n’est pas loin de nous peut-être ce moment où la liberté, régnant sans rivale sur les deux mondes, réalisera le vœu de la philosophie, absoudra l’espèce humaine du crime de la guerre, et proclamera la paix universelle. Alors le bonheur des peuples sera le seul but des législateurs, la seule force des rois, la seule gloire des nations : alors les passions particulières, transformées en vertus publiques, ne déchireront plus, par des querelles sanglantes, les nœuds de la fraternité qui doivent unir tous les gouvernements et tous les hommes. Alors se consommera le pacte de la Fédération du genre humain. Avouons-le à regret, Messieurs, ces considérations, toutes puissantes qu’elles sont, ne peuvent pas seules, dans ce moment, déterminer notre conduite. La nation française, en changeant ses lois et ses mœurs, doit sans doute Changer sa politique; mais elle est encore condamnée, par les erreurs qui régnent en Europe, à suivre partiellement un ancien système qu’elle ne pourrait détruire soudainement sans péril. La sagesse exige de ne renverser aucune base de la sûreté publique sans qu’elle soit remplacée. Eh ! qui ne sait qu’en politique extérieure, comme en politique intérieure, tout intervalle est un danger; que l’interrègne des princes est l’époque des troubles ; que l’interrègne des lois est le règne de l’anarchie : et, si j’ose m’exprimer ainsi, que l’interrègne des traités pourrait devenir une crise périlleuse pour la prospérité nationale ? L’influence, tôt ou lard irrésistible, d’une nation forte de vingt-quatre millions d’hommes, parlant la même langue, et ramenant l’art social aux notions simples de liberté et d’équité, qui, douées d’un charme irrésistible pour le cœur humain, trouveront, dans toutes les parties du monde, des missionnaires et des prosélytes; l’influence d’une telle nation conquerra, sans doute, l’Europe entière à la vérité, a la modération, à la justice; mais non pas tout à la fois, en un seul jour, au même instant; trop de préjugés garrottent encore les mortels ; trop de passions les égarent ; trop de tyrans les asservissent. Et cependant notre position géographique nous permet-elle de nous isoler? Nos possessions lointaines, parsemées dans les deux mondes, ne nous exposent-elles pas à des attaques que nous ne pouvons pas repousser seuls sur tous les points du globe ? Puisque, faute d’instruction, tous les peuples ne croient pas avoir le même intérêt politique, celui de la paix, des services mutuels, des bienfaits réciproques; ne faut-il pas opposer l’affection des uns à l’inquiétüdè des autres ; et du moins retenir, par une contenance imposante, ceux qui seraient tentés d’abuser de nos agitations et de leurs prospérités ? Tant que nous aurons des rivaux, la prudence nous commandera de mettre hors de toute atteinte les propriétés particulières et la fortune nationale, de surveiller l’ambition étrangère, puisqu’il faut encore parler d’ambition; et de régler notre force publique d’après celle qui pourrait menacer nos domaines. Tant que nos