711 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 mai 1790.] qu’elle fît encore, pour se procurer les fonds nécessaires à cet échange d’écus contre billets ou promesses d’assignats, et que vous la regardissiez pour le capital qu’elle a confié à la nation comme les autres créanciers de l’Etat. Il est difficile, Messieurs, que vous vous refusiez à cette demande, car elle est juste. Il était simple que la Caisse d’escompte, ayant avec vous un marché, en vertu duquel elle devait toucher pendant un an les intérêts de 170 millions, et pendant 17 autres mois les intérêts diminuant de 500,000 francs tous les mois, de la même somme prêtée en billets au gouvernement, elle fît les frais du remboursement de ces billets en écus. L’intérêt qui lui était adjugé était une sorte de prime pour assurer ce service et ce remboursement. C’était une convention à prix fait, qui a été mal à propos regardée par quelques bons citoyens dans cetie salle, comme un intérêt accordé à un service illusoire. Le service n’était point illusoire, puisqu’il vous procurait et vous procure une jouissance anticipée sur le capital des biens domaniaux et ecclésiastiques. Il n’était pas illusoire, puisqu’il emportait l’engagement d’acheter chèrement des fonds pour retirer les billets. Si le numéraire eût été pendant tout le cours du marché aussi cher qn’il l’a été depuis le mois de décembre, la Caisse d’escompte y aurait beaucoup perdu ; mais il doit baisser dès que le cours naturel des choses, le payement des impositions et l’activité du commerce seront rétablis, et dans ce cas il était vraisemblable que la Caisse d’escompte y aurait gagné. C’est vous qui avez rompu le marché; il est juste que si vous ne tenez pas compte à l’autre partie contractante du profit qu’elle devait légitimement espérer, vous la garantissiez du moins d’une perte qui ne serait que l’effet des décrets de l’Assemblée nationale. Vous devez considérez que de 5 0/0 que vous aviez promis aux actionnaires de la Caisse d’escompte, vous en avez supprimé deux en bornant l’intérêt des assignats à 3 0/0, et vous avez transporté ces 3 0/0 eux-mêmes des actionnaires à leurs créanciers; car ce sont les porteurs de billets ou d’assignats qui jouiront de l’intérêt, et non pas les actionnaires. La Caisse d’escompte reste donc désemparée, privée du moyen que vous lui aviez assuré pour couvrir et perpétuer les frais et avances nécessaires au versement journalier et aux approvisionnements d’écus, en pure perte sur ceux-ci, de tous les frais qu’elle a faits. L’opération que vous avez faite est très bonne pour la nation, puisqu’en substituant l’intérêt de 3 0/0 à celui de 5 vous avez économisé, en supposant les payements faits aux mêmes époques, 4,600,000 livres sur les intérêts de la seule créance de la Caisse d’escompte. Il ne serait certainement pas juste, ni digne de vous, lorsque vous faites cette économie, d’exiger que la Caisse d’escompte, pour avoir ôté docile à vos ordres et à vos vues, et avoir rendu à la circulation et à la tranquillité publique un service très important, éprouvât une perte considérable. Non seulement cela ne serait pas juste, mais cela ne serait pas conforme à votre sagesse: vous devez prévoir le temps où les assignats portant intérêt et spécialement délégués sur l’espèce de biens la plus solide, et dont la valeur est la moins variable, seront préférés à l’argent même. Vous devez hâter, par une progression naturelle, cette époque heureuse à laquelle les esprits se disposent, et qui arrivera presque d’elle-même, à mesure que les assignats se répandront dans les provinces, que vous aurez prévenu tout danger dans leur transport, et que l’on verra les mesures pour la vente des biens nationaux, se développer, s’entr’aider l’une l’autre, et ces ventes se réaliser. Mais il faut que le progrès juste et nécessaire de l’opinion publique à cet égard n’éprouve point de secousse, ni de marche rétrograde; car peu de gens calculent les véritables motifs de confiance, et le plus grand nombre se laisse entraîner par l’imagination ; la confiance quin’a pas été déroutée s’accroît sans cesse, si elle a un fondement réel; la confiance perdue, même à tort, a une peine extrême à se ranimer. Vous voyez donc que si la Caisse d’escompte éprouvait une perte sensible sur les frais qu’elle a faits pour se procurer un numéraire nécessaire au service public, cette perte, qui diminuerait son capital, ne pourrait avoir lieu sans que ses actions perdissent, et vous remarquerez que ses actionnaires ont déjà sacrifié 20Ü francs sur chacune d’elles pour l’appel qu’ils ont fait, afin de diminuer de 40 millions la masse des billets que vous les aviez autorisés à répandre, et qu’ils eussent pu répandre avec profit, s’ils n’eussent pas préféré le plus grand bien public à l’intérêt personnel. Les actions ne peuvent baisser sans que le discrédit s’étende sur les billets. Tout ce qui tient à une même affaire participe de son sort. Le discrédit des billets est, en d’autres termes, le renchérissement de l'argent . Les billets font actuellement fonction d'assignats, et la fabrication des assignats ayant été plus longue que vous ne l’aviez présumé, vous avez été obligés de prolonger aux billets de caisse cette fonction représentative. Les gens mai intentionnés ne manqueraient certainement pas d’abuser de cet usage passager des billets pour attribuer aux assignats le discrédit, qui ne tiendrait qu’au moyen adopté pour les représenter provisoirement. Et encore une fois, il ne suffit pas à cet égard d’avoir les plus solides motifs de confiance, il faut qu’aucune espèce d’habileté ne puisse trouver moyen d’effrayer l’imagination. La politique et la prudence concourent donc à vous recommander l’exercice de la justice, qui, auprès de vous, n’a pas besoin de recommaqda-tion. Voici le projet de décret que votre comité a l’honneur de vous proposer : Projet de décret du comité des finances. Art. 1er D’après l’examen et le rapport du comité des finances, l’Assemblée nationale décrète qu’elle autorise le premier ministre des finances à recevoir de la Caisse d’escompte son compte de clerc à maître, depuis le 1er janvier 1790, en sorte qu’elle soit légitimement indemnisée des dépenses et pertes qu’elle a pu ou pourra faire pour la distribution de numéraire qu’elle continuera jusqu’au 1er juillet, époque à laquelle ce service cessera, attendu que les billets de Caisse d’e-compte seront en grande partie échangés contre des assignats; duquel compte, ainsi que des pièces justificatives, un double sera remis au comité des finances, pour être ensuite déposé aux archives de l’Assemblée nationale. 712 [A'semLIép nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 mai 1790.] Art. 2. Le premier ministre des finances est également autorisé à prendre les mesures les plus économiques pour satisfaire au payement des appoints du service public. Divers membres demandent l’ajournement de la discussion de M. d’Allarde. M. le baron d’Allarde. Le comité des finances m’a chargé, dans l'intérêt du crédit public, d’insister pour la discussion immédiate. M. Rcgnaud {de Saint-Jean-d' Angély). Si l’Assemblée ne veut pas interrompre son ordre du jour, la discussion peut être remise à mardi, mais je crois qu’on ne peut l’ajourner à une date plus éloignée et qu’il importe de statuer incessamment. M. Gaultier de Biauzat. J’observe que par l’effet sans doute des grands travaux dont le comité des finances est surchargé, il ne fait ordinairement distribuer ses rapports imprimés qu’au moment ou à la veille de la discussion. Pour éviter les inconvénients de cette manière de procéder, il convient de décréter d’abord que le rapport dont il s’agit sera imprimé et qu’après la distribution qui en aura été faite, M. le rapporteur demandera la discussion à jour fixe. M. Prévôt. Les motifs du comité pour presser la décision de cette affaire sont tirés des avances de numéraire faites par la Caisse d’escompte pour le prêt de l’armée et autres dépenses urgentes ; mais c’est là un fait qui a besoin d’être éclairci. Pour cela, il faut savoir quel a été l’emploi du numéraire provenant des recettes d’impôt dans les provinces et celui qui a été fabriqué dans les hôtels des monnaies. Divers membres persistent à réclamer l’ajournement. D'autres membres réclament la priorité pour la motion de M. Gaultier de Biauzat. La priorité est accordée et la motion est décrétée. En conséquence, le jour de la discussion sera fixé après la distribution du rapport. L’Assemblée passe à son ordre du jour qui est la discussion du rapport du comité ecclésiastique sur l'organisation du clergé (1). M. Martineau, rapporteur , fait lecture de l’article 1er. On demande à aller aux voix. M. de Bonnal, évêque de Clermont. J’ai l’honneur d’observer que plusieurs membres ont des observations préliminaires à présenter, et je demande qu’on établisse la discussion sur l’ensemble du plan. (On demande que la discussion soit fermée.) M. Cortois de Balore, évêque de Nîmes. Il est bien sévère de fermer la discussion si promptement sur une matière aussi importante. Je réclame l’usage constamment établi dans cette Assemblée de discuter d’abord l’ensemble des plans sur les objets importants. , (1) Voy. le rapport de M. Martineau, séance du 21 avril 1790. Archives parlementaires , t. XIII, p, 166. L’Assemblée, consultée, décide que la discussion sera ouverte sur l’ensemble du plan. M. Necker, premier ministre des finances., paraît à ce moment à la barre et est tout de suite introduit dans l’enceinte de la salle. Le ministre donne lecture d’un mémoire sur les finances , qui est ainsi conçu : Messieurs, j’ai remis au comité des finances, selon votre décret du 18 du mois dernier, l’ap-perçu des recettes et des dépenses pour le mois d’avril et de mai, et je lui communique exactement le bordereau de situation du Trésor public de chaque semaine. La création de 400 millions d’assignats, et la destination que vous avez faite de ce fonds extraordinaire, tant pour éteindre les anticipations, que pour liquider une partie de la dette arriérée et pour avancer d’un semestre le payement des rentes ; ces diverses dispositions exigent nécessairement que je mette sous vos yeux un nouvel état spéculatif des besoins et dès dépenses de tout cette année. J’en ai déjà donné une première connaissance à votre comité des finances ; mais il ne désapprouvera pas sans doutequej’aie l’honneur de vous présenter moi-même ce compte; il m’est précieux d’entretenir, au moins de temps à autre, avec vous, Messieurs, des relations directes. Privé de cet encouragement habituel par la formation de vos comités, je ne concours pas avec moins de zèle aux dispositions qui s’y préparent; mais je ne saurais renoncer au désir bien naturel de me rappeler quelquefois à votre intérêt et à vos bontés. Il est d’ailleurs nécessaire que j’accompagne de quelques explications le tableau spéculatif dont je viens de vous parler. L’Assemblée nationale y verra que toutes les anticipations dont l’échéance tombe dans le cours de cette année, sont portées en dépense dans leur entier, parce que, d’après les décrets des 16 et 17 avril, sanctionnés par Sa Majesté, tout renouvellement de ces anticipations est interdit. J’ai, de plus, fait porter en dépense, dans le même compte, l’année entière 1789 des reutes sur l’Hôtel-de-Ville ; ainsi, conformément à vos intentions, il y aura, d’ici au 31 décembre, deux semestres de payés au lieu d’un. J’ai mis encore en dépense les 170 millions dus à la Caisse d’escompte le premier de ce mois, date de mon tableau spéculatif. Enfin, j’ai compris dans ce compte les diverses dépenses extraordinaires dont le payement parait nécessaire ou convenable pendant le cours de cette année ; et vous verrez, dans le nombre, une somme de 12 millions pour le département de la marine, dont la majeure partie est applicable aux armements de précaution que vous avez approuvés; armements dont la dépense générale a été mise sous vos yeux par M. le comte de La Luzerne. Tous les autres articles du tableau spéculatif de l’année, sont ceux connus sous ie titre de dépenses fixes ou ordinaires; et je dois faire observer que pour suivre une marche uniforme, et pour ne pas fixer à l’avance, avec précision, les diverses économies que vous n’avez pas encore décrétées, j'ai cru devoir passer tous ces articles de dépense ordinaire, tels qu’ils ont été portés en compte dans le tableau des revenus et des dépenses fixes. J’ai déduit ensuite 25 millions sur l’ensemble de ces mêmes dépenses, évaluant à une telle somme, et par aperçu, les réductions qui pourront être effectuées dans le cours des