[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 août 1790.] aucune sorte de justice, et, de l’autre, aucune sorte de pitié. Dans les bornes étroites où se trouvaient ces peuples, tout leur était étranger; dans leur pauvreté, tout était pour eux un objet de richesses, mais les seigneurs féodaux ne tardèrent pas à s'en emparer, lorsqu’il ne restait d’autre loi que la force. L’étranger qui mourait sur la terre d’un baron sans avoir ordonné, par testament, qu’il lui fût payé une certaine somme, ne pouvait disposer d’aucuns meubles ; ils étaient saisis au profit du baron. Quelquefois, même, tous ses biens étaient confisqués, s’il n’avait point d’enfant; et, s’il en avait, on se contentait d’en prendre la moitié. Cet usage féodal, aussi contraire à l’humanité qu’au droit des gens, disparut quand les rois reprirent quelque autorité; et les sages établissements de saint Louis portent que les étrangers ne pourront se faire d’autre seigneur que le roi. Dès lors, le droit d’aubaine fut regardé comme domanial et incommunicable. La législation vint légitimer ce qui n’avait été, chez les anciens, qu’une preuve d’ignorance; chez les seigneurs féodaux, qu’un acte d’usurpation; et chez nous, qu’une police fiscale qui a subi depuis quelques vicissitudes et quelques adoucissements à la voix du commerce, des sciences et des arts. Voici les principes observés jusqu’à ce moment en cette matière : Tout étranger est capable, dans un royaume, du droit des gens; il peut librement vendre, échanger et, en général, passer toutes sortes de contrats que ce droit autorise; il peut donner et recevoir entre-vifs, mais il ne peut recevoir ni disposer par testament, ni pour cause de mort. Il vit libre , mais il meurt serf : telle est la maxime atroce que les représentants d’un peuple libre doivent s’empresser d’effacer de ses lois. La France doit ouvrir aujourd’hui son sein à tous les peuples de la terre. Quels motifs pourraient s’y opposer, la politique? mais ce droit a paru si barbare etcontraire même aux intérêts de l’Etat, que nos anciennes lois en ont adouci ou suspendu l’exercice. Que l’étranger vienne donc chercher en France une patrie; qu’il puisse y séjourner, sans crainte de voir des héritiers légitimes, frustrés d’un bien qui doit naturellement lour appartenir ; qu’il y jouisse de la liberté pendant sa vie, et ses enfants de sa bienfaisance après sa mort. Déjà vos décrets ont changé les lois et les formes de la naturalisation . Epouser une Française, acquérir des immeubles, former un établissement de commerce et habiter cinq ans le royaume, c’est acquérir les droits de citoyen actif : que devient le droit d’aubaine devant le décret constitutionnel? Les étrangers étaient incapables de posséder des offices et des bénéfices ; mais, aujourd’hui, il n’en existe plus. Il n’y a que des fonctions publiques données par la voie de l’élection; tout citoyen français ou devenu français peut être élu; vous avez donc aboli 1 v droit d’aubaine, sous le rapport de la législation. Qua ut à ce que ce droit rend à la fiscalité, le calcul en est simple. Le droit d’aubaine produit annuellement environ quarante mille livres, en comprenant le droit de détraction ; et nous courrions après ce mince produit, tandis que, d’un autre côté, la vente des biens nationaux peut donner à la France des acquéreurs opulents, etdes propriétaires nouveaux qui augmenteront la masse des richesses publiques, en rassurant nos tributs, qui augmenteront notre industrie, animeront notre agriculture, notre 629 commerce et finiront par adopter la France libre comme leur patrie. Mais que pouvez-vous attendre de l'étranger tant qu’il verra dans vos lois cette menace barbare de voir enlever à sa mort, ses richesses, ses propriétés, à sa postérité chérie, et la honte de vivre comme esclaves incapables d’une partie des actes de la société civile ? Quel contraste dans nos mœurs! Attiré par la douceur du climat, par de belles possessions territoriales à acquérir, par la position favorable d’un commerce de terre et de mer, les bienfaits de la Constitution et l’influence de la liberté, l’étranger vient en France avec sa fortune, le citoyen l’accueille, la loi le prolège tant qu’il existe; vient-il à mourir, une sorte d’exhédération sociale frappe sa mémoire; une avide confiscation frappe tous ses biens; sa volonté dernière est anéantie; il n’emporte pas même en mourant l’espérance que ceux qui ont fermé sa paupière soient récompensés. M. Barrère termine en donnant lecture d’un projet de décret. M. Andrien. Il faut mettre des bornes à la loi proposée, car, sans cela, les étrangers accourront en foule pour acquérir, dans notre patrie, des biens nationaux dont ils consommeront les revenus dans la leur, en sorte que la nation française se trouvera ainsi frustrée de l’avantage qu’elle attend de la vente de ces biens. Je vote pour la destruction du droit d’aubaine, mais je demande en même temps qu’on n’accorde aux étrangers la faculté de disposer par testament de leurs propriétés en France que lorsqu’ils seront devenus citoyens de l’empire. M. SLanjuinais. Je ne crois pas qu’aucune considération puisse retarder le salutaire et désiré décret dont vous venez d’entendre la lecture. On sera toujours à temps de faire une loi sur les réserves formulées par le préopinant, si l’on s’aperçoit qu’elle est nécessaire. M. Bouche. Le décret est humain, il est conforme aux principes de la justice. En le rendant, l’Assemblée nationale réalisera la prédiction de l’immortel auteur de l’histoire philosophique et politique. Heureuse la nation qui , la première , donnera l’exemple de la destruction du droit d’aubaine ! Je voudrais que l’on ajoutât que l’Assemblée invite toutes les nations ..... (Des murmures considérables interrompent l’orateur qui n’achève pas sa phrase.) M. le Président met aux voix le projet de décret. Il est adopté, à l’unanimité, dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des domaines, « Considérant que le droit d’aubaine est contraire aux principes de fraternité qui doivent lier tous les hommes, quel que soit leur pays et leur gouvernement ; que ce droit, établi dans des temps barbares, doit être proscrit chez un peuple qui a fondé sa Constitution sur les droits de l’Homme et du Citoyen , et que la France libre doit ouvrir sou sein à tous les peuples de la terre, en les in-viiant à jouir, sous un gouvernement libre, des droits sacrés et inaliénables de l’humanité ; « A décrété et décrète ce qui suit : « 1° Le droit d’aubaine et celui de détraction sont abolis pour toujours; 630 |6 août 1190.} [Assemblée nationale. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. « 2° Toutes procédures, poursuites et recherches qui auraient ces droits pour objet sont éteintes. » M. Darrèrede Vieuzac, aufnom des comités réunis des domaines, des finances, de l’aliénation des biens nationaux, de la marine, du commerce et d’agriculture, fait le rapport suivant sur les bois et forêts nationales (IL Messieurs, par un décret du 14 mai sur la vente des biens nationaux, titre premier, article 3, vous avez déclaré que la quatrième classe des biens à vendre sera formée de toutes les autres espèces de biens, à l'exception des bois non compris dans la première classe sur lesquels il sera statué par une loi particulière . Par un second décret du mois de juin, vous avez pensé, que pour ne négliger aucune vue et pour rassembler autant de lumières qu’il était possible sur une question aussi importante, le comité des domaines se réunirait aux comités des finances, d’aliénation, de marine, de commerce et d’agriculture, comme ayant des intérêts plus directs dans la discussion de cette question d’administration et d’économie politique. Elle a été agitée pendant deux longues séances. Je vais, Messieurs, avoir l’honneur de vous exposer succinctement lesprincipaux motifs d’un projet de décret que les cinq comités m’ont chargé de vous proposer. Les forêts immenses, dont la nature avait couvert la France, semblaient devoir concourir toujours à l’accroissement de sa richesse, de son industrie et de sa grandeur. Puissance territoriale , elle avait tout ce qu’il faut à l’agriculture, au commerce, aux manufactures, aux forges et aux usines du tout genre. Puissance maritime , elle trouvait dans les bois sa marine marchande et militaire et toutes les constructions. Nous sommes qu moment de perdre une grande partie de ces avantages, si vous ne prenez un parti sage et éclairé pour la conservation et la régénération des bois dans toute l’étendue du royaume. Sous les premières races de nos rois, la France couverte de forêts ne sentit pas la nécessité d’une administration en ce genre; aussi les besoins de l’agriculture naissante et le défaut de règlements couvrirent d’usages les différents bois, ou plutôt en détruisirent une partie ; on ne songea à leur gouvernement que sous le rapport des chasses et des capitaineries. Une ordonnance de Pbilippe-le-Hardi chargea des officiers d’y pourvoir. Bientôt on s’aperçut qu’on pouvait retirer des bois de très grands avantages, soit pour l'augmentation des revenus de la couronne, soit pour l’utilité de la nation. Aussitôt 'Philippe-le-Bel en confia l’administration à des maîtres créés à cet effet. Les bois furent assez mal régis pendant longtemps; caron ne cessait de les défricher. L’abon-dapce de cette matière première fit dédaigner une économie devenue nécessaire dans le dernier siècle. Cependant François Ier appelait les bois la chose la plus utile et lapins requise dans le royaume. La découverte du nouveau monde change tout à coup les idées politiques, présent ta nécessité d’un commerce maritime, et fait sentir combien (1) Le Moniteur ne donne qu’ua sommaire de ce rapport. ■ ' ' r les forêts devenaient précieuses à l’Etat. C’est à cette époque qu’il faut reporter l’interruption des défrichements, qui jusqu’alors avaient été encouragés. Henri IV, possesseur paisible du trône, porta . ses vues sur l’administration des eaux et forêts, que, de concert avec Sully, il chercha à vivifier. Ce fut l’objet de l’édit de réformation de 1597, rendu, dit-il, après avoir pacifié son royaume ; les forêts étant la principale partie d’icelui et de son domaine . Cette loi respire la sagesse et l’amour du bien public qui animaient Henri IV et son ministre. On ordonna des plantations d’arbres dans chaque village et près des édifices publics. Il se trouve encore de ces arbres antiques et utiles, qui, comme par droit de naissance, ont éié nommés des Sully : et, en les voyant, il est difficile de ne pas éprouver une sorte de respect pour les seuls témoins vivants qui nous restent de l’admiration sage de ce grand homme. Louis XIV crée subitement une marine formidable. C’est alors que Colbert porte. ses regards sur les forêts domaniales. Ce n’est que dans les massifs de futaie qu’il trouve ces grands arbres propres à la construction des vaisseaux. Ce n’est que dans les antiques forêts qu’il espère conserver les précieuses ressources d’une grande nation qui allait devenir commerçante et maritime. Dès lors, l’exploitation et l’aménagement commence à foire sensiblement partie du droit public; des règles calquées sur les anciennes lois pour fixer les temps et la manière de couper les bois, sont rappelées dans une ordonnance générale. Ce genre de bien est regardé comme si précieux pour l’Etat, qu’on gêne même le droit des particuliers, et qu’on croit pouvoir restreindre, dans cette partie, l’exercice le plus naturel, le plus légitime, celai de la propriété; tant les bois sont un objet essentiel à la conservation de la vie et aux besoins perpétuels des sociétés; c’est ce qui faisait dire à l’auteur de l’ordonnance de 1669, que les forêts étaient la plus noble et la plus précieuse partie des domaines de la couronne (1). En descendant des idées générales à des vues moins étendues, les cinq comités réunis ont pensé qu’il était nécessaire de conserver les grandes masses de bois dans les mains de la nation. Les motifs qui doivent porter ses représentants à les conserver se présentent en foule : l’intérêt national, l’intérêt de l’agriculture et du commerce, le soutien delà marine; la conservation et la régénération des forêts; les constructions les plus importantes, l'augmentation assurée du revenu public et l’intérêt du peuple. Et d’abord, Messieurs, aliéner les forêts, en livrer la propriété à des particuliers, c’est les vouer à un usage destructeur ; c’est exposer le royaume à voir augmenter considérablement, et dans peu (1) Dans tous les temps et chez toutes les nations, les bois ont été mis au rang des biens les plus précieux. Aussi voit-on que, dans les siècles les plus reculés, il y avait déjà des personnes préposées pour veiller à la conservation des bois. 11 suffira de citer le quatrième roi des Romains, qui réunit les forêts au domaine public, ainsi que le remarque Suétone. Une des lois que les Décemvirs empruntèrent des Grecs, traitait deglande, arboribus et pecormnpastu. ils établirent des magistrats pour la garde et la conservation des forêts. Cette commission fut souvent donnée aux consuls nouvellement créés. Bibulus et Jules César étant consuls, eurent le gouvernement général des forêts; ce que l’on désignait par les termes de Provineiam ai Sylvas et Colles.