616 [S mai 1791.] [ Assemblée national*. ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. tioa; seulement il s’agit de savoir à quel taux elle sera fixée. Les contrats produits par les avocats au Conseil ne sauraient servir de guide à cet égard; car, dan s tous, la clientèle et les recouvrements se trouvent confondus, ce qui ne permet pas de découvrir quel a été le prix de ces recouvrements. Quand les recouvrements sont énoncés dans les contrats sans spécification de la somme àlaquelle ils se montent, l’article 22 des décri ts du mois de décembre veut qu'il soit réputé équivaloir, savoir: pour les procureurs, au tiers de leurs contrats, et pour les autres officiers ministériels dont il i st parlé dans ces décrets, au douzième ; mais d’après les informations que votre comité a prises sur ce point, il s’est persuadé que nulle de ces deux bases ne pouvait être adoptée aux avocats au Conseil. Ce n’est pas qu’il se flatte d’avoir à vous présenter des données infaillibles ; mais dans une manière où la simple conjecture doit nécessairement tenir lieu de la preuve, il peut vous assurer du moins qu’il a pris toutes les précautions qui étaient en son pouvoir pour mettre à couvert l'intérêt national. Il a interrogé un très grand nombre d’avocats au Conseil, et tous, un seul excepté, se sont accordés à soutenir que la déduction d’un douzième fiour les recouvrements était le retranchement e plus fort qu’on pût leur faire supporter, et votre comité n’a pas cru qu’une assertion solitaire et destituée de preuves dût balancer tant de témoignages contraires. Ce n’est pas qu’il ignore la juste défiance que peut inspirer l’intérêt peisonnd; mais celte défiance aussi duit avoir ses bornes; et quand tant d’hommes d’ailleurs divisés se réunissent sur un point, il estbieD difficile de ne pas croire qu’au moins ils ne s’éloignent pas trop de la vérité; la cho.e estd’autai t plus probable ici que des faits constants viennent encore à l’appui de ci langage unanime. Il est génoralerm nt connu en effet : 1° Que l'instruction qui se faisait au Conseil était d’une extrême simplicité, et qu’ainsi il ne pouvait guère exiser dans ce tribunal de ces procédures volumineuses qui, en grossissant la masse des frai?, en reculent ausi le recouvrement ; 2° Que les avocats au Conseil ayant pour clients des hommes domiciliés dans toutes les parties de la domination française, et souvent même des é rangers, ils re manquaient pas de prendre leurs précautions avec ces clients qui pour la plupart leur étaient inconnus : il ét it donc très rare qu’ils ne ee fissent pas faire des avances qui ussent leur procurer la certitude de ne paspro-iguer g atuitement leurs peines et leurs soins dans une affaire difficile et laborieuse. Ajoutons à cela que la nature de leurs fonctions ne comportait pas même de retard dansle3 payements: des conférences chez les ministres, chez les magistrats, dans les bureaux, de fréquents voyages à Versailles et dans tous les lieux où le roi faisait son séjour ; uu travail enfin dont il ne restait presque jamais aucune trace, et qui dans le cas trop ordinaire de mauvaise volonté de la part d’un client aigri par la p�rte de son procès, était exposé à rester sans récompense ; tout, en un mot, exclut à l’égard des avocats au Conseil, l’idée de ces gros recouvrements si communs dans les études des procureurs accrédités. Observons en outre que les procès au Conseil u’éiant pas fort crdinaires, un avocat ne devait pas compter que le même plaideur y revint une seconde fois : ainsi ri»‘n ne l’obligeait à ces ménagements politiques et calculés août us: ient les procureurs envers leurs clients pour les attirer encore. Aussi, parmi les contrats quioDtété communiqués à votre comité, en trouve-t-on un grand nombre dans lesquels les acquéreurs sont expres-? émeut chargés par leurs vendeurs des trop reçus; ce qui prouve bien cet usage dans lequel étaient le?: avocats au Conseil, de se faire taire régulièrement des avances qui les missent à l’abri de l’ince: titude des recouvrements. Mais, dira-t-on, comment concevoir cette modicité, lorsqu’on voit que, le titre des offices étant énéralement fixé à 10,000 livres au plus, le prix es contrats se trouve cependant quelquefois porté à 100,000 livres et au delà? Cette objection avait d’abord frappé votre comité; mais, après un examen plus approfondi, il a reconnu : 1® que l’évaluation donnée par les contrats au titre de l’office n’exprimait point la vraie valeur gue ce titre avait acquise, surtout dans les derniers temps; il a été convaincu qu’on ne l’avait fixée à ce taux que pour éluder une ancienne défense, faite par le ministre, de vendre les offices d’avocats au Conseil, au-dessus de 10,000 livres, défense qui avait contraint les vendeurs à rejeter sur les recouvrements et sur la clientèle tout ce qui pouvait excéder celte somme. Votre comité a reconnu, en second lieu, que souvent un vendeur transmettait à son acquéreur l’espérance des plus brillantes clientèles, et qu’il était naturel qu’une telle perspective rendît cet acquéreur peu difficile sur le prix. Les vi les principales du royaume, les pays d’Etats, le ci-devant clergé séculier et régulier, la ferme générale, la régie des aides et les messagerie?, toutes les grandes clientèles enfla qui, indépendamment de-profits casuels, procuraient encore à l’aveeat des retenues considérables, étaient, il faut en convenir, un appât bien séduisant. On conçoit donc sans peine que ceux à qui ou transmettait un bon nombre de semblables clientèles, aient porté très haut le prix de leurs acquisitions. Toutes ces acquisitions ont fait juger à votre comité qu’il n’était pas possible de supposa r que les recouvrements fussent entrés pour un tiers dans le prix des contrats. Ü n’a pas cru cependant qu’ils ne dussent être comptés que pour un douzième ; car, quoiqu’il soit évident qu’ils ne pouvaient pas approcher de ceux des procureurs, on peut supposer qu’ils surpassaient de quelque chose ceux des autres officiers ministériels dont il est parlé dans les décrets du mois de décembre; votre comité a donc pensé qu'il était équitable d’adopter un autre taux tel que le huitième. Voici, eu conséquence, le projet de décret que nous vous proposons : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité de judicature, décrète que les avocats au Go iseil seront remboursés sur le pied du dernier contrat d’acquisition de chaque titulaire, à la déduction d’un huitième pour les recouvrements, de laquelle déduction seront exempts ceux dont le prix des contrats ne se porte qu’à 10,000 livres et au-dessous. • M. Prugnon. L’intention de l’Assemblée est de reodre justice à tous ; or, le remboursement sur le pied du dernier contrat d’acquisition de chaque titulaire ne remplit pas ce but, puisque [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 mai 1791.] (M 7 par là on ne rembourse que les jeunes et que ce ne sont pas les jeunes seulement qu’il faut rembourser; par là on verse l’argent sur les uns et on dépouille les autres. Depuis le dernier contrat d’acquisition de la plupart des avocats au conseil, la valeur de leurs offices a considérablement augmenté. Par le décret qu’on vous propose, vous ruineiiez ces pères de famille, en ne Remboursant peut-être que 10,000 livres des offices qui en valent 80,000. Vous puniriez presque le3 anciens d’avoir vieilli dans leurs fonctions. Il résulte en effet de ce que vous a dit le comité qu’on ne rembourserait pas à tous la vraie valeur de leurs titres, sur laquelle ils avaient droit de compter, si on ne leur donnait pas au moins le remboursement sur le titre le plus dépourvu de clientèle. J’observerai d’ailleurs que l’Assemblée ne s’est occupée, le 20 décembre, que du mode de remboursement des offices supprimés et non de ceux des avocats au Conseil, et qu’on applique à ceux-ci les dispositions relatives aux greffiers supprimés qui doivent être remboursés sur le prix de la vente. Au reste, les avocats au Conseil sont en très petit nombre; leur remboursement sur un pied favorable ne peut tirer à de grandes conséquences. Je prie donc l’Assemblée de décréter pour ce genre d’offices un mode particulier d’évaluation, et, afin de rectifier l’inégalité que le projet de décret a établie entre les anciens et les nouveaux, de fixer pour minimum le prix du plus faible des contrats d’acquisition depuis 10 ans. M. A-avenue. Et moi je demande la question réalable sur le projet du comité, et je me réfère celui de M. Prugnon sauf à proposer quelques amendements. M. Audier-llassillon. La loi générale, pour tous les offices non compris dans l’évaluation de 1771, est qu’ils seront évalués sur le prix moyeu des dix derniers contrats d’acquisition, mais que cette évaluation ne pourra excéder le dernier co trat. Vous voyez qu’en donnant aux avocats au Conseil le maximum de ce qui est décrété pour les autres, bien loin d’être injustes envers eux, vous les favorisez. Voulez-vous faire dire que l’Assemblée nationale accorde tout aux officiers de Paris ? M. Mougins. J’appuie l’opinion de M. Prugnon; en 1771, le gouvernement mit des entraves pour empêcher les avocats au Conseil de faire des évaluato is. M. l*e Teilier, combat le projet de décret du comité qu’il consi ière comme trop favorable au plus grand nombre des avocats au conseil ; il demande que la reb nue pour les recouvrements soit du quart au lieu du huitième du prix des offict s, comme le propose le comité. M. Buzot. Je ne vois aucune espèce de justice à donner d’une part 80,000 livres à un homme ut aura acheté, il y a 10 ou 12 ans son office, et e ne donner à un père de famille pour uu office du même genre que 10,000 livres parce qu’il l’auta acheté depuis trente années. Je demande qu’on adopte le projet de M. Prugnon et que l’on hxe un minimum au moins de 30,000 livres. M. Régnier, rapporteur. J’invoquerai eu faveur du projet «lu comité les règles établies par l’Assemblée elle-même qui, dans aucun cas, n’a admis un remboursement supérieur au prix des contrats d’acquisition et je citerai comme exemple les officiers ministériels de Flandre qui, de même que tes avocats au Conseil, n’ont pas été soumis à la loi de l’évaluation. J’observerai d’ailleurs que si l’on admet une exception pour les avocats au Conseil, tous les procureurs auront le droit de réclamer. Un membre : Je défie qu’on me cite une seule évaluation qui excède le prix du contrat. (L’Assemblée ferme la discussion.) M. Bouche. Je demande la priorité pour le projet de M. Prugnon. Plusieurs membres : La question préalable. M. le Président. On demande la question préalable sur l’amendement de M. Prugnon qui détermine pour minimum du remboursement le prix du plus faible des contrats d’acquisition depuis 10 ans. Je consulte l’Assemblée. (L’épreuve est di u'.euse.) M. Prugnon. Je retire mon amendement et je me rallie à celui de M. Buzot qui règle le minimum à une somme déterminée et fixe de 30,000 livres. Plusieurs membres : La question préalable. (L’Assemblée consultée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’amendement.) Un membre propose par amendement de prendre pour minimum le Drix moyen des contrats d’acquisition depuis 1765, jusques et y compris 1771. M. Mougins. Je demande que le minimum soit de 20,000 livres. (L’Assemblée, après quelques débats, ferme la discussion et accorde la priorité à l’amendement de M. Mougins.) M. le Président. Je mets aux voix l’amendement de M. Mougins qui fixe le minimum à 20,000 livres. Voix diverses. L’appel nominal 1 — La question préalablel (Après quelques débats, l’Assemblée ferme la discussion.) M. le Président. Je mets aux voix la question préalable sur l’ammdement de M. Mougins. (L’Assemblée consultée décrète qu’il y a lieu à délibérer). ( Réclamations .) M. le Président. Je mets aux voix l’amende-dement de M. Mougins. (L’épreuve a lieu.) M. le Président. L’ameudemeut est adopté. (Il s’élève de bruyantes réclamations contre la décision do Président. Plusieurs membres insistent pour que l’épreuve soit renouvelée.) M. le Président. Je vais renouveler l’épreuve. M. Régnier, rapporteur. Quoique je n’aie personnellement pas le désir de m’écarter eu rieo du projet de décret du comité, je crois néanmoins de mon devoir d’observer à l’Assemblée que la pro- A|g [Assemblée nationale J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mai 1791. J positioa du minimum tel qu’il est fixé dans l’amendement de M. Mougins sur lequel la délibération est ouverte, ne grèverait le Trésor public que d’une somme de 150,000 livres. M. le i»réekle*t. Je reprends la délibération et je mets aux voix la question préalable sur l’amendement de M. Mougins. (L’épreuve a lieu.) M. le Président. L’Assemblée décrète qu’il y lieu à délibérer sur l’amendement. Je mets maintenant aux voix l’amendement. (L’épreuve a lieu.) M. le Président. L’amendement de M. Mougins est adopté. ( Vives réclamations.) Un membre : M. le Président opine tout seul. (Murmures prolongés.) Un grand nombre de membres : L’appel nominal ! l’appel nominal !(Un tumulte prolongé règne dans V Assemblée.) M. le Président se couvre. (Au bout de quelques instants , le calme se rétablit.) M. le Président. Lorsque j’ai mis la question préalable aux voix et que j’ai prononcé qn’il n’y avait pas lieu à délibérer, il n’y a pas eu de réclamations... Plusieurs membres. Si fait! si fait! M. le Président. J’ai mis ensuite aux voix l’amendement et j’ai cru voir que les membres qui s’étaient levés pour rejeter la question préalable s’étaient levés pour adopter l’amendement. En conséquence, j’ai prononcé, parce que je n’ai entendu aucune réclamation. M. Lavie. Le fait, Monsieur le Président, est qne vous n’avez pas voulu écouter les réclamations. Je ne sais si c’est parce que vous êtes entouré de beaucoup de monde, ou autrement. M. Rœderer. Je demande l’ajournement, toutes choses restant en état. (Murmures.) Un membre : L’ajournement ou l’appel nominal. M. de Folleville. Dans eette alternative, je demande l’appel nominal. Un membre : On ne peut pas procéder à l’appel nominal; nous ne sommes pas 200. M. Prieur. Il vaut mieux ajourner ; samedi, nous serons plus éclairés, nous aurons réfléchi. (Applaudissements.) Consultez l’Assemblée, Monsieur le Président. (L’Assemblée consultée décrète l’ajournement.) M. le Président indique l’ordre du jour de la séance de demain et lève la séance à onze heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. REWBELL. Séance du vendredi 6 mai 1791 (1). M. Chabroud, ex-président , ouvre la séance. Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une adresse de la société des amis de la Constitution établie à Nancy, portant demande du licenciement de l’armée et de sa prompte recréation sur les principes édictés par la Constitution française. Les pétitionnaires exposent à l’Assemblée, dans un récit touchant, tous les maux survenus dans l’armée par cette monstrueuse constitution militaire, qui n’était applicable qu’aux temps du despotisme, des luttes effrayantes qui se renouvellent sans cesse contre les chers qui veulent étouffer les germes naissants du patriotisme dans le cœur du soldat, et le soldat lui-même, qui, s’éclairant sur ses devoirs et sur ses droits, ne veut plus être l’aveugle instrument du caprice de ses supérieurs, et a juré de n’obéir qu’a la loi. Ils retracent aux yeux des législateurs français tous les troubles , tous les désordres qui ont pris leur source dans cette contrariété d’opinions, et ui ont compromis plus d’une fois la tranquillité e la nation. Ils font entrevoir tous les dangers où s’expose la nation en confiant ses plus chers intérêts, ceux de sa liberté et de sa Constitution, à des hommes qui tiennent par des considérations personnelles, à tous les préjugés de l’ancien ordre de choses, dont ils ont juré de relever le monstrueux édifice sur la ruine de notre sage Constitution, à des principes prescrits par la raison. Ils frémissent d'horreur en se représentant sur nos frontières une armée prête à nous attaquer, et la France stupidement tranquille, en voyant sa destinée entre les mains de ces instruments serviles du despotisme, qui ne manqueraient pas de saisir une si favorable occasion pour exécuter leurs exécrables projets. Ils se rappellent avec plaisir, et avec un sentiment vif de reconnaissance, cette énergie forte et puissante avec laquelle l’Assemblée déjoua les efforts de la ligue sacerdotale qui voulait, la torche du fanatisme à la main, détruire la France par un embrasement universel ; mais ils ne peuvent voir sans effroi, dans une conjuration plus formidable encore, cette sorte d’inattention de l’Assemblée dont la fausse sécurité pourrait nous jeter dans des maux dont les suites sont incalculables. M. le secrétaire annonce ensuite une adresse des artistes inventeurs. (La lecture de cette adresse est renvoyée à l’ordre du soir.) M. Le Monnevry, citoyen de Paris, est admis à la barre et présente à l’Assemblée on mémoire sur les finances. (L’Assemblée renvoie ce mémoire au comité des finances et accorde à M. Le Monnevry les honneurs de la séance.) Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d’bier au matin. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.