432 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1791.] M. le Président. J’ai reçu de la marine et du commerce de la ville d’Arles une pétition très importa te, appuyée par la municipalité de cette ville; elle est relative au mauvais état dans lequel se trouvent les embouchures du Rhône, aux obstacles qu’y rencontre journellement la navigation et à là nécessité d’y apporter des améliorations. A cette pétition est joint un mémoire d’ingénieur accompagné de pièces. MM. les députés du département des Bouches-du-Rhône demandent le renvoi de la pétition au comité de commerce et d’agriculture et l’impression du mémoire. M. Bouche. La réflexion que vous venez de faire, Monsieur le Président, me donne lieu d’en faire une autre. En 1722, en vertu de lettres patentes acceptées par fis fermiers généraux, la ferme générale s’engagea à employer le produ t de 5 sols par minot de sel, imposés sur les provinces de petite gabelle, à la réparation des embouchures du Rhône. Malgré cela, les fermiers généraux n'ont pas employé une fois 5 sols. En 1788, après des plaintes répétées, le gouvernement envoya un ingénieur en Provence ; cet ingénieur lit son rapport, et c’est précisément ce rapportquel’admiuistration du département nous envoie et dont elle demande l’impression. Il faut donc savoir ce que les fermiers généraux ont fait des 5 sols par minot qu’ils devaient employer aux réparations dont il s’agit. Je demande qu’ils soient tenus de rendre compte au comité des finances, les députés du département présents, de l’emploi de ces sommes. M. Dupont. Les fonds étaient toujours remis au gouvernement qui se chargeait des dépenses, les faisait ou ne les faisait pas. M. Bouche. Mais les fermiers généraux le diront. M. l’abbé Gouttes. Je demande que le comité des finances soit autorisé à faire rendre compte aux fermiers généraux de leur administration. M. d’Audré. La motion de M. l’abbé Gouttes est très sage, mais elle est prématurée. On avait proposé de former une commission pour la reddition des comptes des anciennes administrations ; et, en effet, le comité des finances est déjà trop occupé par ses travaux ordinaires pour qu’il puisse s’occuper encore d’un compte qui durerait peut-être six mois. M. Bouche. Voici le projet de décret que je propose : Art. 1er. « L’Assemblée nationale renvoie à son comité de commerce et d’agr culture, la pétition de la marine, du commerce et de la municipalité d’Arles pour faire son rapport sur cet objet le plus tôt possible. Art. 2. « Elle ordonne que le rapport de l’iDgémeur envoyé, en 1788, aux embouchures du Rhône par le gouvernement, sera imprimé et distribué aux membres de l’Assemblée nationale (1). Art. 3. « Le comité des finances se fera rendre compte par l’administration des fermes générales, les députés du département des Bouches-du-Rhône ouïs, de Remploi qui a été fait du produit de 5 sous par minot de sel, imposés sur les provinces de petite gabelle par lettres patentes du mois de juillet 1722, ledit produit destiné aux réparations et travaux des embouchures du Rhône, pour, le rapport fait incessamment sur cet objet par le comité des finances, être statué par l’Assemblée nationale ce qu’il appartiendra. » (Ce décret est adopté.) M. Alquîer. Messieurs, les députés de la Charente-Inférieure ont reçu de la municipalité de Saint-Jean-d’Angély une pétition dan� laquelle elle expose qu’elle a été trop légèrement inculpée dans cette Assemblée et que plusieurs pièces essentielles n’ont pas été remises .au comité des rapports; elle demande la révision de l’affaire qui lui a été suscitée. Nous avons jugé que cette pétition était fondée et nous vous demandons d'en ordonner le renvoi au coaiité des rapports. (Ce renvoi est décrété.) M. le Président. J’ai reçu de la municipalité de Moret le procès-verbal du passage de Mesdames. , tantes du roi , dans cette localité. Plusieurs membres : L’ordre du jour ! Un grand nombre de membres : Lisez ! lisez ! (La lecture du procès-verbal est ordonnée.) M. Pétion de Villeneuve, secrétaire , lisant : « Moret, le 20 février 1791. « Monsieur le Président, « Nous avons l’honneur de vous faire parvenir ci-inclus le procès-verbal que nous avons dressé à l’occasion du passage de Mesdames, tantes du roi, dans notre ville, ce matin entre 6 et 7 heures; vous en ferez tel usage que vous croirez convenable. « Nous sommes avec les sentiments les plus respectueux, etc. « Signé : Les officiers municipaux de la ville et du canton de Moret. » Procès-verbal. « Cejourd’hui 20 février 1791, à 7 heures du malin, la municipalité de Moret, instruite par le cri public du passage de Mesdames, tantes du roi, dans cette ville, instruite par la voix publique des oppositions diverses qu’avaient apportées à leur départ leurs frères et concitoyens les habitants de Paris; instruite encore que leur arrivée dans celte ville avait plutôt Pair d’une fuite que d’un voyage libre, a requis la garde nationale de s’opposer à ce qu’elles passent outre sans avoir au préalable fait viser leurs passeports.1 «En vertu de laquelle réquisition un membre de la garde nationale a sur-le-champ ordonné la clôture des portes de ladite ville; quoi voyant, un particulier, décoré du cordon de l’ordre de Saint-Louis, s’est transporté chez le procureur de la commune à l’effet d’y faire user les passeports de Mesdames. De son côté, le membre de la garde nationale qui au préalable avait obtenu de l’oi-(1) Voyez ee document aux annexes de la séance. 433 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1791.] ficier commandant un détachement des chasseurs de Lorraine, après avoir déclaré qu’il ne serait fait nulle violence et que le visa de la municipalité serait attendu, s’est transporté chez le maire, et de là s’est rendu, accompagné d’icelui maire chez le susdit procureur de la commune, où il a trouvé le particulier susdésigné, qui leura fait voir des passeports signés du roi, contresignés de M. Montmorin, ministre, lesquels passeports sont pour Mesdames, tantes du roi, allant à Rome. « A en outre représenté le susdit particulier, se disant homme d’honneur, pour accompagner Mesdames, un avis de la municipalité de Paris, signé de M. Dejolv, secrétaire-greffier, qui dit que les lois autorisait chaque particulier de voyager dans tel endroit du royaume qui lui plaît, en conséquence elle n’a pas cru devoir donner un pouvoir sur une chose qu’elle n’avaitpasdroit d’empêcher. « Sur quoi réfléchissant, la municipalité de Moret avait remarqué une contrariété frappante : c’est que les passeports du roi étaient pour Rome et l’avis de la municipalité donné sur la liberté de voyager dans le royaume; en conséquence, elle avait déterminé d’interrompre le voyage de Mesdames jusqu’à ce qu’elle ait pu faire passer à l’Assemblée nationale le présent procès-verbal et connaître si elle devait, ou non, laisser passer outre Mesdames, tantes du roi. « Pendant laquelle explication, des chasseurs de Lorraine, au nombre de lût) environ, renforcés des gens de la maison de M. Montmorin, gouverneur et maire de Fontainebleau, arrivèrent en courant à toute bride, les armes en mains, pour forcer l’ouverture des portes; ce qui eut lieu par la terreur que porta dans la ville cette espèce d’armée, arrivant sans ordre, sans pouvoir et sans avoir consulté même la municipalité, qui se disposait dans cette circonstance à remplir son devoir, conformément aux lois; que d’ailleurs l’heure de l'arrivée de Mesdames en cette ville, qui était entre 6 et 7 heures du matin, leur donnait à soupçonner qu’elles avaient marché une partie de la nuit; que par conséquent elles fuyaient plutôt qu’elles ne voyageaient; qu’en outre, ayant été fait usage de la force armée, sans réquisitoire de la municipalité et des ruses pour tromper tant les habitants de celte ville que les officiers municipaux, ils ont cru à propos de dresser et rédiger le présent procès-verbal, qui sera envoyé sans délai à M. le Président de l’Assemblée nationale pour servir et valoir ce que de raison. « Signé sur la minute des procédures, etc. « Signé : HüTTEAU, secrétaire-greffier . » M. Rewbell. Je remarque dans ce procès-verbal deux circonstances frappantes et très essentielles. La première est que le passeport d ■ Mesdames est contresigné du ministre des affaires étrangères. Ce ministre ne pouvait assurément pas ignorer qu’une pétition de la municipalité de Paris, relative aux devoirs des membres de la dynastie, avait été renvoyée par l’Assemblée à son comité de Constitution qui devait nous en faire le rapport; il parait bien étrange qu’il ait cru devoir se permettre de contresigner ce passeport avant que l’Assemblée eût pris un parti sur cette pétition. Je soutiens qu’il ne pouvait pas le faire. ( Murmures et applaudissements.) J’observe qu’il est bien extraordinaire que des dames qui, dans leur jeunesse, n’ont jamais voyagé que de Paris à Versailles et de Versailles à Paris... {Rires.) lra SÉRIE. T. XXIII. Plusieurs membres : Et à Plombières. M. de Clermont-Tonnerre. Si le préopinant et l’Assemblée croient devoir entrer dans la confidence d’une conversation particulière, je demande à l’entretenir à mon tour : une pétition n’est pas une loi. M. Rewbell. Rien n’est si facile que de trouver un orate ir ridicule lorsqu’on l’interrompt au milieu d’une phrase. Je dis que le ministre savait bien que Mesdames ne pouvaient aller de Versailles à Paris sans une autorisation du roi, alors législateur. Cette loi , par laquelle aucun membre de la dynastie ne pouvait s’absenter sans un passeport du chef de la nation, n’a pas été annulée et il est surprenant que M. de Clermont-Tonnerre ne la connaisse pas. Un membre à gauche : Il la connaît! M. Rewbell. Mais je remarque dans le procès-verbal de lu municipalité de Moret la dénonciation d’un autre fa t beaucoup plus grave, parce qu’il tend à mettre la Constitution en danger. Cent chasseurs, sans réquisition d’aucun pouvoir civil, forcent les portes de la ville, attaquent les citoyens et les gardes nationales et fout sauver Mesdames. De quel droit ces chasseurs ont-il forcé les portes de la ville de Moret et violé sou territoire? Le sang aurait coulé si les citoyens de cette ville eussent fait quelque résistance. La Constitution a été outragée, les lois de l’Etat mises en oubli et les pouvoirs confondus. Si vous souffr-z que des troupes de ligne puissent, sans réquisition, prendre les armes, attaquer les citoyens et agir dans un se is contraire à la loi, vou-n’avez,' Messieurs, qu’à déchirer votee Constitution ; car vous n’ètes plus libres. {Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Sans donner ni tort ni raison à qui que ce soit, je conclus à ce que le procès-verbal qui vient de vous être lu soit renvoyé aux comités militaire, des rapports et des recherches réunis. Les faits qu’il dénonce méritent toute l’attention de ces trois comités, puisque tous les pouvoirs sont compromis. M. Regnaud {de Saint-J ean-d' Angély). Je crois, avec M. Rewbell, qu’il est impossible que l’Assemblée ne porte une tron sévère attention sur une v olation manifeste des lois constitutionnelles de l’Eiat, qui attribuent exclusivement aux municipalités et aux corps administratifs le droit de requérir la force militaire. Lu mesure du renvoi de cette dénonciation au comité des recherches est très importante; moi s je pense qu’il faut y ajouter c-lle de faire vérifier promptement les faits contenus au procès-verbal pour que le comité des recherch s puisse en rendre incessamment un compte exact et détaillé. Il faut que le département envoie des commissaires pour vérifier ces faits. {Murmures.) Un membre ; Le département ne peut pas informer. M. Regnaud {de Saint-J ean-d) Angély). Ou me dit que le département ne peut pas informer; je le sa s : mais le devoir spécial des administrations de département est de surveiller l’exécution de 28