(États généraux.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 mai 1789.) M. Leroux, doyen , présente un règlement contenant quelques articles de police intérieure. La discussion s’ouvre sur cette matière : plusieurs membres sont entendus, et sont três-ap-plaudis. M. Rewbel, député de Colmar. On demande mon opinion, après avoir donné lecture du premier article du règlement de police de notre Assemblée, d’où je conclus qu’on exige que j'opine si le premier article doit être adopté ou rejeté. Ceci suppose qu’on a consenti à ce qu’il fût fait et proposé un règlement, et même à ce que le règlement proposé fut discuté dans tous ses articles, qui sont au nombre dequinze. Mais par quoi ce consentement est-il constaté? Nous n’avons pas délibéré sur cet objet; nous n’avons pas encore réglé de quelle manière on voterait, pour connaître le vœu des personnes présentes, et nous n’avons pas même décidé que nous voterions; cependant le moins qu’on aurait dû faire, avant de proposer la discussion d’un article du règlement, c’était de fixer la manière de recueillir les voix, pour être assuré légalement de l’opinion, sinon de la totalité, du moins de la pluralité des personnes qui composent cette Assemblée. Je crois cette proposition préliminaire si importante que j’ose vous demander, Messieurs, la permission de vous faire part de quelques réflexions qu’elle m’a fait naître. Qui sommes-nous ? Nous sommes, si je ne me trompe, des personnes présumées légalement élues par le tiers état du royaume pour députés aux Etats généraux ; et comme nous ne voyons parmi nous aucune personne présumée légalement élue par le clergé et la nobltsse du royaume pour députés aux Etats généraux, que pouvons-nous, que devons-vous faire? Nous avons pour ainsi dire pensé, le 6 mai, que nous étions plutôt une cohue qu’une Assemblée ; que nous ne pouvions ou du moins que nous ne devions pas procéder à la vérification des pouvoirs, tant que le clergé et la noblesse ne se trouveraient pas présents et réunis avec nous dans cette salle; et que, tant que nos pouvoirs ne seraient pas vérifiés, nous ne serions pas une Assemblée capable de prendre des résolutions, pas même de délibérer d’une manière légale et constitutionnelle. De là nous avons conclu que nous ne pouvions, sous aucun rapport, envoyer des députés aux personnes présumées élues légalement par le clergé et la noblesse du royaume pour députés aux Etats généraux, lesquelles personnes étaient assemblées dans deux autres salles ou chambres différentes de la salle des Etats généraux, dans laquelle nous nous trouvons. Les communes ne sont pas tellement fidèles à ce système d’inaction qurnlles ne s’en soient écartées, tant il est vrai qu’il est impossible de concevoir qu’on puisse être légitimement, je dirai même légalement réunis, sans que l’on s’organise pour ainsi dire de soi-même, quand ce ne serait que pour s’entendre. Cependant quel est l’inconvénient d’une organisation provisoire ? Nos pouvoirs, nous répète-t-on, ne sont pas encore vérifiés; mais supposons, Messieurs, qu’en entrant dans cette salle nous y eussions trouvé le clergé et la noblesse, les trois ordres réunis nese seraient-ilspasorganisés avant la vérification des pouvoirs? et cette organisation préliminaire, indispensable, n’aurait-elle pas été, je ne dis pas simplement légitime, mais même constitutionnelle? Or, ce que nous pourrions faire, clergé, noblesse et tiers état, avant la véri-31 fication des pouvoirs, ne le pourrions-nous sans le clergé et la noblesse? Sait-on à quoi nous pourrions être pour ainsi dire forcés ? Peut-être serons-nous dans le cas de nous déclarer la nation, et de commencer l’œuvre de la restauration de la monarchie sans le concours de tdutes les personnes présumées légalement élues par le clergé et la noblesse du royaume pour députés aux Etats généraux ; je dis que nous serons peut-être amenés à prendre ce parti, parce qu’il m’est impossible de concevoir que le vote par ordre et l’espérance qu’il en résultât jamais aucun bien, soient dans la classe des possibles ; mais comment parvenir à prendre ce parti ou un autre quelconque, si nous persistons à penser que nous ne pouvons pas nous organiser légalement et constitutionnellement? Je demande l’établissement d’une police pour la collecte des voix, qui soit telle que l’on soit sûr d’avoir rassemblé toutes celles des membres présents à la délibération. Je me résume, quant à présent, à dire que l’on ne peut s’occuper encore du règlement général, ni du premier article du règlement en particulier; que la police qu’on veut nous donner suppose que nous nous sommes déjà formés en tiers état, en corps séparé de fa noblesse et du clergé; que la députation à faire à M. le marquis de Brézé et à toute autre personne, pour faire disposer nos places en. amphithéâtre, fortifie cette séparation. Nous n’avons cependant, Messieurs, cessé de penser et de dire que la salle n’est pas à nous, qu’elle est celle des Etats généraux; que le clergé et la noblesse y avaient autant de droits que nous : et que savons-nous si ce que nous demandons ne déplairait pas à ces deux ordres? Quels ne seraient pas alors nos regrets d’avoir obtenu cette demande; d’ailleurs, quel nom donnerions-nous à nos députés? comment les élirions-nous? par où serait-il constaté que nous les avons légalement élus? Ecartons, quant à présent, toute idée de règlement et d’amphithéâtre; ne nous occupons que de la manière de parvenir à régler comment on recueillera les voix pour constater légalement l’opinion de cette Assemblée. La discussion est interrompue par l’arrivée de M. l’évêque du Mans et de quatre curés de son diocèse. Ils annoncent la mort de M. Héliaud, député des communes de la même province, et invitent l’Assemblée à assister ce soir à son enterrement. On recueille les voix par ordre alphabétique sur le projet de règlement proposé à l’Assemblée. L’heure étant avancée, la séance est levée, et la suite de l’appel nominal renvoyée à demain. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du samedi 9 mai 1789, CLERGÉ. Le clergé continue la nomination de ses commissaires pour la vérification des pouvoirs, et il décide que la députation conciliatoire sera composée de huit commissaires et que l’élection en sera faite au scrutin ; les trois plus auciens d’âge sont nommés scrutateurs. On renvoie la fin de cette opération à lundi. Le vase qui contient le scrutin est déposé dans un appartement dont M. l’archevêque de Rouen, [États généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il mai 1789.] faisant les fonctions de président, emporte la clef. NOBLESSE. La noblesse ne s’est pas assemblée. communes. L’appel nominal qui avait été commencé dans la séance de la veille est continué dans celle-ci. L’objet de la délibération est d’adopter le règlement ou de le rejeter, ou bien, sans statuer à cet égard, de laisser provisoirement la police de l’Assemblée à M. le doyen. Ce dernier avis obtient la majorité, et l’on décide que M. le doyen aura la police provisoire de l’Assemblée jusqu’à ce qu’elle soit constituée. La séance est levée et remise au lundi 1 1 mai. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du lundi 11 mai 1789. CLERGÉ. On procède à la continuation de l’ouverture des billets du scrutin pour la nomination des commissaires conciliateurs. La vérification faite, M. le président annonce que la pluralité s’est réunie en faveur de : MM. Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux ..................... 144 voix. De la Luzerne, évêque de Langres. 118 Coster, chanoine de Verdun ..... 103 Dillon, curé ................... 49 Richard ........................ 49 Thibault, curé .................. 42 Lefèvre, curé ................... 41 Lefranc de Pompignan, archevêque de Vienne ....... . ................ Ensuite on nomme une députation pour l’ordre de la noblesse, chargée de lui faire part du désir de MM. du clergé de former une commission des différents ordres pour conférer à l’amiable sur les moyens de procéder à la vérification des pouvoirs. La délibération est portée, écrite et non signée, attendu que l’ordre du clergé n’avant pas vérifié ses pouvoirs d’une manière définitive n’est pas légalement constitué. Les gentilshommes opposants du Dauphiné se rendent à l’Assemblée du clergé. M. l’archevêque de Vienne dit qu’il se réserve et à ses co-députés, lorsqu’il en sera temps, de repousser leur prétention. NOBLESSE. L’Assemblée de la noblesse tient ce jour une séance de 7 heures, dans laquelle elle délibère qu’elle se regarde comme suffisamment constituée pour procéder à la vérification des pouvoirs. M. le comte d’Antraigues prononce, à cette occasion, le discours suivant (1) : (1) Le discours de M. le comte d’Antraigues n’a pas été inséré au Moniteur. Je vous prie, Messieurs, de permettre qu’avant d’énoncer mon opinion sur la démarche que les communes ont faite pour engager l’ordre de la noblesse à reprendre sa place dans la Chambre où le Roi a ouvert les Etats généraux, je rappelle ici notre première délibération, son objet, les motifs qui, en nous assujettissant à nos mandats, nous ont engagés à prendre les résolutions qui ont été sanctionnées lors de notre première Assemblée. Cette Assemblée d’Etats généraux a été précédée, de la part de l’administration , d’une foule d’irrégularités qui ont occasionné les embarras qui nous investissent de toute part. L’administration nous a considérés, avant l’ouverture des Etats généraux, comme une Assemblée incomplète, puisque, par sa faute, nous étions dénués de plusieurs députés des bailliages qui n’ont pas eu ia possibilité d’élire et d’envoyer leurs députés à Versailles; ou elle nous a reconnus, malgré l’absence de quelques-uns de nos collègues, comme suffisamment complets pour procéder à l’ouverture des Etats généraux. Si l’administration nous a regardés comme incomplets, pourquoi nous a-t-elle mis en activité après avoir, par sa faute, causé l’absence de nos collègues? Si elle nous a envisagés comme autorisés à procéder sans eux et formant légalement les États généraux, pourquoi nous a-t-elle ravi nos usages et nos privilèges? Nos usages sont de nous assembler dans la Chambre de chaque ordre, avant l’ouverture des Etats généraux, d’y procéder à l’élection d’un président, d’un secrétaire, de deux orateurs évangélistes, du secrétaire, et à faire le choix d’un orateur pour parler au Roi et lui porter le vœu de l’ordre. Nos privilèges sont, en ce jour si solennel, de nous adresser au Roi par l’organe de nos orateurs, de lui présenter, avec nos vœux pour son bonheur, des vérités que souvent on lui cache et qu’il lui importe de connaître à l’ouverture des États généraux, afin que le Roi, chargé de gouverner la nation, le soit lui-même par l’opinion publique. Privés de tous nos usages , dénués de nos privilèges, l’ordre l’a été aussi de la possibilité de faire vérifier les pouvoirs denses membres avant la tenue des Etats , en telle sorte qu’ils ont été composés jusqu’à ce jour de personnes que la seule notoriété a placées au rang de députés des bailliages. Les Etats généraux ont été composés, depuis 1303, de trois ordres de citoyens: des députés du clergé, de ceux de la noblesse et de ceux des communes. La loi de 1355, sur le fait des délibérations, et l’usage de cette loi depuis 1550, prouvent que chaque ordre délibérant à part, le consentement des trois ordres, et la sanction du Roi ont formé les lois et légitimé les subsides. On a émis le désir, dans plusieurs bailliages, de changer cet ordre et de réunir tous les citoyens de tous les ordres dans une même , Chambre, afin que les voix y étant recueillies par tête, la pluralité des suffrages y forme la loi. 4 Le temps n’est pas venu encore de discuter les [avantages ou les inconvénients de cette manière |de délibérer ; mais la plupart des mandats de no-jtre ordre nous prescrivent de conserver l’ancienne manière d’opiner aux Etats généraux. En cet état de cause , la motion de vérifier nos pouvoirs dans notre ordre, ou en commun avec les trois ordres, s’est élevée : elle a été débattue avec sagacité et chaleur.