411 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mai 1790.] Parce que la loi est la volonté de tous, il y a droit de vouloir et droit d’agir : le droit de vouloir appartient au peuple; le peuple doit doue vouloir : quand il a voulu, il est libre ; hors de là, la liberté n’a aucun sens. Tous les droits émanent du peuple, mais ils ne doivent pas résider dans le peuple de tel ou tel lieu, politiquement parlant. On a comparé le droit individuel d’émettre son vœu par des mandats au droit de nommer les juges, partie évidente de la souveraineté ; on a donc eu tort de vous dire que c’était le même droit; le peuple ne peut être investi de ce droit sans faire violence à tous les principes, à la Constitution, à la liberté, sans que nous soyons conduits à la démocratie. Ainsi le principe est différent, et c’est cette différence de principes que je voulais prouver. M. le vicomte de Mirabeau. Je conviendrai que le préopinant a parfaitement répondu à M. de Malouet, lorsqu’on voudra bien me prouver que sophistiquer et calomnier les intentions sont les éléments dont se compose une réponse. Je demande s’il est un seul membre qui ne convienne pas que le pouvoir administratif, le pouvoir municipal et le pouvoir judiciaire émanent du pouvoir exécutif. Je raisonne d’après ce qu’a dit M. Barnave lui-même; il prétend qu’un jugement est l’application de la loi : personne ne contestera qu’appliquer la loi et exécuter la loi, c’est la même chose. Il n’est pas un seul publiciste qui ait mis le pouvoir judiciaire au nombre des pouvoirs politiques. M. Barnave vous a dit que le roi sera à côté des tribunaux, le roi sera à côté des départements, le roi sera à côté de l’armée, le roi sera à côté de la Constitution; et s’il est à côté, il est dehors. J’emprunte encore les expressions de M. Barnave; il a dit que les deux premières propositions de M. de Beaumetz sont le palladium de la liberté; je demande qu’on définisse les termes; si par liberté on entend anarchie, je suis bien de son avis. M. de Cazalès, placé à la tribune, demande la parole. (On propose de fermer la discussion.) L’Assemblée délibère et ferme la discussion. M. de Cazalès reste à la tribune. MM. de Juigné, de La Qneuille, l’abbé Maury, etc., orienta M. de Cazalès de parler. M. de Cazalès. Je ne veux pas mettre le trouble dans l’Assemblée ; je neveux plus parler. La partie droite dit qu’elle n’a pas entendu poser la question lorsqu’on a délibéré pour fermer la discussion. On procède à une seconde épreuve. — Elle donne le même résultat. On délibère sur la proposition de M. Malouet. L’Assemblée rejette cette proposition et décide que les questions posées par M. de Beaumetz resteront dans l’ordre où elles ont été proposées. (La séance est levée à trois heures et demie.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GOUTTES. Séance du jeudi 6 mai 1790, du soit . La séance est ouverte à six heures du soir* Un de MM. les secrétaires donne lecture des adresses et dons patriotiques dont la teneur suit : Adresse des gardes nationales de la fédération faite sur le mont Sainte-Geneviève, près de Nancy, formée par le plus grand nombre des gardes nationales du département de la Meurthe ; plusieurs de celles des départements de la Meuse, de la Moselle et de la Haute-Marne, et toutes celles de la fédération des Vosges ; les régiments en garnison à Nancy se sont joints à cette fédération, et tous au milieu d’un peuple immense, ont prêté, avec transport, le serment auguste et solennel d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi. Ils ont ajouté à ce serment sacré celui de se prêter un secours mutuel. Cette fédération supplie l’Assemblée de faire délivrer les armes et munitions nécessaires à la plupart des municipalités qui n’ont pu s’en procurer. Adresse du conseil général de la commune de Saint-Malo, contenant l’adhésion la plus expresse au décret qui porte que l’Assemblée nationale actuelle ne pourra se séparer avant d’avoir achevé la Constitution, et proroge en conséquence les pouvoirs dont le terme est limité. Adresse de félicitation, adhésion et dévouement de la garde nationale de Saint-Gervais-lès-Ba-gnols. Adresse des admi nistrateurs du district de Grand-pré, département des Ardennes, qui consacrent les premiers moments de leur existence à présenter à l’Assemblée natonale l’hommage du respect le plus profond, et d’uD dévouement absolu pour l’exécution de tous ses décrets. Adresses des nouvelles municipalités des communautés de Monampteuil, d’Orriule en Béarn, de Saint-Cristoly en Mayais, de Gambes en Agenais, de Brocas, de Moussy, près d’Epernay ; des Loges, près deLangres; de Saint-Julien-Dupinet, deTranage, d’Alligny, de Corcellole en Auxois. Toutes ces nouvelles municipalités expriment avec énergie les sentiments d’admiration, de reconnaissance et de dévouement dont elles sont pénétrées pour l’Assemblée nationale. Délibération de la mu nicipalité de Pongy, district d’Orléans, département du Loiret; laquelle reconnaissant qu’aucun domicilié de la paroisse, excepté le curé, dont le bénéfice est à portion congrue, ne jouit du revenu de 400 livfes et qu’un grand nombre est dans l’état de domesticité, voulant néanmoins, comme les bons patriotes, concourir au bien de la patrie, supplie l’Assemblée nationale d’accepter en pur don l’offrandé de 109 livres 10 sous. Délibération des maîtres cordonniers de la ville de Nantes, qui fait don à la nation d’un contrat de 257 livres 17 sols de rente annuelle, sur les tailles, des arrérages qui lui sont dus depuis 1787. M. Grellet de Beatiregàrd fait lecture d’üne adresse de la commune de Neoux, départemeüt 412 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mai 1790.1 de la Creuse, par laquelle elle fait le don patriotique de la somme de 300 livres, montant de l’imposition des ci-devant privilégiés, des six. derniers mois de 1789, et adhère à tous les décrets de l’Assemblée nationale. M» le Président dit qu’il a reçu de M. le garde des sceaux une note contenant les différents décrets qui ont été acceptés ou sanctionnés par le roi. Suit la teneur de cette note : « Le roi a sanctionné ou accepté : « 1° Le décret de l’Assemblée nationale, du 23 du mois dernier, sur les gabelles, qui distrait du bail passé au sieur Mager, les grandes et petites gabelles locales, et supprime tous les juges et officiers des gabelles en titre d’office quelconque, « 2° Le décret du 25, portant que les trésoriers des dons patriotiques remettront aux payeurs des rentes les sommes nécessaires pour acquitter les rentes de 300 livres et au-dessous ; « 3° Le décret du premier de ce mois, qui autorise les officiers municipaux delà ville de Bourges, à faire un rôle de contribution de 60,000 livres sur tous les citoyens capités à 3 livres et au-dessus ; « 4° Le décret dudit jour, concernant les créanciers des rentes constituées à prix d’argent, perpétuelles ou viagères, qui auraient pu être imposés à raison de ces rentes dans les lieux où ces créanciers ne sont point domiciliés ; « 5° Le décret dudit jour, qui autorise la communauté de Saint-Paul-Trois-Châteaux, au département de la Drôme, à imposer cette année, une somme de 1,006 li vres 15 sols et une autre de 543 livres 1 sol 6 deniers ; « 6° Le décret dudit jour, concernant le département du Tarn, et portant, en outre, que dans le cas où la rédaction des décrets de la division du royaume en un seul décret, présenteraient, dans le sens ou dans les expressions, quelques difficultés, les décrets particuliers, rendus pour chaque département, seront exécutés ; « 7° Le décret du 3, relatif au serment des officiers municipaux ; « 8° Le décret du 4, qui excepte les notaires et huissiers aux greniers à sel des dispositions de l’article 2 du décret du 23 avril ; « 9° Le décret dudit jour, qui autorise les officiers municipaux de Saint-Omer à imposer sur les propriétés, proportionnellement aux vingtièmes, la somme de 12,000 livres, et renvoie un autre objet de demande aux assemblées de département et de district ; « 10° Enfin, Sa Majesté a approuvé l’adresse de l’Assemblée nationale aux français sur l’émission des assignats, et a donné des ordres pour qu’elle soit promptement envoyée dans les départements. « Signé : CHAMPION DE GlCÉ, Archevêque de Bordeaux. « Paris, le 6 mai 1790. » M. Masurier, député du département du Finistère, demande la permission de s’absenter pour un délai très court. Le congé est accordé. M. "Vieillard, député de Coutances, membre du comité des rapports, rend compte d’une affaire survenue à Caen sur l’interprétation d’un article du décret concernant la suppression du droit de marque des cuirs et propose un projet de décret. Après quelques observations de MM. Martineau et Coroller, le décret est adopté ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, déclare : « Que, par sondéeret du 22 mars dernier, son intention a été d’user d’indulgence envers les particuliers qui, à l’occasion des droits de marque sur les cuirs et fers, et de ceux sur la fabrication et le transport des huiles et savons, auraient encouru des amendes et mérité des condamnations; « Qu’elle n’a point entendu priver ceux des citoyens qui étaient en procès avec la régie, antérieurement audit décret, et qui prétendraient avoir été vexés et inquiétés injustement, de poursuivre, par les voies de droit, la réparation des torts qu’ils auraient éprouvés, sauf à subir eux-mêmes les condamnations pécuniaires dont ils seront susceptibles : « Décrète, en conséquence : 1° Que tout citoyen qui était en procès avec le régisseur ou ses préposés, avant le décret du 22 mars dernier, et se prétendrait fondé à exiger la réparation des dommages à lui causés, pourra continuer ses poursuites devant les juges auxquels la connaissance en appartient, et se faire adjuger les condamnations qui lui seront dues, suivant qu’elles seront déterminées par les tribunaux, en faisant néanmoins signifier au régisseur, dans les trois mois, pour tout délai, de la publication du présent décret, la déclaration qu’il entend reprendre la suite de ses diligences; » 2° Que le citoyen qui, ayant refusé de jouir du bénéfice du décret du 22 mars dernier, aura continué ces diligences en vertu du présent décret, ne pourra se soustraire au payement des amendes qu’il aurait encourues, et des autres condamnations pécuniaires qu’il aura méritées, si, par l’événement, les contestations qu’il aura perpétuées sont trouvées mal fondées ; à l’effet de quoi les lois ci-devant en vigueur subsisteront pour ces cas particuliers seulement, et seront, à cet égard, exécutées suivant leur forme et teneur.» M. fluot de Goncourt. L’Assemblée a ordonné à son comité des rapports de lui rendre compte de l’assassinat commis à Viteaux en Bourgogne. C’est avec répugnance qu’il vous trace le tableau d’un forfait à côté des traits de générosité dont les Français ont donné des exemples si touchants. Votre comité ne vous entretiendra que des faits juridiquement constatés ; il n’entrera pas dans le détail des motifs qui ont pu porter le peuple à cette atrocité. Pour moi, je ne sais pas raconter le crime, permettez-moi donc d’employer l’organe du juge de Viteaux, je circonscrirai mon rapport dans la lecture de son procès-verbal : Extrait du procès-verbal. « Ce 28 avril, sont comparus par-devant nous les nommés.... par lesquels nous avons appris que M. de Fitz-Jean de Sainte-Colombe, avait été chassé de l’assemblée primaire réunie au couvent des Minimes, en la ville de Viteaux; qu’obligé de fuir, il s’était retiré dans une maison, d’où les paysans l’ont arraché avec violence, après l’avoir frappé de plusieurs coups de bâton. Qu’ils l’ont traîné dans les rues, et de là sur une place publique, nommée la place du Four; qu’ils lui ont enfoncé du fumier dans la bouche et un bâton dans les oreilles ; et qu’enfin il est expiré, ayant midi, après un martyre de trois heures. » (Cette lecture est plusieurs fois interrompue par les frémissements de l’indignation.) Le procès-verbal de la levée du cadavre de M. de Sainte-Colombe atteste que tout son corps était couvert de plaies et de contusions. Voici le décret prononcé sur ce funeste événement : « L’Assemblée nationale, instruite de l’exé-