[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1790.] plutôt que de conserver ce circuit dangereux pendant lequel les complots peuvent réussir, les preuves être soustraites, ou les coupables s’évader? Il n’y a qu’une seule objection spécieuse d’abord, mais qui ne soutient pas l’examen y on pourra dire que les juges, étant temporaires, n auront pas, autant que les commissaires du roi permanents , l’indépendance et la fermeté nécessaires à V accusateur public. Prenez garde, Messieurs, que vous vous trouviez ici entre deux écueils. D’une part, les commissaires du roi ont pour eux d’être à vie, mais ils ont contre eux d’être des instruments ministériels. D’autre part, les juges ont contre eux au premier coup d’œil de n’être qu’à temps; mais ils ont pour eux d’être les élus et les délégués directs du peuple. Ainsi, si ces derniers manquent d’une des qualités désirables, les premiers manquent de l’autre, qui est la plus essentielle. Balancez maintenant les résultats d< s deux partis qui s’offrent : l’un, celui d’investir les commissaires royaux de l’accusation, est contre le principe; il est d’ailleurs dangereux pour la Constitution : l’autre est dans le principe, et entièrement favorable à la Constitution. Or, le principe et la Constitution sont des avantages publics si précieux, qu’aucune autre considération ne peut être mise en balance. Quand, d’ailleurs, pourriez-vous craindre que les juges constitués accusateurs manquassent de fermeté et d’énergie pour accuser? Ce ne sera pas, sans doute, quand il s’agira de la cause populaire et des intérêts de la liberté; ils auront alors pour aiguillon et pour appui l’opinion et la protection publique, la faveur, la reconnaissance et le secours de tous les bons citoyens. Croyez donc qu’ils seront très actifs, précisément où il est à craindre que des agents ministériels ne le lussent pas. Est-ce dans la poursuite des crimes privés que vous soupçonnez leur fermeté, lorsque les coupables seront des hommes en crédit? Vous n’êtes pas à l’abri de la même inquiétude dans l’autre hypothèse ; et n’avez-vous pas de plus le danger dès recommandations ministérielles? Quel serait le remède enfin contre les commissaires du roi, qui, par quelque raison que ce soit, refuseraient d’accuser? Celui, sans doute, de se plaindre aux tribunaux, soit pour leur faire enjoindre d’agir, soit pour les faire suppléer d’of-lice?Ce moyen est le même contre celui des juges, chargé de la fonction d’accuser, qui refuserait à tort de la remplir. On pourrait même acquérir une plus grande sûreté; car les dénonciations faites à l’officier du ministère public seul peuvent être celées ; au lieu qu’en établissant un des juges accusateur, on peut faire faire les dénonciations dans un registre du tribunal; registre secret pour le public, et commun pour les juges seulement : tous alors connaîtraient les crimes dénoncés et veilleraient à l'exactitude de leur poursuite. Pesez, Messieurs, les considérations très graves que cette matière, qui jusqu’à présent n’avait pas été approfondie, offre à vos méditations; et il me parait impossible que vous n’adoptiez pas la proposition du comité. (Ce discours est vivement applaudi par une partie de la salle. On en demande l’impression. Elle est ordonnée.) M. Dufraisse-Dwchey. Je ne veux pas entrer aujourd’hui dans la discussion du fond du discours peut-être insidieux (pie vous venez den-611 tendre ; mais comme il Blesse directement les principes de la monarchie, je demande l’ajournement. M. Chabroud. Avant de savoir ce que l’on fera des fonctions d’accusateur public, il faut d’abord discuter s’il y a lieu ou non à délibérer sur ce qui est proposé par M. Thouret. Vous avez déjà décrété que les officiers du ministère public seront nommés par le roi. Le comité de Constitution ne ratifie pas votre décret. H semble même qu’il allonge, aujourd’hui, dans l’éclaircissement qui vient d’être présenté, les fonctions des officiers publics, afin que votre attention détournée ne se porte pas sur ce qui vous intéresse réellement dans ce moment. Je suis étonné que l’on vienne ouvrir une discussion rétrograde lorsqu’un décret déjà rendu devrait être une loi sacrée pour le comité. Si l’on ôtait aujourd’hui aux officiers nommés par le roi les fonctions d’accusateurs publics, ils ne retiendraient plus que le nom, la chose leur ayant échappée. Je crois donc la question préalable nécessaire. Cependant, je me réserve, pour le cas où elle ne serait point admise, de démontrer que le projet du comité est contraire aux principes constitutionnels du royaume et qu’il ne tendrait qu’à peupler cet empire de malfaiteurs impunis, auxquels on ne pourrait opposer aucune borne. Le ministère public n’est point en France une institution nouvelle : elle était autrefois exercée par des procureurs auprès des cours que l’on nommait souveraines, par leurs substituts dans les cours-inférieures et par les procureurs des seigneurs dans les juridictions seigneuriales. Les fonctions de ces officiers publics consistaient à poursuivre les crimes après les avoir dénoncés : sous ce rapport, il serait infiniment dangereux de laisser ce droit à tous les citoyens. Je pourrais vous citer Montesquieu qui, parlant de la faculté qu’avait chaque citoyen romain d’en accuser un autre qui avait çoinmis un crime, dit que nous ayons à cet égard une loi admirable. L’action duministère publics’estsuccessivemen' étendue à toutes les causes qui intéressent l’ordre public, à fa défense des communautés, à celle des mineurs, parce qu’il importait que les communautés ne fussent pas dépouillées et que les mineurs ne restassent pas sans défense : tout cela est un complément de l’institutinn du ministère public. Si je me reporte maintenant à la date du 8 mai, où le décret qui attribue au roi la nomination des officiers publics, a été rendu, je remarque que ces officiers, soit qu’ils dussent être nommés par le roi ou par le peuple, avaient toujours les mêmes fonctions et qu’on ne demanda point quelles seraient ces fonctions. Il est si vrai que telle était votre idée, que vous auriez sans doute aboli ces fonctions, si vous aviez pensé alors comme le comité pense maintenant, puisqu’il ne vous propose pas autre chose que l’abolition. Le projet du comité est une contravention au décret du 8 mai ; aussi je conclus à ce que les officiers nommés parle roi remplissent les fonctions du ministère public, ou bien à ce que le procès-verbal du 8 mai soit apporté ici, afin d’en effacer le décret qu’il contient. M. Thonret. L’unique moyen du préopinant consiste à dire que tout ce qui concerne le ministère public se trouve dans le décret du 8 mai, tandis que ce décret ne lecontient pas précisément. Ce serait, en effet, un grand vice, si des décrets m (Asserablée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1790.] partiels pouvaient influer sur des objets généraux. Quand l’Assemblée décidaque les justiciables nommeraient leurs juges, elle n’entra point dans le détail de savoir quelles en seraient les fonctions. Il en fut de même quand elle décréta que les officiers publics seraient nommés par le roi, et sûrement elle n’a pas entendu s’interdire de revenir sur l’organisation du ministère public puisqu’elle est revenue sur toutes les parties de l’administration. Je n’ai nul besoin d’user du style offensif de M. Chabroud pour lui répondre que le comité n’est point dans un état d’insurrection. Le préopinant ne peut pas conclure, de ce qu’il a fait passer presque sans discussion ce qui lui appartient en propre concernant les appels, que le reste du travail du comité n’est pas bon. Lorsqu’il n’y a pas de décret précis, le comité a pour devoir d’exa miner la matière et de la disposer selon qu’elle peut servir davantage au maintien de la Constitution. M. Duquesnoy. Je demande la discussion successive des articles proposés par le comité. M. Pison Du Galland. Il me semble qu’un peu plus de méditation sur cet objet serait nécessaire ; j’ai d’abord deux remarques à faire : 1° 11 doit y avoir incompatibilité entre les fonctions d’accusateur public et celles de juge : les juges doivent s’armer de défiance contre toute espèce d’accusation; or, si les deux fonctions se trouvaient réunies, cette défiance n’existerait plus parce que personne n’ignore que les hommes emportent mutuellement les opinions les uns des autres, lorsqu’ils tendent ensemble vers le même but; 2° une conséquence du système proposé est que l’accusateur public serait pris parmi les juges; or, cet accusateur est un fonctionnaire de rigueur, il s’exposera à des inimitiés personnelles ; et comment croire que, ne devant remplir son devoir que pendant un an, il n’aime pas mieux laisser le crime impuni ou n’ait pas assez d’énergie pour le poursuivre ? M. Chabroud. Il me semble que la question doit être ainsi posée : y a-t-il lieu à délibérer sur la délégation proposée par le comité, oui ou non? M. ISarnave. Je m’oppose à ce mode de délibération parce que la question préalable ne peut porter que sur l’article 4, puisque c’est le seul qui traite la question sur laquelle a parlé M.Ghabruud. Si l’article 4 était la base du titre entier, alors il faudrait évidemment mettre aux voix la question préalable sur le tilre entier ; si, au contraire, cet article peut-être détaché du titre, il faut suivre la marche naturelle et délibérer d’abord sur les trois premiers articles. M. Carat l’aîné. L’article 4 tient tellement aux autres que si les trois premiers étaient adoptés, on ne pourrait se dispenser de l’adopter aussi. En Angleterre, une des deux classes de jurés décide si l’accusation d’un crime doit être admise. Si l’on admettait unétablissement pareil en France les fonctions du ministère public se trouveraient confondues avec celles des jurés; d'où je conclus à l'ajournement de la question proposée jusqu’au moment où l’on traitera de celle des jurés. M. le Président met aux voix l’ajournement proposé par M. Carat. 11 est rejeté. M. de Mirabeau l’aîné. Je propose un ajournement plus juste. C’est celui qui aura pour terme le moment ou l’Assembléessera instruite, car elle ne l’est pas. M. Thouret, Je demande que la question soit ainsi posée : L’accusation publique sera-t-elle déléguée aux officiers nommés par le roi, oui ou non? M. l’abbé Afaury. Cette question est très importante; elle doit être traitée avec la plus grande solennité. Je reconnais, comme le préopinant, qu’elle n'est pas instruite, et qu’elle mérite de l’être. J’appuie donc l’ajournement jusqu’au moment où l’on établira les jurés. (Il s’élève des murmures.) Vous pouvez ajournera demain, si vous voulez, car la question n’est pas nouvelle. C’est saint Louis qui ainstitué le ministère public pour poursuivre les crimes publics. Dans mon opinion, il est certain que le juge ne peut être accusateur. En effet, si un juge ouvre son avis avant le jugement, il est récusé. Ce n’est pas le cas d’appliquer les distinctions d’ofticier national. Les officiers, exerçant le ministère public, sont vraiment des officiers nationaux. Le roi n’est point étranger à la Constitution. L’exécution de la loi est un ministère vraiment national. Quand l’officier public refuserait d’exercer son ministère, on en nommerait un d’office; il ne pourrait pas en être de même du juge : la moindre connivence entre lui et les criminels assurerait l’impunité du crime. Ces premières vues subsistent pour faire sentir quelle peut être la question, et combien il est important de l’ajourner. Je demande donc l’ajournement à lundi. M. le Président met aux voix la motion de M. l’abbé Maury : Elle est adoptée et l’ajournement à lundi prononcé. M. Grulnebaud de Saint-llesme, député de Nantes , demande et obtient un congé d’un mois, pour affaires importantes et urgentes résultant de la mort de son épouse. L’Assemblée reprend la suite de la division du nouveau projet de décret présenté par le comité de Constitution sur l’ordre judiciaire. Titre VIII, DES GREFFIERS. M. Thouret, rapporteur, lit l’article 1er ainsi conçu. « Art. 1er. Les greffiers seront nommés par les juges qui leur délivreront une commission, et recevront leur serment. » M. Lanjuinais. Les juges regarderaient les offices de greffiers comme des bénéfices à leur nomination : s’ils pouvaient les donuer, ils pourraient les vendre. G’est au corps électoral qu’il appartient de les nommer; autrement il faudrait attribuer aux juges le droit de nommer celui d’en tre eux qui viendrait à quitter avant l’expiratio n de six années. M. Chabroud. Les greffiers ne doivent pas être dans la dépendance des juges; ils doivent être leurs surveillants, et pour ainsi dire leurs juges. S’ils ne sont pas à la nomination des électeurs, vous aurez pour greffiers les secrétaires des juges. M. Thouret. Les greffiers sont les officiers ministériels du tribunal ; ils n’exercent pas un