468 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexez]. LETTRE De M. IM IH Ii Député du tiers état de la sénéchaussée du Quercy. A SES COMMETTANTS Contenant l'exposé sommaire de la conduite qu'il a tenue en l'Assemblée des trois ordres réunis en 1789, 1790 et 1791. Messieurs, En attendant que des temps moins malheureux et un meilleur ordre de choses vous réintègrent dans le droit incontestable d’examiner et de juger la conduite de vos six députés aüx Etats généraux du royaume, j’ai cru vous devoir un compte particulier de la mienne. J’aurais un moyen bien simple et bien facile de vous rendre ce compte, s’il était également facile à chacun de vous de rapprocher, par ordre de dates et de matières, les preuves écrites dont je vous rappellerai bientôt le souvenir et de comparer leur ensemble avec ce que vous nous aviez prescrit par vos cahiers, et avec le serment au - quel vous aviez assujetti notre mission. Alors je me bornerais à vous dire, lisez et jugez ma conduite dans celles de mes opinions, qui ont été imprimées, et dans les listes des votants aux appels nominaux, sur les matières les plus importantes. Lisez et jugez ma conduite, dans près de trois mille lettres que je vous ai écrites, sur la violation et le mépris qu’on a fait de vos cahiers, quoique conformes au vœu général des autres bailliages (1); sur le défaut de liberté qui a constamment enchaîné nos personnes et nos opinions, au sein d’une ville corrompue; sur les factions criminelles qui ont dirigé, forcé même, les travaux et les délibérations de l’Assemblée , sur des projets alarmants, destructeurs et subversifs de tout ordre ; enfin sur les usurpations des factieux et sur leurs attentats contre l’autel et le trône (2). (1) Il existe, par ordre de l’Assemblée, un résumé des points et des articles sur lesquels la grande majorité des cahiers des bailliages était d’accord. Lors de ce travail, l’intention de l’Assemblée était de se conformer au vœu général des bailliages ; que l’on compare ce résumé avec la Constitution acceptée, et l’on sera tonte de croire que la majorité de l’Assemblée n’a voulu connaître le vœu de ses commettants que pour s’en écarter avec plus de certitude et plus d’audace. (2) Ce reproche porte principalement sur cette horde d’aventuriers et de déserteurs qu’on a attirés et retenus dans la capitale, aux dépens du Trésor royal; sur cette classe infâme d’agioteurs qui calculent leur fortune d’après les malheurs publics ; sur cette nuée de créanciers et de rentiers de l’Etat qui ont tout aventuré, tout ris-Lisez et jugez ma conduite dans les déclarations que j’ai souscrites sur les atteintes portées à la religion catholique, et à notre gouvernement purement et essentiellement monarchique. Lisez et jugez ma conduite dans les déclarations que j’ai également souscrites sur la violation des propriétés, sur l’exploitation des églises et la dilapidation de leurs biens. Sur la suppression des droits honorifiques, et de certains droits féodaux sans indemnité; Sur l’abolition de la noblesse, des distinctions et des titres. Lisez et jugez ma conduite dans les déclarations qui me sont communes, sur l’anéantissement de la prérogative royale ; Sur les attentats affreux de la nuit du 5 au 6 octobre 1789; sur l’anéantissement de la procédure du Châtelet, provoqué et consommé par ceux-là mêmes qui y figuraient comme coupables; qué, et peut-êlre tout perdu, pour avoir voulu conserver la totalité de leurs créances, acquises, pour la plupart, par l’usure, et devenues plus tard onéreuses par �exemption de l’impôt. J’associe, à ces différentes classes de révolutionnaires, ces sectes plus ou moins impies qui ont, dans tous les temps, conjuré contre le trône et la religion catholique ; ces philosophes orgueilleux, ces demi-savants qui professent partout l’athéisme, et qui ont la fatuité de croire qu’on doit prendre les rêves de leur imagination pour la science pratique des gouvernements. J’associe aussi à ces êtres malfaisants les nouveaux parvenus, tous ces gens tarés, tous ces gens flétris par la justice ou par l’opinion publique, tous ces intrigants, tous ces ambitieux qui ne calculent leur avancement et l’oubli de leurs actions infâmes que par l’avilissement et le mépris de ceux qu’ils n’avaient pu atteindre par leur mérite, leur naissance et leur fortune J’y associe encore quelques gens de cour qui, à l’exemple de la valetaille dont ils ont adopté les mœurs, ont oublié, en un jour, les bienfaits de leur maître, et qui ont fait d’autant plus de mal qu’ils avaient plus de moyens d’en faire. J’y associe enfin, ces écrivailleurs qui, semblables aux reptiles venimeux, sortant de leurs réduits, dans les temps d’orage, pour mêler leurs cris et leurs sifflements au bruit des éléments en courroux, sont descendus de leurs greniers, à l’instant même de l’ouverture des Etats généraux, pour prêcher, dans toute l’étendue de cet Empire, l’impiété, l’incendie, le meurtre, l’assassinat, le vol, le régicide et tous les genres de crimes et de forfaits. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] Sur les cas de déchéance de la couronne; Sur la sacrilège arrestation du roi et de la famille royale à Varennes ; Sur la captivité du monarque et son état d’interdiction ; Sur les récompenses accordées aux auteurs secondaires de son arrestation, et sur la Constitution acceptée, par ce trop infortuné monarque, dans cet état de dégradation, d’avilissement et d’esclavage. Lisez et jugez ma conduite dans les déclarations que j’ai pareillement souscrites sur ce qu’on appelle le nouvel ordre judiciaire, qui n’est autre chose que l’anéantissement de la justice distributive ; Sur la masse effrayante des contributions directes, et sur leur répartition arbitraire; Sur la création des assignats, signes infaillibles de notre détresse, et d’une banqueroute déjà partielle et tous les jours progressives; Sur la réunion, à la France, de la ville d’Avignon et du GomtatYenaissin, réunion impolitique, réunion immorale, et qui ne présage que trop le sort de nos colonies, et peut-être celui de plusieurs de nos provinces. Lisez et jugez ma conduite dans cette autre déclaration que j’ai souscrite sur l’état déplorable de nos finances, et sur l’opposition constante de la majorité de l’Assemblée à ce que leur état de situation fût connu, discuté et approfondi (1). (1) Quoique ces déclaratiens soient l’expression du vœu de mes commettants et le produit d’une raison sage et éclairée, elles ont cependant excité, contre ma famille et mes propriétés, toutes sortes de menaces, d’injures et de dangers, et contre moi le placard suivant : k Les citoyens de la ville de Cahors, chef-lieu du département du Lot, aux Français... Les citoyens soussignés, après avoir entendu la lecture de la déclaration de 290 députés à l’Assemblée nationale, dans laquelle ils protestent contre tous les décrets rendus jusqu'à ce jour, relativement à la monarchie, et déclarent qu’ils ne prendront plus aucune part aux délibérations de l’Assemblée sur cet objet; pénétrés du plus profond mépris et de la plus juste indignation contre des mandataires aussi criminels ; révoltés des affreux principes qu’ils ne rougissent pas de professer; croyant qu’il est indispensable de manifester leurs sentiments sur cet infâme libelle, souscrit par cinq scélérats, que tous les citoyens abhorrent, et auquel le département du Lot rougit, depuis longtemps, d’avoir donné le jour, s’empressent de déclarer à tous les habitants de l’Empire qu’ils dévouent à l’infamie et à l’exécration publique tous les individus dont les noms accompagnent la déclaration ci-dessus, et notamment les sieurs Faydel, Lachèze, Deplas-de-Tanes , Airolles, ancien curé de Revrevignes, et Laymaries, ancien curé de Moncuq ; qu’ils désavouent leur conduite et leurs principes, et que leurs noms seront toujours en horreur parmi eux. « Les citoyens de la ville de Cahors; signé à l’original, à Cahors, chez Richard père et fils, imprimeurs du département et de la commune. » Ce placard a été renouvelé avec des arrêts de proscription dans plusieurs villes du département, et suivi de l’exécution figurative de ma personne. On a promené, pendu, décollé, brûlé mon effigie au bruit du tambour et des instruments de musique ; et toutes ces scènes, aussi indécentes que contraires au bon ordre et à la liberté des opinions, ont été jouées sans troubles ni empêchement aucun, sous les yeux des administrateurs du département, sous ceux du district, sous ceux de la municipalité, sous ceux des juges de paix et de l’accusateur public, et sous ceux encore des tribunaux de district, tous personnages salariés aux dépens de nos revenus et même de nos capitaux, pour que nos personnes, nos biens et notre honneur reposent sous la protection de la loi, dont l’exécution leur a été confiée. Ceux qui pourraient être étonnés de cette inaction répréhensible et commune à presque tous les départements, 469 Avec une telle conduite, j'ai dû, je le sais, aigrir ceux de mes collègues qui, avec une mission semblable, ont pris une route opposée à votre vœu et au bonheur que vous eu attendiez ; ils avaient un trop grand intérêt à ce qu’elle ne devînt pas à vos yeux la censure de la leur, et ils n’ont rien négligé pour cela (1). Mais ma justification est tout entière dans le cahier dont vous m’avez chargé, dans le serment que vous avez exigé de nous, et dans celui que nous avons renouvelé dnns l’Assemblée des communes, le 17 juin 1789 (2). Aucune autorité, aucune puissance n’ont pu me délier de la sainteté d’un pareil engagement; il a été, il est, et il sera à mes yeux le lien le plus sacré et le plus indissoluble. L’Assemblée nationale qui a professé et mis en pratique, au grand étonnement de tout l’univers, qu’elle pouvait tout ce qu'elle voulait , et qu'elle voulait tout ce quelle pouvait (3); l’Aesemblée qui s’est fait un objet de haine et de mépris de toutes les institutions qui l’ont devancée, qui four à tour prit la dénomination de tiers état, de communes, d’Etats généraux, d’Assemblée nationale, de Corps législatif, de Convention nationale, de Corps constituant, et qui a fini par usurper et par confondre sur sa tête tous les pouvoirs, afin de ne trouver aucune résistance dans sa course; l’Assemblée, enfin, qui a renversé, détruit, bouleversé, anéanti presque tout ce que vous lui aviez recommandé de conserver, n’a cependant pas osé prononcer ouvertement sur le sort de cet engagement. Elle l’a sans doute violé, même après en avoir exigé le renouvellement; elle a fait plus, elle a exigé, dans la suite, des serments contraires au premier, mais elle n’a jamais osé décréter qu’elle n’aurait aucun égard au vœu de la majorité des cahiers des bailliages, ou qu’elle nous déliait du serment que nous avions prêté dans vos mains et renouvelé dans l’Assemblée des communes (4). en trouveront la cause dans l’association de presque tous les fonctionnaires publics aux clubs jacobites. Ces clubs ont un crédit décidé dans la distribution des places constitutionnelles, en sorte que, pour avoir part à leurs faveurs, les ambitieux, qui ne sont pas toujours les plus intègres et les plus capables, doivent être initiés dans leurs mystères, et avoir fait preuve de ce qu’ils appellent leur civisme; et voilà pourquoi l’esprit de ces fanatiques révolutionnaires domine dans les municipalités, dans les tribunanx de justice et dans les administrations de département et de district, au point que ce sont des sections, des clubs qui exercent la police, qui distribuent la justice, et qui régissent les communes. (1) Je n’ai pas besoin de prévenir mes lecteurs que celte observation ne concerne en aucune manière la conduite deM. Lachèze, mou digne et vertueux collègue. (2) La formule de ce serment est celle-ci : « Nous jurons et promettons de remplir avec zèle et fidélité les fonctions dont nous sommes chargés. » Ce serment est une confirmation de celui que nous avions déjà prêté clans les plains de nos commettants.il est l’ouvrage des communes, et cependant la majorité de ces communes n’en a tenu aucun compte. Je donne pour preuve de la violation de ce double serment ceux qu’on a prêtés dans la suite, et auxquels on n’a eu recours, ce semble, que pour s’étourdir sur la violation des premiers. (3) C’étaient les expressions familières de Mirabeau l’aîné, lorsqu'il avait besoin d’appuyer ses motions par des mouvements et des insurrections populaires; c’est ayec ces tours de jongleur qu’il attachait à son char les clubistes, les badauds, les factieux, les fripons et ce qu’on appelle les sans-culottes. (4) On se rappellera que le 8 juillet 1789, les trois ordres réunis déclarèrent n’y avoir lieu à délibérer sur 470 [Assemblée nationale. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] Vous-mêmes, Messieurs, vous qui avez peut-être à reprocher à plusieurs d’entre vous d’avoir trop facilement fléchi le genou devant ce fantôme de puissance usurpée; vous, de qui je tenais, sous une garantie réciproque, mon caractère, ma mission, et les seuls pouvoirs que j’ai du exercer dans cette Assemblée ; vous qui, dans des moments d’enthousiasme et d’effervescence, avez si diversement apprécié ma conduite, lorsque surtout je redoublais d’efforts pour faire respecter votre vœu; vous enfin qui n'avez pas su vous prémunir assez contre l’illusion de la nouveauté, l’ambition de quelques places et les insinuations perfides de quelques vils intrigants; vous, dis-je, Messieurs, vous n’auriez pu me délier de cet engagement, que par le concours des mêmes volontés qu> l’avaient formé, et par l'observation stricte des formes qui l’avaient précédé. Et certes, je n’ai pas dù reconnaître ce concours de formes et de volontés salutaires dans ces adresses mendiées, dans ces adresses isolées, dans ces adresses illégales et souvent criminelles, qui ont pu échapper à quelques-uns d’entre vous (1). Ce n’etait pas de quelques associations plus ou moins coupables, plus ou moins délirantes, plus ou moins factieuses, de quelques municipalités, de quelques corps administratifs plus ou moins mal composés que j’avais reçu mes pouvoirs ; j’étais redevable de ce témoignage d’estime et de confiance à l’ordre entier du tiers Etat de la province; lui seul convoqué et assemblé, dans les mêmes formes, aurait pu me délier de mon serment, et ratifier pour son intérêt particulier, mais par l’organe de tout autre mandataire que moi, ce que ma raison, mon cœur et ma conscience auraient constamment repoussé. Dans ma carrière politique, je n’ai dit, je n’ai écrit, je n’ai fait que ce que vous aviez désiré, que ce que vous aviez exigé de moi. Heureux d’avoir été éclairé par la sagesse de vos vues, dans un temps où le calme des passions laissait à la raison tout son empire ; heureux d’avoir été encouragé par les témoignages distingués de votre confiance, j’ai toujours marché sur la même ligne ; votre vœu a été sans cesse sur mes lèvres et dans mon cœur ! Vous regardiez comme une propriété sacrée et inviolable, comme une source de bonheur et de prospérité, les bases antiques de notre gouvernement ; vous ne vouliez pas une G institution différente de l’ancienne, puisque vous demandiez la reconnaissance préalable et l'exécution inviolable des lois constitutionnelles de L’Etat, avec de nouvelles lois analogues aux premières, afin que cet heureux ensemble formât désormais un rempart inacessible au despotisme et à tout autre pouvoir arbitraire. Vous aviez sagement prévu que la prospérité du royaume tenait essentiellement aux mœurs, aux usages, aux lois et aux coutumes qui en avaient fait la première monarchie du monde; que toute innovation, que tout changement pourrait être dangereux et même funeste ; que le los motions des sieurs Biauzat, Talleyrand, Barère, Bousmardo et Menou, concernant les clauses limitatives ou impératives des mandats, et que lo véritable motif de cette délibération fut pris du serment que les députés du tiers Etat avaient déjà renouvolé dans la séance des communes du 17 juin de la mémo année. (1) Je no citerai ici que les adresses parties de Mon-tauban, de Cahors, de Martel, etc, etc., à l’occasion du départ du roi pour Montmédy ; les signataires me sauront peut-être gré de ne pas eu dire davantage. mieux à faire consistait dans la réforme des abus que te temps amène dans les gouvernements les moins imparfaits; et malheureusement la cruelle expérience que nous faisons, depuis deux ans passés, et des changements apportés dans notre ancienne Constitution, ne prouvent que trop cruellement la sagesse de vos vues. J’ai donc dù voter contre cette déclaration des droits de l’homme, où je n’ai vu que l s efforts de l’irréligion, les rêves de la philosophie, les germes de la licence et du désordre, et le funeste levier qu’on préparait pour soulever les peuples et renverser notre antique gouvernement. J’ai donc dû aussi m'opposer à tout plan, à tout système d’une nouvelle Constitution qui ne serait pas ia nôtre. La conservation des trois ordres qu’on a cependant abolis entrait dans votre vœu, puisqu’ils faisaient une partie intégrante des lois constitutionnelles dont vous demandiez la reconnaissance et l’ exécution invariables. Vous ne vouliez donc pas que l’an de ces trois ordres pût représenter seul la nation, et se continuer en Assemblée nationale. En insistant sur la conservation des trois ordres, et en fondant cette demande sur l’exécution inviolable des lois constitutionnelles de l’Etat, vous paraissiez, il est vrai, contrarier votre vœu pour la délibération par lête; car, puisque vous demandiez que les lois nouvelles fussent analogues aux anciennes, on ne pouvait donc pas déroger à la délibération par ordre ; mais il eût été facile de remédier à cette contrariété, soit en admettant la délibération par tête, sur tout ce qui concerne l’impôt, et sur les autres matières d’un intérêt général ; soit en laissant aux deux premiers ordres la liberté de délibérer séparément sur les objets indiqnéspar les articles 8 et 9 de la déclaration du roi du 23 juin 1789. Tel était le vœu apparent de toutes les personnes sages et éclairées et de tous ceux qui étaient véritablement animés de l’amour du bien public (1). Avec ce seul tempérament, combien de calamités n’eût-on pas prévenues ; quel bien n’aurait-on pas fait à la nation? Mais le moyen de résister à une faction toute-puissante qui sentait la nécessité d’un seul corps délibérant, pour pouvoir renverser, avec plus de succès, ta sauvegarde du trône et de l’autel ? L’événement n’a que trop prouvé quelles étaient les vues de ceux (1) J’ai toujours pensé que les mandats impératifs de l’ordre du tiers Etat, pour la délibération par tèle, avaient été provoqués par quelque faction bien puissante, puisqu’ils étaient en contradiction avec le résultat du conseil du roi du 27 décemdre 1788, et los lettres do convocation du 24 janvier 1789 : « La double représentation du tiers Etat ne pouvait point préjuger la délibération par tète, elle n’etait qu’un moyen de rassembler toutes les connaissances utiles au bien de l’Etat. L’ancienne délibération par ordre ne pouvait être changée que par le concours libre des trois ordres, et par l’approbation du roi. » Le clergé et la noblesse pouvaient donc donner des mandats impératifs pour la conservation de la délibération par ordre, mais le tiers Etat pouvait-il, sans des insinuations criminelles, et sans l’espoir d’un succès décidé, donner des mandats impératifs pour la délibération par tète, dès qu’il était prévenu par lo même conseil qui lui donnait la double représentation, « qu’il ne pouvait changer l’ancienne délibération par ordre, que par le concours des trois ordres et par l’approbation du roi? » Que l’on découvre, s’il est possible, les auteurs de cette infernale machination, et alors on tiendra le fil de la conjuration qui menace, plus que jamais, la patrie de sa perte entière. [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [Annexes. | qui n’ont voulu qu’un seul corps délibérant, un seul mode de délibération et une majorité décisive avec la moitié des voix, plus une. Oo a donné à un seul individu, que la corruption ou la crainte peuvent égarer, le veto absolu qu’on a refusé au roi et à chacun des trois ordres ; en sorte que, dans un partage égal ou approximatif de voix, les destinées de cet Empire ont été et sont encore attachées à l’opinion d’un seul ou de quelques individus sur 1,200, ou sur 745. Cependant, la raison et l’expérience de tous les temps avaient démontré qu’un soûl corps délibérant, au milieu d’une capitale corrompue, devait nécessairement dégénérer en faction. I! est moralement impossible qu’une assemblée nombreuse rie renferme pas dans son sein des ambitieux, des intrigants, des gens de parti qui ont intérêt de la dominer pour arriver à leur but. Ce fléau des Etats tient aux i-assions des hommes corrompus et pervers; il leur faut une majorité quelconque pour les soutenir dans leur marche, pour tromper le vulgaire ignorant, pour dominer sur l’opinion qu’ils ont égarée. Tous les moyens sont bons â leurs yeux pour acquérir cette majorité; et alors ce n’est plus la raison, ce n’est plus la sagesse, ce n’est plus la justice qu’ils consultent dans leurs délibérations, c'est la force du nombre qui dirige leurs entreprises, c’est la force du nombre qui dégénère en despotisme, qui tyrannise la minorité, qui étouffe sa voix, qui la voue à la proscription, et qui convertit en lois les vues criminelles des méchants et des pervers. C’est, Messieurs, ce que vous avez pu voir et reconnaître depuis le jour fatal auquel les communes se constituèrent en Assemblée nationale et reçurent dans leur sein les deux premiers ordres guidés, dans leur démarche, par le devoir impérieux de déjouer les complots régicides qui menaçaient déjà le trône. C’est de ce jour, à jamais funeste à la France, que dérive cette source empoisonnée de malheurs dont le torrent grossit à chaque instant. C’est de ce jour de deuil que sont nés les troubles et les désordres, les divisions, les meurtres, les assassinats, les incendies, les dévastations, cette corruption des mœurs qui va toujours croissant, cette anarchie dont le terme indéfini ne vous laisse ni repos ni espoir. C’est de ce jour de deuil que sont partis le schisme, l’irréligion, l’impiété, la persécution, la proscription de vos véritables pasteurs, l’intrusion des prêtres schismatiques, le renversement de vos autels, la profanation de vos temples, l’usurpation, la dilapidadon des biens des églises et des pauvres, et tous les autres maux qu’entraîne après soi la corruption des mœurs, quand elle est à son comble, et qu’elle n’a plus de frein. C’est de ce jour de deuil que datent la perte de votre numéraire, celle de votre industrie, celle de votre commerce, et cette masse énorme et insupportable d’impôts dont on yous a surchargés, au lieu d’accueillir votre demande en soulagement parce que les anciens impôts, quoique moins onéreux, étaient déjà au-dessus de vos forces. C’est de ce jour de deuil que se sont élevées ces sociétés factieuses et turbulentes qui agitent sans ce-se le royaume, qui délèguent, qui dirigent, qui compriment, qui contrarient, qui traversent toutes les autorités, tous les pouvoirs légitimes, sans cependant en avoir aucun ; ces sociétés coupables, où l’on professe hautement la licence, 471 l'insurrection et tous les genres de séditions, de troubles, de désordres et de malheurs, sous le masque hypocrite du patriotisme ; ces sociétés qui reçoivent leur mouvement et rapportent toutes leurs aclions à un centre commun, devenu plus funeste au genre humain que la boîte de Pandore; ces sociétés enfin, qui pèsent sur l’existence de tous ceux qui ne veulent pas partager leur fanatisme révolutionnaire, et qui, par leurs espionnages, leurs délations et les écueils dont elles entourent l'innocence, sont plus malfaisantes qu’une peste circulanfe. C’est à ce jour de deuil que vous devez cette Constitution qui, loin de vous apporter ce bonheur tant promis et tant attendu, ne fait qu’aggraver vos calamités et vos misères ; cette Constitution qui ne présente que des pouvoirs qui se heurtent, qui se détruisent l’un par l’autre, ou qui se tiraillent eu sens contraire; cette Constitution qui ne laisse à votre roi que le nom et qui, par les effets naturels d’une lutte à forces inégales, reproduit tous les 2 ans, 745 despotes et plus de 300,000 tyrans subalternes, dans un gouvernement qu’on dit monarchique ; cette Constitution enfin qui, composée de quelques éléments de tous les gouvernements possibles, ne présente cependant qu’une abnégation totale de toute espèce de gouvernement, et une source intarissable d’anarchie. J’ai donc dû m'opposer, de toutes mes forces, à cette délibération qui a converti de simples mandataires révocables à volonté, en autant de despotes qui, dans le délire d’une puissance usurpée, ont renversé les institutions les plus salutaires et dicté à leurs commettants les lois les plus oppressives et les plue meurtrières. Oui, j’ai dû m’opposer à cette délibération subversive de fout ordre, et je l’ai fait, sans être effrayé de ces listes de proscription qui ont suivi de près la manifestation de voire vœu et du mien. Yous n’avez jamais entendu que de simples mandataires, dont les pouvoirs étaient circonscrits et limités, fussent vos maîtres et vos tyrans ; et cependant par quelle fatalité se peut-il que le tiers Etal qui avait hautement professé, même en présence des deux premiers ordres et des commissaires du roi, « que le clergé n’était pas la nation ; que la noblesse n’était pas la nation, que le tiers Etat, quoique renfermant la partie la plus nombreuse de la nation, n’était pas lui-même la nation, se sont constitués quelques jours après en Assemblée nationale » (1) ? * La cause de cette métamorphose étonnante serait, sans doute, très difficile à trouver, sans la connaissance des efi'ets déplorables qui eri ont été la suite inévitable et qui semblent indiquer une conjuration tramée, et toujours subsistante contre le trône et l’autel. D’accord avec fous les bailliages, vous vouiez conserver, dans la personne du roi et de ses descendants, les justes prérogatives qu’il tenait de Dieu, de ses ancêtres et de sa couronne. L’histoire de tous les âges vous avait appris que les grandes nations ne doivent l’éclat et la durée de leur existence qu’à, un centre commun d’unité, d’action et de force; qu’il faut à un grand peuple, un roi puissant et révéré, nn roi entouré de tout l’éclat, de toute la splendeur, de toute la dignité du trône, alin qu’il puisse commander avec un égal succès aux sens et à (1) Voyez le procès-verbal des conférences du 0 juin 1789, sur la question do la vérification des pouvoirs en commun. [Assemblée nationale.] ARCHIVES, PARLEMENTAIRES. \A.nnexes.} 472 la raison, afin qu’il soit tout entier dans chacune de ses parties et qu’il puisse leur imprimer le mouvement nécessaire, et en diriger les effets. Aussi aviez-vous demandé que « la personne du roi fût reconnue sacrée et inviolable; que sa couronne fût déclarée héréditaire de mâle en mâle par ordre de primogéniture; que le gouvernement fût reconnu et déclaré monarchique; que votre roi fût reconnu et déclaré le chef suprême des armées de terre et de mer, le chef suprême de l’administration du royaume, le chef suprême de la justice. » Voilà quels étaient vos vœux sur la prérogative royale; ils eussent été un garant assuré de la prospérité du royaume, s’ils avaient été suivis ; mais malheureusement on n’en a tenu aucun compte. La personne du roi n’est plus sacrée et inviolable, puisqu’on a établi, contre lui et ses descendants, des cas de déchéance, qui tiennent d’ailleurs à des événements qu’il ne pourra ni prévoir, ni empêcher. La couronne n’est plus héréditaire de mâle en mâle par ordre de primogéniture, puisque ces mêmes cas de déchéance peuvent intervertir cet ordre. Le gouvernement n’est plus monarchique , puisque la plénitude de la souveraineté est constitutionnellement exercée par le peuple ou par ses représentants. Le roi n’est plus ni le chef suprême du pouvoir exécutif, ni le chef suprême de l’administration du royaume, puisque l’Assemblée nationale s’est appropriée une partie de ce pouvoir qu’elle prend, quitte et reprend à sa volonté ; puisqu’elle gêne, puisqu’elle contrarie l’exercice de ce pouvoir, en lui prescrivant, tous les jours, le mode d’exécution ; puisque le roi n’a plus d’autorité immédiate sur les municipalités; puisque l’autorité qu’il exerce sur les corps administratifs est subordonnée au jugement du Corps législatif; puisque ses ministres constitutionnels, trop occupés peut-être de la perte de leurs places et de leur responsabilité, servent deux maîtres à la fois, je veux dire le roi, qui n’est pas le mieux servi, et les comités de l’Assemblée nationale; puisqu’ils peuvent désobéir aux ordres du roi en prétextant qu’il no commande point au nom de la loi ; puisqu’enfin il est des cas où ils doivent agir en son nom et contre sa volonté. Le roi n’est plus le chef suprême des armées de terre et de mer, puisqu’il ne peut faire agir ces forces, sans le consentement du Corps législatif ou sans la réquisition des municipalités et des corps administratifs; puisqu’il est gêné dans le choix des sujets qu’il croirait <[es plus propres à les diriger, ou privé de ce choix dans une infinité de cas ; puisqu’il n’a pu, et ne peut encore, avec tous les moyens qu’on a mis dans ses mains, rétablir la discipline et la subordination dans ses armées. Le roi n’est plus le chef suprême des armées de terre et de mer, puisqu’à côté de cette force inactive, tant qu’elle ne sera pas requise par tout autre que lui, il en existe une autre indépendante de son autorité et beaucoup plus nombreuse, je veux dire les armées municipales, qu’on dit n’être ni un corps militaire, ni une institution dans l’Etat, et qui cependant peuvent se mouvoir, agir, combattre, attaquer même l’armée de ligne, et porter la guerre civile dans toutes les parties du royaume, sans que le pouvoir qu’on a laissé au roi puisse prévenir ou arrêter de semblables fléaux (1). Le roi n’est plus le chef suprême de la justice, puisqu’il est étranger au choix de ceux qui doivent la distribuer en son nom ; puisqu’il ne tient à ces juges que par les lettres patentes, brevets et commissions qu’il est obligé de leur faire délivrer; puisqu’il a été dépouillé du pouvoir de faire grâce et miséricorde; puisque le pouvoir d’accusation pour cause de forfaiture, le pouvoir de régler l’établissement des tribunaux et le nombre des juges qui doivent les composer, le pouvoir de créer ou supprimer les offices publics, le pouvoir de reviser les jugements du tribunal de cassation et de lui indiquer, dans certains cas, la loi à laquelle il sera tenu de se conformer, appartiennent exclusivement au Corps législatif. Redoutant les innovations dans la distributiou de la justice, la turbulence et la corruption des élections populaires, vous demandiez la conservation des cours souveraines purgées des abus que le temps y avait introduits; vous demandiez qu’au « roi seul appartint la nomination des officiers de justice, et que cette nomination fûti vie »; vous demandiez « pour les villes la liberté de se nommer leurs officiers municipaux, en conformité des anciennes ordonnances », par conséquent la surveillance immédiate du roi sur les municipalités. Mais vous n’avez plus que des juges amovibles tous les six ans, des juges qui doivent leur place à la corruption des élections populaires, et qui, pour se la conserver, seront peu délicats sur le choix des moyens; des juges qui sont installés, sans examen de leur capacité, de leurs vie et mœurs; des juges, en un mot, dont l’ambition, la crainte et la reconnaissance doivent diriger les actions. Vous n’avez plus que des tribunaux sans émulation, sans hiérarchie, et conséquemmeut intéressés à se ménager réciproquement dans leurs écarts. Vous avez cru être amplement dédommagés de la perte de vos anciens tribunaux qu’on aurait pu perfectionner, par l’établissement d’une justice gratuite; mais songez donc que cette justice prétendue gratuite vous est beaucoup plus à charge, puisque le traûement assigné à vos juges excède de beaucoup les épices et les émoluments des anciens; puisque ce traitement, qui se renouvelle tous les ans, est beaucoup plus onéreux pour ceux dont la sagesse prévient les procès, que pour ceux qui plaident toute leur vie ; puisque, enfin, on rejette sur vos propriétés, en contributions foncières, une partie considérable des revenus des biens nationaux que l'on vend, pour rembourser l’ancienne magistrature. Persuadés qu’un roi ne peut être grand et heureux que par le bonheur de ses peuples, qu’il (1) Presque partout jo vois deux autorités rivales, doux autorités, dont l’une, beaucoup plus jalouse et beaucoup plus méfiante, parce qu’elle a sans doute moins de titres à l’appui de son existence, tend sans cesse à empiéter sur l’autre. Ainsi, par exemple, si l’on permet au roi d’avoir une garde dont on lui prescrit le mode de composition, le nombre et la qualité des individus qui devront la former, on réserve an Corps législatif une armée indéfinie qu’il tiendra à ses ordres, dans le lieu de ses séances, pour faire respecter son autorité. Je pourrais parler d’une troisième puissance qui tire sa force de la mauvaise organisation des deux premières, qu’elle maîtrise depuis longtemps et qu'elle finira par renverser ; mais tout le monde connaît le despotisme, la tyrannie, l’ambition dévorante et les usurpations progressives des clubs. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. \ Annexes.] doit protection à tons, qu’il ne peut vouloir et faire exécuter que ce qui doit tourner à leur plus grand avantage, et que sa prérogative vraiment royale est la seule digne qu’on puisse opposer avec succès aux flux et reflux des passions, des complots et des factions, vous demandiez qu’il fût « déclaré, en déterminant les lois constitutionnelles de l’Etat, qu’il ne pourrait y avoir de véritables lois du royaume, que celles qui auraient été demandées par les Etats généraux et consenties par le roi, ou portées par le roi, et acceptées par les Etats généraux ». Vous ne vouliez pas des Etats généraux permanents, vous aviez prévenu les inconvénients et même les malheurs inséparables de cette permanence dont l’activité doit naturellement tendre à renverser la seule autorité qui puisse gêner son amour-propre et son ambition. Vous demandiez qu’il « appartînt au roi seul de convoquer les Etats généraux tous les cinq ans ». Mais quel cas, ou plutôt quel mépris n’a-t-on pas fait de vos réclamations? On a altéré, dénaturé, changé la forme de notre ancien gouvernement; le roi en était le chef, le conservateur suprême, et le roi n’a pas eu la liberté de s’opposer à ces changements funestes, et on lui a présenté la nouvelle Constitution comme un marché à prendre ou à laisser, suivant qu’il serait plus ou moins affecté de la perte ou de la conservation d’une couronne qu’ils appellent constitutionnelle. Quant au pouvoir législatif, il n’en fait plus une partie intégrante; on lui a refusé jusqu’à l’initiaive en matière de lois; et si le refus suspensif qu’on a bien \ouIu lui accorder pouvait le dispenser, pendant quelque temps, de faire exécuter un mauvais décret, la puissance colossa'e d’une assemblée unique et permanente que le roi ne peut ni convoquer, ni retarder, ni dissoudre, et qui n’a à redouter d’autre puissance supérieure à la sienne, que celle des tribunes et des insurrections populaires, trouvera, quand elle le voudra, le moyen de l’arrêter dans l’exercice passager de ce droit. Et comme l’expérience et la sagesse de tous les âges ont prouvé que le trône et l’autel se prêtent un égal soutien, et que l’un n’existe que par l’autre, portant vos regards sur l’inestimable avantage de conserver, dans toute sa pureté et dans toute sa gloire, notre sainte religion catholique, et désirant seconder les vues de ses ministres, vous demandiez « une répartition plus juste des revenus de l’Eglise »; mais, jaloux du respect dû à l’état des personnes et aux propriétés d’uu chacun, vous demandiez en même temps « que les titulaires fussent maintenus dans leurs places, à la charge d’observer les lois de la résidence ». Vous demandiez aussi « la conservation des propriétés du clergé, à la charge de payer ses dettes au moyen du produit dû rachat de ses cens et rentes ». Vous demandiez « la conservation des abbayes et des prieurés de nomination royale ; jusqu’au décès des titulaires et l’application des revenus seulement aux dettes de l’Etat ». Votre vœu était pour la conservation, en tout ou en partie, des corps religieux, puisque vous demandiez que «l’époque des vœux en religion fût lixée à l’âge de 25 ans ». Vous demandiez enfin «un règlement général sur le taux des dîme-q afin de prévenir les abus et les procès que leur perception entraînerait après soi » ; et certes, il y a loin de cette demande à l’extinction totale des dîmes qui n’est profitable qu’aux grands propriétaires, et qu’on a d’ailleurs recréées en 473 une nature d’impôt pécuniaire iufiniment plus onéreux. Mais, d'ailleurs, qu’il me soit permis de vous le demander ; en contrariant votre vœu, qu’a-t-on fait pour la conservation et pour la grande gloire de la religion de nos pères? Ou plutôt que n’a-t-on pas fait pour l’avilir et pour ia perdre, en refusant de la reconnaître pour la religion nationale, pour la religion dominante de l’Etat ; en mettant toutes les religions sur la même ligne, en autorisant l’exercice public de tous les cultes, en dépouillant vos églises, en expropriant le clergé, en prenant sa destruction pour la réforme de ses abus, eu attaquant ses individus dans leurs personnes et dans leurs revenus, en substituant à la place de vos vérbab'e évêques, de vos véritables pasteurs, des prêtres schismatiques, qui n’ont pu mériter votre confiance, et qui ne doivent leur place qu’aux suffrages des hérétiques, des renégats et autres sectaires qui ne les estiment pas assez pour les garder pour eux, mais qui les méprisent ass -z pour vous les donner. Qu’est devenu cette précieuse ressource des pauvres? quel moyen avez-vous aujourd’hui pour les soulager dans leur misère et dans leur adversité (1)?' Croyez-vous qu’ils trouveront les mêmes secours chez les acquéreurs de leurs biens? Où trouverez-vous à l’avenir la piété, la charité, la bienfaisance de votre ancien clergé séculier et régulier? Que pouvez-vous attendre de leur expoliation? Quel fonds pouvez-vous faire sur la charité patriotique de vos prêtres constitutionnels. On lésa dissipés, ces biens déclarés nationaux, par des estimations négligées, par des méventes qui présentent un trafic honteux (2). On les a dévorés, ces biens, par l’émission funeste de près de 1,800 millions d’assignats qui n’ont servi qu’à chasser notre numéraire, qu’à augmenter le prix de nos besoins, qu’à entretenir l'inexactitude ou le défaut de moyens dans le payement des impôts, qu’à alimenter l’agiotage, qu’à corrompre les mœurs, et qu’à acquitter une mince partie de la dette publique ; car vous enten d rez bientôt proposer la suspension du payement de la dette exigible, faute de fonds disponibles. 11 n’y a que les créanciers de l’Etat, déjà payés, qui gagnent à cette opération désastreuse; elle a le funeste talent de répartir la delte de l’Etat, qui intére-sait plus particulièrement les habitants de la capitale, sur toutes les classes des habitants de la province; en sorte que vous qui n’avez rien prêté à l’Etat, qui n’avez reçu aucune faveur de l’Etat, qui n’avez jamais été à poitée de vous enrichir du luxe et des prodigalités de l’ancien gouvernement; en sorte que vous qui n’avez point (1) Jo tiens d’un ancien administrateur du département du Lot, qu’une municipalité très connue, surtou par le nombre des pauvres qui sont à sa charge, a employé en achat de gibernes, de sabres, etc.., une somme de près de sept mille livres provenant des secours qu’on lui avait accordés sur le fonds des ateliers de charité. Et les administrateurs de ce département négligeraient la cause des pauvres? Et les membres de cette municipalité ne seraient pas personnellement contraints au rétablissement de cette somme au profil de leurs pauvres? C’est ce que je ne puis croire malgré le grand crédit qu’elle lire des clubs. (2) Des gens préposés pour surveiller ces ventes ont contracté des sociétés, ont acquis à vil prix, sous des noms empruntés, et ont revendu, pour et au nom de la nation, à des particuliers qu’ils ont rendus insolvables, par les gros bénéfices au comptant qu’ils leur ont soutirés, et puis, payera qui pourra, 474 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. puisé, comme la capitale, vos dépenses communes dans le trésor royal, qui n’avez point l’avantage, par votre situation, de mettre à contribution toutes les provinces ; en sorte que vous qui vous nourrissez d’un pain plus grossier et plus ch' r, qui avez soulagé vos pauvres," qui avez payé du vôtre vos enfants trouvés, votre police, votre guet et garde, votre pavé, vos illuminations, vos corps de garde, votre garde soldée, ete., êtes journellement réduits à payer la dette de l’Etat par le discrédit progressif qui poursuit le papier-monnaie forcé, et par la perte graduelle que vous éprouvez dans son emploi. Vous demandiez « une modification sur les droits d’enregistrement », et les droits d’i nregis-trement ont été grossis; vous demandiez la « conservation de l’impôt sur le tabac », afin de soulager d’autant les propriétés foncières, et l’impôt sur le tabac a été supprimé. Vous demandiez « l’examen de la dette publique et la réduction des intérêts au taux légitime » ; vous demandiez aussi « que les capitalistes et les rentiers fussent assujettis à l’impôt en proportion de leurs revenus » ; eh bien ! la dette publique n’est point encore vérifiée, les intérêts n’ont pas été réduits, et les capitalistes et les rentiers ont été exceptés de la contribution du cinquième de leurs revenus sur l’Etat, car la contribution mobilière ne les atteindra jamais en proportion de leurs revenus. Vous êtes devenus les esclaves de la capitale ; vous avez pris pour du vrai patriotisme l’impulsion qu’elle n’a cessé de donner aux provinces ; vous y avez applaudi, vous avez voulu l’imiter. À son exemple, vous vous êtes passionnés pour la vente des biens nationaux, et vous n’avez pas vu que la capitale ne tenait si fort à cette vente que pour assurer ses créances sur l’Etat, et vous n’avez pas vu qu’en employant les biens des pauvres et les revenus fonciers de l’Eglise à l’acquit de cette dette, et qu’en séduisant les campagnes par l’affranchissement de la prestation de la dîme, on allait de toute nécessité imposer d’autant vos fonds de terre, afin de trouver dans ce surcroît d’impôt de quoi fournir aux dépenses du culte religieux, au traitement et aux pensions des ecclésiastiques dépouillés, en sorte que vous êtes soumis à payer un tiers de plus en contributions directes ou indirectes, tandis que la capitale en payera moitié moins, avec l’avantage qu’elle a eu de poursuivre avec plus de facilité et de promptitude la liquidation et le remboursement de ses créances, de ses offices, de ses maîtrises, etc., etc. (1). On avait établi une caisse, appelée de l’extraordinaire, pour y verser et conserver soigneusement les fonds que l’on destinait à l’acquit de la dette exigible, et cette caisse qui a dû être garnie de près de 2 milliards en revenus des biens ecclésiastiques ou en assignats à valoir sur les biens nationaux vendus ou à vendre, et cette caisse qui n’a presque rien payé sur la véritable dette exigible, sera, avant la lin de l’armée, épuisée par les remboursements qu’on n’aurait pas dû faire, par les dépenses courantes-qui devaient être prises ailleurs, par les secours et les crédits immodérés qu’on a fournis aux principales villes sur des reprises éventuelles, et même (1) Avant la Révolution, la ville de Paris versait dans le Trésor royal, en impositions directes et indirectes, près de 80 millions. Dans l’état de choses, elle n’y versera à l’avenir que de 33 à 40 millions. à tout venant qui a su parler révolution et flagorner l’Assemblée nationale. Vous demandiez la « suppression des milices », parce que le tirage au sort et les rassemblements, quoique à des époques déterminées, enlevaient quantités de bras à l’agriculture, aux arts et aux métiers; mais, depuis la Révolution, vous êtes tous devenus miliciens, et l’agriculture, les arts et les métiers n’y ont certainement pas gagné, puisque vous perdez infiniment plus de journées en évolutions militaires, en factions, en courses, en assemblées primaires et en assemblées électorales, sans y comprendre vos dépenses extraordinaires. Vous demandiez pour tous, « liberté, propriété, sûreté et protection » ; mais qu’il me soit permis de vous le demander; trouvez-vous cette liberté, cette sûreté, cette protection clans les violences et les excès que vous éprouvez journellement de la part des clubs, même sous les yeux, et quelquefois à l’invitation des municipalités, qui insultent à votre malheur par leur inaction ou par leur indifférence coupable? La trouvez-vous cette liberté, dans ces désar-memenls, dans ces perquisitions domiciliaires, dans ces emprisonnements illégaux, dans ces détentions injustes, dans ces extorsions qua-liiiées d’amendes, dans ces proscriptions odieuses qui n’ont d’autre principe que la tyrannie d’une classe d’hommes, tourmentés par le remords et justement alarmés sur leur avenir, exerce sur la liberté des opinions qui ne sont pas les leurs? Trouvez-vous ce respect dû aux propriétés dans les menaces et dans les atteintes qu’on y porte tous les jours ; dans l’accroissement de l’impôt foncier; dans les incendies, les pillages et les dévastations qui ont été déjà renouvelés plus d’une fois; dans ce refus persévérant de payer les redevances foncières qui constituent cependant le seul titre valable de voire propriété, et dont les arrérages accumulés préparent la ruine entière des redevables; car il faudra bien qu’ils le payent un jour aux dépens de leurs capitaux; refus, au surplus, qui est condamné par la loi, et qui ne doit son origine qu’à des conseils perfides, et sa persévérance qu’à la fourberie de deux commissaires qui ont infecté notre malheureux pays par leur présence, et par la doctrine qu’ils ont prêchée dans les clubs. Actuellement, Messieurs, comparez le vœu que vous avez émis, le vœu que j’ai constamment défendu, avec la Constitution qu’on vous a donnée; ce que vous éliez dans l’ancien gouvernement, avec ce que vous êtes aujourd’hui; la liberté dont vous jouissiez, avec la licence effrenée qui a pris sa place; votre sûreté passée, avec les dangers que vous courez tous les jours, et les forfaits qui déshonorent notre pays ; le respect qui était porté à vos propriétés, avec les dévastations qui les ruinent, avec le fer et la flamme qui les dévorent ; l’impôt, déjà trop considérable sans doute, ou trop inégalement réparti de l’ancien régime, avec les nouvelles contributions plus ruineuses et plus mal réparties encore; la force publique qui vous protégeait si efficacement, avec cette multiplication de forces si mal organisées, qui ne peuvent contenir le crime qui vous frappe, ou qui vous menace sans cesse ; cette justice bienfaisante qui vous garantissait des atteintes des méchants et des pervers, avec ces tribunaux circulaires de nouvelle création, avec ce fantôme de justice avilie, avec ces nouveaux sénateurs dont l’inaction, souvent forcée et quelquefois volontaire, laisse votre honneur, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 475 vos personnes et vos biens à la merci des factieux, des tyrans, des meurtriers, des assassins et des g«ns conduits par la rapine et par l’avarice. Comparez ces administrations, soumises à leur chef suprême, économes et bienfaisantes du temps passé ; ces administrations en grandes masses, soutenues et éclairées par le désintéressement, l’amour du bien, les lumières et l’expérience; ces administrations qui savaient si bien arrêter les municipalités dans leurs écarts et les ramener dans la bonne voie, avec ces administrations mesquines de département ; ces administrations mineuses, incohérentes et mal assorties ; ces administrations souvent maîtrisées par les municipalités, et néanmoins leurs supérieures et même presque indépendantes de tout autre pouvoir, par cela seul qu’elles sont subordonnées à deux autorités dont Tune, quoique étrangère à tout objet d'administration, contrôle cependant les actions de l’autre; ces administrations, enfin, ou, pour mi eu:; dire, ces lambeaux de république dont plusieurs ont tout à la fois la faiblesse, l’ignorance, la présomption et l’orgueil des petits tyrans. Comparez vos occupations lucratives, votre industrie, votre commerce, vos ressources, vos jouissances du temps passé, avec vos facultés, vos moyens d’acquérir, et votre détresse d’aujourd’hui ; la considération dont vous jouissiez au dedans et au dehors du royaume, avec l’espèce de pitié et de mépris qui nous humilient ; notre intervention, jadis si respectée, dans les différends de nos voisins, avec celle dont ils nous menacent aujourd’hui à l’occasion de nos troubles, de nos dissensions et de notre immoralité. Comparez enfin le passé qui vous est si bien connu, avec votre situation présente, avec cet avenir qui s’annonce par tant de sinistres présages ; et, si cette comparaison que je ne pourserai pas plus loin, pour ne pas vous attrister par le tableau Irop fidèle des malheurs sans nombre qui nous accablent, et par la perspective plus effrayante encore de ceux dont nous sommes menacés, peut vous convaincre de la droiture de ma conduite, de la pureté de mes vues et de celle de nies intentions, croyez qu’il m’eût été facile de gagner, comme tant d’autres, la faveur du peuple qu’on a si cruellement trompé; et qu’au milieu des factions, des troubb s et des orages, il y a quelque mérite à s’acquitter constamment de ses devoirs au risque, toujours renaissant, de devenir victime des emportements de la multitude qu’on a enivrée de fureurs et de crimes. Eli ! comment aurais-je pu, oubliant mes instructions, manquera mon serment, quand, pour répondre à votre confiance, Messieurs, je n’avais qu’à observer les dispositions du roi? Quand je n’ai pu me dissimuler que ses intentions bienfaisantes avaient préparé les moyens de réformer les abus dont nous avions à nous plaindre? Quand, par sa déclaration du 23 juin 1789, se montrant plus encore le père et i’ami que le souverain de ses sujets, je. l’ai vu leur accorder ou plutôt leur offrir plus que vous ne m’aviez chargé de demander? La saine partie de la nation, le peuple lui-même, applaudirent à cette déclaration qui rétablissait l’ordre et l’harmonie; dans laquelle se trouvaient les germes de tous les biens que nous pouvions désirer, et dont nous jouirions déjà, si des ennemis cruels, une secte impie et sacrilège, les factieux, enfin, n’eussent étouffé ces germe's précieux, pour y substituer ceux de tous les maux qui ont inondé la surface de ce triste Empire. Par quelle fatalité cette déclaration, qui allait régénérer effectivement la France, l’a-t-elle plongée dans un abîme de malheurs? Ne vous y trompez pas, Messieurs, elle a été le signal de cette insurrection que des profanes ont appelée « sainte ». Si les méchants, nés pour la ruine et la dévastation de ce superbe royaume, eussent donné le temps à la nation de méditer sur cette déclaration, et d’en calculer les bienfaits, nous étions sauvés, et la trame de leurs noirs complots était détruite. Tous les genres de séduction ont été mis en œuvre ; en moins de trois semaines, les esprits ont été corrompus, pervertis ; la révolte éclata, les moyens employés pour la prévenir, ou pour en arrêter les effets, devinrent ses instruments et tout fut perdu. J’achèverai de vous dire la vérité, Messieurs; je vous la dois tout entière; je la dois à la sainteté de ma mission que j’ai toujours respectée, parce qu’elle était légale ; écoutez-la, je vous en conjure : le peuple gémit; sa misère lui a dessillé les yeux; un penchant naturel, qu’on a pu arrêter, mais que rien ne détruira jamais, le porte irrésistiblement vers son roi; déjà il implore ses bontés; il a besoin de cette autorité tutélaire qui le protégera toujours efficacement; il réclame le bonheur que lui assurait cette déclaration qu’on ne lui avait pas permis d’apprécier, mais dont il sent la nécessité. Ce moyen est plus sûr que la résistance peut-être impuissante que vous opposeriez à des efforts dirigés d’abord par l’honneur, mais qui pourraient ensuite èire conduits par > des sentiments plus redoutables. Apaisons la divinité, elle ne se montra jamais implacable; et le cœur du roi s’ouvrira; que dis-je? il ne fut jamais fermé pour son peuple! Tels sont les sentiments qui m’ont animé dans la carrière que je viens de parcourir, et ceux avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : Faydel. À Paris, le 30 septembre 1791.