642 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1789.] 2o Quelle sera la durée de chaque session ? 3° A quelle époque l’Assemblée nationale se réunira-t-elle? 4° Quelle qualité faudra-t-il avoir pour être électeur et éligible ? M. de Cazalès. Cette motion est la même que celle que M. Barnave a proposée hier, et sur laquelle l’Assemblée a été aux voix ; je demande à M. le président quel est le résultat des voix sur la question de savoir si l’on délibérera ou non, et je réclame l’appel nominal, comme il a été arrêté hier, dans le cas où l’appel par assis et levé aurait été incertain. L’ajournement de M. Le Chapelier est appuyé par d’autres membres. Qn va aux voix sur la motion de M. Le Chapelier par assis et levé ; la majorité est en sa faveur ; mais jl s’élève des réclamations, on demande l’appel nominal. Un membre de la noblesse observe que la majorité étant évidente, elle ne peut être contestée ; qu’hier on a eu la mauvaise foi de demander l’appel nominal, parce que la majorité était contraire; mais qu’on ne doit pas suivre un mauvais exemple. M. Guillotin rappelle la série des questions qu’il a présentées la semaine dernière, et que l’Assemblée a adoptées. 11 propose de discuter la cinquième question, qui consiste à définir la sanction. M. Guillotin en donne la définition suivante : « La sanction royale consiste dans l’apposition du sceau royal, qui donne l’authenticité aux actes émanés soit du Corps législatif constituant, soit du Corps législatif constitué. » On ne s’occupe ni de l’objet proposé par M. Guillotin, ni de ceux proposés par M. Le Chapelier. M. le baron de Juigné détourne les regards de l’Assemblée pour les porter sur des questions plus grandes, mais plus faciles à décider, puis-ue la solution en a déjà été prononcée par la rance entière. Il propose à l’Assemblée de consacrer les principes de l’hérédité de la couronne et de l’inviolabilité de la personne du Roi. A peine ces deux objets sont-ils énoncés, que l’Assemblée les proclame d’un mouvement unanime. M. le duc de La Ilochefoucauld propose d’ajouter un article sur la majorité et la régence. Cette motion n’est pas appuyée en ce moment. Un autre membre propose de déclarer inviolable la personne de l’héritier présomptif du trône. M. le duc de Mortemart. J’observe qu’il y a eu des fils de Rois qui ont détrôné leur père ; cette inviolabilité mettrait à couvert de la sévérité des lois ceux qui par la suite pourraient se porter à de pareils attentats. M. de Custine propose de porter ces articles dans la déclaration des droits. Cette proposition est rejetée. Ici la discussion change. On s’occupe de la grande question de savoir s'il faut prononcer l’exclusion de la maison d’Espagne à la succession du trône de France. M. Arnoult, qui a élevé cette question, demande qu’il soit décidé, qu’attendu que la branche régnante en Espagne a renoncé, par le traité d’Utrecbt, à ses droits au trône de France, elle ne pourra être admise à l’hérédité de cette couronne, le cas arrivant où elle voudrait y prétendre. M. «le la Luzerne, évêque de Langres. La solution de cette question pourrait donner à l’Europe une commotion générale. En admettant la branche d’Espagne au trône, ce serait mécontenter toutes les nations voisines, qui ne verraient pas sans crainte l’équilibre entre les puissances de l’Europe rompu. En déclarant la maison d’Espagne exclue, ce serait perdre le seul allié attaché à la France. Je pense donc qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. le comte de Mirabeau. Sans doute il faudra bien s’occuper un jour de cette question, ne fût-ce que pour substituer à cette expression trop longtemps consacrée de pacte cle famille celle de pacte mtional. Mais les circonstances ne nous permettent pas de nous occuper de nos relations extérieures, et je propose que l’affaire soit ajournée. Cette proposition de la succession d’Espagne jette le trouble dans l’Assemblée. 11 y règne jusqu’à la fin de la séance. On prétend qu’en parlant de l’hérédité de la couronne, c’est rappeler la maison d’Espagne. Cependant cette motion n’est point appuyée : elle n’a été qu’époncée. L’auteur veut la retirer; mais plusieurs membres s’y opposent inutilement. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau dit que c’est le seul moyen de terminer une discussion aussi sérieuse. On demande avec opiniâtreté la question préalable; d’autres: Y a-t-il lieu à délibérer? Un membre veut qu’on ajoute : quant à présent. M. le comte de Mirabeau persiste dans l’ajournement. M. le comte de Wirieu dit qu’il faut l’ajournement à trois siècles. M. le Président ne sait comment poser la question ; il prétend que M. le comte de Mirabeau se désiste de son ajournement. M. le comte de Mirabeau l’interrompt et se contentede répondre que cette question, qui paraît indifférente à l’Assemblée, ne l’est pas à l’ambassadeur du roi d’Espagne. M. Bouche observe qu’il est fort inutile de délibérer, puisqu’il faut faire une loi pour déclarer que, dans le cas où la maison de Bourbon viendrait à s’éteindre, la nation se rassemblerait par ses représentants pour se choisir un Roi, pourvu qu’il soit Français. Il y avait deux questions à décider : Y a-t-il lieu à délibérer, ou faut-il ajourner? A laquelle de ces deux motions doit-on donner la priorité ? M. le président, embarrassé, interroge le règlement; mais le règlement est muet ; il interroge l’Assemblée, mais elle est divisée dans ses opinions. Enfin on va aux voix, et la question préalable obtient la priorité. Alors la motion sur l’exclusion de la branche espagnole est retirée, et aussi celle de l’ajournement. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1789.] 643 Cependant l’Assemblée veut de nouveau aller aux voix. On allait effectivement y aller, lorsque M. Target propose de poser ainsi la question : V Assemblée nationale n’entend pas en délibérer. M. le comte de Choiseul fait cette autre proposition : L’Assemblée croit ne devoir en délibérer. Ces deux propositions sont rejetées ; il est simplement déclaré qu’il n’y a lieu à délibérer. Alors un de MM. les secrétaires lit la rédaction des trois articles qui ont été décrétés par acclamation. La voici : « L’Assemblée nationale a reconnu par acclamation, et déclaré à l’unanimité des voix, comme lois fondamentales de la monarchie française, que la personne du Roi est inviolable et sacrée; que le trône est indivisible; que la couronne est héréditaire dans la race régnante, de mâle en maie, par ordre de primogéniture, à l’exclusion perpétuelle et absolue des femmes et de leurs descendants. » M. le comte de Mirabeau propose d’y ajouter un quatrième article : que nul ne puisse exercer ia régence qu’un homme né en France. On allait discuter cet article, si l’attention de l’Assemblée ne se fût reportée sur celui de l’hérédité de la couronne. On s’était d’abord proposé de joindre ces articles aux arrêtés du 4 août, pour les porter ; ensemble à la sanction ; mais la discussion recommence sur la branche espagnole et fait perdre de vue cet objet. M. de Mirabeau. La connaissance que j’aide la géographie de l’Assemblée, et la place d’où sont parties les oppositions à l’ajournement et les il n’y a pas à délibérer , me font sentir qu’il ne s’agit ici de rien moins que d’introduire en Francé une domination étrangère, et qu’au fond la proposition espagnole de la question préalable pourrait bien être une proposition autrichienne. Je ne reviens cependant pas sur la question, puisqu’elle a été écartée; mais il en est une parfaitement connexe avec celles qui nous ont occupés ce matin, d’une importance égale, et sur laquelle je propose de délibérer : je demande qu’il soit déclaré, en addition au décret proposé, que nul ne pourra exercer la régence qu’un homme né en France. Plusieurs membres se lèvent pour appuyer la motion. Nouvelle lecture est faite du décret. M. Rcwbell. J’observe qu’en admettant cette rédaction, on juge l’admission de la branche d’Espagne à l’hérédité, puisqu’elle porte � que la couronne est héréditaire de mâle en mâle par ordre de primogéniture. Je demande la suppression des mots par ordre de primogéniture, ou bien la division de l’article, dont les deux premières parties ne sont pas contestées. M. de Mirabeau. Décrétez sur-le-champ la partie non contestée, renvoyez l’autre aux éclaircissements. M. de Mortemart. La clause de la renonciation de la maison d’Espagne à la couronne de France n’existe pas dans le traité d’Utrecht; mais seulement celle-ci, que les deux couronnes ne pourront être réunies sur la même tête. M. de Mirabeau. J’appelle à l’ordre l'opinant ; son assertion est profondément fausse; elle insulte notre droit public; elle blesse la dignité nationale; elle tend à faire croire que des individus peuvent léguer des nations comme de vils troupeaux. M. de Sillery. Voici deux pièces triomphantes contre l’opinion de M. Mortemart; la renonciation même du roi d’Espagne et les lettres-patentes de 1713. Je les liens en main. M. de Mirabeau. Je réclame de rechef, et aux termes du règlement, la division de ia motion. 11 est naturel et nécessaire qu’elle soit divisée, puisque sa première partie, loin d’être contestée, est accueillie par l’unanimité la plus honorable pour l’esprit national et la maison régnante, et que la seconde est non-seulement sévèrement critiquée, mais qu’elle établit encore une contradiction manifeste dans les décrets, par cela seul qu’elle préjuge le point important sur lequel vous avez déclaré qu’il n’y avait pas lieu à délibérer. Je conclus donc à la division de la question, et je fais observer que l’acharnement que de part et d’autre on met dans la discussion depuis plus d’une heure donne plutôt à ce débat la couleur d’une querelle d’amour-propre, que celle d’une conférence solennelle. J’ajoute que cet acharnement me paraît d’autant plus inconcevable, qu’assurément il est difficile de croire qu’une portion de cette Assemblée, ou même l’Assemblée entière, veuille jamais donner à la France un Roi malgré la nation. M. Duval d’Eprcménll. Jene viens pas prendre la défense de la maison d’Orléans, ni de celle qui règne en Espagne ; mais je viens prendre la défense d’un principe incontestable. Il ne s’agit point desavoir quelle est la validité de la renonciation ; nous venons d’arrêter sur ce point qu’il n’y avait lieu à délibérer ; mais il s'agit de rappeler une maxime confirmée par la loi salique, consacrée dans tous les états généraux : c’est que le trône est héréditaire. Peu importe donc la question de la renonciation (question qui, pour le dire en passant, ne se déciderait point par les débats de l’Assemblée nationale). Cette renonciation est une exception aux principes; et parce qu’il existe une exception, il n’en faut pas moins reconnaître le principe. Or, quel est-il? C’est l’hérédité du trône I C’est à la branche d’Orléans à faire valoir l’exception contre la maison d’Espagne, si toutefois le cas arrivait. Mais écartons cette supposition et de nos décrets et de nos débats; je pense qu’il n’y a lieu à délibérer. M. le comte de Mirabeau. S’il est permis à M. Duval d’Epréménil de se jeter dans le fond. de la question, il doit m’être permis de l’y suivre; si, pressé de son saint amour pour la loi salique, il veut absolument que nous nous occupions de cette loi, moi aussi je demande à parler sur la loi salique, et je promets de ne pas môme exiger qu’on me la représente. Je demande la division des articles non contestés de ceux contestés. Un membre s’y oppose, 'en disant que le règlement permet la division des motions, mais non des décrets. M. Goupil de Préfelu soutient qu’il y a lieu [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1789.] 644 à délibérer pour prévenir les horreurs d’une guerre civile. M. Duport. 11 y a une contradiction évidente entre la proposition que vous avez rejetée et celle que vous allez prendre. On a invoqué la loi salique ; on en a appelé aux principes, je le veux bien; mais la loi salique porte le contraire : elle exclut les filles pour que la couronne ne tombe pas dans les mains des étrangers. L’on a dit encore qu’il fallait constater le�principe, sauf à se décider par les circonstances. Si l’Assemblée nationale portait un décret, la branche d’Espagne, dans des cas éventuels, ne manquerait pas à se décider ; elle parviendrait au trône, malgré la renonciation, si elle était appuyée de la volonté de la nation. Or, je ne crois pas que nous voulions nous soumettre à des étrangers qui ont des mœurs et des habitudes différentes des nôtres. Je dis donc que la renonciation serait anéantie par le décret. Je ferai encore une observation sur la renonciation ; c’est un pacte de famille : il ne peut astreindre des peuples. Je demande en effet si lorsque les princes d’Allemagne vendent leurs sujets, je demande, dis-je, si les peuples sont liés par de pareils actes : il me semble donc qu’il faudrait terminer le décret par déclarer que l’Assemblée nationale n’entend pas s’expliquer sur les droits éventuels de la maison d’Espagne. M. Garat, le jeune. Je pense au contraire qu’il faut s’expliquer sur cette renonciation ; qu’elle a trop coûté de sang et d’argent à la France pour la laisser s’anéantir. On a dit que cette question ne se déciderait point par des décrets. Non sans doute, mais on la discutera toujours, et cette substitution universelle du trône en faveur de la maison de Bourbon sera toujours une exclusion de droit contre la maison espagnole. Si j’avais des alarmes sur les prétentions de l’Espagne, je saurais faire taire ces craintes pusillanimes ; mais elle est trop juste pour s’élever contre des actes aussi solennels, et si l’on pouvait en douter, ce serait une raison de plus pour que la nation s’expliquât sur la renonciation ; c’est au nom de son sang versé que l’on maintient la renonciation. M. Ic duc du Châtelet. Je divise la question ainsi : 1° Philippe V a-t-il pu renoncer à la substitution fondée sur la loi salique? 2° Philippe V a-t-il pu priver la nation des droits qu’elle avait sur lui et ses descendants? Plusieurs membres observent de nouveau que ces questions sont trop importantes pour être inopinément décidées, Le point de décision devient de plus en plus embarrassant. Chacun présente ses idées et interrompt l’ordre. On propose d’ajouter à l’article de l’hérédité différentes additions. M. Target veut qu’on y ajoute : Sans entendre préjuger l’effet de la renonciation. M. le comte de Mirabeau prétend que cet appendice est un aveu bien formel que cet arrêté n’est pas clair; qu’il implique contradiction ; que c’est un erratum de rédaction qui ne pouvait pas être corrigé par douze cents personnes ; il persiste à demander ce que la raison et le règlement demandent avec lui, c’est-à-dire que la partie non contestée soit décrétée sur-le-champ, et que la partie non claire soit éclaircie. M. Duport parle de jeter un voile respectueux sur cette matière. M. le duc du Cihàtelet, delà perte d’un allié fidèle à la France. M. Duval d’füpréménil, de la loi salique. L’Assemblée, sans avoir aucun projet, aucun plan déterminé, reste livrée au tumulte jusqu’à quatre heures, et cette incertitude l’augmente de plus en plus. Enfin, M. de Clermont-Lodève dit qu’il faut décréter les articles tous ensemble, et en renvoyer la discussion à demain. Cette opinion prévaut, et l’Assemblée lève la séance. Séance dit 15 septembre 1789, au soir. M. le Président a dit que l'ordre du jour donnait la priorité au rapport du comité des subsistances; mais il a rendu compte à l’Assemblée d’une offre patriotique de la part du sieur Belle-ville, musicien ordinaire de la chapelle du Roi, qui fait hommage à la nation de 200 livres par chaque année, sur ses appointements, pendant l’espace de quatre années. M. Emmcry, membre ; de l'Assemblée, a fait ensuite la lecture d’un nouveau projet d’arrêté relatif au commerce des grains, qu’il a dit avoir soumis au comité des subsistances qui l’avait adopté. Ce projet contenait six articles, portant principalement sur les gênes du commerce intérieur, et l’exportation à l’étranger, assujettissant seulement à des formalités le commerce intérieur voisin des frontières, prononçant confiscation sur les contrevenants, au profit des dénonciateurs et des hôpitaux, laissant cependant la liberté d’exporter à ceux qui auront constaté qu’ils ont importé. M. Gillet de la Jacqueminière a beaucoup réclamé contre toutes les sortes de violences exercées sur les fermiers et cultivateurs, s’est plaint du peu de sûreté des marchés, a demandé • que l’Assemblée prît des mesures efficaces pour l’assurer, et que le cultivateur ne puisse être forcé à fournir qu’une certaine quantité de blé par charrue, chaque semaine, restant maître du prix de sa denrée. M. Target a demandé que l’Assemblée nationale ne laissât subsister aucun régime prohibitif dans l’intérieur du royaume, et qu’elle défendît provisoirement l’exportation à l’étranger, en remettant au Roi, comme seul dépositaire de fa force publique, les moyens d’y pourvoir. • Un membre a fait la lecture d’un arrêté de la ville de Vertu en Champagne, bailliage deChâlons, par lequel cette ville se plaint de la cherté du pain, et demande des visites chez tous les cultivateurs. On a demandé aussi la suppression des primes qui font, a-t-on dit, sortir le blé du royaume pour y rentrer après. M. le Président ayant ensuite rendu compte à l’Assemblée que le Roi lui avait indiqué l’heure de huit heures trois quarts pour celle où il pourrait le recevoir, il a demandé que son prédécesseur le remplaçât momentanément, aux termes du règlement.