56 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 décembre 1789.] pas juste. On devait d’abord observer que ces puissances ne sont pas toutes obligées à entretenir des armées de terre et de mer ; qu’elles n’ont pas comme nous la vénalité des offices, qu’il a bien fallu compenser par d’autres grâces. Nous avons cette consolation que, jusqu’à présent , notre gouvernement n’a fait que des sacrifices d’argent, tandis que dans les pays du Nord les faveurs des rois consistent dans le don de mille, de deux mille paysans. Dans un moment de crise où vous avez à vous défendre d’un amour aveugle du bien, rappelez-vous un grand exemple. Quand Henri IV monta sur le trône, Sully relira tout ce que les rois n’avaient pu donner légitimement; mais lorsqu’on lui proposa de supprimer les faveurs particulières des princes prédécesseurs de Henri, il répondit que la bienfaisance des rois de France était immortelle comme leur autorité... Nous ne devons pas toucher aux grâces accordées aux militaires; elles sont sacrées, parce qu’elles sont légitimes ; le militaire élève la puissance des rois. On vous propose d’exclure les femmes de la bienfaisance du prince ; mais les services du mari n’ont-ils pas englouti souvent la fortune de l’épouse? On vous propose d’établir une chambre ardente , uniquement pour les grâces , tandis que les agioteurs, les financiers, les voleurs de l’Etat restent tranquilles. Il faut, en chargeant un comité de l’examen des grâces, excepter de ce travail les faveurs accordées aux militaires. Je les crois toutes justes. Il est de la dignité de la nation de respecter les grâces obtenues parses défenseurs; elles n’ont enrichi aucune famille, il ne faut pas compter ce que coûtent les militaires, quand ils ne comptent pas, eux , ce que le service de la patrie leur a coûté. Ne répandez pas les alarmes parmi eux ; ne les faites pas repentir, dans leurs derniers jours, d’avoir eu de la confiance dans une nation généreuse et noble. Ils sont tous créanciers de l’Etat , vous avez pris sous la sauvegarde de votre loyauté cette dette avant toutes les autres ; serait-il décent d’interpréter vos engagements , pour éviter de les remplir avec les militaires seuls? 11 n’y aurait, pour payer sa honte, pas 3 millions à rabattre sur votre dépense, vous perdriez trois mois, et vous alarmeriez tous les citoyens. M. l’abbé de Monlesquiou. La portion malheureuse des citoyens semble justifier d’une manière particulière la sévérité des principes sur les pensions ; mais vous serez justes et sévères à la fois : vous retrancherez ce qui doit l’être, et le patriotisme ne se portera pas sur une seule classe ; toutes en sont dignes. On vous a proposé de supprimer toutes les pensions et de les recréer ensuite ; cette mesure paraît sévère, c’est dire qu’elles sont mal données : il serait plus simple de faire des retranchements. Je sollicite surtout l’intérêt de l’Assemblée pour cet âge qui a inspiré du respect dans tous les temps et chez tous les peuples ; respect qui a été si bien peint chez les anciens par ce mot de Polyxène , dans la tragédie d’Euripide : les vieillards ri ont point péri sous le fer de vos soldats .... Je voudrais donc qu’on ne se bornât pas à excepter les octogénaires ; je crois que la vieillesse, également digne d’égards dans un âge moins avancé , mérite une exception plus étendue. Quant aux réductions , je pense que celle des trois dixièmes, faite par M. l’archevêque de Sens, est suffisante. Cependant, je ne dissimule qu’il est des pensions d’un tel abus qu’elles déshonorent le gouvernement ; on sera trop heureux de pouvoir les effacer avec le temps, mais il faut être très-avare de ces retranchements subits qui désolent les familles. Les morts seront pour nous des moyens de réductions suffisants. Chaque année, chaque mois, chaque jour, seront une réforme en faveur de la chose publique. Les révolutions ont toujours été faites dans des temps de barbarie ; il faut que celle-ci se ressente des lumières et de la bienfaisance de ce siècle ; il faut qu’elle soit digne des sentiments d’humanité qui honorent l’Assemblée nationale ; je pense qu’il faut retrancher seulement les pensions vraiment abusives, c’est-à-dire les pensions de ceux qui n’oseraient pas monter à cette tribune pour en défendre les motifs; celui qui n’ose pas montrer ses services est indigne de récompense. M. le Président interrompt la discussion pour donner lecture d’une lettre qu’il vient de recevoir de M. le contrôleur-général. Ce ministre expose que l’Assemblée nationale s’est déjà occupée des demandes de différentes villes qui voudraient être autorisées à faire des emprunts pour des approvisionnements de grains et des demandes de plusieurs autres villes qui sollicitent la prorogation de leurs octrois près d’expirer. Cette lettre est accompagnée d’un mémoire. L’Assemblée renvoie la lettre et le mémoire au comité de finances, pour en être reudu compte le samedi 2 janvier. Les daines de la halle demandent à présenter à l’Assemblée l’hommage de leurs respects. Elfes sont introduites. Madame Dupré, du marché Saint-Paul, pro* nonce le discours suivant : « Messieurs , daignez nous permettre, en cette nouvelle année, de témoigner la joie et la satisfaction que nous éprouvons à la vue de vos illustres personnes. Ce zèle infatigable pour le bien de la patrie, vos nombreux travaux éclairés par l’esprit le plus sublime et le plus grand désintéressement, vous mettent déjà au rang des grands hommes. Non-seulement nous l’espérons, mais nous sommes sûres que la fin de ce grand ouvrage va, sous peu, vous donner l’immortalité. Quelle gloire, en effet, quel triomphe pour ceux qui composeront cette honorable liste, puisque nos enfants diront, à son aspect, voilà nos pères ! « Agréez donc, s’il vous plaît, les vœux les plus ardents, que nous ne cesserons d’adresser au ciel, pour le supplier d’accorder des jours sans orages à des têtes si précieuses, et pourvues d’un mérite si éminent. » M. le Président leur répond : « L’Assemblée nationale s’est occupée sans relâche du bonheur et de la liberté de tous les citoyens indistinctement. Au milieu de tant de pénibles travaux, les représentants de la nation trouvent de la consolation et de la douceur, en recherchant avec un zélé iufatigable tout ce qui répandra l’aisance et la tranquillité au sein des familles les moins favorisées de la fortune ; mais , pour recueillir les fruits de nos soins , pour en avancer l’époque, nous avons besoin de calme et de paix. L’Assemblée vous exhorte à [31 décembre 1789.J 57 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. répandre ces sentiments, et elle reçoit avec plaisir les hommages et les vœux que vous venez lui présenter. « L’Assemblée vous permet d’assister a la séance. » Les dames qui composent la députation sont : Mme Dupré, du marché Saint-Paul, Fille Reine d’Hongrie, du marché d’Aguesseau, Femme Doré, de la Halle, Fille Gerty, du marché des Quinze-Vingts, Louison Chably, du faubourg Saint-Antoine, Marie Françoise Salinon, du faubourg Saint-Antoine, Femme Pelletier, do la Halle, Femme Lamy, du marché d’Aguesseau, M. le Président. L’ordre du jour rappelle une affaire qui intéresse la caisse d’escompte et le district des Cordeliers. Il s’agit de l’arrestation de lingots , faite par le district des Cordeliers. M. Püaurlssart prend la parole. Il se plaint de la conduite du district relativement à un fait qui retarde les opérations de la Monnaie de Limoges , et il demande un décret qui ordonne que les matières saisies soient rendues. M. Charles de Cameth. Ce n’est là qu’un fait de police qui doit être dénoncé aux représentants de la commune ; les plaintes portées contre le district des Cordeliers ne peuvent jeter de la défaveur contre un district qui a tant fait pour la liberté. Je rendrai toujours justice à la ville de Paris, à qui la France doit sa liberté , ainsi qu’aux districts qui la composent. Je crois que le district est comptable des sommes arrêtées ; mais je sais aussi que l’on doit être tranquille sur le dépôt confié à des mains aussi pures que celles du district des Cordeliers , et j’ose répondre de tout ce qu’il y a dans la voiture. Sans défendre tout ce qu’il y a d’exagéré sur la surveillance du district, je pense dire à tous les amis de la liberté que cette surveillance a été favorable à la révolution. Je demande que M. le président fasse des démarches pour que les matières d’argent soient rendues. M. de Rochebrune demande que l’on prenne des mesures pour que de pareils abus ne soient plus commis à l’avenir. M. le Coutenlx. J’observe que les administrateurs de la caisse d’escompte se sont adressés aux représentants de la commune. Le district a pu être alarmé par ce qu’il a entendu dire ici de l’exportation de l’argent ; le zèle le plus pur peut être égaré. J’envisage la circulation de l’argent dans le royaume comme aussi nécessaire que la circulation des grains ; elle tend à acquitter la dette de la capitale, et à subvenir aux besoins du royaume; consacrez donc ce principe d’une saine administration, que la circulation de l’argent doit être libre dans le royaume. Quant aux métaux arrêtés par le district� et que la caisse d’escomple a fait venir de Hollande et d’Espagne , la Monnaie de Paris ne suffit point à là fonte d’argenterie qu’on y apporte, elle a été obligée d’envoyer à celle de Limoges. Je dë-mande que l’affaire soit renvoyée aux représentants de la commune ou au comité de police, et que M. le président soit autorisé d’écrire que la circulation des espèces est libre dans l’intérieur du royaume. M. Barnave. L’Assemblée autorisa à l’archevêché un règlement de police qui donne à la commune le droit de prononcer sur les affaires des districts . Si un directeur quelconque des Mo n-naies avait à se plaindre, il aurait épuisé les tribunaux avant de venir au pouvoir législatif; nous n’avons point de privilège sur les autres citoyens ; il faut donc suivre le cours naturel de la justice; d’ailleurs, la commune de Paris est saisie de la connaissance de cette affaire; ainsi je demande la question préalable. On la met aux voix ; elle est adoptée. M. de Menou, au nom du comité militaire , lit différentes lettres adressées à ce comité au sujet d’une expression échappée à M. JDubois de Grancé , relativement à l’armée. Nous les trancrivons. Lettre des soldats du régiment d’ Armagnac à leurs officiers. « Messieurs, nous, bas officiers, caporaux, grenadiers, chasseurs et soldats du régiment d’Àr-magnac, nous nous adressons à vous, pour vous témoigner notre juste sensibilité des expressions peu mesurées et humiliantes pour tout soldat français, qui n’a jamais eu que l’honneur pour guide , expressions énoncées dans le plan constitutionnel de l’armée , proposé par M. Dubois de Grancé à l’Assemblée nationale. Après avoir parlé de la conscriplion militaire: — « Comment incorporer, dit-il, cette milice avec notre armée , si cette armée n’est pas citoyenne, si elle n’est pas purgée de tous les vices qui l’ont infectée jusqu’ici ? Est-il un patriotisme qui tienne à l’horreur de la corruption des mœurs ? Est-il un père de famille qui ne frémisse d’abandonner son fils , non aux hasards de la guerre, mais au milieu d’une foule de brigands inconnus, mille fois plus dangereux ?» « Ayant eu l’honneur, Messieurs, de faire toute la dernière guerre sous vus ordres, pleins de confiance en vous , d’après l’estime que vous nous avez toujours témoigné , nous vous prions de réclamer pour nous la justice qui nous est due. Signé par tous les sergents, caporaux , grenadiers , chasseurs et soldats au régiment d’ Armagnac. Lettre des officiers du régiment d' Armagnac au Roi. «Sire, pleins de confiance dans vos bontés pour tous les sujets de votre royaume ,nousosons faire parvenir à Votre Majesté les plaintes des bas-officiers, caporaux, grenadiers, chasseurs et soldats de votre régiment d’Armagnac, que nous n’avons pu refuser d’entendre, et qui nous ont témoigné respectueusement combien ils étaient affectés des expressions peu mesurées de M. Dubois de Grancé, dont ils ont eu connaissance par les papiers publics ; nous les avons approuvés , après nous être assurés qu’elles étaient conçues de même dans son plan. Cette démarche de leurs subordonnés est. une nouvelle preuve de leur délicatesse; qualité précieuse dans ceux dont notre gloire dépend , et qui, par une bonne conduite dans nos campagnes d’Amérique, et dans